Ils avaient tout misé sur leur vaste flotte et leurs immenses armées, sur la peur qu’ils faisaient naître chez leurs ennemis. Harren le Noir avait conquis des terres sur le Val, sur l’Orage, il avait attaqué et pillé le Nord, laissé ses vaisseaux s’en prendre à l’Ouest, au Bief, à Dorne. Tous les royaumes avaient subi son courroux et craint ses couleurs. Sa fille Eren avait fait craindre la Flotte de Fer de tout Westeros, des années durant. Son fils Joren avait presque abattu l’Orage d’une seule campagne et Yoren, le bâtard, avait provoqué la guerre entre Dorne et le Bief. Tous ensemble avaient œuvré à la suprématie de leur lignée, avant de s’entre-déchirer pour en retirer toute la gloire et la puissance.

Joren avait tenté d’usuper le trône de son père, et avait fini exécuté. Ses enfants, gâtés du sang des félons, s’étaient vus exclure de la succession, ce qui provoqua plus tard un nouveau coup d’état de l’un deux, le jeune Prince Beron, contre son oncle bâtard devenu Roi, Yoren. Lui-même mourut à la bataille contre l’Empire alors que sa femme, enceinte, venait de perdre leur enfant, et presque sa propre vie, du fait du poison. Yoren avait eu le temps, alors que sa campagne avait pris vilaine tournure, d’écrire à sa sœur pour lui signifier que leur père ayant déshérité les fils de Joren, eux—mêmes félons pour certains, et que lui n’avait plus beaucoup d’espoirs d’avoir un héritier. La lettre, formelle mais vibrante d’un amour pour le nom Hoare, confiait à Eren la succession de son trône comme seule survivante légitime de la lignée s’il devait mourir à la bataille les jours qui suivaient. Yoren alors, tenta tout pour se ménager une opportunité de fuite avec son épouse. Il fut tué, et elle fut fait prisonnière par les cavaliers de l’Empire la nuit de sa défaite.

Le Royaume des Rivières et du Crépuscule avait vécu. Dans les premiers jours qui suivirent la mort du Roi, des troupes riveraines encore loyalistes se rendirent à l’Empire, rendant notamment Noblecoeur sans coup férir. Seuls subsistaient les survivants de son armée, irréductibles fer-nés en tête, et quelques derniers suivants du Conflans, alors que les mercenaires qui avaient réchappé du carnage s’étaient libérés de leur contrat pour fuir la colère impériale.

Il y avait toutefois des difficultés à la succession. Si la branche de Joren était déshéritée, si celle de Yoren était morte-née, Eren en tant que dernière Hoare de naissance était devenue Reine du Bief, et avait depuis un an pris ses distances avec le pouvoir de sa famille pour monter sur le trône du puissant voisin du sud, et était devenue Hightower. Elle avait la légitimité de son nom pour elle, la missive certifiée par le sceau de Yoren et la renommée des plus grands succès obtenus sous son commandement par la Flotte de Fer.

D’autres pourraient ne pas voir son accession au trône d’un bon œil. Lord Harloi, nouvel Amiral de la Flotte, n’avait certes commandé qu’à des raids et des escarmouches, mais il avait été à chaque fois victorieux et c’était lui qui avait en ce jour le contrôle sur l’essentiel des forces restantes de l’armée Hoare. Chez les fer-nés, nul doute que celui qui commandait à l’armée disposait de la plus grande force de frappe et d’une légitimité certes relative, mais solide, pour la conquête du trône. De plus, il était l’époux en secondes noces de la veuve de Joren Hoare, Myria, native du Conflans… Ce qui lui donnait autant un avantage par son lien avec l’ancienne maison royale qu’un inconvénient pour les félonies passées de l’homme qu’elle avait aimé et de son fils aîné. Lord Merlyn, gouverneur des Iles de Fer, avait placé depuis longtemps des hommes à lui dans tous les ports et toutes les garnisons. Il avait le contrôle de toute l’économie des Iles de Fer, des envois de vivres, de bois de réparation, des chantiers navals… Et surtout, des précieuses mines qui avaient donné leur nom aux îles. Il y avait aussi la possibilité de réunir les Etats Généraux de la Royauté, mais les seigneurs présents avec Harloi et leurs troupes sur les côtes riveraines abandonneraient alors la campagne en cours pour se rendre sur les îles… Le pouvoir était vacant. Qui s’élèverait pour réclamer le pouvoir ?

Ce qui est mort ne saurait mourir mais se lève à nouveau, plus dur à la peine et plus vigoureux.