Il pleuvait depuis plusieurs jours sans discontinuer. A croire que le temps maussade n’était qu’un reflet de l’état d’esprit de la population riveraine qui se lassait un peu plus chaque jour de ce qui lui arrivait. Cible de choix pour les Hoare depuis que les Tully avaient décidé de changer de bord, elle finissait par oublier à quoi pouvaient ressembler des temps de paix.
Et cette fois, ils avaient vu leurs villages pillés, ravagés. Ils avaient perdu ce qui leur était cher sans être capables de se défendre. A croire que tout le monde les oubliait, que personne ne se souciait de leur sort. L’annonce qu’ils étaient les bienvenus à Vivesaigues avait été pour certains un soulagement. Les autres étaient plus sceptiques, plus inquiets et n’avaient pas envie d’abandonner toute leur vie sans se retourner.
Pourtant, ils étaient là. Vivesaigues était plus bruyant que jamais. Entre les nouveaux-nés qui pleuraient, les enfants qui louvoyaient un peu partout et n’hésitaient pas à chaparder lorsqu’ils en avaient l’occasion ou encore les femmes désespérées d’avoir vu leur époux partir au loin et de perdre leurs terres dans la foulée. Et les hommes présents, quel que soit leur âge, semblaient comme bouillir d’impatience. Que ce soit à l’idée d’en découdre, chez eux ou ailleurs. Si certains étaient lassés et voulaient juste retrouver leur maison, les autres voulaient se battre. L’entraînement mis en place était le bienvenu en attendant de savoir ce qui allait se passer. Il leur permettait de se canaliser tant bien que mal, même si des solutions plus pérennes allaient devoir s’avérer rapidement nécessaire.
La famille Tully avait accueilli aussi bien que possible tous ces gens. En ouvrant leurs portes, en piochant dans les réserves sans hésiter. Il fallait leur montrer qu’ils n’étaient pas seuls, que la toute jeune famille royale se souciait toujours autant de ces hommes et ces femmes qui étaient désormais sous leur responsabilité. Et s’ils ne pouvaient pas rentrer chez eux, il faudrait les aider à se trouver un nouveau foyer. Lysara et Alysanne Tully ne chômaient pas. Avec le départ de Chléa Tully pour le Nord et la mort du patriarche Tully, elles devaient gérer toute l’intendance du château. Et la tâche était des plus ardues.
La Reine aurait dû se reposer. Garder la chambre. Sa nouvelle grossesse, si elle n’était pas encore vraiment connue de tous, la fatiguait bien plus que d’ordinaire. Et la naissance de Charissa avait déjà manqué de la tuer quelques années plus tôt. Pourtant, elle ne pouvait se résoudre à rester les bras croisés alors que tous s’affairaient autant qu’il leur était possible. Alors elle ignora la douleur, la fatigue et ces symptômes qui lui avaient été maintes fois familiers. Pour se préoccuper de ce peuple que son mari s’était juré de protéger quoi qu’il leur en coûte. Après tout, c’était pour ça qu’il avait juré allégeance à ce nouvel Empire non ?
Malheureusement, au bout de quelques jours, le Mestre finit par se rendre à son chevet. La Reine avait perdu l’enfant et, pire encore, semblait complètement à bout de forces. Elle avait perdu bien trop de sang et seul un miracle lui permettrait de passer la nuit. Mais le miracle ne vint pas.
La nouvelle ne mit pas longtemps à faire le tour de la maisonnée, plongeant le château tout entier en deuil. La Reine était appréciée depuis longtemps, pour avoir toujours été bienveillante et à l’écoute des moins bien lotis. Et certains ne purent pas s’empêcher de se demander si les dieux, quels qu’ils soient, ne les avaient pas vraiment abandonnés.