Le Bief était un royaume bien lointain, dans lequel Jon venait à mettre les pieds aujourd'hui, et là où il évoluait depuis quelques jours déjà. Les lieux qu'il découvrait au fur et à mesure ici, tout particulièrement Hautjardin, n'avaient strictement rien en commun avec la cité de Winterfell. Le royaume du Nord était sa terre, c'était là où il avait grandi, là où il avait appris chacun des préceptes de son existence qu'il essayait de mettre en œuvre jour après jour pour pouvoir rendre service à son peuple, pour pouvoir rendre hommage à son nom, à sa maison et que son père puisse juger de son efficacité, et qu'il lui fasse confiance pour l'avenir, quand viendra le jour où il devrait succéder à cet homme de carrière et de force de caractère qui savait si bien gouverner le royaume du Nord, toujours identique à lui-même et fidèle à ses principes. L'image de son père était une image forte, dont il avait envie de s'imprégner, et son admiration pour le Vieux Loup était parfois dévorante pour le prince qu'il était. Ses différentes absences, pendant son adolescence, avaient creusé un fossé entre le père et le fils, qui lui semblait parfois impossible à combler, bien qu'il ne désirait que cela en réalité. Peut-être trop identique pour pouvoir parvenir à s'entendre, ou même réussir un peu à se comprendre. Le défi était grand et il espérait sincèrement quand se rendant, selon ses volontés, dans le royaume du Bief, il ferait à nouveau honneur à ce dernier.

Il avait certes briller dans les combats auxquels il avait participé dans le Conflans contre les forces Hoare, une fierté personnelle qu'il ne venait pas à étaler pour autant, il avait toujours été un homme discret et ce n'est pas parce qu'il allait sans doute devenir roi un jour, que cela l'amusait pour autant de jouer les grands séducteurs auprès de ces dames et elles étaient nombreuses à Hautjardin. Il ne s'attendait pas plus à s'illustrer dans les joutes qui avaient été organisé pour l'occasion par la maison royale des Gardener. Jon était parfaitement conscient que son père comptait sur lui ici, il représentait les Stark et ce n'était clairement pas une chose que le Jeune Loup venait à prendre à la légère mais il avait également envie de profiter de la soirée qui s'annonçait douce et agréable, une chaleur peu commune pour le prince du Nord régnait malgré le fait que l'heure était déjà bien avancé. Il se surprenait à s'attarder à regarder le paysage, à profiter de la verdoyance des lieux, de toutes les senteurs particulières qui régnaient tout autour de lui. Il pourrait presque se laisser envoûter par l'endroit, et il n'était clairement pas déçu du voyage pour le moment. Le fait que le soleil était en train de se coucher tout doucement, donnait un autre aspect à l'environnement qui l'entourait et c'était quelque chose d'agréable. Il n'avait pas besoin d'avoir ici de lourds vêtements, des peaux de bêtes à placer autour de ses épaules pour tenter de garder un peu de chaleur, c'était agréable mais c'était aussi assez perturbant.

De nombreuses personnes étaient venus le féliciter au cours de la soirée pour sa réussite au cours des joutes, il voyait les regards qu'on posait sur lui, surtout le regard des femmes de la Cour devenait de plus en plus oppressant. Si Jon trouvait que le Bief avait quelque chose d'exotique pour lui, il semblait qu'ici, ce qu'il y avait d'exotique et qui venait à intéresser tout le monde c'était lui. Le prince nordien venait à discuter avec certaines personnes, profitant en même temps des mets et des vins proposés au cours de la soirée. Il se tourna vers l'homme qui se présenta à lui alors, un homme d'un certain âge déjà. Il inclina légèrement la tête face à ce dernier. « Je vous remercie pour vos compliments, j'avoue ne pas penser que je parviendrai à être encore le dernier debout, mes adversaires étaient plus qu'honorables, les uns comme les autres. J'ai été plus qu'honorer de les affronter et ravi également d'avoir rendu hommage aux miens. Chacun fait son temps dans les joutes, il faut bien qu'une nouvelle génération prouve sa valeur, que ce soit ici ou bien plus encore sur un champ de bataille, mais je ne doute pas que vous avez eu vous aussi vos heures de gloire, cela ne s'oublie jamais. » Il adressa un sourire poli à son égard avant de se tourner vers la demoiselle qui était en train de s'approcher d'eux deux. Il inclina à nouveau la tête, vers cette dernière cette fois. « Dame Senia, c'est également un plaisir de vous rencontrer. »

Jon n'avait jamais réellement été de ces personnes à nouer facilement le contact avec les autres. Il y avait eu un temps pendant son enfance où il avait été un garçon souriant, rieur et qui n'avait pas peur de se lier avec les gens qui gravitaient autour de lui. Sans doute que s'il avait été un garçon comme les autres, un homme d'écurie, une jeune personne travaillant dans les cuisines, ou exerçant tout autre métier faisant plus appel à la force qu'à l'intellect, quelque chose qui lui aurait sans doute permis de fréquenter plus librement les tavernes et de boire jusqu'à ne plus pouvoir, partageant ainsi des moments de convivialité qu'on ne pouvait connaître qu'autour d'une chope de bière dont on ne voyait jamais le fond finalement. Peut-être que sa nature profonde aurait joué malgré tout en sa défaveur et qu'il n'aurait pas été l'homme le plus entouré qui soit. Cependant, personne ne pourrait jamais le savoir, il n'était pas né homme de cuisine, ou homme de ferme, il n'était pas né simple soldat qui épuisait toute sa solde dans les tripots et les tournées, il était né comme prince héritier et cela voulait dire qu'il ne pouvait pas faire tout ce qu'il voulait comme il le voulait. Il était conscient, bien évidemment, que cela n'avait pas empêché son père, quand il était à la même place, de profiter allègrement des opportunités que lui donnaient la vie pour pouvoir fêter tout et n'importe quoi, en compagnie de ses amis ou de ses frères. Jon était de son côté bien plus sérieux déjà, il avait certes un frère mais qui était bien plus jeune que lui et il ne risquait pas d'emmener sa délicate sœur dans des lieux qui n'étaient pas recommandés pour elle. Et puis, avec la disparition de sa mère, il s'était renfermé sur lui petit à petit, ne se concentrant alors plus que sur la seule tâche qui devait être la sienne, devenir l'héritier que le Nord attendait, que son père espérait sans doute aussi. Le fait que les liens entre le père et le fils étaient difficiles à estimer, n'aidait en rien. Le Jeune Loup ne pensait plus qu'à faire honneur à son nom et à sa famille, ce qui voulait dire que l'important était qu'il soit convenablement éduqué, sur la stratégie militaire, comme les entraînements physiques à l'épée et plus rien ne comptait alors. Finalement, c'était peut-être cela qui lui avait permis de briller aujourd'hui dans le Bief. Même s'il ne pouvait réellement se satisfaire d'avoir réussi à se démarquer en société par le biais de joute et non pas d'être reconnu pour ses réussites militaires.

Le Prince du Nord ne pouvait réellement apprécier de se donner en spectacle aussi loin de chez lui, ni même de trouver amusant de parader ainsi auprès des souverains qui régnaient sur le Bief. Il était certain que Jeyne aurait fait bien plus sensation que lui dans cet endroit. La jeune Lady de Winterfell avait toute la grâce et l'intelligence nécessaire pour pouvoir évoluer dans une société comme celle-ci et cela lui aurait plu sans aucun doute. Certes, il n'était pas permis pour une jeune fille de participer à ces festivités en se retrouvant à la place des jouteurs, mais elle n'aurait sans doute pas manqué d'attirer les regards sur elle et d'avoir plusieurs champions à ses pieds et de réussir à séduire grâce à son charme nordien, charme bien moins facile à reconnaître chez les hommes que chez les femmes venues du Nord. Torrhen avait sans doute parié sur le mauvais cheval, d'une certaine façon, mais aujourd'hui c'était Jon qui se trouvait à Hautjardin et c'était à lui de se montrer sous son meilleur jour. Ce n'était pas une mince tâche à réaliser, mais ce n'était pas pour autant quelque chose d'insurmontable non plus. Après tout, être agréable et avoir un peu de conversation, ce n'était pas non plus la fin du monde. Pour autant, ce n'était pas parce que Jon n'était pas le jeune homme le plus bavard de Westeros, qu'il n'était pas capable de comprendre les machinations qui pouvaient se mettre en place. Les regards des jeunes femmes se tournaient vers lui ainsi que les chuchotements, et bien plus encore, c'était celui des pères des familles nobles du Bief qui le savaient célibataire qui tentaient une action dans sa direction et c'était exactement ce que Lord Florent était actuellement en train de faire à cet instant. Il l'observa du coin de l'oeil, mais garda un léger sourire sur ses lèvres. « Oui en effet, le Bief est à l'opposé de ce que je peux connaître dans le Nord. Il ferait presque trop chaud même pour moi ici, parfois même en plein été nous avons quelques flocons de neige qui tombent sur Winterfell. Cela a quelque chose de particulier. Il est certain que pour vous cela serait déroutant, mais nous avons des sources chaudes qui permettent d'avoir une température agréable toute l'année dans le château. Néanmoins, il est certain que les plantes, les fleurs, les odeurs sont bien moins développées qu'elles ne le sont ici. C'est un véritable ravissement pour les yeux. » Le sous-entendu du Lord fit tourner le regard de Jon vers ce dernier et il comprit le sens qu'il voulait donner à celui-ci sans avoir beaucoup à se forcer pour traduire. Jon inclina poliment la tête dans sa direction pour le saluer convenablement alors qu'il s'éloignait déjà. Pour autant, il fut encore plus surpris par la question de la jeune femme, et il ne put cacher son désappointement devant elle pendant une seconde, estimant le sujet comme quelque peu incongru. « Je … Non … Je suis désolé. Je ne suis pas le plus fin des connaisseurs à propos des oiseaux et des rapaces, je ne suis malheureusement pas un spécialiste qui pourrait vous aider à ce propos. » Il se mit à tousser légèrement, tout en posant son verre. « Je ne puis pas vous parler des pygargues empereur, mais peut-être m'accorderiez-vous quelques pas de danse ? »

Jon ne s'était jamais réellement senti à sa place dans une soirée, surtout dans un endroit pareil. Les gens étaient si différents de ce qu'il pouvait connaître au Nord, et bien qu'il savait parfaitement faire bonne figure comme on pouvait l'attendre d'un prince héritier et d'un futur souverain, il ne cessait dans son esprit de se demander quand il pourrait prendre congé de ces hôtes pour ensuite regagner sa chambre, le calme et la solitude que cela pouvait lui procurer. Tout ici était délicat, sentait bon les doux parfums des fleurs. Les mets étaient nombreux et ils étaient variés, et dégageaient tous une odeur différente, sans qu'il ne parvienne à tous les identifier sur la table qui permettait le service depuis les cuisines. Les vins étaient aussi beaucoup plus fins en bouche que ceux qui venaient à parcourir le chemin jusqu'à Winterfell, mais pour autant, à cet instant bien précis, il aurait donné n'importe quoi pour être chez lui, plutôt que de se retrouver coincer à Hautjardin et devoir faire les courbettes d'usage et venit à côtoyer des individus qu'il ne reverrait sans doute jamais. Il était bien trop loin de chez lui, et même si son père trouvait utile de se rendre aux joutes que le Bief avait organisé, pour montrer les talents, parfois cachés, qui existaient dans le Nord. Le reste lui était d'un incroyable inconfort et il savait combien il pouvait faire déplacer dans ce genre d'endroit. Là d'où il venait, les hommes avaient été forgé dans le froid et dans la glace, ce qui avaient donné des carrures souvent imposantes à ses derniers. Le travail de la terre se révélait complexe là où il était né, mais le travail plus rude avait renforcé leurs muscules et leur force de frappe. Alors qu'ici, tout était plein de couleurs chatoyantes, tout semblait bien plus terne là-bas, l'herbe était moins verte, les bois plus sombres, la nuit plus longue également. Le noir était souvent la couleur la plus marquée, si on pouvait appeler ça une couleur, et elle venait à faire un contraste saisissant par rapport à la neige qui recouvrait tout, et qui tombait même en pleine été. Jon était un homme du Nord, aux cheveux aussi sombres que les ailes d'un corbeau, aux yeux aussi foncés que la roche qu'on y trouvait. Il préférait se couvrir de nombreuses couches de fourrure, plutôt que de se pavaner là en habits plus protocolaires. Jon était loin de chez lui, et il ne pouvait pas dire qu'il le vivait réellement bien.

Il parvenait même à entendre la musique, les conversations ne venant pas à dépasser un certain octave dans la vaste pièce dans laquelle il se trouvait. A Winterfell, il était habitué aux banquets bruyants, où la bière coulait à flots, où l'odeur forte de gibiers cuits à la broche venait à tout embaumer, sans parler des feux de cheminée qui venaient apporter leur touche odorante si particulière. Il y avait peu de danse de là où il venait, bien que sa mère avait tenu à ce qu'il apprenne comment mettre un pied devant l'autre, sans qu'il ne vienne à trébucher et à se retrouver ridicule devant l'assistance. Non, là d'où il venait, on tapait fortement dans le dos, on parlait à voix haute, et celle-ci prenait de l'ampleur à chaque nouvelle pinte descendue. Ici, tout était trop propre trop lisse et maintenant, il se devait de faire la conversation avec une jeune demoiselle, agréable à regarder mais qui semblait ne pas savoir quoi lui dire exactement. Elle le rendait profondément mal à l'aise, là juste devant lui, à lui parler d'oiseaux, alors qu'il n'y connaissait finalement que peu de choses à ce sujet. Il avait eu des enseignements divers et variés, touchant à de nombreux sujets, mais les oiseaux n'avaient pas fait l'objet d'une étude approfondie, outre ceux qu'il connaissait pour la chasse, le reste n'avait jamais eu grand intérêt, sans doute parce qu'il avait d'autres éléments à savoir, bien plus importants que celui-ci. Il se retrouva fort démuni, et visiblement, elle aussi. « Je ne manquerai pas de chercher quelques informations sur ses derniers, et si nous venons un jour à nous recroiser, alors nous pourrons ainsi en rediscuter. » S'il se revoyait un jour, ce qui n'était pas gagné. Il lui proposa ensuite d'aller danser, plus par convenance que par autre chose, et ils se déplacèrent ensemble jusqu'à la piste où d'autres couples étaient déjà présents. Quand elle parla alors qu'il ne fallait pas attendre quelque chose de sa part le prince soupira doucement avant décider d'être honnête avec elle. « Ne vous dévalorisez pas ainsi, à chaque instant, cela ne pourra vous venir en aide et vous ne fera que vous créer une angoisse encore plus forte. Vous n'avez pas envie de danser, et j'avoue ne pas avoir plus envie de cela. De plus, je suis lasse par les différents adversaires que j'ai du affronter. Je préfère retourner dans mes appartements pour me reposer. Vous n'aurez qu'à dire à votre père que tout est de ma faute. » Il s'inclina légèrement face à elle. « Je vous souhaite une bonne fin de soirée. » Il lui adressa un dernier signe de tête, puis quitta le banquet.