Il lui avait semblé qu'il faisait si froid, terriblement froid dans ce lieu qui normalement aurait dû les accueillir dignement, les accueillir à la hauteur de leur titre et de leur rang. Les erreurs étaient réelles et elles étaient nombreuses. Ysilia ne pouvait que les reconnaître et les assumer, même si elle cela faisait à peine quelques semaines qu'elle était Reine, elle se devait de faire avec les choix du passé, et bien qu'on pouvait la juger naïve, quelque peu enfantine même, voir même se dire qu'elle n'était pas adaptée au rôle que le mariage lui avait conféré, elle savait ou, en tout cas, elle pensait savoir ce qu'était la charge du pouvoir et que le passé était à prendre au sérieux, à ne pas effacer un seul instant de la mémoire du souverain comme une énième anicroche sans importance, alors que dans la tête du paysan, de la lingère, de la marchande, du navigateur, du peuple tout entier, les errances du passé qui avaient fait prendre une ou des mauvaises voies à la famille régnante, n'étaient pas un lointain souvenir pour eux. L'exercice n'était pas évident, mais si elle voulait avancer dans le futur, elle devait absolument se souvenir d'où elle venait, d'où ils venaient tous et des épreuves qu'ils avaient traversé ensemble ou non, pour créer de nouvelles fondations, plus solides encore et cela se ferait nécessairement avec la collaboration, et peut-être l'aide amicale de l'Empire. Chose qui n'arriverait sans doute pas si rapidement, elle avait eu l'impression, la vieille au soir pour le dîner donné en leur honneur et au sujet de l'intégration du Royaume du Val et de la Montagne aux seins des territoires fédérés, qu'ils allaient devoir faire longtemps le dos rond, et à se soumettre, plus ou moins, aux quolibets, voir aux insultes et au mépris encore un long moment avant d'avoir pleinement l'impression d'être au même niveau que les autres. La paix et l'acceptation étaient pour beaucoup encore une simple illusion, un devoir de façade qui étaient exigés par tel ou tel souverain, et par l'importance de la cohésion générale. Mais il ne fallait pas oublier que dans le Val aussi, il y avait eu des morts à cause de l'Empire, et qu'eux aussi avaient souffert, que certains continuaient de souffrir toujours aujourd'hui et qu'accepter de se soumettre n'était pas aisé pour tout le monde.

Et dire que dans quelques jours Ronnel allait partir, et dire que cela était tout aussi vrai pour sa mère et son père, Lyra et Asher Royce, et qu'elle allait se retrouver d'une certaine façon toute seule ici, à faire des ronds de jambe, des sourires délicats et des discussions charmantes. La vie, heureusement, faisait qu'elle n'était pas totalement seule, plus maintenant en tout cas. Elle glissa une main pour la poser délicatement sur son ventre encore plat, il était là, elle en était sûre, il était là. Son petit secret, son merveilleux petit secret. Peu de gens encore était au courant et elle ne voulait surtout pas que la Cour de Fort-Darion apprenne sa grossesse avant que le cap le plus dangereux ne soit passé. Sans parler du fait, que l'Impératrice avait parlé elle-même de son drame et qu'on sentait la colère pulsée encore en elle, pleinement vibrante, elle n'avait guère envie de finir carboniser parce qu'elle était enceinte alors que l'autre ne l'était plus. Ses mots étaient restés graver dans l'esprit de la jeune souveraine et elle ne pouvait pleinement imaginer l'horreur que cela pouvait être, mais elle pouvait aisément envisager que cela lui arrive aussi, et la peur se réveillait dans son cœur, comme une maladie dont on ne pouvait se défaire dans l'immédiat. Le sommeil avait été long à trouver quand ils avaient fini par gagner leurs appartements avec Ronnel, mais ils n'avaient pas échanger grand mot à l'heure du coucher. Ysilia n'avait pas véritablement d'idée sur le temps où elle avait dormi, et celui où elle avait eu les yeux grands ouverts, mais le matin commençait doucement à percer et elle eut envie d'effacer cette réalité, alors qu'elle se sentait épuisée et qu'elle se rendait bien compte qu'elle n'avait pas assez dormi. Se retournant dans sa couche, elle vint doucement à se rapprocher de son époux, se faufilant entre ses bras, venant à glisser son visage dans le creux de sa nuque, et fermant à nouveau les yeux dans l'espoir de se rendormir.

Pendant toutes les longues minutes où elle avait eu les yeux pleinement ouverts à observer le haut du lit à baldaquin, détestant le calendrier qui semblait s'emballer à toute vitesse, elle s'était un instant demandée si cela n'aurait pas valu le coup pour Ronnel et elle de rejoindre le reste des Valois qui s'étaient réunis après le festin, où sans doute que la plupart d'entre eux devait être bourré comme des coings à présent. Ce n'était finalement qu'un simulacre de festivités qui avait été donné en public à Fort-Darion pour officialiser leur entrée dans l'Empire, ou plutôt, d'une certaine façon, officialiser leur humiliation face à l'ensemble des représentants des Royaumes Fédérés. Ysilia se découvrait de nouveaux sentiments, ils étaient loin d'être nobles mais ce qu'elle avait vu ce soir, l'avait agacé plus que de raison. Se retrouver avec les membres de la Cour du Val qui les avaient accompagné jusqu'à la capitale impériale pour un moment de communion et de soutien aurait pu être une bonne chose pour Ronnel. Il se posait de nombreuses questions, de trop nombreuses questions et sans doute que cela lui empoisonnait l'existence. Elle pouvait concevoir que le revirement de positionnement politique et militaire, n'était pas l'élément le plus évident à prendre en considération et à assumer ensuite devant tout un peuple qui attendait déjà naturellement de son Roi, mais qui attendait encore plus de celui-ci en particulier après les épreuves et les réactions qui avaient jalonné son existence. Malgré tout, rejoindre les leurs aurait peut-être soulagé quelques instants son époux de ce fardeau qui pesait bien lourd aujourd'hui sur ses épaules.  

Ysilia aurait repoussé les heures, les jours de ce rythme imposé qui semblait se profiler de plus en plus, alors que la crainte d'une guerre encore plus enragée venait à s'imposer à son esprit et ne manquait pas de lui faire craindre qu'elle ne finisse par être veuve, tout juste après son mariage. Ce n'était nullement un manque de confiance envers son mari, mais même les plus grands pouvaient tomber après une chute de cheval ou un coup d'épée mal placé. Elle essayait tant bien que mal de profiter de la chaleur délicieuse du corps de Ronnel, de s'imprégner de son odeur, trouver un petit rien auquel se raccrocher quand elle serait seule. Et enfin dans une position agréable pour elle, avec une fatigue déjà bien installée, se sentant à cet instant en sécurité, elle était prête à glisser dans les bras de Morphée. Elle n'avait pas envie de paraître aujourd'hui à la face du monde, elle voulait rester dans cette bulle de bien-être.

Mais visiblement Ronnel n'avait pas décidé que cela se passerait comme ça et il chercha alors à la réveiller. Elle vint à grogner la première fois qu'il bougea la couverture, la fraîcheur venant à glisser sur ses épaules. Elle s'agita un peu plus quand se fut au tour des pieds d'être à l'air libre, elle avait toujours aimé s'emmitoufler dans les épaisses couvertures ou peaux qu'on pouvait fournir pour avoir chaud. Ne pouvait-il pas la laisser se reposer ? Quand elle sentit sa main se glisser un peu plus vers le bas de son corps, frôler son fessier et venir à accaparer potentiellement la couverture, elle se redressa alors et lança un regard noir à Ronnel, récupéra toute la couverture tout en se levant juste au bord du lit, et elle l'enroula autour d'elle, protégeant son corps et laissant celui de son époux à la merci d'une température plus fraîche, voir plus froide. « Mon époux l'exige ? Vilain va ! Tu prives ta charmante épouse et l'enfant qu'elle porte d'un sommeil réparateur. Si tu ne veux pas que je ressemble à un fantôme, tu te dois de me laisser dormir ! Et puis j'étais bien là ... » Elle lui fit une révérence narquoise. « Et donc, votre Majesté, que puis-je faire pour vous, maintenant que je suis debout ? »

Bien sûr qu'elle aurait préféré dormir, qu'elle aurait préféré se terrer sous les draps, loin de Fort-Darion, où elle redoutait les prochains jours, loin de la guerre qui allait forcément emporter son mari à des lieues d'elle sans qu'elle ne puisse rien faire pour pouvoir le retenir auprès d'elle. Avec cette idée qu'il ne pourrait pas revenir, et qu'elle se retrouvait alors veuve, enceinte, attendant de savoir si l'enfant qu'elle portait, était un garçon ou une fille, savoir si elle allait devoir assurer la régence du Val ou si elle allait être répudiée dans la seconde, aux premiers cris de la petite fille qu'elle viendrait à tenir dans ses bras. Elle se mordit la lèvre pour ne pas pousser un long soupir face à son époux. Lui qui disait qu'elle était toujours d'un optimisme redoutable, à cet instant, elle se sentait profondément assaillie de doutes, comme si tous ce qu'elle avait cherché à enfouir, avaient fini par remonter à la surface. Entre la pression qu'elle ressentait depuis l'annonce de ses fiançailles, le mariage, l'annonce de sa grossesse, la guerre, la capitulation, les événements de la veille au soir et la fatigue d'une nuit blanche, sans doute prémices de bien d'autres, elle se sentait soudainement submergée. Alors oui, elle aurait préféré dormir, longtemps très longtemps, venir à se réveiller dans sa chambre de Reine aux Eyrié, la guerre finit, enlacé dans les bras de son époux, avec leur enfant en train de sommeiller paisiblement dans la pièce voisine. Car elle était aussi consciente de ça, que si elle perdait l'enfant, le monde de Ronnel allait s'effondrer à nouveau, et que cette fois, il ne pourrait pas se remettre de tout ça. Ysilia était consciente qu'elle ne devait pas y penser pour profiter pleinement de ces derniers instants avec lui, mais le poids qui pesait sur ses épaules était de plus en plus lourd, et si elle avait pensé à de nombreuses choses en devenant Reine, elle était finalement loin de la réalité.

Pour autant, se tournant vers Ronnel, elle se rendait bien compte qu'ils n'étaient encore que des gamins tous les deux. Et si par l'esprit, ils essayaient de montrer qu'ils pouvaient jouer dans la cour des grands, le corps lui venait à transmettre un tout autre message. Et puis, il avait à cet instant ce petit côté mutin qu'elle adorait tant. Elle ne pouvait pas lui montrer la panique qui venait à l'assaillir un peu à ce moment-là, il fallait qu'elle réponde à la taquinerie, comme pour le rassurer, ou comme pour la rassurer elle. « Bien sûr que je veux encore dormir, tu as dis que je devais prendre soin de moi, et donc le sommeil en fait bien évidemment parti … Et puis je te rappelle en plus que la principale fonction d'une femme est de perpétuer la lignée et de mon côté, j'ai rempli ma fonction. » Répondit-elle avec un petit sourire, caressant son ventre encore plat. « Évitons d'être trop ridicules malgré tout, je ne crois pas qu'on puisse se payer ce luxe, surtout ici. Mais tu as pleinement le droit d'être ridicule avec moi, je t'aime beaucoup au naturel. » Cela lui rappelait leurs jeux d'enfants, qui remontaient à si longtemps. Elle secoua la tête quand il vint à cacher une partie de lui à ses yeux. Ils avaient dépassé le redoutable moment de l'intimité mais elle trouvait cela mignon. Elle se rapprocha de lui, venant à passer les bras autour de lui, venant à glisser également le drap sur ses épaules. Doucement elle se pencha pour pouvoir l'embrasser tendrement, avant de se coller un peu plus à lui. « Tu m'autorises ? Mais si j'ai envie de t'embrasser, je compte bien le faire, même sans ta permission, tu es mon époux et j'ai ce droit sur toi, interdiction de m'en priver. » Elle caressa doucement sa joue, avant de remonter sa main dans ses boucles. « Je ne crois pas être encore arrivée à ce stade de la grossesse … Reste avec moi … C'est tout ce dont j'ai envie. Au moins aujourd'hui, soit rien que pour moi ... »

Ysilia commençait à connaître Ronnel. Bien évidemment, elle l'avait toujours connu, presque du même âge, ils étaient amis depuis si longtemps mais tout avait changé quand l'union des deux jeunes gens avaient été célébrés. C'était un autre homme qu'elle avait rencontré à ce moment-là, qu'elle avait découvert à cet instant-là, et il avait fallu appréhender ses réactions, son caractère également et faire cela avec ses propres espérances, ses défauts et ses quelques qualités. Il n'était là, rien que tous les deux, ils pouvaient être vrai l'un envers l'autre, et même si cela n'était pas forcément fait volontairement, il y avait des réactions naturelles qui s'affichaient sur les visages du couple, et la toute jeune reine avait remarqué le froncement de sourcils de son époux, alors qu'elle ne venait là que de le taquiner sur le fait qu'elle savait pertinemment que la principale tâche était la succession, mais elle était loin d'être la seule, et elle était loin de vouloir seulement s'appliquer à donner des enfants à la couronne du Val. Elle aspirait à être plus, à garder sa douceur et peut-être sa naïveté à quelques instants, mais pouvoir être aussi belle, conquérante, et même impressionnante à l'image d'une Sharra Arryn qui avait et était encore un de ses modèles. Elle devait trouver sa voie, elle devait trouver sa façon d'être Reine mais il fallait bien dire qu'on ne lui avait pas encore laissé beaucoup de temps pour cela. Tendrement, elle vint à caresser sa joue. « Ce n'est nullement un travail qui me déplaît … Tu as su me convaincre que j'avais besoin de sentir tes mains glissées sur mon corps, que j'avais besoin de tes baisers sur mes lèvres. » Elle se mit à rougir devant cette déclaration quelque peu sensuelle, même si c'était à l'égard de son époux. « En effet, on ne sait pas si la lignée est assurée, mais je me mettrai au travail avec toi, autant qu'il le faudra. » Elle était tout aussi consciente qu'ils étaient jeunes, qu'ils étaient un tout nouveau couple, et que leur entente devait également passer par celle de l'intimité et du contact physique, et Ronnel savait lui donner envie.

« Le plaisir, une fois la porte de notre chambre fermée, est l'une des seules choses dont nous devons profiter sans nous priver, sans nous l'interdire. Je ne manquerai pas de lui laisser une place tant que tu voudras bien de moi pour t'en apporter. Le vrai travail commencera après ton départ, et le plaisir lui n'attendra que ton retour pour revenir dans mon existence. » Elle frissonna de plaisir quand elle sentit ses mains se poser sur son corps, comme pour s'accrocher à elle, et lentement, elle vint le pousser sur le lit, se plaçant au-dessus de lui. Elle se pencha doucement, sa bouche frôlant doucement les lèvres de son mari sans pour autant l'embrasser. « Si tu me prives de cela, je demande la séparation immédiatement. Je refuse que mon époux oublie de me voler un baiser de temps en temps … C'est une marque d'affection qui aurait dû être inscrit à nos obligations maritales. » Elle se mordit un peu la lèvre, alors qu'elle venait à se faire plus mutine auprès de Ronnel, ce qui n'était pas toujours évident pour celle qu'elle avait toujours été. Elle resta de longues secondes à le regarder dans les yeux, avec un sérieux sincère. Elle avait de nombreuses peurs, et elle sentait qu'elle était en train de s'attacher à lui, de façon différente, d'une façon bien plus intime, d'une façon bien plus personnelle. « Je n'ai pas envie de sortir d'ici … Je n'ai pas envie d'affronter les regards des autres, qui passeront leur temps à nous juger. On se câlinera sur le lit, on viendra à se faire servir ici pour manger tout en discutant, tout en jouant à des jeux quels qu'ils soient … Je crois que si je venais à croiser Orys Baratheon, je pourrai faire un carnage. » Elle se mit à rire, elle n'avait rien d'impressionnante mais elle était profondément remontée contre ce prince de Peyredragon.