Les jours allaient. Les jours s'écoulaient. Et, si l'on n'y prenait pas garde, une certaine monotonie s'installait, tout à fait capable de vous endormir et de réduire à néant votre vivacité d'esprit et votre vigilance. Vous vous accoutumiez aux choses, quand elles étaient amenées dans votre quotidien par petites touches. Un peu comme une grenouille s'accoutumait à la longue montée en chaleur de l'eau contenue dans la grande bassine dans laquelle elle était plongée. Lorsque la surface se mettait à faire des bulles et à bouillonner, il était trop tard, et la grenouille, désormais amorphe, était désormais bien trop amoindrie pour réagir en conséquence et sauver sa peau. Alors que si, directement, elle avait été jeté dans l'eau bouillante ... Mais sans doute était-ce là une comparaison des plus aisées à tenir si l'on s'en tenait d'un point de vue extérieur, et que l'on se contentait de juger sans savoir ou sans expérimenter la chose de première main. Dans la réalité, il était bien plus compliqué de discerner ce qui devait entretenir votre vigilance de ce qui ne devait pas être tenu à distance car bien trop insignifiant et inoffensif. C'était donc bien plus facile à dire qu'à faire ... Mais il fallait tout de même essayer, quitte à se tromper et à se fourvoyer, car les choses ne pouvaient vous être sans cesse délivrées toutes cuites dans le bec, et pas même sur un plateau en or massif. Que vous soyez Princesse de l'Ouest ou non, d'ailleurs. Megara était loin de se prétendre modèle exemplaire quand il s'agissait de savoir tout mener de front sans se laisser engloutir ou entièrement dominer par une facette de sa vie plus qu'une autre. En tant que Gouverneur de la Banque Lannister, la jeune femme ne souhaitait rien de moins que la prospérité et le développement économique continu du Royaume. Là où, en tant que Princesse, elle n'escomptait pas fermer les yeux face à tout ce qui pouvait entrer en collision avec la sûreté et la sécurité des Terres de l'Ouest. Et, en parallèle et entre autres choses, en tant qu'épouse de Gareth, liée par alliance à la Lignée des Kenning, elle se gardait bien de vouloir le malheur ou la stagnation sociale pour sa belle-famille.

Pourtant, certains récents évènements ne lui permettaient pas d'être certaine de pouvoir avancer dans une droite ligne claire, propre et sans détours. Il se trouvait que, Robert en tête, la Lignée de Kayce entendait bien étendre son influence commerçante au-delà des frontières du royaume, là où leur choix se portait sur des alliances paraissaient quelque peu risquées et dont la fiabilité n'était pas encore totale à ses yeux. Mais dans le même temps, bien évidemment, ce qui pouvait être bénéfique pour les Kenning le serait presque forcément aussi pour l'Ouest ... Il y avait donc un certain dilemme devant ses yeux, d'autant plus complexifié par le fait qu'elle se trouvait être mariée à membre de la Lignée dirigeant Kayce, là où ses enfants partageaient donc eux aussi le sang des Kenning. Utiliser son titre, son rang et le protocole associé pour souligner une distance entre un Noble du Royaume et elle lui était simple, et personne ne pourrait venir s'en plaindre à partir du moment où les arguments qu'elle avait à opposer étaient véridiques, compréhensibles et pertinents. Là où, n'en déplaisent à certains, en plus d'avoir un corps bien fait, la Princesse de l'Ouest avait également une tête bien faîte et bien pleine. Mais heurter l'un des proches de son époux n'était pas une perspective envisageable, d'autant plus aux vues des relations déjà quelque peu complexes et complexifiées entre les membres de la fratrie Kenning, et en particulier entre les trois frères ... Il fallait donc qu'elle adopte une position plus louvoyante, sans doute paradoxale et bicéphale, non moins dénuée de sincérité et de franchise mais sachant également entretenir prudence, vigilance et surveillance. On pourrait alors arguer que c'était forcément pour mieux le tenir à l’œil qu'elle avait invité son beau-frère Robert à la rejoindre dans le petit salon adossé à la nurserie de ses fils. Pour pouvoir le sonder et lui tirer les vers du nez en toute discrétion, dans un décor censé endormir sa méfiance et sa retenue. En réalité ...

En réalité, c'était tout à la fois vrai et faux. Elle voulait en effet pouvoir, au besoin, discuter avec lui de certaines choses sans qu'on ne vienne s'en mêler et les interrompre, mais dans le même temps, elle voulait également lui permettre de passer du temps avec les jumeaux. Ces derniers se trouvaient tout de même être ses neveux, et lui était leur oncle, ce qui, automatiquement, devait le créditer de certains avantages et de certaines facilités d'accès que Megara refusait de conférer à ceux qui n'étaient pas de son sang ni de celui de Gareth. Elle s'y était déjà essayée, quelques mois auparavant, avec Tybolt lui-même. Tout comme avec son aîné avant lui, Megara tenait vraiment à pouvoir sonder le terrain auprès de Robert, le tout en pouvant également se faire une réelle idée du genre de relation qu'elle parviendrait à tisser entre eux. Mais, oui, peut-être que ses enfants étaient un moyen comme un autre de tendre la main tout autant que d'atténuer quelque peu la méfiance ? Et peut-être qu'elle avait également pris le temps et la peine de réfléchir à la chronologie des évènements, car dans quelques jours se tiendrait une petite réception organisée en son honneur, à l'occasion de son 19e anniversaire. Elle y avait évidemment convié ses proches parents, ceux qui étaient de son sang et ceux qui étaient venus agrandir son cercle familial de par ses noces avec Gareth. Et autant que Robert et elle sachent un peu mieux sur quel pied danser, non, de sorte à profiter du mieux possible de l'évènement ? Quoi qu'il en était, les jumeaux semblaient avoir compris qu'ils allaient avoir de la visite, car pourtant encore un peu amorphes de leur sieste, ils gesticulaient de plus en plus sur le tapis de jeu. Fort heureusement, Enorya guettait près de la porte, de sorte à pouvoir entendre quand un garde, posté à l'extérieur, viendrait annoncer l'arrivée de Robert. Ce qui survint finalement, alors que sa cousine donna l'ordre de laisser passer le Kenning, avant d'elle-même s'éclipser , laissant les deux jeunes gens seuls. Enfin, seuls avec deux petits lionceaux ! Époussetant sa robe, Megara prit une grande respiration avant de voir entrer le plus jeune de ses beaux-frères Kenning. ❧ Lord Kenning, je suis ravie de vous voir ... ❧ Mais seraient-ils tous deux ravis, à l'issue de leur rencontre ?

Sans doute Megara n'agissait-elle pas de la façon dont on s'y attendrait, du fait de son rang et de ses responsabilités. Du fait, aussi, de ce que les conventions sociales et les traditions nobiliaires laissaient à supposer quant à l'attitude à adopter et quant aux choix à faire. Ainsi, elle avait eu grande peine à convaincre le Mestre de la laisser aider à allaiter quelques temps ses fils, celui-ci s'affolant presque d'une telle requête et arguant que la Couronne bénéficiait d'une armée de nourrices, les meilleures du Royaume, choisies selon un barème des plus restrictifs et élitistes. Mais pour une fois, Megara avait su ne pas lâcher le morceau, comprenant combien il était important que cela ne rogne pas sur les responsabilités qui faisaient parties de son quotidien et de ses obligations, mais convaincue qu'elle pouvait tout de même se dégager du temps. Après tout, qu'elle consulte un dossier dans le bureau lui étant attitré ou bien derrière sa coiffeuse, ou encore assise sur l'un des divans, en tenant l'un de ses fils dans ses bras en le berçant après qu'il se soit bien rempli le ventre, cela ne faisait, dans le fond, aucune différence. Et puis, à quoi lui serviraient ses privilèges princiers s'ils ne lui permettaient pas d'être heureuse ? Sans doute certains avaient-ils vu cela comme un caprice, d'autres comme un fardeau dont elle était bien stupide de vouloir se charger alors qu'elle avait toutes facilités pour s'en défaire. Mais elle n'avait, fort heureusement, reçu aucune critique de plein fouet, seulement quelques allusions, qu'elle avait rapidement recadrées, sans faire montre de tact, pour une fois. On parlait probablement dans son dos, mais elle n'en avait cure. Devant le sourire ébahi de ses fils, tout ceci pesait si léger et importait si peu ... Et puis, elle n'avait imposé son choix à personne, dans le sens où elle avait respecté les règles de la décence, plus pour protéger son intimité que pour s'éviter de créer de la gêne. Cet allaitement, elle l'avait mené dans ses appartements, en privé, et le seul qui aurait pu s'en plaindre aurait été Gareth, qui s'en était abstenu, là où la jeune femme le soupçonnait grandement d'en avoir été plus que bien heureux ...

Mais tout ceci n'avait duré qu'un temps, avant que Megara ne se résolve à passer totalement la main devant l'ampleur de la tâche, alors que les jumeaux n'avaient eu de cesse de grandir et d'être de plus en plus demandeurs. Cela avait coïncidé avec une période où elle s'était également moins sentie fatiguée, et donc plus apte à pleinement recouvrer l'entièreté de ses responsabilités. Et puis son père était décédé, assassiné, et Lyman, porté sur le trône, lui avait confié sa succession à la tête de la Banque Lannister. Cela avait achevé d'enfoncer le clou et de tourner la page de cet instant particulier. Malgré tout, elle ne pouvait s'empêcher de penser qu'aujourd'hui, son choix passé avait des conséquences présentes. Elle pensait bien en récolter les fruits, à travers ce lien si particulier qui la liait aux jumeaux, et qui lui permettait, en un clin d’œil, de savoir les différencier. Elle avait été outrée et révoltée d'entendre certaines propositions de nobles présents à la Cour, qui avaient cru bon de lui souffler l'idée de nouer un ruban autour du poignet de chacun de ses fils pour les reconnaître. Ou, pire, de leur passer un foulard autour du cou ! Ses fils n'étaient point des chiots ou des chatons qu'on différenciait par ces procédés là voyons ! D'un autre côté, il semblait fort que ses fils aussi sentaient ce lien à part entre eux, capables, selon leurs nourrices, de pressentir qu'elle arrivait, qu'elle était en chemin pour les rejoindre, et ce avant même d'avoir entendu sa voix ou de la voir franchir le seuil de la porte. C'était ... C'était une expérience à part, qu'elle n'était pourtant pas bien sure de pouvoir revivre lorsqu'elle aurait mis au monde ce nouvel enfant qu'elle attendait. Chaque grossesse était unique et différente, ce qu'elle constatait déjà, ayant traversé une plus grosse fatigue et vécue des nausées plus fréquentes et plus éprouvantes que lors de sa première grossesse. Et puis ... Et puis les circonstances étaient bien différentes : l'Ouest était en guerre, la Couronne était entièrement mobilisée dans cette direction, elle y comprit, et ... Et Gareth n'était point là. Le serait-il, en temps voulu, pour l'aider à gérer ce nouveau bébé ? Ou pour l'épauler dans ces futures nuits probablement écourtées, alors que les jumeaux n'allaient de plus pas cesser, eux aussi, d'avoir besoin d'aide, du jour au lendemain ? Ou, plus égoïstement, pour lui masser les pieds et les épaules, la couvrir de compliments et la rassurer face à tous ses doutes et toutes ses incertitudes ?

Alors, comment allait-elle ? Bien mieux qu'elle ne l'avait été, plusieurs semaines auparavant, car sa santé s'était améliorée, bien qu'elle avait toujours besoin de bien plus dormir qu'en temps normal, là où ses nuits demeuraient compliquées de par ce ventre qui n'avait de cesse de s'arrondir et de complexifier le positionnement sur les couvertures. Mais elle ne rendait plus ce qu'elle mangeait, ne se sentait plus étourdie dès qu'elle se relevait trop vite ou que son rythme cardiaque s'emballait bien trop ... Les jumeaux continuaient de grandir, et, désormais, le temps où ils ressemblaient bien plus à des asticots qu'à de futurs lions était révolu. Ils avançaient à pas de géant vers de nombreuses premières fois cruciales, y compris, sans mauvais jeu de mots, vers leurs premiers pas. Alors, la réponse qu'elle avait à offrir à son beau-frère fut toute trouvée. ❧ Je ne me porte pas trop mal, merci de vous en soucier Robert ... ❧ Le ton se faisait poli et courtois, mais néanmoins sincère et souriant. D'ailleurs, ce sourire dans sa voix se traduit très rapidement sur ses lèvres dès lors qu'elle observa son beau-frère orienter son attention vers les jumeaux. Elle n'en prit nul ombrage, bien placée pour savoir que ses fils avaient ce petit quelque chose d’irrésistible et de magnétique. Qu'ils lui volent la vedette et la préséance, en quelque sorte, n'avait donc rien de nouveau pour elle ! Toutefois, elle ne put réprimer un mouvement de sourcils en entendant les premiers mots que leur offrit Robert, quelque peu dubitative. ❧ Je ne dirais pas exactement qu'ils ne font que cela ... Vos neveux apprécient également grandement tenter de rugir à pleins poumons pour savoir lequel des deux méritera le plus son surnom de lionceau de l'Ouest. Ils aiment également beaucoup tenter de m'honorer de leurs baisers et de leur étreinte, même s'ils s'y prennent avec peu de délicatesse, de patience et de douceur. Oh, et ils tentent aussi de tout porter à leur bouche. Je ne peux donc que vous enjoindre à prendre garde à vos doigts, ils savent mordre. ❧ Levant les yeux au ciel, amusée, elle se dit que, décidément, lorsqu'ils sauraient marcher, tout le Roc se mettrait à en trembler ! D'autant plus qu'ils ne feraient alors sans doute que rejoindre leur cousin Martyn sur ce chemin là, lui qui était leur aîné de moins d'un mois. Les observant gazouiller tout ce qu'ils en savaient dès lors qu'ils comprirent qu'ils venaient d'acquérir l'attention et les faveurs d'une nouvelle personne, Megara reprit un peu de son sérieux. Rien qu'un peu. ❧ Ils sont en pleine forme, oui, je vous le confirme. Les connaissant, je peux vous assurer qu'ils sont ravis de faire votre rencontre, même si je les suspecte fortement de déjà réfléchir à la façon dont ils vont pouvoir vous mener par le bout du nez si tel est leur bon désir ... Ce ne sont point vos neveux pour rien. Ils ont de la suite dans les idées, et de grandes ambitions. ❧ Était-ce là un discours volontairement à deux lectures, ou s'agissait-il simplement d'une façon de parler correspondant à deux niveaux de compréhension par grande coïncidence ? Disons que Megara savait ce qu'elle faisait. La plupart du temps.

Visiblement, Lord Robert Kenning avait l'habitude des enfants, ce qui n'était finalement pas forcément si surprenant que cela, étant issu d'une large fratrie dont il n'était pas le plus jeune, en plus de d'ores et déjà posséder un neveu, et ce avant même la naissance des jumeaux, en la personne du fils naturel de son frère Tybolt. Toutefois, mieux valait-il sans doute prévenir que guérir, là où chaque enfant était bien unique en son genre. Megara le constatait elle-même, y compris concernant les jumeaux. Cela allait, pour elle, au-delà d'être en mesure de les différencier physiquement alors même qu'ils étaient considérés comme de vrais jumeaux. Il y avait des variations dans leurs caractères respectives, des nuances plus ou moins notables pour qui se donnait la peine d'aller outre les banalités conventionnelles et maintes fois entendues concernant les jumeaux. Voilà, donc, qu'elle avait placé l'avertissement, le tenant plutôt sous la forme de conseils, concernant ce dont étaient capables Tybalt et Cadwyn. Robert étant à présent prévenu, ce serait à ses risques et périls, s'il s'y osait ! Bien entendu, tout cela tenait surtout de la gentille plaisanterie plutôt que du réel danger, même si les jumeaux étaient à présent pourvu de dents ... ❧ Il serait en effet plus que regrettable que vous en veniez à perdre un doigt ! J'ignore si les gens retiendraient vraiment le prestige du rang de celui qui vous aura causé ce malheur aux vues de l'incongruité que serait la situation ! ❧ Elle secoua un instant quelque peu la tête en riant, non sans de nouveau poser les yeux sur ses fils. Avant de finalement rediriger le regard en direction de son beau-frère. ❧ Sachez que je blâme d'avance mon époux votre frère pour toute malice que vos neveux commettraient à votre encontre. Il est bien évident qu'il ne peuvent tenir cela que de lui, tant je suis ... Plus subtile ? ❧ Subtile, c'était tout à fait le mot ! Loin de vouloir se vanter de compétences qu'elle n'avait pas, Megara se référait simplement à ce qu'on disait d'elle d'un certain commun accord.

Quant à tancer bien gentiment son époux, c'était de bonne guerre, Gareth lui rendant parfaitement la pareille, non sans également jubiler de la voir prise aux pièges des manigances de leurs fils, face auxquelles elle restait, surtout les premiers temps, difficilement insensible. Loin d'être cependant totalement vierge dans l'appétence de leurs fils à se montrer bien plus que capables de vous faire succomber à leurs fieffées manigances, elle se pensait pour autant plus subtile et moins frontale, sachant tout autant y faire que son époux, mais dans un autre registre, sans doute. Quoi qu'il en était, Tybalt et Cadwyn étaient bel et bien pourvu de sang Kenning, à n'en point douter, là où une telle Lignée n'était pas connue pour rester les deux pieds dans le même sabot, inertes et attentistes. Certains disaient que c'était là l'une des particularités de ceux qui vivaient sur les côtes des Terres de l'Ouest, fiefs en première ligne des intempéries et vents venus des Mers du Crépuscule. La Nature sachant parfaitement reprendre ses droits, il ne fallait pas se reposer sur ses acquis et toujours chercher à avoir un temps d'avance. Ou alors la perception de Megara s'en était-elle très prématurément trouvée biaisée, dès lors que deux de ses aïeux directs étaient de ces ressortissants du littoral ouest. La Reine-douairière Arcissia Lannister était après tout native de Bel Île et issu de la Lignée Farman, là où son inénarrable grand-père maternel n'était nul autre que Seymon Crakehall. Pour expliquer leurs caractères tempétueux et leur appétence pour ne point se satisfaire des privilèges qui étaient les leurs, de par la naissance, sans éternellement prouver leur valeur, on lui avait expliqué très tôt que cela tenait de leur nature profonde et de leur ancrage originel. Peut-être cela avait-il été une technique comme une autre pour apaiser sa curiosité et sa soif de comprendre, ou peut-être y avait-il un fond de vrai là-dedans.

En tout cas, Gareth ne lui avait jamais donné de raison de douter de cette maxime. Pas plus quand il n'était encore que l'un des meilleurs amis et camarades de jeu de son frère Lyman, alors encore Prince héritier de la Couronne, que maintenant qu'il était son époux et le père de ses enfants. Pour autant, connaissant encore relativement fort peu Robert Kenning, elle se gardait bien de s'avancer sur son compte, même si elle se doutait fort bien que ce qui lui avait été rapporté concernant certaines de ses actions n'illustraient en rien passivité et attentisme. Cela la poussait donc à aborder l'instant présent avec un œil cherchant à observer les choses sur autant d'aspects et de tableaux possibles. Toutefois, loin d'elle l'envie de d'ores et déjà plonger dans le grand bain. Pas immédiatement. Cela serait impoli et fort discourtois, tout en la privant de la possibilité de, justement, faire preuve de subtilité. ❧ Rien qui ne presse, ne vous en faîtes point. ❧ Il se montrait aimable et attentif, alors elle lui devait bien ça, tout comme elle se le devait à elle-même. Et puis, elle ne pouvait pousser le sujet sous le tapis en ne faisant que l'aborder pour ensuite se concentrer sur les préoccupations de son beau-frère concernant l'absence de Gareth. Poser des questions puis se diriger vers une autre conversation n'était pas forcément une technique caduque ou peu efficace, mais l'instant ni la situation ne s'y prêtaient pas. En tout cas, un autre que lui se serait vu offrir des sourcils froncés et un certain masque de froideur pour avoir osé aborder un sujet si personnel avec la Princesse de l'Ouest. Mais Robert était le frère de Gareth, alors les choses étaient bien différentes, ne le plaçant pas dans la position d'un courtisan bien trop curieux. ❧ Votre frère et moi nous écrivons aussi régulièrement que nous le pouvons, même si je culpabilise toujours fortement de lui envoyer des missives dont la lecture et les réponses qu'il y fait pourraient prendre de son précieux temps sur le Front. Mais c'est le seul moyen que nous ayons pour demeurer en contact. ❧ Le seul et le meilleur, sans doute. ❧ Je ne vous cache pas que cela n'est en rien une partie de plaisir, et que le cœur me saigne que d'être la seule d'entre nous à pouvoir voir nos fils chaque jour, alors qu'ils grandissent loin de leur père. Et ils ne sont pas les seuls. ❧ Posant un instant la main sur son ventre qui s'arrondissait chaque jour de plus en plus, alors qu'elle était plus ou moins à la moitié de son terme, de l'avis même de Mestre Aethon, Megara redressa quelque peu l'échine. ❧ Mais nos devoirs respectifs passent avant tout, tout comme l'avenir du Royaume. C'est là un sacrifice nécessaire qui, je l'espère, ne sera pas vain. Le temps jugera de tout ceci, même si je prie chaque jour les Sept pour que le jour où nous puissions tous observer tout ceci comme une chose du passé arrive le plus vite possible. Pour le moment, mon époux ne se porte pas mal, nos enfants ne manquent de rien, et l'Ennemi ne tambourine pas aux portes de cette Forteresse. ❧ Ce qui n'était donc pas encore signe que la fin du monde était proche.