Lorsque mon Oncle entre dans les appartements alloués aux membres de la Maison Arryn, il peut constater que la Mère et le Fils sont à froid, encore. Depuis l’annonce de mes épousailles avec la Princesse du Nord, Jeyne Stark, j’avais été d’une humeur fracassante et noire, menant à mal mon entourage, que ce soit ma Mère, mon Frère, mon Oncle ou ma garde, tantôt par mes silences, tantôt par mes objections inopinées à certaines décisions mineures. Cependant, aujourd’hui et à cette heure-même, je n’avais pas joué le rôle de l’insolent petit Roi, mais davantage le rôle du fils détestable et ingrat.

Nous parlions, encore, des bénéfices de cette alliance. Je soutenais, toujours, qu’il y avait sûrement plus à gagner avec le Royaume de l’Ouest. Etais-je motivé par un soupçon d’intérêt politique ? Nullement. C’était mon cœur, et plutôt mon désir ardent de m’unir avec la Princesse Nymeria Lannister, qui me poussait à cette inclinaison. Et j’avais cru que ce projet serait possible, jusqu’à ce qu’on me révèle que je me faisais de fausses chimères. C’est une Princesse du Nord qui allait prendre sa place à mes côtés.

Si j’avais pu supporter cette nouvelle, la suivante me mit hors de moi. Elle semblait dire que si je tenais tant à me lier aux Lions, mon jeune frère pourrait épouser la plus jeune fille de la fratrie Lannister, soit Nymeria. Incapable de me contrôler, j’avais répondu vertement et avec une indélicatesse que je ne me connaissais pas. J’avais sous-entendu que si Mère était si impatiente de lier le Nord et le Val, elle aurait pu proposer sa propre main étant donné qu’elle connaissait déjà le Roi Torrhen Stark et intimement selon les rumeurs des couloirs – tant aux Eyrié, qu’à Winterfell.

Nous étions pantois, tous les deux, le temps de quelques minutes. Nous cherchions à comprendre les paroles blessantes et insultantes qui étaient sorties de ma bouche. Heureusement, ou malheureusement, aucun de nous deux n’eut le temps de réagir. L’entrée inattendue de Smaug qui annonçait que le Roi souhaitait s’entretenir avec elle urgemment sur quelques détails de la cérémonie força la Reine Régente à quitter ces appartements devenus bien étroits, assurément. Rouge – verte, violette et bleue – de colère mais habilement caché sous un air maîtrisé, elle quitte la pièce.

Dès qu’elle quitte la pièce, le regret s’empare aussitôt de moi. Plein de rage, que ne donnerais-je pas pour avoir une épée en main et m’entraîner jusqu’à ce que la fatigue m’éreinte ! Que nenni ! J’avais à me préparer, et à marcher à l’autel, à me recueillir devant les Anciens Dieux par respect pour la croyance de la mariée, puis devant les Sept par respect pour ma propre religion. Avant de me lier à cette Princesse que je ne connaissais pas, et que je n’aimais pas, je convoque le Mestre des Eyrié que j’avais forcé à m’accueillir.

- A-t-elle envoyé une lettre, Mestre ? demandais-je. Il secoue la tête. Nymeria n’écrivait plus. Nymeria ne répondait plus. Je vois.

Voilà un triste jour. Je perds l’amour de ma vie, et je gagne une Princesse que j’épouse par pur intérêt politique. Malheureusement, je ne peux pas reculer et je ne peux plus refuser. Je devais plier aux exigences de nos aînés, et condamner le semblant de bonheur auquel j’aspirais tant avec ma Lionne. Allais-je offrir une mine digne d’un deuil ? Non. Allais-je feindre la joie ? Non plus. J’allais agir comme un « Roi » qui s’apprête à accomplir un acte politique, soit une action ni joyeuse, ni malheureuse. Je me dirige donc vers cet Arbre à la sève rouge avec calme, j’attends sans le moindre sourire, et je pose mon regard sur ma future épouse avec indifférence.

Si elle avait été mariée à un autre, ou si je n’avais pas été amoureux de ma Lionne, j’aurais jugé la Princesse du Nord comme une très belle personne, avec un charme propre et naturel. Pourtant, à cet instant, ses lèvres rouges me paraissaient trop grandes comparées aux petites lèvres de Nymeria, sa peau était trop blanche et me rendait déjà bien nostalgique du teint de pêche de la Lannister, et sa noire chevelure me paraissait bien trop commun alors que ma Belle semblait être l’incarnation du Soleil même. Je comparais sûrement la Lune et le Soleil, mais à choisir, je préférais et j’aimais la dernière.

Du coin de l’œil, je vois bien que ma Mère m’épie, tantôt avec une colère cachée, tantôt avec une inquiétude palpable. Si aux yeux de chacun, j’accomplissais les différents rites des cérémonies, mes proches – ou les proches de la Princesse – pouvaient aisément déceler l’absence de tout amour ou de désir à l’égard de la mariée. Certains pourraient s’inquiéter que je pourrais être violent, d’autres que je la délaisserai et qu’elle serait bien malheureuse. Le premier cas est tout bonnement impossible car aussi mécontent je puisse l’être, je n’étais pas un homme avec si peu d’honneur. Par contre, je n’étais pas certain que je saurais être le mari aimant que toute jeune fille rêve. J’avais juré d’être fidèle à ma Nymeria, et non à une autre. Dès l’instant où je ne l’avais pas elle, les autres m’importaient peu et ne pouvaient qu’être une source de déception et de lassitude.

Mon Oncle profite que les rites des deux cultes se soient terminés, et que je peux être seul quelques minutes pour me glisser quelques mots à l’oreille, me sommant de me reprendre en main et d’offrir un meilleur traitement à la Princesse devenue Reine. Il me rappelle qu’elle représente dorénavant mon Royaume, et que je ne peux pas lui manquer de respect. Il n’a pas tort, entièrement. A défaut d’être agréable, aimant, passionné ou curieux, je pourrais la gratifier de quelques paroles courtoises. Elle n’avait pas choisi ce mariage, et elle n’avait pas eu plus de voix au chapitre que moi …

- J’ose espérer que le rite des Sept ne vous a pas perturbé, dis-je, n’ayant pas eu le cœur de la complimenter sur sa beauté ou sur son charme, comme il est de rigueur. Je n’avais pas encore la force de me mentir à moi-même et, par conséquent, pas le courage de mentir à la Louve le jour même de ses noces. Etes-vous prête à quitter le Nord, pour les terres valoises ? Si vous avez encore quelques doutes ou craintes, je vous prie de m'en faire part.

Habilement, je prends garde à ne pas marcher sur les pans de sa robe qui arboraient à la fois les motifs des Maisons Arryn et Stark ou à ne pas la brusquer dans quelques mouvements. Je remarque, enfin, quelques détails de la Couronne. Je reconnaissais une des fleurs du Val, dont les qualités pour charmer les dames m'avaient été rapporté à plusieurs reprises par un proche ami.

Le Roi du Nord, Torrhen Stark, offrit un beau discours aux différents Seigneurs et Dames présents. Il était à peine question de mariage ou de meilleurs vœux pour le jeune couple, mais davantage d’alliances durables et brillantes avec soutien mutuel entre les deux Royaumes, tant militaire que commercial. Le tableau aurait été assurément parfait si le jeune couple affichait actuellement une mine ravie et non simplement une mine courtoise. Un éclair d’espoir passe dans le regard de nos proches, lorsque la jeune épouse se penche à l’oreille de son époux pour lui susurrer quelques paroles. Evoquait-elle quelques peurs ou doutes ? Partageait-elle quelques drôles d’histoires ? Mille hypothèses pouvaient être émises, sauf une.

Jeyne Arryn, née Stark, abordait un sujet des plus particuliers qui me fit monter le rouge aux joues. Je ne saurais dire si j’étais en colère, déçu ou abasourdi par la hardiesse de la brunette. Certes, il était assez évident que nous ne nous aimions pas et que nous aurions préféré un autre mariage. Pour autant, était-ce une raison suffisante pour parler de répudiations et de maîtresses, le jour même du mariage et avant même que la nuit ne s’est terminée ? Là où la Dame attend une réponse, je préfère me taire, prendre un verre de vin et le boire goulument.

- Ma Dame, nos Royaumes ont besoin de cette alliance. Et par conséquent, nous devons la désirer. Il n’est pas question de mariage, ou de sentiment, lui rappelais-je. Enfin, tant que nos Royaumes apportent leurs soutiens mutuels, pensez-vous sérieusement que je peux déshonorer la fille de mon allié, et la Reine du Val, en la répudiant publiquement ? Une alliance a été signée, et nous devons nous y plier.

L’infertilité était évidemment la crainte de toute famille, mais elle n’était pas toujours une cause de répudiation. Cet acte était bien trop grave, dans son essence, pour qu’elle soit faite à la légère. Les conséquences étaient aussi assez importantes. La Maison de l’épouse pourrait accuser la Maison de l’époux d’infertilité ou d’autres bêtises. Enfin, une femme répudiée avait toujours une mauvaise réputation : si une bourgeoise, ou une femme du peuple pouvaient en souffrir, je doutais que c’était le cas pour des Maisons Royales et surtout pour des gens comme la Maison Stark.

- Parlons de cela plus tard, quand nous sommes seuls. C’est la moindre des choses, quand on veut parler de sujets aussi graves, conclus-je, ne désirant nullement continuer.Nous nous contenterons d’une danse, et que cette mascarade cesse.

Et je m’exécute. Et je lui offre ce simple baiser. Lorsque nos lèvres se quittent, je dois constater avec une certaine déception que je ne ressentais rien de plus, rien de moins. Elle m’était indifférente, n’éveillant qu’un profond sentiment de lassitude et d’agacement. J’entends tous ces applaudissements et clameurs, et dans cette foule, je cherche quelques figures familières. Et je suis témoin de la scène la plus étrange et la plus horrifique possible : je vois un couteau qui glisse sur la délicate gorge de Mère et le sang de cette dernière couler avec abondance. Je n’étais plus le seul à voir, car les cris retentissent, des lames sortent des fourreaux, tantôt pour poignarder le voisin, tantôt pour se protéger.

Une garde, composée de la garde du Faucon et de la garde du Loup, se forme autour de Jeyne et moi, et nous force à prendre retraite. Je vois mon Oncle, dans ce méli-mélo, tentant de me raisonner. Je n’entends pas, je ne comprends pas, jusqu’à ce qu’il me gifle violemment, et me fourre mon épée entre mes mains.

- RETRAITE, RONNEL !

Et je me réveille de ce maudit cauchemar, je saisis à pleine poignée mon épée, j’accroche la poignée de mon épouse, et je la traine à la suite de la garde. Nous ne pouvions pas rester plus longtemps, dans ce carnage où il était impossible de distinguer l’allié de l’ennemi.

La forteresse des Eyrié était à double-tranchant. S’il était difficile de la conquérir, il pouvait vite devenir le tombeau de ses propres habitants si l’unique route était bloquée par l’ennemi. Dès lors, à moins d’avoir des ailes, il fallait patienter que les renforts arrivent et dégagent ceux qui gênent. Or, ce soir, je sentais que le vent tournait en notre défaveur : nous nous sommes rassemblés pour célébrer un mariage et non pour préparer une guerre – ou pour faire face à un siège. De plus, l’ennemi n’attendait pas devant les portes : il était entre les murs, à trancher les têtes et à planter les ventres !

- CESSEZ DE PARLER ! ordonnais-je, le ton tranchant et sifflant. Aux écuries, et sortons par la grande porte. Les Eyrié sont perdus , ordonnais-je à la Garde.

La Garde était surprise, mais Elle n’avait nullement le temps d’argumenter. Les hommes dégageaient la route, ou surveillaient attentivement nos arrières. Tenant fermement mon épouse, je la traîne sans grand ménagement, tournant tantôt à droite, tantôt à gauche. Dans un éclair de conscience, j’avais compris qu’il était inutile de se cacher là où l’ennemi avait déjà pris ses « aises ». Il s’était organisé pour nous surprendre, nous diviser et nous détruire. Telle une araignée sournoise et patiente, elle avait arrangé sa toile. Or, pour réussir une telle prouesse au cœur même de la Forteresse, il était nécessaire d’avoir des amitiés – et donc des traîtres contre la Maison Arryn. Qui pouvait faire une telle chose, et dans quel but ? Des questions que je me poserai plus tard, lorsque nous nous serons extraits de ce guet-apens !

- Une dague ! Donnez-moi une dague ! hurlais-je. Un homme m’en glisse une entre les mains, et je la tends aussitôt à la brunette que je force à suivre. Quiconque s’approche de vous, cibler son torse !

La première leçon de mon Oncle, quand je tentais de frapper avec l’épée, avait été de viser le torse. Il aimait dire que le tronc était la partie la plus large du corps, et qu’il était donc impossible de la rater. De surcroit, la moindre blessure à ce niveau-là pouvait gêner ou surprendre l’adversaire. Evidemment, par la suite, il avait été question de faire preuve de précision, selon la position de l’autre et selon le coup que je désirais porter. Tant de choses que l’on ne pouvait pas apprendre, en quelques secondes, à une demoiselle dont je ne connaissais rien – ni son éducation, ni son caractère.

- Qu’importe le blason ! rajoutais-je, espérant qu’elle avait assez de jugeotte pour comprendre le sous-entendu et les implications. Nous avions un traître parmi nous – soit un Valois, soit un Nordien. Tant qu’on ne connaissait pas l’identité de ce vendu, il ne fallait pas faire confiance à quiconque.

Je sens que notre Garde tombe, petit à petit, au fur et à mesure de notre avancée. Aurons-nous encore assez d’hommes à disposition, lorsque nous arriverons aux écuries ou lorsque nous serons en train de galoper vers un fort allié ? A contrecœur, je me détache de la brunette. J’espérais que la Garde qui fermait la marche n’allait pas faillir … Je ne pourrais pas être sur deux fronts, ni les autres. Me plaçant devant, auprès de mes compagnons d’infortunes, j’apporte mon aide. Tantôt je suis surpris par l’aisance avec laquelle on tranche un bras ou une jambe, tantôt je suis époustouflé de la « légèreté » de l’épée – si lourdes aux entrainements.

Nous nous approchions de la Cour. Cependant, nous nous arrêtons un instant, surprenant une vision d’horreur entre les meurtrières. Je vois, au loin, un corps transpercé de lances et décapité trôner sur un cheval. Une tête de loup avait été cousu. Je reconnais bien vite la carrure, ou encore l’armure, comme les Gardes-Loups. Toutes appartenaient au Roi Torrhen Stark. S’il n’avait pas été un grand ami, cette fin était tout bonnement cruelle et honteuse pour un tel personnage. Le silence s’abat sur cette petite assemblée survivante, malgré le fracas autour de nous. Au milieu de cette horde de barbares, je reconnais l’armoirie de la maison Hoare.

- Les chiens ! crachais-je.

Je comprenais que le traître n’avait pas travaillé seul, mais en concert avec des forces étrangères. U

- Emparons-nous de chevaux, immédiatement. Nous aurons plus de chance de fuir, par la forêt ! Suivez la Garde du Faucon et moi-même, lorsque nous nous y engagerons. Ils savent naviguer, ils ne savent pas faire autre chose.

La question était de savoir jusqu’où les graines de la traîtrise s’étaient répandues au sein du Val. En qui puis-je avoir confiance ? De qui dois-je me méfier ? Tous les grands Seigneurs des maisons valoises s’étaient réunis aux Eyrié pour cet événement. Je ne savais pas, et j’étais fou de rage. Malheureusement, je ne pouvais pas rester et tergiverser longtemps. Il fallait fuir. Offrant une prière aux Sept, nous nous enfonçons tout droit vers les écuries. Notre équipée ne passe pas inaperçue mais la folie ambiante et l’adrénaline s’étant emparé de tout le monde, incluant nous-même, nous avions pris assez d’avance pour qu’ils nous rattrapent. On s’enferme dans les écuries même, chacun saisissant la bride d’une bête ou ouvrant quelques enclos.

- Savez-vous monter ? demandais-je, à bout de souffle, en alerte, le corps tendu. Un simple mot – oui ou non – suffit pour que je m’exécute aussitôt. Si elle savait chevaucher, tant mieux : sa monture en sera que plus rapide – lui ayant réservé notre plus valeureuse et époustouflante bête. Si non, alors que les Sept nous viennent en aide pour que la belle bête ne souffle pas trop vite sous le poids.

Au loin, on tambourine à la porte des écuries.

- Jonos … Où est Jonos ? hurlais-je, subitement, dans ce capharnaüm sans nom où les hommes préparaient en hâte les chevaux.

Subitement, tous ces sons n’étaient que de lointains échos et mon cœur s’emballait. J’avais perdu une Mère, sous mes yeux. Avais-je perdu un frère, également ? Mon esprit m’imposait de m’échapper de ce piège mortel, en profitant de cette mince ouverture. Mon cœur exigeait de retrouver ce frère, et de le protéger s’il était encore vivant.

- Leto ! On échange ! ordonnais-je.

Mon ami ne tarde pas à comprendre, évidemment, et m’observe avec grands yeux. Mon ton ou encore mon regard intiment un même ordre : obéir sans discuter. Il s’exécute aussitôt, à contrecœur. Nous nous échangeons en hâte armures et tenues de cérémonies, chacun se couvre d’un heaume ou d’un casque pour dissimuler au mieux notre chevelure. Il avait plus ou moins ma taille et ma corpulence : il sera un excellent leurre. Les gardes voient, mais ne posent pas de question. Ils n’avaient ni le temps, ni la curiosité.

- Suivez tous Leto, en criant « Au Nom du Roi ! ». Chevauchez sans vous arrêter jusqu’à Coeurmanoir , dis-je à tous. Lorsque j’approche de la Louve, je répète l’ordre mais j’ajoute quelques précisions. Je dois retrouver mon frère, s’il est encore vivant. Coeurmanoir est le domaine natal de Mère, vous serez entourés d’amis. Vous serez avec vos gens.

Nous avions échangé les vœux et nous nous étions soumis aux différents rites :  nous étions maris et femmes et, surtout, Roi et Reine du Val et de la Montagne.

- Passez par le col de l’Etranger ! ordonnais-je. C’est votre seule chance.

***

J’avais retrouvé mon jeune frère, dans la salle même où la Porte de la Lune se trouvait ainsi que le Trône. Une partie des forces ennemies encore debout – la résistance nordienne et valoise n’avait pas été aisé à mater – avait poursuivi mon leurre. Cependant, je n’avais nulle crainte pour ce dernier, et l’équipée qui l’accompagnait. Les étrangers ne connaissaient pas nos terres, et les Montagnes étaient traîtresses pour ces derniers. Les forces restantes étaient trop confiantes, ou trop fatiguées. S’il n’avait pas été aisé de se frayer un chemin au sein des Eyrié, la mission n’avait pas été impossible.

Couvert du sang, la poignée d’hommes m’ayant suivi et ayant survécu se postèrent près de la porte, prêts à accueillir tout ennemi. Pour ma part, je m’approche à grand pas de mon jeune frère pour saisir par le col et le traîner hors de ce guet-apens au plus vite ! Je n’avais guère le temps d’exprimer ma joie de le savoir vivant, ou encore m’enquérir sur le miracle qui l’avait épargné de la boucherie qui se déroulait par-delà ces portes. Nous aurons pleinement le temps, lorsque nous serons sortis d’ici, que nous aurons rejoint le domaine de notre Mère et que nous réfléchirons à la façon de nous venger de cette infâme traitrise lorsque le traitre se sera dévoilé !

Voilà qu’il résiste, refusant de quitter la salle. Je le gifle, comme mon Oncle l’avait fait pour moi, dans l’espoir que le bon sens reviendra. Au lieu de ça, il rit. Était-il devenu fou, après avoir assisté à la mort violente et brutale de Mère ? Avait-il perdu tout envie de vivre, alors que je brûlais d’une furieuse envie de me venger ?

- Es-tu fou ? Nous devons partir, maintenant !

On tambourine aux portes. Mes hommes et moi-même faisons volte-face, prêts à accueillir les invités.

- Préparez-vous ! ordonnais-je.

Les portes s’ouvrent à Lord Rougefort et à ses hommes. Ils sont aussi harassés et aussi fatigués que nous le sommes. Nous ne baissons pas nos épées ou notre garde, et nous nous toisons comme des chiens de rue. Etaient-ils des alliés, ou des traîtres ? Pouvais-je leur faire confiance, ou devrais-je écourter leur vie ? Complètement obnubilé par cet homme, je ne remarque pas l’ombre qui se glisse dans mon dos pour m’enfoncer une lame, là où l’armure laisse ma chair à découvert.  

Je ne ressens pas immédiatement la douleur, d’avantage surpris par la fraîcheur du métal froid dans ma chair. Ce n’est que lorsque je veux me retourner, que celle-ci me traverse tout le corps, et m’arrache un cri. Cependant, je suis vite étouffé par mon propre sang, épais et abondant. Je tente, vainement, de cracher cet amas de liquide avant d’en mourir ! Peine perdue ! C’est comme tenter de vider une barque trouée de l’eau, au milieu d’un cours d’eau ! Le flux est permanent et abondant.

Silencieux, et sourd – mon cœur semble mener la fanfare ! –, je n’ai plus que mes yeux pour seul témoin. Mon regard croise celui de mon propre frère. Au lieu d’y lire la détresse ou le désespoir, je vois la joie et la folie s’entremêler. Au lieu de poser sa main sur ma plaie ou de me protéger avec sa lame, je vois celle-ci – couverte de mon propre sang ! – se diriger vers ma tête. Au lieu de pleurer ma mort, je le vois s’en réjouir !

J’avais été trahi par mon propre frère.
J’avais été tué par mon propre sang.