L'air était glacial dans le septuaire. A vrai dire, le château tout entier des Estremont de Vertepierre était d'un inconfort reconnu par tous ceux qui y avaient séjourné. Le repaire des Sept, enfoui dans la roche de l'île, ne pouvait donc que décupler l'atmosphère désagréable produite par l'humidité et l'obscurité qui régnait ici.
D'autant que Nathaël n'était pas un habitué des lieux saints. Il n'appartenait à aucun dieu et beaucoup de valyriens avant lui avaient choisi de vivre sans une lumière divine pour éclairer leur chemin. Même le dieu Titon depuis toujours tutélaire de la Maison Velaryon n'avait jamais reçu de lui le moindre sacrifice ni le plus petit hommage. Son seul maître était l'océan. Dans toute sa férocité et malgré les vies innombrables qu'il avait englouti, il laissait le marin habile naviguer sur ses eaux et même les dominer s'il se trouvait assez talentueux pour dominer la houle et les rafales. Pour le sire des Marées, une force même démesurément puissante mais à la logique implacable valait mieux qu'un dieu éthéré dont les actions ne se traduisaient que par la voix des prêtres ou les élucubrations du petit peuple.

Pourtant, aujourd'hui, il était agenouillé devant la statue fière mais si étrange de l'Etranger. Non pas en position de prière mais ses yeux étaient clos, le front baissé vers le sol. Cet endroit était un des seuls de l'île où le calme total régnait et Nathaël avait besoin de réfléchir au futur.
La guerre entrait dans une nouvelle phase : les flottes rebelles défaites, plus rien ne se tenait entre les troupes impériales et le théâtre dornien. Mais cette victoire n'annonçait pas la fin de la guerre. Au contraire, celle-ci entrait désormais dans une nouvelle phase. Le pavillon des Braenaryon flottait sans conteste sur les mers westerosi de l'Est mais sur le continent, les combats faisaient encore rage. Les Martell et leurs alliés valyriens ne semblaient pas vouloir céder de sitôt le vaste territoire acquis dans la péninsule des Rhoynars et la campagne dans l'Orage progressait lentement voire stagnait. Devant ces difficultés, la flotte impériale qu'il commandait ne pouvait relâcher ses efforts. Mais peut-être devrait-elle changer de méthode.

Nathaël savait pourquoi il combattait aux côtés de l'Empire. Aegon avait vu un avenir radieux dans les flammes : celui d'un grand royaume de Westeros uni et en paix, mettant fin aux querelles sans fin des petits et grands seigneurs qui vivaient là avant l'arrivée des valyriens. Targaryens, Velaryons, Celtigars, Baratheons... Tous avaient l'occasion de reconstruire ici une Valyria, moins glorieuse que l'ancienne peut-être, moins conquérante mais qui ne connaîtraient plus les luttes intestines meurtrières et insensées qui faisaient le quotidien des Seigneurs-Dragons. Ces maisons avaient le devoir d'apporter la paix et la concorde qui manquaient partout ailleurs dans le monde. Westeros devait être ce laboratoire d'un futur radieux où chacun aurait sa place.
Mais la situation à Dorne mettait en danger la vision d'Aegon, poursuivie aujourd'hui par sa sœur. D'autres valyriens semblaient encore concevoir dans leur esprit malade la possible renaissance des Possessions. Le lord de Lamarck ne connaissait pas bien les Valtigars mais ce qu'il savait, c'est qu'ils n'avaient jamais connu l'exil. Leur vie se trouvait à l'Est, à rêver la refondation d'un empire depuis longtemps disparu mais dont les heures de gloire ne seraient plus jamais vues sur cette terre. Leur soif de conquête avait alimenté les colères et les rancunes des maisons dorniennes qui aujourd'hui s'entretuaient. Les uns s'appuyaient sur leur légitimité, les autres sur la période terrible que venait de traverser la principauté sous le règne de Deria Martell. Mais pour Nathaël, le vrai danger venait des siens. Le sang de l'ancienne Valyria coulait dans les veines des aventuriers du Nouvel Empire et ils chevauchaient des dragons. Ceux-là pourraient blesser le continent bien plus profondément que toutes les guerres civiles du Sud.

Le chuintement lourd de la porte en pierre du septuaire vint briser le silence apaisant. Nathaël s'arracha à ses réflexions et se releva pour accueillir l'intrus, un air de clair mécontentement sur le visage.

Le sire des Marées se trouvait exactement au même endroit lorsque son capitaine de la garde l'avait informé des événements : la maison Valtigar avait vainement tenté d'introduire des espions dans la flotte impériale, sûrement afin de garder un œil sur ses mouvements et les opérations futures de l'Empire dans les mers du sud. Les Hommes s'étaient dotées de lois étranges pour les temps de guerre. Nul ne les avait consigné dans aucun compendium ni manuscrit et pourtant tous les connaissaient. Elles étaient plus violentes, plus cruelles et moins honorables que les lois de la paix mais elles offraient de nouvelles opportunités pour se tracer un chemin jusqu'à la victoire. Nathaël ne les avait jamais renié.
Elles lui avaient enjoint de procéder sans tarder à la pendaison publique et spectaculaire de ces espions malchanceux. L'exécution d'agents de l'étranger avaient le double bénéfice de rassurer ses propres troupes sur la sécurité et la confiance qui régnait au sein des forces en campagne et cela envoyait un message des plus limpides aux commanditaires mêmes de l'opération d'espionnage. L'amiral n'avait clairement pas l'habitude de déroger aux coutumes des périodes martiales mais cette fois, la situation exigeait une autre conduite. On l'avait mis au courant de la rencontre entre Jaenyra Valtigar et son prince et régent, Orys. En faisant pendre ces espions, il outrepassait la décision (même s'il la désapprouvait) de son souverain de ne pas s'en prendre aux valyriens de Dorne et le bon déroulement des futurs combats dans l'Orage reposait sur le lien constant entre le commandement naval de l'Empire et les chefs des armées.

Mais la propre analyse stratégique de Nathaël l'avait poussé à retenir sa main. Il était évident pour lui que le cours actuel des événements pousseraient l'Empire à entrer en guerre contre les Valtigar, d'une part parce que l'alliance formée entre les Braenaryon et les Allyrion avait une grande valeur aux yeux du conseil impérial mais aussi parce qu'il doutait de la capacité du Nouvel Empire Valyrien à vivre en paix aux côtés d'autres nations. Le sang du dragon coulait dans les veines des Valtigar et celui-ci ne demandait qu'à s'enflammer. Le vieil Empereur devait croire en la résurrection des Possessions et la guerre totale et constante était le seul moyen de s'en approcher. C'était le feu des dragons et le fer des lances qui avaient conquis Valyria et non les échanges de bons procédés et les discussions diplomatiques.
Quelque part, le lord de Lamarck ressentait une certaine admiration pour le personnage qui se trouvait en face de lui. Dans ce visage aux traits fins et ce regard qui portait le feu du caractère, il reconnaissait une volonté qui ne se percevait pas chez tout-un-chacun. Jaenyra Valtigar faisait partie de ces descendants de la plus grande civilisation du monde qui aspiraient à rebâtir les tours effondrées et faire resplendir à nouveau les grands halls des dragons et des dragonniers. Devant tant de candeur mais aussi d'aveuglement, Nathaël était mêlé d'un sentiment de compassion mais aussi de profonde pitié.

- Lady Valtigar, répondit-il en s'inclinant légèrement.

Les tensions entre leurs maisons respectives n'empêchaient pas la courtoisie, d'autant plus entre individus du même sang. Mais le ton désinvolte et un brin provocateur de la jeune femme l'agaçait. Se croyait-elle en si bonne position pour que la légèreté soit de mise ?

- Vos hommes ont été chanceux de trouver un laisser-passer plutôt qu'un solide morceau de chanvre. Et cette chance s'est étendue à vous-même par la bonté de mon cousin. La prochaine fois, les intrus danseront la gigue.

Au moins le message était clair. Le temps n'était plus aux circonvolutions. A pas lents, Nathaël commença à se diriger vers la sortie du septuaire. Les murs avaient des oreilles et il comptait bien mettre à profit la présence de la dame Valtigar pour répondre aux questions qu'il se posait et peut-être modifier l'échiquier de l'Empire dans le sud. Une fois parvenu au grand soleil, il se tourna vers son interlocutrice.

- J'imagine que vous n'êtes pas venu ici que pour me remercier, reprit-il. J'ai eu vent de votre rencontre avec Orys. Je ne sais pas ce qu'il s'y est dit mais je tiens à vous signaler que les résultats ne seront pas ceux que vous espérez. Au vue des évolutions du front à Dorne, que je suis de près, votre situation est plus qu'instable aux yeux de l'Empire.

Il ne servait à rien de tergiverser. L'opération d'Orys avait peu de chances d'aboutir auprès du conseil impérial, du moins aux yeux de l'Amiral. La maison Allyrion était en train de gagner la guerre et Rhaenys avait misé sur le bon cheval. Quelle raison aurait-elle aujourd'hui de retourner sa veste voire même de ne pas rejoindre la guerre aux côtés des dorniens rebelles ?

- Que cherchez-vous, ma dame ?