Combien de temps s'était-elle perdue à cet endroit, dans ce lieu où beaucoup de choses avaient changé, où beaucoup de gens avaient perdu la vie ? Elle n'en savait rien. D'ailleurs, elle ne savait même pas pourquoi elle avait ce besoin d'une certaine façon de suivre un pèlerinage un peu étrange au cœur de la forteresse d'Accalmie. Elle en ressentait un puissant besoin, sans qu'il n'y ait véritablement de logique à tout cela. Revenir ici voulait dire tant de choses pour elle, elle avait pris de nombreuses décisions importantes pour son existence dans ces lieux, pour la vie de ses enfants également et il lui était totalement impossible aujourd'hui de revenir en arrière. Est-ce que c'était ce qu'elle voulait ? En aucun cas, et bien qu'elle avait eu son lot de souffrance, elle avait eu l'occasion de goûter à une vie qui ressemblait à celle de son passé, et dont pourtant, tellement de points étaient différents. Pour le meilleur et pour le pire, elle n'était plus Mina Goldwyne depuis longtemps, elle n'était plus la femme de Béric Swann non plus, bien qu'elle portait encore fièrement son nom. Nom qu'elle n'allait plus garder très longtemps au vu de ce que lui avait proposé, même si proposé était là un bien grand mot, l'Empereur. Alors s'attarder quelques instants devant le bureau d'Argella Durrandon, où elle lui avait proposé le poste de représentante de l'Orage au Collège Impérial, ou venir à ouvrir la porte de la chambre qu'avait occupé les jumeaux impériaux avant que l'attentat ne soit commis, cela faisait remonter de nombreux sentiments, et aussi étrange que cela puisse paraître, ils n'étaient pas tous aussi négatifs qu'elle aurait pu l'imaginer ou l'envisager. Il y avait eu du bon dans tout cela malgré l'horreur. Pour le premier, elle avait découvert Fort-Darion, sa Cour, son environnement et on lui avait donné la possibilité d'être autre chose que « l'épouse de » ce qui représentait une chance extraordinaire. Pour le second, elle avait décidé alors de veiller, à la place de la regrettée Yesaminda, sur les enfants de Rhaenys et Torrhen Braenaryon, et bien que d'avoir deux bébés à charge nuit et jour n'étaient pas une chose aisée tout le temps, elle avait adoré cette complicité presque maternelle avec eux.

Mais aujourd'hui, son présent était là, et elle venait à avoir un certain vague à l'homme devant l'état de la situation dans l'Orage ou de celle d'Argella Durrandon. Sans doute aurait-elle dû avoir une quelconque pensée de compassion à l'égard de l'homme qu'elle avait épousé, mais au vu de ce qu'elle avait appris, elle espérait qu'il ne reviendrait pas de cette campagne, et qu'un couard comme lui, ne viendrait pas à monter définitivement sur le trône du royaume aux côtés de son épouse, sinon, autant déclaré l'Orage définitivement perdue. Le plus important était de sauver la Reine, le peuple, tous ces gens qui souffraient à l'intérieur des frontières, bien que celles-ci semblaient floues à présent. Elle désirait la déchéance de ceux qui avaient décidé de se plier au nouveau pouvoir, et pourtant elle parvenait quand même à comprendre que certains n'avaient plus la force de continuer, de se battre, de lutter, de remonter la pente. Et forcément, certains avaient du penser à leur famille, à leurs gens et chercher à les préserver après tant de combats acharnés, mais d'autres, elle le savait, ne voyaient que leur profit et rien d'autre. Elle aurait aimé pouvoir aller jusqu'à Pierheaume, retrouver le peuple qui avait su si bien l’accueillir à son arrivée là-bas, et voir si tout était encore debout, si le domaine de son défunt mari qui reviendrait un jour à son fils n'avait pas trop souffert. Elle ne pouvait être pleinement certaine de ce qui se tramait aussi loin d'Accalmie, aussi loin d'elle et elle en avait mal au ventre. C'est sur cette pensée qu'elle marchait en direction de ses appartements, se décidant à écrire à Edmund Swann pour obtenir des nouvelles, mais alors qu'elle tournait à un couloir, son chemin croisa le chemin d'Aenor Estremont et un sourire délicat se dessina sur son visage. « Aenor ! Me voilà si heureuse de vous voir saine et sauve. Veillez m'excuser de ne pas être venue vous voir plus tôt. On m'a dit que vous étiez ici, mais j'ai eu de nombreuses choses à faire depuis mon retour à Accalmie. Comment vous portez-vous ? J'ai appris pour votre famille, vous m'en voyez sincèrement désolée ... »

Tout cela était profondément terrifiant, tout ce qui arrivait à l'Orage venait à la toucher plus qu'elle ne l'avait imaginé au tout début. Elle n'était plus bieffoise, elle ne se voyait plus ainsi depuis qu'elle avait mis au monde ses enfants, ainsi elle s'était pleinement ancrée dans la société orageoise et elle refusait qu'on puisse supposer le contraire. Alors bien sûr, elle était née sur l'île de la Treille. Évidemment qu'elle n'avait pas gommé tous ses sentiments, tous les souvenirs qu'elle avait pu avoir et elle espérait sincèrement qu'un jour les choses puissent s'arranger. Mais aujourd'hui, tout ce qu'elle voulait, c'était que l'Orage puisse ressortir la tête haute, qu'Argella Durrandon revienne auprès de son peuple. Le Bief s'était employé depuis des semaines, depuis des mois à tout détruire sur son passage, que ce soit d'un point de vue matériel, ou que ce soit d'un point de vue humain. Sans parler que le Grand Septon cherchait à terminer de purifier le royaume par le feu pour faire table rase de tous ses impies détestables au possible. S'il ne restait rien, ou presque plus rien de l'Orage, il faudrait s'employer à tout reconstruire, et ça, ça n'allait pas être véritablement évident, surtout si la couronne ne retrouvait pas une certaine stabilité. Accalmie et sa libération faisaient partie d'un plan bien plus vaste, cela ne représentait qu'une première étape. Importante certes car il s'agissait de la capitale du royaume mais si le reste continuait à être inaccessible, alors tenir cette forteresse ne serait rien d'autre qu'un acte idéologique, et elle avait clairement des doutes sur le fait que cela serait suffisant pour contenter la population qui ne supportait plus tout cela. Pour ceux qui étaient en vie et pour ceux qui étaient toujours derrière la bannière de la maison Durrandon, et par extension, derrière la bannière impériale.

Revenir à Accalmie pour Mina était une première étape, et elle savait que son combat également, était loin d'être terminé pour de nombreuses raisons par ailleurs. Mais à cet instant, elle avait espéré pouvoir retourner à Pierheaume, et peut-être si poser un peu, comme si tout cela était trop pour elle. On comptait sur ses capacités, sur son naturel souriant, sa facilité à parler aux autres, à échanger avec eux et même à être diplomate, sans trop savoir d'où cela pouvait lui venir, mais elle se sentait fatiguée, loin de ses enfants, devant cette monstrueuse montagne à gravir pour espérer sortir le royaume de l'horreur dans lequel ce dernier était plongé jusqu'au cou. Elle aurait aimé que Béric soit encore là pour lui tenir la main, pour pouvoir lui apporter un soutien dont elle avait cruellement besoin. Si son époux avait été encore en vie, il aurait certainement été à la guerre encore et toujours, mais elle aimait l'imaginer à ses côtés pour lui insuffler un peu de courage, dont elle avait l'impression de manquer cruellement ces derniers temps. Néanmoins, même si Accalmie ne lui rappelait pas que des bons souvenirs, revoir des personnes qu'elle connaissait, les savoir vivantes, étaient un soulagement sincère pour son cœur. Et c'était réellement le cas quand elle se retrouva nez à nez avec Aenor. Elle dut se retenir de la prendre dans ses bras pour exprimer le soulagement qui était le sien à ce moment-là. « Je crois que nous sommes toutes les deux dans ce cas … Nous en avons perdu beaucoup, mais ne perdons nullement espoir de ne pas retrouver certaines d'entre elles quand l'Orage sera sauver. » Elle la regarda avec une certaine tristresse, mais également une sincère compassion. « Les derniers mois n'ont pas été faciles non plus, je me sens impuissante face à tout ça. J'espère que je serai plus utile ici qu'à Fort-Darion à représenter le royaume au Collège Impérial. » Elle posa sa main sur celle d'Aenor et elle la serra quelques instants, ce simple contact venant à l'apaiser un peu. Elle se mit à rire légèrement en entendant un son qu'il était aisé de reconnaître. « Si nous parlions en allant manger un morceau ? » Souffla-t-elle du bout des lèvres sur le ton de la confidence. « Je suis de retour dans l'Orage oui, je ne sais après ce que l'Empereur décidera pour moi … Quant à votre famille … Je ne peux que vous promettre de me renseigner à leur sujet. »