Il y a des incidents de l'Histoire, des destinées contrariées, et de véritables catastrophes. Lord Kevan Gardener, frère du Roi du Bief et Connétable des Armées du Royaume, se vit porter par une estafette un pli confidentiel, reçu quelques heures plus tôt par le mestre de Corcollines. Tout autour du général, plus de dix mille hommes étaient cantonnés, attentifs et prêts pour la guerre. Décachetant le pli, le Prince du Bief déchiffra sans aucune difficulté les termes d'un pli qui, immédiatement, le plongèrent dans la plus grande confusion et le plus grand bouleversement. Lorsqu'il eut terminé, Lord Kevan froissa le papier et plongea un regard brillant vers les flammes d'un feu de camp tout proche.
C'est le moment que choisirent une escouade d'une douzaine d'hommes portant le tabard du Roi son frère, pour venir se présenter. Leur officier, un simple capitaine de la roture, signifia au Prince qu'il était en état d'arrestation, au motif de complot contre l'Etat et contre son frère le Roi. Les hommes tout proches portèrent la main au fourreau et encadrèrent leur général. Des hommes d'armes Cuy se rapprochèrent, renforçant les hommes du Roi. L'ambiance était électrique, et Kevan Gardener clama d'une voix forte qu'il avait le droit de savoir de quoi on l'accusait. Le capitaine répondit froidement, main sur la poignée de son épée, que le mestre de Corcollines avait eu vent des écrits rapportés dans une certaine missive, celle que portait le prince entre les mains. Sous les accusations de mensonge, le capitaine expliqua que le mestre avait décacheté le courrier sur ordre du Roi et en avait lu le contenu, avant d'en rapporter au capitaine de la garde. Puis, il avait refermé le pli. Dans sa précipitation, Kevan n'avait pas regardé l'emblème sur le cachet rompu puis refondu.
Il fut accusé sous les huées des hommes du Roi, de Cuy, des Essaims, d'être de collusion avec l'Orage et pis, de se complaire dans la trahison en accointance avec les ennemis de l'Etat, notamment dorniens. Le sénéchal cracha alors qu'il ne s'agissait que d'une odieuse machination ourdie par les comploteurs de Hautjardin, les factieux et ambitieux conseillers du Roi, Lord Hightower en tête. L'injure fut mal reçue des hommes de Cuy et des Essaims, qui s'étaient battus quelques mois plus tôt sous la bannière Hightower. La situation s'envenima et des épées furent tirées. Kevan appela ses troupes au calme, mais trop tard. Le Connétable hurla « A moi les braves ! » et la mêlée s'intensifia. Les troupes Tarly et Cuy s'en prenaient déjà aux fidèles du Connétable, et le Prince ne dut son salut qu'à la fuite, enfourchant un cheval et filant vers la nuit alors que derrière, une patrouille montée fut lancée dans le plus grand désordre. On se battait à coup de gourdins, de lames et à mains nues, dans le camp. Lord Cuy reprit rapidement le contrôle de la situation et prit le commandement, se prévalant d'une missive du ministre Hightower lui promettant le commandement en second au cas où il arriverait quelque chose de regrettable au Prince.
Le désordre, l'indiscipline et les affrontements ne firent que des blessés, mais le désordre fut tel que le Connétable avait dû fuir dans la nuit, entouré de seulement quelques fidèles soldats de la Garde, qu'il avait entraîné avec lui dans bien des combats. Au lendemain, les patrouilles ne trouvèrent aucune trace des fuyards.
Aussitôt, les troupes Cuy et des Essaims abondèrent dans le sens de la rumeur ; le propre frère du Roi et commandant de l'armée avait rejoint les dorniens et fomentait un coup d'état ! La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre. Le pire fut sans doute la preuve apportée par Lord Cuy : une lettre qu'il prétendait être celle laissée tombée par le Connétable dans l'empoignade. Elle était signée de la main de la Reine de l'Orage, Argella Durrandon, qui était accablante pour le héros des armées bieffoises. Elle y évoquait la trahison du général, son amour pour lui, leur relation charnelle hors mariage, la défection du Connétable, sa propre haine de Dorne, promettant même un trône à son amant en échange de la défection du Bief. La lettre fut envoyée à Hautjardin comme preuve, alors que des copies furent faites et partout diffusées. L'honneur de la famille royale était terriblement atteint et le peuple grondait. A Grassy Vale, on dit que le Roi accusa durement la nouvelle, s'isolant des jours durant, se privant de repas. Le Ministre de la Guerre fit un discours martial à la cour ; indiquant que les coups reçus par le royaume étaient rudes, qu'il fallait renforcer sa cohésion interne pour se tourner vers les vrais ennemis du Bief ; l'étranger et ses ressources, des royaumes félons et belliqueux qui martyrisaient le peuple de ce bon royaume depuis des mois, assassinant, violant et pillant. Il appela alors à l'unité du royaume, à sa force et à celle de ses alliés, à celle de la Foi, contre les hérétiques et les païens, au juste contre le félon, au soldat contre l'assassin et le pillard. Les épées furent levées. Une copie du courrier incriminé fut envoyé à Lancehélion.
Lord Kevan ne reparut pas. Sa réputation était détruite, et son frère, le Roi du plus grand Royaume de Westeros, ne sortit qu'au bout de plusieurs jours de sa tente, suscitant l'inquiétude de ses subordonnés. Il n'eut alors que ces mots, le regard ferme et résolu.
« Allez chercher le prince Joren et les officiers Riverains. Rassemblez l'armée. Nous attaquons. »
Mensonge, manipulations, ou vérité vraie ? Le Bief était quoiqu'il en soit totalement en guerre.
Copie du courrier qui fit les choux gras du Bief[i]Au Prince Kevan Gardener, Connétable des armées du Bief
Nous n'avons guère pu échanger sur les derniers événements, tu te doutes bien que je suis extrêmement fâchée et déçue, mais je sais bien que tu n'as rien à voir avec les décisions de tes souverains.
Aujourd'hui, nous voilà fiancés, pas l'un envers l'autre, moi à Dorne et toi au Conflans, une situation que je déplore. Avant que le Conflans nous envahisse en traversant votre royaume, j'étais toujours prête à convaincre mon père d'annuler mes fiançailles avec le Prince Martell pour me promettre à toi, ce que j'ai d'ailleurs précisé à ta belle sœur, qui n'en a pas tenu compte.
Nos royaumes sont si proches de se déclarer la guerre, vous l'avez déjà déclaré à Dorne, mon allié et s'ils le demandent, je n'aurai d'autre choix que de les défendre. Peut-être pouvons-nous encore éviter la guerre ? Le Bief et l'Orage peuvent encore s'allier, si tu parviens à convaincre tes souverains d'annuler votre alliance, ainsi que tes fiançailles avec Eren Hoare.
Je peux désormais faire mes propres choix, je suis Reine et j'estime que le Bief serait meilleur allié que Dorne. Je n'énonce pas mes sentiments pour toi, tu les connais et c'est toi que j'ai choisi depuis que nous nous connaissons. Le temps a joué contre nous, mais je suis persuadée que nous pouvons encore changer les choses.
Tu deviendras Roi de l'Orage avant la fin de l'année, tu régneras à mes côtés et nos royaumes seront alliés, nous travaillerons de concert pour la paix qui me tiens bien plus à cœur que feu mon père. Et nous aurons tout loisir de nous aimer librement.
Je te presse de me répondre rapidement, avant qu'il ne soit trop tard.
Argella Durrandon,
Reine de l'Orage,
Dame d'Accalmie.