When the storm breaks, each man acts in accordance with his own nature. Some are dumb with terror. Some flee... some hide... And some spread their wings like eagles and soar on the wind.
Le premier souvenir est celui de la faim et des hurlements.
La faim qui gratte, énerve. La douleur lancinante à l’estomac, vestige d’un repas bien trop maigre pour un enfant de cinq ans. Le regard hagard, l’esprit dissipé, confus – le gamin qui déambule dans les couloirs entre les hommes qui accourent à leurs postes alors que la rumeur d’un assaut se fait entendre.
Les hurlements qui déconcentrent, inquiètent. Des cris de douleur qui percent la rosée du matin, réveillent les somnolant, dispersent les mâles trop peureux pour s’approcher de cette souffrance primaire. La peine et le tourment d’une mère qui s’accroche furieusement à la vie, à sa forteresse, à ses responsabilités vis-à-vis de sa maison et de sa famille, s’époumonant à l’intérieur du logis seigneurial alors qu’elle tente péniblement de donner naissance à deux jumeaux, assistée dans son épreuve par son aînée adolescente.
Rickard avait cinq ans – il était un enfant. Un gamin encore ignorant, innocent, qui ne connaissait rien des complexités politiques de l’univers dans lequel il était né, de l’importance de la famille à laquelle il appartenait, de l’histoire millénaire de sa maison. Crake, il connaissait – le
Tueur de Sangliers, le héro des histoires qui lui étaient racontées par les servantes. Mais, Arwin Lannister? Loren, les Lannister, les Jardinier, les Rois de Westeros? Des noms. Des chimères. D’abstraits personnages vaguement entendus, décrits, ou rencontrés. Ils s’entre-mêlaient, se brouillaient, se mélangeaient, dans l’esprit encore jeune du futur téméraire. Si Rickard ignorait l’étendu des secousses qui animaient alors le continent, celles-ci, cependant, ne le laissèrent pas en paix.
Après cinq ans d’une enfance classique, calme, animée par un imaginaire chevaleresque et une robustesse physique typique des Crakehall, la sienne fut brusquement arrêtée par l’invasion de l’Ouest par les armées du Roi Garse du Bief, le voisin hostile de sa patrie. La traversée fulgurante des frontières alors que son géniteur, son protecteur, son père, se trouvait à Castral Roc força sa mère enceinte à devoir elle-même tenir la forteresse familiale contre les envahisseurs et à organiser la garnison. Ils résistèrent aux assaillants qui tentaient brutalement de s’emparer du château pendant près d’un an – un an d’amertume et de privation durant lequel la piétaille ne fut qu’apaisée et gardée dans les rangs que par le courage de la Dame des lieux. De nombreuses possibles mutineries ne furent contenues que par la hargne de la Marpheux et la loyauté de ses épées-liges. Un an durant lequel elle accoucha de jumeaux, protégea sa plus vieille fille, Jordane, et garda l’héritier de son époux en sécurité.
Un an duquel Rickard, finalement, ne tire que deux mots : faim et souffrance.
Ça, et une rancune tenace,
irrationnelle, vis-à-vis du Bief et les Rowan qui, sous leur pavillon, se goinfraient allègrement tandis que sa mère, elle, criait et son ventre, lui, demeurait à moitié vide.
*
Le deuxième souvenir est celui de l’apprentissage et de la violence.
De la sueur froide sur la nuque, des tremblements musculaires incontrôlables. La douleur qui affaiblie le corps, manifestation physique d’un épuisement beaucoup plus profond et débilitant. Les dents qui serrent, grincent, alors que l’écuyer soulève une nouvelle fois une charge beaucoup plus grosse que lui.
De la satisfaction, aussi.
Surtout. De la fierté lorsque le bois craque, l’engouement de la violence – de l’excitation alors que la bête qui sommeille s’extirpe de sa rêverie pour venir ravager l’adversaire. Le plaisir de voir son ennemi à terre, de le voir terrassé par la force d’un assaut contrôlé. Le contentement à l’idée que tant d’heures passées à s’entraîner résultaient finalement en une victoire tangible, valorisée, sous le regard orgueilleux et approbateur de ses instructeurs.
À sept ans, une année après le mariage de sa sœur avec le nouveau Roi de l’Ouest, alors que les fortunes de leur famille étaient ascendantes et leur influence grandissante, Rickard avait été envoyé comme pupille et page chez sa famille maternelle, à Cendremarc, pour y servir et croître sous la supervision et l’œil attentif de son oncle, le Sire Marpheux. Ainsi, il débuta son éducation aristocratique dans ce contexte, entouré de ses cousins et de sa famille éloignée, mais pressé par son oncle vers le maniement des armes, ce dernier étant conscient qu’il se devait de l’élever comme un héritier digne de succéder à Seymon Crakehall, l’un des plus grands généraux de l’Ouest.
Robuste, aventureux, motivé, quoique parfois dissipé en ennuyé par les leçons les plus théoriques qui lui étaient inculpées par ses précepteurs, il devint cependant un grand admirateur des exploits de son géniteur et d’autres chevaliers légendaires de l’Ouest, rêvant de se voir lui aussi inscrit dans les annales du royaume pour ses faits d’arme. Par conséquent, alors qu’il était page, il se concentra sur son apprentissage chevaleresque, déterminé à se voir un jour digne de son nom. Des années passées à Cendremarc, il ne conserve donc que des souvenirs majoritairement positifs, ainsi qu’un attachement sincère pour son sang maternel – un attachement et une admiration lointaine, sans faille, pour son père.
Plus que n’importe quel autre noble de sa génération, sa vie fut donc orientée vers un art bien précis :
la guerre.*
Le troisième souvenir est celui de la fierté et de l’orgueil.
La fierté enivrante qui chauffe le sang, donne confiance. Le sentiment d’avoir réussi, d’avoir été à la hauteur – de s’être montré digne de son sang, de son nom, de sa lignée. D’être un vrai fils de Seymon Crakehall.
L’orgueil – l’insolence de l’avoir fait à un jeune âge, l’effronterie de l’avoir mérité à un âge précoce. L’arrogance aristocratique de se savoir méritant, de se considérer gagnant, de voir des années d’entraînement et de dur labeur finalement culminer en son ultime baptême social.
Rickard a seize ans – il est jeune, musclé, fringant. Un écuyer, héritier de l’une des plus puissantes familles de l’Ouest, le fils aîné de l’un des grands du royaume. Il est le protégé des Marpheux, le fiancé promis aux Lefford. À seize ans, à un âge précoce, il participe à une mêlée lors d’un tournois à Montargent, les joutes n’étant définitivement pas sa force – et il en sort vainqueur, terrassant tous ses adversaires les uns après les autres, fort de son orgueil, de son énergie, de son talent et de sa volonté de performer sous le regard attentif de son géniteur qui ne l’avait alors pas vu depuis deux ans. Rickard a seize ans et est adoubé chevalier, plus jeune encore que Seymon lui-même lorsqu’il s’était vu octroyé le titre et l’honneur tant désiré. À genou devant son oncle, son mentor, il porte la faveur de sa fiancée, la demoiselle Carellen, lorsque l’épée le consacre
réellement guerrier.
Pendant près de neuf ans, il avait résidé loin de sa famille, de sa maison, grandissant sous la protection de Cendremarc, fréquentant la cour royale de sa sœur par intermittence, mais demeurant loin de Crakehall, se tenant à l’écart des siens. Il leur revint finalement en -12 comme un homme – ou, du moins, aussi qu’un garçon de seize ans pouvait l’être dans la culture féodale de l’Ouest. Consacré comme membre à part entière de la noblesse ouestrienne, il s’appliqua dans les années qui suivirent à épauler son père, à recevoir ses enseignements sur la stratégie martiale et la gestion du domaine conséquent qu’il était destiné à hériter, se promenant à travers le royaume pour participer à des mêlées et des tournois, remportant au fil des exploits le surnom du « Téméraire ». Bientôt, il était connu dans son royaume, pourtant en paix depuis de nombreuses années, comme l’un de ses plus talentueux guerriers, le digne fils et héritier du Vieux Sanglier.
Le souvenir originel du début de sa carrière guerrière demeure cependant toujours imprimé, indélébile, dans sa mémoire.
La fierté et l’orgueil d’être enfin chevalier.
*
Le quatrième et dernier souvenir est celui du deuil, de la tristesse et de la colère.
Le deuil, la souffrance, le tourment de perdre un être cher. L’abattement d’être impuissant, vain, inutile, alors que l’autre sombre dans l’abîme, est arraché par le destin impitoyable.
La tristesse, l’accablement de se sentir vide. La peine de perdre non seulement une femme, une épouse, une confidente, mais aussi une complice – une amie. Le désespoir de voir son premier enfant né dans un tombeau, alors que Mestres et Septons s’affairent à prononcer les ultimes sacrements pour s’assurer de l’immortalité de leurs âmes.
La colère. Brûlante. Déchirante.
Rageante. Le sentiment d’injustice divine, d’iniquité, paradoxal lorsqu’éprouvé par une personne naturellement si privilégiée. La rancune sacrilège envers les Sept, envers les huit rois et le monde entier pour la perte de sa femme et de son héritier. Un tourbillon d’émotions s’entre-mêlant et s’amplifiant, résultant en une rafale qui laissa le Téméraire prostré durant de nombreux jours.
Après une décennie de fiançailles, il avait finalement épousé Carellen Lefford en l’an -3. Deuxième fille de la Dame de la Dent d’Or, elle avait procuré dès les premiers instants de leur mariage un statut et une richesse faisant du Téméraire l’un des plus galants héritiers du royaume, capable de maintenir sa propre petite maisonnée. Les Lefford étant réputés fertiles, elle promettait de remplir rapidement Crakehall de bambins et d’ainsi perpétuer la lignée. Finalement, elle était une amie –
une complice. Une demoiselle avec laquelle il avait grandi, qu’il avait de nombreuses fois côtoyé, conscient d’être destiné à un jour l’épouser. À défaut d’avoir été une affaire passionnée, leur union avait donc été dès le début tendre, fonctionnelle, capable de durer. Elle l’avait épaulé alors qu’il était destiné à assumer de plus en plus de fonctions à l’intérieur de leur fief, l’avait supporté dans le deuil enclenché par la mort prématurée de sa petite sœur. Loyale, comme lui, envers leur royaume, elle était sa tendre amie. Sa compagne de vie, sa
partenaire.
Carellen fut emportée par la naissance de leur premier fils mort-né – un être coriace, robuste comme son père dès les premiers instants, qui n’arriva cependant pas à pousser le premier soupir. Accablé pendant de nombreux mois, Rickard se concentra sur d’autres occupations, refusant d’écouter sa mère qui souhaitait rapidement le remarier à une autre demoiselle ouestrienne.
Ailleurs, il chercha la guérison.
Servir – ce fut son échappatoire, son moyen de passer au-delà de sa peine, d'entamer son renouveau en attendant son héritage.
Servir son père, sa maison – servir les siens. Servir son royaume, son peuple.
Servir Jordane.
Après tout, «
loyaulté le lie ».
*
L’Ère des luttes bat son plein – l’Ouest, inébranlable, à l’ombre de ses montagnes, demeure de la perspective de la piétaille inactif, amovible. Plongé dans une profonde contemplation de ses options, incertain quant à la marche à suivre. Mais, derrière les rideaux, Jordane s’active, son frère toujours présent pour l’assister et la défendre, loyal envers son sang et la couronne à laquelle il a prêté serment.
Présent aux États-généraux, il y demeura silencieux, laissant son père et sa sœur prendre les devants et s’exprimer au nom des leurs, confiant en leur jugement, ne souhaitant pas s’enfoncer dans la marre vaseuse des Frondeurs qui devraient pourtant savoir mieux. Cinq mois plus tard, il fut une nouvelle fois endeuillé par la mort tragique de l’une de ses nièces, elle aussi emportée par sa grossesse – présent à Castral Roc lors de la visite de Sharra Arryn, il y rencontra la belle une première fois, avant de devoir retourner dans son fief.
La guerre, en effet, avait appelé Seymon Crakehall – pieux, il avait rejoint la croisade, laissant derrière lui son aîné pour gouverneur leurs terres. Depuis, Rickard n’a quitté Crakehall qu’à deux reprises, laissant toujours sa mère comme régente en son absence. La première fut pour la naissance de son petit-neveu, le futur Roi du Roc, Martyn Lannister. La seconde, elle, fut pour une raison plus funeste : le second attentat à la vie de son beau-frère.
À la suite de ce second attentat, il s'installa à Castral Roc, devenant le capitaine de la forteresse, étant désormais l'ultime responsable de la défense de la famille royale. Dans le cadre de ces fonctions, il fut le visage implacable du pouvoir royal lors de l'exécution des traîtres à Port-Lannis ainsi que durant l'arrestation de Myria Hoare. Par conséquent, lorsque l'heure finale de son beau-frère vint, il était sur les lieux, prêt à servir son nouveau roi.
Son neveu, Lyman.