Le soleil se levait sur la grande cité de Goeville. L’aurore orangée offrait un spectacle envoûtant dont Sarzir ne se lasserait jamais, illuminant peu à peu l’activité déjà frénétique qu’il distinguait, au loin, sur le port et la ville basse. En natif de Dorne, l’astre solaire revêtait pour lui et les siens une dimension mystique particulière. Le Santagar aimait se lever aux premières lueurs du jour, qu’il devançait souvent, d'ailleurs, à seule fin de jour d’un instant quotidien de contemplation, autant que d’introspection. Accoudé sur un créneau, dominant Goeville depuis la citadelle de la Maison Grafton, Sarzir repensait au tournoi qui avait pris fin pour lui hier. Dorne s’était illustrée en comptant dans ses rangs parmi des chevaliers parmi les meilleurs des Sept Couronnes. Bien que la victoire revînt à Orys Baratheon, la renommée tirée par Lancehélion à l'occasion de cet évènement serait durable. La valeur de ses lances imprimerait durablement les esprits, et notamment celle de Sarzir Santagar. Derrière leur apparence festive, les lices jouaient un rôle bien plus politique qu’il n’y paraissait. Elles donnaient l’occasion aux grandes maisons de se confronter les unes aux autres en période de paix et, ce faisant, d'offrir une démonstration publique de leur puissance au combat.

Sarzir était vêtu ce matin d’une robe traditionnelle de couleur ambrée, typique de Dorne, arborant les motifs distinctifs de la Maison Santagar : un léopard moucheté armé d’une hache d’or. Plongé dans ses pensées, balayant du regard l’étendue urbaine de Goeville, l’homme faisait rouler une pièce de monnaie entre ses doigts. Il s'attarda sur sa propre main, au-dessus du vide, et sur le sous qui passait de son index à son majeur. A tout instant, le denier pouvait chuter, loin en contrebas. L'écu ne devait sa survie qu’à la force cinétique qui l’entraînait incessamment d’une phalange à l’autre. Toute une allégorie… Comble du risque, Sarzir avait pris pour habitude, d’une façon désormais mécanique, de faire virevolter sa ferraille lorsqu’elle atteignait son auriculaire. Il la saisissait alors en vol, puis la replaçait dans sa paume et reprenait la valse des mouvements qui l’entraînait d’un doigt à un autre, indéfiniment.

L’homme sursauta soudain. Sa dextérité altérée, il perdit le contrôle de son jeu et laissa chuter sa pièce, tandis qu’il tourna machinalement la tête vers la source du bruit qu’il venait d’entendre. A quelques mètres, par une porte donnant sur les remparts dont lui-même était arrivé, quelqu’un semblait aussi venir. Il ne voulut ni paraître surpris, ni pour autant aux aguets  Par conséquent, le Santagar fit semblant d'être absorbé par le paysage environnant. Existait-il quelqu'un d'aussi matinal que lui, dans les appartements alloués aux convives des festivités de Goeville ?

Le subterfuge semble avoir fonctionné. C’est en tout cas ce que Sarzir croit interpréter de la stupeur de la jeune femme ; ou alors, elle aussi fait-elle semblant de se montrer surprise ? Cette hypothèse lui paraît peu probable. Travesti d’un air faussement étonné, Sarzir fait volte-face en direction de la Lady qui, prise de court devant cette situation, engage une révérence protocolaire. Son attitude reflète un certain manque d’expérience, de même qu’une certaine hésitation quant à la manière dont il convient de saluer un noble inconnu. Rapidement, Sarzir lui sourit. Il souhaite dissiper tout sentiment d’incommodité, chez cette demoiselle pleine de candeur. La gratifiant d’un chaleureux signe de tête, et portant la main sur son cœur pour appuyer ses mots, il ne tarde pas à lui répondre.

[Sarzir] « Vos félicitations me vont droit au cœur, chère Lady Stark. A défaut de l’avoir emporté, j’espère au moins avoir su vous divertir ! »

Depuis son arrivée à Goeville, quelques semaines auparavant, Sarzir eut l’occasion d’arpenter les couloirs et les rues de Goeville en long, en large et en travers. Il put se familiariser avec les visages et les noms des grandes familles de Westeros, pour la plupart participantes à ce grand tournoi. A quelques reprises, lors de banquets fastueux organisés par les hôtes de la cité, l’homme eut l’occasion de croiser la famille Stark, sans toutefois avoir véritablement conversé avec ces derniers. Doté d’une bonne mémoire, il reconnut cependant le visage de la jeune Jeyne, tout récemment promise à Lyman Lannister, héritier du trône de l’Ouest.

[Sarzir] « Là d’où je viens, une agitation comme celle qui fourmille constamment à Goeville n’existe pas. Cela est à la fois fascinant, mais aussi terriblement épuisant. Alors… j’apprécie venir ici au lever du soleil pour voir la ville se réveiller, et profiter d’un petit moment de tranquillité. Et vous, qu’est-ce qui vous amène ici ? Lady Stark nourrit-elle aussi quelque désir d’introspection suscitant un attrait pour ces remparts ? »

D’un ton amusé – mais absolument pas moqueur – le Santagar essaie d’alléger l’atmosphère. Après ces quelques mots, qu’il espère suffisants pour engager une conversation, il poursuit.

[Sarzir] « Vous savez, je n’ai pas beaucoup voyagé. Il paraît que c’est un défaut de Dornien ; je veux dire, de ne jamais trop sortir de chez soi. A mon niveau, en tout cas, cela se vérifie. J’ai fait l’effort de venir jusqu’ici pour représenter la Principauté à ce tournoi, mais j’avoue être complètement dépaysé. Quelques jours de navigation séparent Goeville de Dorne, et pourtant je me sens étranger sur mon propre continent… Dites-moi, Lady Stark, une native du Nord ressent-elle la même chose, lorsque son mariage lui commande de quitter Winterfell pour Castral-Roc ? »

Son regard se détache de Jeyne et se perd de nouveau dans l’horizon portuaire.

Sarzir apprécie ce début de conversation, avec cette très jeune femme qu’il découvre. Tandis qu’il l’écoute, il dissimule son admiration pour la répartie et la tenue de Lady Stark. Lui vient alors à l’esprit une réflexion qu’il s’était déjà faite par le passé : il existe véritablement un monde entre les héritiers suzerains et les autres. Leur éducation, leur posture, leur capacité à faire face avec dignité et droiture à toute situation sociale imprévue, toutes ces qualités sont le fruit d’un apprentissage dispensé dès leur plus jeune âge, mis au seul service d’une aspiration à gouverner. Et c’est une denrée rare.

Jeyne semble curieuse de ses origines. Pour beaucoup de Westerosis, la lointaine contrée de Dorne semblerait presque aussi étrangère que le continent ultramarin d’Essos. Il faut admettre aussi que la Principauté du Sud cultive toujours, à dessein, sa singularité vis-à-vis des autres couronnes de l’Ouest. Alors, puisant dans ses meilleurs souvenirs et prenant grand soin d’enjoliver la nature propre de sa terre natale, en espérant susciter chez Jeyne un désir de voyage en pays inconnu, Sarzir entreprend de décrire cet endroit d’où il vient.

[Sarzir] « Dorne n’a nul autre pareil en Westeros. C’est en tout cas ce que disent tous ceux que j’ai croisés et qui, contrairement à moi, ont foulé l’ensemble des royaumes de notre continent. L’aridité de notre région oblige notre peuple à une solidarité et une tolérance profonde. Nous sommes réputés pour notre accueil et notre bienveillance avec nos visiteurs. N’en déplaise au Bief, c’est également chez nous que se cultive le meilleur vin. »

Il marqua une courte pause.

[Sarzir] « Géographiquement, Dorne se divise en deux régions assez distinctes. Oh, bien sûr, le soleil brûle à tout endroit de notre Principauté. Cependant, le relief y est différent selon où vous vous rendez. A l’Ouest de Dorne, aux frontières avec le Bief et l’Orage, le territoire des Marches est montagneux et souvent difficile d’accès. Si vous voyagez plus à l’Est, en direction des côtes, vous traverserez l’immense désert caractéristique de notre région, qui ne se tarit qu’à l’approche des rivages, plus propices à la vie. Lancehélion, notre capitale, est d’ailleurs une cité portuaire. Il n’est pas si difficile de s’y rendre depuis Goeville, ou Blancport… »

En évoquant le nom du grand port maritime du Nord, Sarzir espérait donner des idées à sa jeune interlocutrice. Peut-être qu’un jour elle désirerait ainsi prendre les voiles et s’aventurer tout au sud.

[Sarzir] « Si votre destin vous conduit un jour jusque chez nous : faites envoyer une missive à Lord Sarzir Santagar de Bois-moucheté, votre serviteur. Notre fief est situé non loin de Lancehélion. Je serais très heureux d’être votre hôte en Dorne et de vous faire visiter notre beau pays. Je gage que vous et moi venons de terres si différentes qu’elles s’apparentent presque à deux mondes à part. »

Poursuivant la discussion, le chevalier demanda évidemment à la Dame de lui décrire à son tour les caractéristiques du Royaume du Nord, qu’il n’avait jamais eu l’occasion de fouler non plus.

[Sarzir] « Et vous, comment décririez-vous le Nord ? Vous parlez à quelqu’un qui n’a encore jamais vu un flocon de neige tomber du ciel, je me dois de vous le préciser. Quoi qu’en y réfléchissant, j’ai bien dû apercevoir quelques blancheurs éternelles sur quelques hauts sommets des Marches de Dorne... Mais c’est bien tout ce que j’ai entraperçu du froid hivernal. »

Terminant sa phrase, l’homme sembla dérangé soudainement au niveau de son flanc droit. Il passa mécaniquement sa main sur cet endroit de son corps qui le faisait souffrir, accusant du même coup une grimace. Cela sembla lui passer assez rapidement. L’on pouvait distinguer sur son léger habit de cuir dur, avec lequel il avait combattu en lices, une égratignure ainsi qu’un renfoncement. En parant la lance d’un adversaire lors du tournoi, sur le bas de la cage thoracique, le bouclier qui lui servait de protection avait cogné contre ses côtes et en avait probablement fêlées quelques-unes. Lorsque Sarzir prenait de grandes inspirations ou qu’il faisait certains mouvements, il se retrouvait alors avec le souffle coupé.

[Sarzir] « Vous avez raison, de ne pas trouver ces tournois divertissants. Loin de trouver cela dommageable, je le vois comme un signe de sagesse. Ceux qui s’en amusent sont des idiots, ou des couards fantasmant d’une confrontation dont ils sont quant à eux incapables. Beaucoup penses que nous, chevaliers, nous y affrontons avec joie. Or, nous le faisons pour la seule gloire de nos Royaumes et de nos maisons. Brandir le fer n'est pas un jeu. Et à chaque tournoi, plusieurs fines lames de Westeros meurent malencontreusement. Nous faisons ce que nous devons faire, tout simplement. Faire vœu de chevalerie, c’est s’engager dans la voie du devoir. Et le devoir à accomplir n’est pas toujours bien-fondé. Il l’est d’ailleurs rarement, de vous à moi… »

Adoptant désormais un ton moins morne, Sarzir termina par une dernière question.

[Sarzir] « Est-ce que dans le Nord les femmes de votre rang sont entraînées au maniement des armes ? C’est une particularité dont je ne vous avais pas parlé tout à l’heure, mais qui me semble aussi distinctive de Dorne. Chez nous, les femmes sont autant légitimes que les hommes à brandir une lance. De même que la Principauté de Dorne peut revenir à une héritière, et non seulement à un héritier. »

Sur ces mots, Lord Santagar montre une direction à Jeyne, lui proposant de poursuivre avec lui la discussion en marchant le long des remparts de Goeville.

Parmi les choses que sa condition de chevalier – et, désormais, de Lord de Maison – ne lui permettait pas véritablement, le du principe du voyage à l’improviste était certainement celui que Sarzir regrettait le plus. Certes, il avait énormément parcouru les contrées de Dorne, au point qu’il lui serait aisé de se reconvertir en guide, le jour où le métier des armes ne lui serait plus possible. Très souvent, cependant, il nourrissait cette envie de parcourir d’autres terres, de découvrir d’autres paysages et de rencontrer d’autres cultures. Le Santagar avait pleine conscience de ce que le monde était immense ; de la diversité des civilisations qui le peuplaient, à leurs manières très singulières. Dans une autre vie, il aurait pu être ce marchand de passage, s’obligeant à poser pied à terre au seul bénéfice de son négoce, mais ne restant jamais plus de quelques jours au même endroit, de peur de s’y enraciner. Cette vie alternative, qu’il se surprenait à rêver, était un parfait opposé de celle à laquelle il était voué. Néanmoins, jamais Sarzir n’avait de regrets, et encore moins de remorts, quant à son destin. Il percevait de la noblesse et de la grandeur dans la fonction militaire, deux qualités qu’il s’efforçait de cultiver à son modeste niveau, dans sa pratique quotidienne du métier. De fait, il pouvait facilement passer pour un chevalier exemplaire : loyal à son suzerain, brave face à l’ennemi, courtois en société, délicat avec les dames, avare en sentiments.

Tandis que la jeune Jeyne lui narrait, non sans enthousiasme, les splendeurs du pays du Nord, Sarzir essayait de s’imaginer ce à quoi elles pouvaient ressembler ; ce que l’on pouvait ressentir en contemplant des étendues de neige à perte de vue, le toucher répulsif de la glace au bout de ses doigts, ou une bouffée d’air gelée à vous raidir les poumons. Il se fit alors une promesse : il irait un jour au Nord, et vivrait cette expérience. Quant ? Il n’en savait rien. Mais il irait. Alors, à chaque description enjouée de Jeyne, Sarzir répondait par un simple et sincère sourire, plein d’intérêt et de curiosité.

Lorsqu’il accusa la douleur et grimaça du coin des lèvres, la Lady s’inquiéta immédiatement pour lui. Il la trouva touchante. Par pudeur, et pour ne laisser dévier la discussion sur cette blessure passagère, il préféra passer à autre chose.

[Sarzir] « Je vous remercie de vous préoccuper pour moi, très chère Dame. J’ai dû prendre un mauvais coup durant les joutes… Mais rien de grave. Ne vous en faîtes pas. Le meilleur remède au corps réside dans l’esprit. Et notre conversation vaudra bien mieux pour mon rétablissement que n’importe quel onguent. »

Lord Santagar constata que Jeyne avait été interpelée par ses explications concernant la place de la femme en Dorne, et les spécificités culturelles locales. Elle évoqua sa cousine, qu’elle décrivait comme plus désireuse d’apprendre le maniement des armes qu’elle ne pouvait l’être elle-même.

[Sarzir] « Si tel est le souhait de votre cousine, vos maîtres d’armes auraient tout intérêt à lui dispenser une formation. Si elle était née à Dorne, en tout cas, elle aurait été initiée depuis longtemps à la lance et l’épée. »

Sarzir s’arrêta devant un créneau. Tout en discutant, ils avaient contourné la muraille jusqu’à arriver à la position opposée d’où ils s’étaient rencontrés, laquelle donnait cette fois-ci sur l’Ouest de Goeville, donnant sur l’arrière-pays et les convois de marchandises qui affluaient le long d’une grande route, dont la limite n’était pas perceptible à l’horizon. L’axe routier menant à Goeville, au même titre que la voie maritime, était un point de passage capital de Westeros. En tant que capitale commerciale du continent, Goeville était souvent le point de départ ou d’arrivée de nombreuses diligences, qui transitaient par la cité pour suivre leur chemin par navire, jusqu’à d’autres territoires lointains.

[Sarzir] « Chère Jeyne, la vie est parfois pleine de surprises. Je suis venu ici à l’aube en pensant échapper un moment au vacarme quotidien qui règne ici, et je ne m’attendais absolument pas à faire votre rencontre. A vrai dire, j’en suis ravi. Je repars demain pour Dorne. Ma mission est accomplie, et les lices sont terminées. Mon devoir m’appelle chez moi et je ne sais pas si nous nous reverrons. Sachez en tout cas que je garderai un agréable souvenir de ce moment. Considérez-moi comme votre ami. Si un jour vous prend l’envie de voyager jusqu’à Dorne, faites envoyer un Corbeau jusqu’à Bois-moucheté. Je viendrai vous accueillir dès votre arrivée à Lancehélion. Quant à moi, si les vents me portent un jour jusqu’à Blancport, je ne manquerai pas de vous le faire savoir. »

L'homme décrocha de sa tenue jolie broche de faction fine, mi-bleue mi-argentée, frappée en son centre d’un lion taillé dans l’or. Il la tendit à Jeyne. En forçant le regard au bas du petit ouvrage, l’on pouvait distinguer une écriture, dorée également : De sable et de sang. Il s’agissait de la devise des Santagar.

[Sarzir] « C’est pour vous, je vous l’offre. Vous serez appelée à un grand avenir, Lady Stark ; votre maison et votre titre vous y destinent. Qui sait de quoi sera fait l’avenir ? Quelle pomme de discorde sera le prochain prétexte à une guerre entre les royaumes de Westeros ? Qu’importe ce qui adviendra de demain et ce à quoi nos propres allégeances nous contraindrons : sachez que vous aurez toujours un ami à Dorne. »

Il lui sourit une dernière fois.

[Sarzir] « Prenez soin de vous, Princesse. »