Mon destrier hennissait avec une fureur peu coutumière face à la perspective de la charge à venir face à la masse de rebelles et de parjures menés par la traitresse maison Allyrion. En tant que fidèle des fidèles de la maison suzeraine Nymeros Martell, la princesse Deria m'a confié le commandement d'une armée de renfort. A la tète de mes troupes aguerries mais terriblement peu nombreuses en comparaison de la vague des sans honneur nous faisant face le défi semblait de taille. Mais, cela n'était qu'une formalité pour un chef de guerre chevronné tel que moi. Mais tandis que j'attendais la charge ennemie fort de notre position défensive surélevée l'un de mes chevaliers vint me murmurer à l'oreille une nouvelle atroce, implacable et irréelle tant elle me laissa interdit. Mon visage se décomposa en l'espace de quelques secondes et mon état major ne manquant rien de cet enterrement facial se mit à afficher des mines toutes aussi inquiètes. Annoncant à mes officiers parmi lesquels se trouvaient deux de mes frères la défaite de l'armée principale de la princesse Deria et la chute de la capitale, je sentis mon coeur se serrer impitoyablement et mes trippes se nouer. Les princes avaient perdu la vie et le sort de notre suzeraine était incertain. Quant à mon frère et mes deux cousins présents dans l'ost princier aucune nouvelle de ces derniers n'étaient revenues ce qui signifiait probablement qu'ils fallaient les compter au nombre des victimes. Débat expéditif entre les commandants. Se rendre à l'ennemi ? Jamais ! Ce ramassis de parjures ne méritaient qu'une chose. Que nous les massacrions afin de venger nos souverains. Aussitot, je fais battre la charge générale et constate avec satisfaction que les rebelles ne s'attendant point à pareille manoeuvre n'est pas en place. Mes archers font pleuvoir la mort sur les rangs d'en face tandis que mes piquiers chargent pointe en avant. Quant à ma cavalerie, je l'entraine vers le flanc gauche et sa vis à vis. Fort de la garde princière en guise de noyau dur de mon infanterie et de tous les chevaliers loyalistes de l'est, je pointe ma lance en avant afin d'aller empaler le premier ruffian sur ma route. Mon sang fait battre mes tempes avec une terrifiante vivacité au point que je crains de les voir éclater. Mon regard est voilé de rouge et je m'excuse intériurement auprès de ma Jasmyne de l'abandonner ainsi. 

Mon oncle et garde du corps me secoue avec délicatesse afin de me tirer de mon sommeil agité hanté des cauchemars de batailles sanglantes et désespérées pour retourner sur mon fief en compagnie des derniers fidèles à la cause loyaliste défunte. Je gigote en tout sens à l'instar d'un animal sauvage pris en cage par des trappeurs audacieux comme si mon corps cherchait à faire fuir les sombres remugles de ce passé déchirant des méandres de ma mémoire. La honte d'avoir failli à mon devoir envers ma suzeraine me dévaste les entrailles alors que j'émerge peu à peu de mon combat sommatique pour contempler le visage préoccupé de ser Lyonnel et celui tout aussi inquiet de Milo Toland mon ombrageux cadet. Me redressant sur un coude, je me rends compte que le navire battant pavillon au dragon d'émeraude antropophage ne vogue plus. En effet, ce détestable roulement permanent n'est plus une réalité alors que je me redresse torse nu et un brin fiévreux de cette nuit compliquée. Mon protecteur me confie que nous sommes arrivés à Port Lannis. Il nous faudra quelques heures de plus pour rejoindre la cour des puissants lions de l'Ouest et une de plus pour que nous soient attribués des appartements dignes de mon rang au sein de la célèbre forteresse réputée imprenable. Préssé de pouvoir implorer ma cause face au roi Lyman, je ne prends que quelques heures de sommeil supplémentaire avant de me préparer pour la rencontre. Ma blessure au flanc gauche me tire durement tandis que je passe une riche tunique sombre aussi noire que la plus tumultueuse des nuits à l'instar de tous les membres de ma suite. Et en signe de deuil pour notre princesse. Puis mon sabre au coté, je quitte la vaste chambre sans attendre. 

Hélas, un officier de la maison royale douche rapidement tous mes espoirs en m'informant du fait que les Lannister par trop écrasés de royales responsabilités ne pourraient me recevoir en ce jour. Mais que ma requète avait bien été transmise au sommet. Pestant et maugréant sans la moindre courtoisie dans ma barbe en arguant face à l'innocent chevalier que pendant que l'on me baladait ainsi le peuple de Dorne subissait le joug d'une parjure et que les dignes féaux de la cause légitime mourraient par centaines. Cependant, mon cadet finit par parvenir à me calmer alors que je grimacais suite à un élancement sur mon flanc. Ce dernier me conseille de garder mon calme car exploser de colère à la cour de nos puissants hotes ne pourrait que desservir notre cause. C'est l'inversion des roles la plus éclatante de toute notre vie commune. Cela parvient à m'arracher un sourire en coin face à une telle cocasserie. D'ailleurs, toute ma compagnie se met à rire comme une prière physique envers le destin. Rire pour rejeter le sort que semblait bien décidé à nous imposer ce dernier. Prenant un instant pour réflechir, je décide d'aller explorer les lieux laissant ma curiosité légendaire prendre le pas sur mes humeurs. Mes hommes ont tout le loisir d'aller découvrir la ville ou de se reposer dans nos appartements. Aussi, je laisse mes pas me mener vers le septuaire de Castral Roc afin d'aller prier pour mes disparus, la maison suzeraine anéantie, mes proches et surtout ma patrie que je ne pouvais décemment pas laisser abandonner à son sort. Les rebelles pensaient probablement avoir gagner mais j'étais prèt à mener moi mème une croisade si c'était le prix à payer pour me venger de ces traitres. Une fois dans le septuaire, je m'incline et entreprends de prier les Sept. La seule autre occupante des lieux est une jeune femme blonde très bien faite de sa personne. J'espère ne pas la déranger avec mes psalmodaisons véhémentes. 
 

Castral Roc se dresse devant moi alors que la fièvre de ma blessure au flanc malmène mon esprit et l'entraine dans les méandres d'une folie douceureuse par intermittence. Si la vue de ce monument imprenable me coupe le souffle de part sa majesté, je n'en montre absolument rien à mes compagnons de voyage. A mes cotés, mon premier protecteur ser Lyonnel Sand son fils Daemon mon cadet Milo et mon écuyer devenu chevalier Damian de la maison Montbrun. Vestiges de ma parenté au sein du camp loyaliste à la maison suzeraine de Dorne. Et tandis que je contemple avec admiration ce roc nous surplomblant avec morgue et insolence sur de sa majesté impérieuse, je ressens la souffrance lancinante de ma plaie humiliante avec davantage de douleur comme si le fait de découvrir cette imprenable forteresse légendaire n'ayant jamais eu à souffrir de la moindre offense ravivait avec plus d'ardeur le souvenir impérissable de la chute de ma maison princière. Celle à laquelle j'avais juré allégeance comme tous mes ancètres avant moi. Celle devant laquelle mon aieul s'était incliné lors de l'unification de Mors et Nymeria. Celle qui avait su faire de la belliqueuse contrée composée de modestes royaumes querrelleurs un ensemble politique cohérent et redouté de ses deux voisins directs pourtant plus populeux ou prospère. Celle qui avait su unir un peuple de serpents et de scorpions, de léopards et de vautours, de manticores et de spectres derrière une seule bannière. 

Désormais, cette bannière était un souvenir d'une époque aussi glorieuse que tragique au vu de sa fin récente aussi brusque qu'incongrue au regard de l'Histoire vénérable de cette maison. Je finis par me détourner par pudeur face à ce témoignage de mon, échec. Un échec sans égal car il avait couté la survie de mes liges. Tout était ma faute... En effet, si j'avais réussi à briser les lignes de l'armée ennemie lors de cette bataille. Si, j'avais réussi à vaincre cet amalgame de traitres et de parjures... Si, j'étais parvenu à me frayer un chemin vers Mahée Allyrion et sa garde personnelle de sans honneur et de vermine purulente alors peut ètre que tout ceci aurait pu s'avérer différent. Si, la pointe de ma cavalerie ne s'était pas heurtée dans un fracas d'acier et de métal à ces carrés de piquiers alors peut ètre que... Les Dieux avaient décidés de ne pas m'accorder la victoire ce jour là aussi je ne pouvais que regretter amèrement et me flageller pour mon échec encore et encore jusqu'à la fin de mes jours. 

Quant bien mème, ma suzeraine avait pris des décisions douteuses à plusieurs reprises cela ne justifiait en rien que je me dédouane de mes responsabilités dans sa chute. Reprenant peu à peu mes esprits quant à la situation présente, je finis par me rendre compte que je ne me trouvais plus sur le pont de ma cogue baptisée en toute humilité la Loyale pour des raisons évidentes mais au coeur de la dite injure à mon destin en plein milieu du septuaire. Ce lieu de receuillement et de piété aveugle m'éblouit de sa lumière profonde et alors que je reviens au monde réel, je me rends compte de la souillure que je représente en pareil chef d'oeuvre fanatique. Car, il ne fait pas le moindre doute que je suis une tache au milieu d'un paradis de paix et de bienveillance tant de par ma tenue de jais témoignant avec acuité du fait que je porte le deuil de ma souveraine de manière ostentatoire comme si je souhaitais jeter l'opprobe sur le monde afin de me délester quelque peu du poids écrasant causé par ma conscience. Et d'autre part, en raison du fait que je porte en moi un maelstrom de négativité à mesure que mon esprit et mon ame se sont enfoncés dans la noirceur la plus abjecte. 

Rancœur, haine, désespoir, mélancolie, rage sourde, déception et honte se mélangent dans mon cœur et mon esprit en permanence faisant de moi un volcan susceptible d'exploser à tout moment. Or, tout en ces lieux évoquait une pureté sans équivalent en ce bas monde. De l'or des candélabres à l'ivoire sculpté des statues en passant par le bois précieux des charpentes. Tout ici invoquait la puissance spirituelle des Sept mais également de leurs pieux serviteurs locaux. Tandis que je m'abimais les genoux au sol en prières pleine de ressentiment et de fiel envers mes Dieux. Des Dieux que je considérais comme bien peu justes et compatissants puisqu'ils m'avaient laissé affronté la déchéance de cette chute. Soudain, je ressentis un regard posé sur moi par un réflexe courtisan. Détournant lentement mon regard du sol, je me retourne avec une patience mémorable au regard de mes émotions tumultueuses parvenant à maintenir l'apparence d'une salubrité de l'esprit alors que je lutte de toutes mes forces pour ne point sombrer. Le sourire que j'offre à la belle jeune femme est pour le moins tordu mais je m'efforce de l'arranger tant bien que mal. “Ne vous excusez point gente dame. Je comprends bien que pareil spectacle ne manque d'attirer le regard.” 
 

Me rendant fatalement compte que je dois certainement renvoyer une image particulièrement pitoyable de la légendaire fierté Dornienne à cette ravissante et lumineuse gente demoiselle, je tente de contre carrer le déversement de mes émotions tortueuses dans l'océan de mon visage marqué tant par la fatigue que par l'émoi. Hélas, les preuves de mon état émotionnel douteux sont bien trop manifestes pour que je puisse singer le masque du pédant afin de feindre le détachement nécessaire à l'exercice courtisan. J'excude le désespoir par tous les pores de ma peau tannée. Je sais bien que quelque chose de brisé hante mon regard pour m'ètre contemplé dans un miroir au sein des appartements m'ayant été alloués gracieusement par la maison royale Lannister. De toute manière, mimer une bonne santé mentale me serait par trop ardu car l'organe le plus révélateur et indiscret de mon état présent s'avère ma propre voix qui semble littéralement enrobée des affres de l'outre tombe comme si une part de moi avait périe en mème temps que mes suzerains.

“Toute chose ou toute personne est un spectacle vivant au sein d'une cour royale gente demoiselle.” Le soupir cynique qui s'échappa de mes lippes vit ces dernières prendre une position un brin plus caustique. Mes prunelles d'ambres se fichèrent dans celles de la jeune femme blonde au teint de pèche avec l'avidité de Shamal lorsqu'il décelait une proie potentielle. Je détournai finalement le regard devant le constat de son malaise. Elle semblait comme la jouvencelle des Sept face à l'Etranger en personne tant je semblais souiller la beauté de ces lieux de ma noirceur psychologique. Son compliment me provoqua une réaction de surprise affirmée. Sourcils dressés. Yeux écarquillés. Bouche entrouverte. Non point que je ne sois guère rompu à l'exercice de la flatterie en tant que seigneur et courtisan expérimenté. Mais, cette observation semblait tellement hors de propos au vu de mes déboires récents que j'eus un long moment avant de lui répondre. “N'est ce pas ? Les drapiers et tailleurs de Dorne sont de véritables orfèvres en la matière.”

Inutile de lui dégoiser qu'il s'agit d'une tenue de deuil particulièrement inestimable à mes yeux et que je ne comptais cesser de l'aborder tant que je n'eus point vaincu Mahée Allyrion et ses sbires dussais je me rendre dans les Sept enfers pour cela. Conscient de mon blasphème, je m'inclinai respectueusement vers la statue des Dieux me faisant face et murmure une litanie dévote avant de me relever et de m'approcher de la jeune femme. “Je ne le cache pas suffisamment n'est ce pas ? Je fais pourtant bien des efforts à cette fin. Mais hélas, je crains fort que l'ampleur de mon désespoir ne soit trop lourd pour mes épaules.” La Ouestrienne rajusta ses atours nobiliaires de quelques tapes sur les plis avant de s'approcher à son tour de moi. Son sourire fut semblable à un lever de soleil après la plus sombre et terrible des nuits. J'en ressentis la bonté, la sincérité et la compassion au plus profond de mon âme. Aussi, j'acceptais de bon cœur de fuir mon refuge religieux afin d'aller me changer les idées ou du moins tenter de le faire car le résultat n'était guère escompté. “Cela devrait me faire le plus grand bien je pense. Je vous remercie de votre proposition. Me voilà pourvu d'une bien agréable guide pour découvrir les merveilles locales.” Puis, je lui tendis mon bras afin qu'elle s'y accroche de manière bien cavalière.
 

La souillure de mes tourments infligée à la sainteté paisible de ce havre de Foi me frappa avec une leste acuité car pour fort pécheur que je me savais, je n'en restais pour autant pas moins qu'un fidèle dévot de mon culte. Or, je me fis l'impression d'offenser les Dieux à travers le brouillard tumultueux de mon amertume fielleuse nimbée d'une aura de rancune tenace. Comme si en les jugeant responsables de la litanie de malheurs m'ayant affligé je devenais le pis des blasphémateurs et que je risquais d'encourir une sanction sacrée en sus de celle de mon existence à présent animée de manière univoque pour la satisfaction primale de ma vengeance envers la maison Allyrion. Aussi, ressentant un besoin impérieux de fuite au plus loin de ce sanctuaire afin de ne point continuer de défier mes suzerains célestes par la morgue agressive de ma face désabusée je décidai d'accepter l'offre fort généreuse de la jeune femme. Jeune femme à mi chemin entre la brebis par trop innocente pour une cour royale s'avérant le repaire d'un fauve tel que le léonin sire des jungles ardentes et l'ange de lumière envoyé par les Sept afin de me signifier qu'ils ne m'avaient point encore délesté de leur faveur. Un sourire sardonique accompagna l'allumage d'une lueur cynique dans le regard aux abois de ma carcasse soumise à la camarde d'une blessure déshonorante. "Je suis un homme de Dorne dans tout ce que cela comporte de magnificence comme de tragédie par les temps qui courent. Mais excusez mon babillage incessant. J'ai tendance à m'oublier face à une belle femme." L'image de ma reine des sables s'imposa avec brutalité à mon esprit tapageur tandis que je me rapprochais en quelques foulées. Jasmyne. Etait elle en vie ? En sécurité ? Avait t'elle rallié de force la cause Allyrion ? Me pensait elle mort ? Se parait elle d'un voile de deuil fort à propos ? Roucoulait elle avec quelque partisan de la traitresse ? "J'en ai bien peur oui gente dame. Ma souffrance est hélas par trop puissante pour que je parvienne à la masquer sous un masque courtois." La péronnelle me semblait un brin trop caustique et guère assez farouche pour son propre bien. Cependant, l'incongru de notre rencontre en ce lieu de prière porteur de promesses d'espoirs et d'aspirations sourdes me poussa à lui tendre mon bras auquel elle s'accrocha vertement sans une once de crainte. Nous quittâmes ce lieu empreint de la piété de milliers de personnes pour les couloirs exubérants de la capitale Lannister. Les yeux de la biche se posèrent sur mon visage à plusieurs reprises tandis qu'elle cala fort gentiment sa démarche sur la mienne handicapée par mon flanc dévidé d'un coup de lance de cavalerie. "Voilà une proposition fort admirable jeune dame. Eh bien, j'imagine que vider mon sac me permettrait d'exorciser quelques uns des démons hantant mon chemin tortueux." Cependant, nul mot ne sortit de ma bouche comme si en acceptant de me confier j'avais au contraire sonner le glas de cette conversation.  Pudeur ? Honte ? Mesure ? Ou autre chose ? 
 

La désagréable sensation d'apparaitre tel un ange du malheur souillant de sa compagnie une créature aussi raffinée que délicate ne parvenait guère à quitter les méandres tortueux de mes pensées affligées tant le contraste entre nos deux personnes s'avérait particulièrement net. Cette opposition semblait presque taillée d'un coup de sabre divin pour prétendre à une telle habileté sans pareille. La fée bienveillante aux traits juvéniles et au timbre de voix sibyllin me fit l'effet fantasmagorique d'une vision éthérée tant la charge dévastatrice de mes émotions douloureuses entremêlées en un ouragan implacable était tenace. Mes prunelles se baissèrent alors que mon regard se fit plus fuyant qu'une bande de gueux se débandant face à une charge de sergents cuirassés. Mal à l'aise face à la perspective d'un aveu trop épars, je me fendis d'un haussement d'épaule aussi cynique que désabusé. "Chaque Dornien a perdu des êtres chers au cours de cette époque troublée jeune demoiselle. Qui suis je pour que ma peine prime sur la leur ?" La princesse de conte de fée sembla se rendre compte naïvement un brin trop tardivement de son indélicatesse et l'expression mortifiée dont se para son facies solaire me provoqua la sensation de n'être qu'une vulgaire crapule digne du pis atroce des coupe jarrets face face à la plus innocente des vierges. Retrouvant finalement le courage de plonger mon regard morne et éteint dans le sien marqué par la lumière et la bonté, je la remerciais de manière laconique. "Je vous sied grée de comprendre ma faiblesse." Nos pas synchrones nous conduisirent loin de ce sanctuaire consacré à l'éloge de nos Dieux protecteurs. Le silence s'étant noué avec naturel entre nos deux compagnies réconfortantes m'apporta une pointe d'apaisement dans cet océan de ressentiment, d'amertume et de fiel. Pourtant, ce fut avec une incroyable douceur que ma partenaire de promenade et guide de fortune me proposa de m'épancher de manière détournée. Je laissai encore défiler de longs instants de vide verbeux au point que la Ouestrienne eut pu se figurer que je ne répondrai pas avant de finalement prendre la parole. "Dorne est une contrée merveilleuse." Entamais-je avec passion. Renouant avec l'humanité atrophiée de mes entrailles remuantes. "Elle est faite de roche, de sable, de cote et de plage sans oublier les oasis salvatrices. Elle est faite de nuances d'ocre, de vermeil, d'or, de nacre, de vert et d'un azur turquoise. Elle est fougueuse, fiévreuse, bravache, audacieuse, libérée, rebelle, sulfureuse, exigeante... Elle est..." 


 

L'absence du moindre son étranger à ceux de nos respirations mécaniques aurait pu avoir quelque chose de profondément inquiétant dans ce dédale de magnificence tenant véritablement de l'antre léonine à mes yeux de néophyte de ces lieux aussi splendides qu'intimidants aux yeux du rescapé de l'autre bout du continent que je représentais. Bien au contraire, cette quiétude de cathèdre recélait en son sein un trésor sans égal. Celui infiniment plus précieux que celui légendairement prétendu engoncé dans les sous sols de cette imposante forteresse millénaire car la paix m'apparaissait désormais à l'instar d'une ressource terriblement précieuse tant mes dernières semaines ne s'étaient avérées qu'une succession sans nom de cris sourds, hurlements macabres, râles d'agonie, pleurs déchirants, plaintes lancinantes et explosions de timbres paniqués. Ce qui s'était aisément avéré aussi éprouvant pour mes écoutilles d'esgourdes maltraitées que pour mes nerfs éreintés par cette épreuve perpétuelle. En effet, si affronter des tragédies successives vous dévoilaient le caractère profond d'une âme et pouvait ne point laisser des traces indélébiles dans les esprits atrophiés par l'expérience de l'horreur. Les cris ainsi que les visions quant à eux se gravaient avec autant de célérité qu'un coup de burin dans le marbre le plus éclatant que l'on le veuille ou non. D'ailleurs, j'avais remarqué à de nombreuses reprises que plus l'on tentait de se défaire de certaines réminiscences mémorielles et plus ces dernières semblaient déterminées à s'accrocher à vous comme pour vous prouver que l'on ne se débarrassait guère aussi agilement de la charge émotionnelle d'un évènement de cette ampleur que l'on ne le faisait de la crasse matinée de boue et de sang sur le coin d'une armure. Seulement, la jeune fée aux allures de vision éthérée ayant émergée des cieux eux mèmes m'encouragea à parler de Dorne avec une douceur telle que je fus tellement désarmé par son approche compréhensive que je me vis moi-même contraint de lui dépeindre ma contrée avec une passion naturelle. "C'est la plus belle des contrées. Je puis vous l'assurer. Elle est à l'image de son peuple fougueuse, exigeante, rebelle, fière, exclusive, passionnée, brulante, libérée... Elle influence le caractère de sa population comme cette dernière l'influence également. C'est une communion immuable datant de la nuit des temps. Et cela en raison de la face extrême des conditions de vie qu'elle nous renvoie. Dorne est douce mais seulement pour ses enfants. Et parfois ses enfants s'entre déchirent pour bien des motifs plausibles mais avant tout parce qu'ils ont le feu du désert dans leurs veines..."  
 

Le bruit caractéristique de nos pas sur le sol de pierre glacée du palais léonin semblait résonner bien étrangement à mes esgourdes endolories par la puissance du mutisme de ces couloirs presque déserts. Non que j'eus espéré me voir noyer dans le brouhaha incessant et insupportable d'une cour royale surpeuplée mais que cette pureté trouvant racine dans le vide environnant me paraissait incongrue en comparaison de la cacophonie de mon esprit embrumé par les traumatismes bruyants de mon passé récent. La jeune fée aux cheveux d'or fit une remarque qui parvint fort mécaniquement à me sortir de ma léthargique torpeur. Le chauvinisme d'un Dornien représentant l'un de ses plus pointilleux trait de caractère, cette chaleur aussi fugace qu'éphémère s'accompagna d'un laconisme de circonstance. "Alors vous êtes une personne de gout gente dame. Puisse Dorne vous accueillir avec la même douceur que celle dont vous m'avez témoigné." Bien entendu, cela n'arriverait que si les Sept préservait ma patrie de la déliquescence d'une sempiternelle agonie causée par les tiraillements politiques sanglants propre à sa mue nécessaire. Fatalement, nos déambulations aux apparences d'errements vagues et désordonnées nous conduisirent sur les traces d'un verger interne à la forteresse du Roc depuis lequel plongeait une vue saisissante sur la baie en contrebas. Je n'eus guère le temps de me remettre de mon souffle coupé que la demoiselle m'invitait fort courtoisement à me reposer de cette marche impromptue à travers le château. M'inclinant respectueusement à son intention, je rejoignis le banc de pierre d'une démarche claudiquante sans cesser de tenir mon flanc douloureux. Une fois confortablement niché sur mon nid de fortune, je répondis. "Je vous remercie sincèrement pour votre sollicitude." La jeune femme finit par s'ouvrir à son tour à ma personne drapée de tristesse tandis que je la couvais d'un regard époustouflé par le panorama côtier nous environnant. Bien que coutumier de ce dernier par la position géographique de ma propre forteresse, icelle ne saurait prétendre rivaliser avec le faste de la capitale Ouestrienne. "Oh vous ètes une insulaire. Vos Iles ne sont elles pas trop proches de l'archipel aux mille rois ? Elle doit s'avérer très puissamment défendue ? Je suis certain au contraire que vous sauriez la dépeindre avec une passion évidente. Ne vous mésestimez pas." Un soupir empreint de cynisme particulièrement désabusé s'en fut hors de mes lippes closes face à son interrogation. "Je suis ici pour implorer..." 
 

Assis avec une certaine nonchalance fort aristocratique sur la pierre lisse de ce ban fraichement rénové car par trop parfait pour dater d'une antédiluvienne époque héroïque reculée, je contemplais la vaste mer du Crépuscule d'un air hagard. Si, j'avais été l'un de ces héros de la trempe du fondateur de Castral Roc Lann le futé qui selon la légende n'en était guère le véritable bâtisseur mais juste le roublard opportuniste ayant su l'arraché à son propriétaire légitime peut être aurais-je pu vaincre les rebelles Allyrion au nom de ma suzeraine. L'histoire même de cette forteresse célébrait la célérité empreinte de fatuité des rusés sur les preux. Parallèle fort désagréable avec le triomphe des forces de la main d'or sur celles de la lance embrochant le soleil. Je l'interprétai soudainement comme un message des Sept m'enjoignant à me montrer aussi peu respectueux des règles que mes ennemis mortels. Cependant, qu'allais je trouver ici à la cour royale ? Des alliés fort sincères ou bien des lions adeptes du double jeu comme leur sulfureux ancêtre ? Cela seul l'avenir saurait me le dire. Pour l'heure, je savourais cette goulée d'air frais et pur à l'instar d'un mourant savourant son dernier repas. "Ce n'est guère rien au regard d'un homme désespéré." Un coup d'œil de biais me permit de me rendre compte de la félicité apparue soudainement sur les traits graciles de la jeune femme Ouestrienne au minois si semblable à celui d'une fée. Il ne faisait nul doute qu'icelle était bien une insulaire tant la vue de cet amas intenable de flots semblait la ravir profondément. "C'est dans la poésie et l'étude des lettres que j'ai acquis pareille aisance à manier les mots. Les mots sont ambivalents. Ils peuvent s'avérer aussi redoutables que des poignards ou aussi doux que des caresses. Je comprends bien pour la question martiale. Merci de votre franchise." Elle eut tout aussi bien peu vouloir se gonfler et se regorger comme un moineau cherchant à devenir aigle pour impressionner son auditoire. Bien des gens eussent agi de la sorte surtout face à un étranger drapé d'orgueil semblable à un pesant linceul. L'étonnement que je lus sur les traits solaires de la jouvencelle suite à ma révélation aussi piteuse que peu reluisante. Décidemment, cette jeune femme était comme une bouffée d'oxygène dans un paysage de souffre. Sa naïveté était telle aussi étendue ou se jouait elle de moi ?  Tout le monde implorait les rois qu'il s'agisse d'un besoin urgent et réel, d'une envie égoïste, d'un nécessaire soutien, d'une flagornerie pour leur faire ressentir leur importance tel était le quotidien des souverains. Cependant, l'aveu de ma propre impuissance m'ayant d'ores et déjà couté je m'enfonçais de nouveau dans un silence auréolé de honte et fuyais son regard à l'image du survivant d'une débâcle militaire. J'hésitais d'ailleurs carrément à quitter les lieux d'un pas souffreteux. 
 

"Hélas je crains fort que mes souffrances soient bien plus psychiques que physiques en dépit des apparences. Et si celles ci ne sauraient diminuer aussi aisément que cela, je tiens néanmoins à vous témoigner toute ma reconnaissance pour votre bonté et votre sollicitude. Mes idées sont un brin moins moroses à présent." Mensonge pieu que celui ci. Cependant, ce magnifique minois aussi adorable que juvénile était taillé pour la lumière et non l'obscurité. Aussi alors que je me considérais déjà comme un vulgaire intrus eu égard à la magnificence de cette forteresse royale ancestrale comparativement à la tristesse de ma mine de réfugié rebelle politique je ne souhaitais guère m'octroyer la culpabilité de souiller le diamant blond à mes cotés de la noirceur la plus sordide de ce monde aussi cruel qu'implacable. Lorsque le sujet de la poésie et des phrasés chantants vinrent désépaissir l'opacité de la brume de la mélancolie dans laquelle nous étions engoncés, je ressentis une pointe de soulagement devant le sourire sibyllin de la jeune femme. "Cela viendra avec le temps et la pratique gente demoiselle. Continuez de vous délecter des bons auteurs car ils sont d'excellents professeurs en la matière. La poésie est un art délicat qui adoucit les cœurs. Elle n'a d'égale que la douceur qui les inspire." Malheureusement, le rappel brutal de mon humiliation en ces lieux causée par la tragédie politique de ma contrée natale gela instantanément mes élans de gentillesse. Mon expression se renfrogna en quelques secondes alors que tout les efforts passés pour me dérider venait de tomber à l'eau. Mon orgueil de Dornien et de lord venait de nouveau de se voir transpercé d'une flèche de plusieurs livres par ce simple rappel des raisons de ma présence dans la capitale Ouestrienne. Hésitant durant de longs instants sur la meilleure manière de réagir face à la possibilité que l'innocence de cette jeune fleur ne soit guère feinte et que celle-ci soit bel et bien vierge de toute malice inhérente à tout courtisan consommé, je me relevais quelque peu brusquement et payai immédiatement cette brusquerie dans la foulée. "Aie. Par les Sept quelle atroce douleur !" Fis-je en me tordant en deux. Je me laissai choir sans ménagement sur le banc de pierre. "Excusez ma réaction jeune dame. Il n'y a rien de pire qu'un Dornien blessé dans son orgueil"