Tricia n'avait pas imaginé un instant qu'elle viendrait à retrouver sitôt Villevieille. En effet, elle avait quitté des semaines auparavant, des mois maintenant la ville de son enfance, sa cité pour le peu qu'il lui restait de contrôler sur celle-ci, dans la tourmente. Telle qu'elle était arrivée une première fois, après les festivités de Castral Roc auxquelles elle avait pu participé, et telle qu'elle revenait aujourd'hui. Le temps avait continué sa course, mais finalement, elle se rendait bien compte que dans son cas elle n'avançait plus, se laissant même distancer dans certains domaines, ou plutôt, elle reconnaissait enfin qu'elle était distancée depuis longtemps, cette incapacité d'avoir des enfants avait été provoquée de graves conséquences pour la maison Gardener. Elle n'était certainement pas la seule coupable dans tout cela concernant sa chute, la situation aurait pu être toute autre, si certaines décisions avaient été prises plutôt que d'autres. Elle ne pouvait que remercier Mern de l'avoir gardé à ses côtés toute sa vie durant, préférant une épouse qu'il appréciait sans enfant, au lieu de remplacer cette dernière par une personne plus fertile qui aurait répondu à l'attente qu'on pouvait avoir de toute femme. En faisant cela, Mern était clairement allé en contradiction avec ce qu'on pouvait attendre d'un souverain, et de l'héritage dynastique qu'il devait normalement donner à la couronne du Bief. Connaissant le tempérament de son époux, Tricia avait compris que d'une certaine façon, il avait espéré pouvoir compter sur son frère, le prince Kevan, pour pouvoir tenir cet engagement à sa place. Car même sans enfant dans le couple royal, la maison Gardener n'était pas totalement éteinte pour autant. Il restait le frère du Roi, cet homme qui était dans la fleur de l'âge et à qui on avait souvent parlé de mariage. La malchance ne pourrait pas s'abattre deux fois sur une même famille, et que l'homme ne puisse pas avoir ses héritiers pour perpétuer le nom des Gardener. Non cela ne pouvait se terminer ainsi. Et pourtant, en faisant le point aujourd'hui, la situation s'était révélée bien pire, et la seule qui portait encore le nom des Rois, était une simple pièce rapportée, une veuve sans destinée, sans d'avenir.

Kevan les avait trahis, Kevan les avait abandonné, et pourquoi ? Elle n'en aurait jamais la réponse, car l'homme en question était mort et elle n'avait pas eu la chance ou plutôt, la possibilité de s'expliquer avec lui, il avait perdu la vie entre les mains des Impériaux, et cela avait achevé la maison Gardener, la laissant tout simplement en ruine. Plus de roi, plus d'héritier, aucun enfant officiel ou bâtard. Il ne restait rien, et cela même son propre frère le lui avait fait bien comprendre, depuis bien trop longtemps dans l'ombre, depuis bien trop longtemps à attendre sa chance, à attendre d'avoir enfin les pleins pouvoirs. Il avait fait abdiquer Tricia, et bien qu'elle le savait en mesure de le faire, elle ne le lui avait pas pour autant pardonné. Bien sûr, elle aurait pu poursuivre sa vie dans des conditions bien moins agréables, voir ne pas pouvoir la poursuivre aussi simplement que cela, mais elle avait néanmoins espéré autre chose, et d'une certaine façon, elle espérait toujours aujourd'hui que quelque chose de bon se passe. Pour le moment, elle naviguait entre deux eaux, sans trop savoir quoi faire, attendant surtout que le nouveau roi vienne à abattre sa sentence la concernant, craignant même qu'il ne l'offre à un de ses maudits Fer-nés, juste pour pouvoir asseoir un peu plus son emprise sur le peuple dont était issue son épouse. Elle était certaine d'une chose, cela, elle ne pourrait pas le supporter, et alors l'idée d'en finir avec la vie, ou de s'engager parmi les septas lui était venue à l'esprit, tout pour ne pas être l'objet d'une existence qui ne lui appartiendrait définitivement plus ; même si aujourd'hui déjà, elle avait perdu de nombreuses prérogatives, elle n'en restait pas moins pour le moment, la Dame de Villevieille et c'est pourquoi, il n'était pas question un seul instant que la Cour se déplace dans sa cité et celle du roi, et qu'elle, elle reste bien sagement à Hautjardin. Elle avait besoin néanmoins de se libérer l'esprit et de s'éloigner de la foule présente dans la demeure familiale en gagnant le haut des remparts, chose qu'elle n'avait pas fait depuis une éternité. Mais elle qui se croyait seule, et surtout tranquille, se retrouva alors avec l'homme de Foi, Martyn Tarbeck , d'une amabilité toute relative, mais il ne pouvait néanmoins la déstabilisée. « Bien le bonjour à vous aussi. » Elle fit quelques pas vers lui, s'approchant de l'homme à la haute stature, ne pouvant pas avoir la possibilité de l'éviter. « Il y a bien longtemps que je ne suis pas montée ici, mais j'ai toujours apprécié la vue qu'on pouvait avoir d'ici. Il semblerait que nous avons eu la même idée … Comment vous portez-vous ? »

La Foi était sa religion, elle était née sous le regard des Sept, elle avait grandis auprès d'eux. Le Grand Septon vivait à Villevieille, depuis la cité sous la gestion et la protection des Hightower, il gouvernait à tous ses fidèles à travers Westeros, son pouvoir était important, et c'était un allié de premier plan pour le Bief et pour tous ceux qui avaient le désir de se faire entendre du peuple. Oui la religion faisait sans doute bien plus parfois que la politique et l'homme qui la pratiquait. La croyance, l'espérance pouvait faire pousser des ailes à n'importe quel homme et de ce fait chercher parfois à renverser les têtes couronnées, sur une simple idéologie. Les Hightower et le Grand Septon entretenaient de forts liens, Manfred cherchait à un faire un de ses plus fervents soutiens et elle comprenait l'intérêt politique qu'il y avait là-dedans. Elle avait toujours de son côté répondu aux exigences de la religion, étant sans aucun doute une des plus femmes les plus pieuses du royaume et de Westeros également. Elle avait été élevé selon les principes des Sept et elle ne s'était jamais détournée de la Foi ni de sa Sainteté. Et avait toujours accueillis les hommes au service du Grand Septon avec beaucoup de déférence, que ce soit ici dans la demeure familiale ou alors dans la demeure royale de Hautjardin. Cependant, il était certain que toutes les personnes qui servaient les Sept n'étaient pas forcément plein de bonté et de bienveillance, et à cet instant, le fils du Guerrier qui était juste à ses côtés la rendait quelque peu mal à l'aise, bien qu'elle ne viendrait jamais à le lui montrer, et qu'il puisse peut-être se repaître de tout cela. Tricia avait resserré le tissu qu'elle avait posé sur ses épaules alors que le vent soufflait sur la hauteur des remparts. « Prendre de la hauteur, permet de voir les choses différemment, on devrait appliquer cela bien plus souvent. » Elle continuait à observer les alentours plutôt que de poser son regard directement sur Martyn Tarbeck.

L'ancienne Reine du Bief n'était pas des plus disposées pour pouvoir avoir une discussion d'envergure avec un défenseur de la Foi, mais il aurait été plus que malvenu de désapprécier l'homme et de l'offenser, elle se comportait de ce fait comme la parfaite maîtresse de maison qu'elle était en ces lieux, car si elle était la dernière des Gardener, Manfred lui avait confié la gestion des terres familiales, elle était pour un temps la Dame de Villevieille et personne ne devait oublier qu'ici, c'était elle qui recevait et qu'elle le faisait avec autant d'élégance et de bienséance qu'à l'époque où elle portait encore la couronne sur sa tête. « Je ne peux que me réjouir avec vous de cette victoire sur Dorne. Un jour, ce n'est pas seulement que de la principauté que vous reviendrez victorieux, bien que cela demande de la volonté et de la combativité également. » Elle lui avait sourit avec un politesse avant de garder le silence quelques instants suite à sa question. « Je suis bien heureuse comme toujours de revenir ici chez moi. En tant que Dame de Villevieille, en tant que sœur de sa Majesté, en tant que conseillère de la Reine également. » Elle avait envie ainsi de lui dire qu'elle n'avait pas disparu du haut du panier, qu'elle était toujours présente et qu'elle continuait à être influente d'une autre manière aujourd'hui, mais que néanmoins, il faudrait continuer à composer avec elle. « J'ai eu vent en effet de la disparition de Lord Cuy dernièrement … Une bien triste nouvelle pour sa veuve qui est une de mes dames d'atour depuis de nombreuses années, il laisse derrière lui de jeunes enfants. Je ne doute pas que chacun des Sept a raison d'agir de telle ou telle façon. Et qu'ils nous mettent à l'épreuve dans le but de nous rendre plus fort et meilleur que ce que nous sommes déjà. » Elle avait depuis bien longtemps appris la leçon, répondant poliment mais sans pour autant s'engager personnellement dans une direction ou une autre. « Je ne doute pas que si mon frère vous a invité c'est qu'il porte en vous une grande confiance et qu'il compte continuer de concert avec vous. » La présence du couple royal dans la ville n'était pas une simple visite de courtoisie.

Tricia avait l'habitude aujourd'hui qu'on vienne à l'épier, l'étudier, l'observer sous les moindres coutures. Si elle n'était plus reine à présent, elle l'avait néanmoins été pendant plus d'une dizaine d'années et elle avait rapidement compris que si elle voulait tenir face aux hommes qui côtoyaient son mari, elle devait rester cette belle et douce femme qui se tenait à ses côtés et qui venait à donner un éclat tout particulier à la couronne du Bief. Elle était une de ses splendides roses qu'on pouvait trouver dans les parterres de Hautjardin, mais tout comme cette fleur délicate, à la robe soyeuse de pétales d'un blanc le plus pur ou d'un rouge, aussi fort et tenace que celui du sang, elle n'en restait pas moins une fleur avec des épines, et elle n'avait pas l'intention de les rétracter maintenant qu'elle n'était plus que la sœur du roi, et la conseillère de la Reine. Elle connaissait la Cour et ses pièges, elle connaissait les femmes et les hommes qui y jouaient leur jeu, et elle connaissait aussi ceux qui servaient la Foi, avec une très large dévotion et un sens de la politique tout aussi aiguë. Et des ambitions qu'ils peinaient parfois à dissimuler, tant les dents venaient à rayer le parquet. Oui, elle devait bien le reconnaître aujourd'hui, son frère avait raison sur une chose ; elle n'était peut-être plus la Reine du Bief, mais elle gardait encore une place assez importante pour pouvoir avoir un certain intérêt aux yeux de ceux qui voulaient se rapprocher de la couronne. Et bien soit, puisqu'il en était ainsi, elle ne faillirait nullement à sa tâche, mais elle ne manquerait pas d'en profiter également. Tout cela était un jeu de troc, du donnant donnant. Et elle était parfaitement consciente que juste à côté d'elle, se trouvait un homme des plus intelligents, qui fit en sorte de marquer quel que peu son territoire en lui indiquant qu'il avait l'oreille du Roi, tout autant que celui de la Reine. Bien, ils étaient donc à égalité là-dessus.  

Tricia tiqua légèrement quand il vint à lui parler d'une rencontre avec Alysanne Cuy. La lady se retrouvait sans époux, après de nombreuses années de mariage, et elle devait apprendre à faire face aussi, avec ses trois enfants en bas-âge, ainsi que l'aîné de son mari, né d'un premier lit. Une situation qui n'était certes pas facile, mais au moins, avait-elle eu des enfants pour pouvoir éviter d'être évincé par son beau-fils. En attendant, elle se demandait bien ce que le Fils du Guerrier pouvait lui vouloir à elle, elle doutait qu'ils se soient rencontrés un jour. Mais après tout cela ne la regardait en aucun cas, ce n'était pas parce qu'elle continuait à être sa Dame d'Atour, qu'elle devait prendre toutes les décisions pour elle. « De mon côté, je ne vois pas pourquoi je viendrai à vous interdire de la rencontrer … Mais en réalité, ce n'est pas à moi qu'il faut poser la question mais à elle. Je vous enjoins à lui écrire quelques mots pour pouvoir lui demander une entrevue. Elle a fait un détour jusqu'à Solfoyer mais elle ne devrait pas tarder à revenir à Villevieille. Vous pourrez ainsi converser avec elle. » Elle continuait à observer l'horizon alors que l'homme à ses côtés continuait sa conversation, chacun bougeait son pion en réaction de celui de son adversaire. Certes, on ne pouvait peut-être pas parler d'adversité véritablement, il était né homme et elle était née femme, il avait donc une place de choix, là où elle devait paraître et non s'affirmer. « Je fais pleinement confiance aux Fils du Guerrier pour pouvoir obtenir d'autres victoires pour la couronne du Bief, comme je l'ai toujours fait. Nos prières montent jusqu'aux Sept et bientôt le Bief aura terrasser l'ennemi, quel que soit son visage. Et nous ne pourrons que les remercier un peu plus, pour leur bonté, leur générosité et leur bienveillance à notre égard. Mais j'ose espérer que nos faiblesses d'homme, ne viendront pas à remettre la victoire en cause. » Tricia avait beau avoir quelques écarts avec un ou deux principes de la religion de la Foi, elle n'en restait pas moins une femme d'une grande dévotion envers celle-ci. Elle se tourna vers lui, plongeant son regard azur dans le sien, souriant à pleines dents. « C'est une formidable idée que vous avez là et cela tombe plus que bien, puisque la Reine m'a justement fait la demande d'être sa conseillère, il y a quelques semaines à Hautjardin et que j'ai bien évidemment agréé à sa demande. Sachez, que je me battrai éternellement pour le bien du Bief, ainsi que sa pérennité. »

Tricia eut réellement envie de rire en entendant les paroles de Martyn Tarbeck, pour autant elle ne changea pas instant son attitude face à lui, continuant à garder ses commentaires pour elle, plutôt que de donner un quelconque moyen à l'homme de Foi à côté d'elle, de venir à la critiquer ou à s'amuser de sa situation. Respectueux envers elle, oui il l'était, sans doute parce qu'elle était la sœur du roi, mais en aucun cas parce qu'elle était l'ancienne souveraine du Bief. Bien qu'elle avait toujours été dévoué au Grand Septon et aux membres de la communauté religieuse, qu'elle avait toujours été très pieuse, elle n'oubliait pas pour autant qu'elle s'était sentie parfois abandonnée par les Sept, par la Mère tout particulièrement alors qu'elle avait longuement prié pour pouvoir obtenir ce rôle, le seul qu'elle avait un jour véritablement désiré dans toutes les parcelles de son être, sans jamais pouvoir y parvenir. Alors la piété, elle en avait eu beaucoup, elle en avait toujours beaucoup, mais la récompense se faisait réellement attendre à présent et même si cela ne venait pas à amoindrir sa croyance, cela ne facilitait pas toujours son quotidien et parfois, cela lui causait quelque peu du désespoir. Mais peut-être qu'il avait raison, peut-être que ce n'était pas seulement des paroles en l'air de sa part et qu'elle serait un jour récompensée.

Martyn ne manquait pas de venir se montrer le plus agréable possible avec elle, à la mettre en valeur et à reconnaître les capacités qu'elle pouvait posséder et qu'elle pouvait mettre à disposition pour la nouvelle souveraine du Bief. Elle ne manquait pas pour autant de douter de la sincérité des paroles du Fils du Guerrier. Même si la conversation était assez agréable, elle ne doutait en aucun cas, qu'il y avait derrière des manœuvres politiques de la part de l'homme de carrière. Ils avaient l'un comme l'autre, l'envie de marquer les esprits et de pouvoir continuer à exister dans ce monde, dans ce gouvernement nouveau qu'était en train de construire Manfred Hightower à tout point de vue. Ils jouaient tous les deux de leurs connaissances, de leurs filiations pour pouvoir atteindre les plus hautes marches, et elle devait reconnaître que Martyn semblait être bien placé. Une tactique politique de Manfred qui avait eu besoin du Grand Septon pour pouvoir obtenir un poids supplémentaire dans la course au trône, et qui avait toujours besoin de celui-ci aujourd'hui comme des ses acolytes. Pour le coup, Tricia était également contente de s'être vue confier le rôle de conseillère de Eren, il fallait à présent que ça dure. « Vous êtes bien trop flatteur avec moi … »

La question d'un remariage l'a surpris bien plus qu'elle ne l'aurait pensé, elle n'aurait jamais songé à aborder le sujet avec l'homme de religion et elle n'avait pas plus envie que cela de discuter avec lui. « Je viens tout juste de quitter la période officielle du deuil après la mort de mon époux. Cela viendra sûrement, pour le bien de la maison Hightower et du Bief je m'y soumettrai, mais pour le moment je continue à pleurer l'absence de Mern. »  Oui, elle pourrait accepter un nouveau mariage mais pas à n'importe quel prix, et surtout pas au prix des fer-nés. Elle hocha la tête à son égard. « Je ne doute pas que nous aurons d'autres occasions de nous revoir avant que vous ne partiez au front. Je vous souhaite une agréable journée. » Elle inclina légèrement la tête avant de le contourner et de reprendre sa promenade.