1 pour le sommaire

Le sommeil avait été lourd, empli de songes terrifiants, de spectres et de tourments. Une guerre qui n’en finissait pas, des morts par dizaines de milliers, des doutes qui entraînaient une vacillation des choses considérées comme acquises, comme un navire ébréché qui  inéluctablement poursuivait sa chute vers les abysses . Bien qu’en phase de sommeil, je sentais l’agitation de mon corps, se mettant en branle. Comme si ma furtive conscience s’était échappée de ce dernier pour observer la scène. Tous mes proches, je les observais s’éloigner dans une pénombre dévoreuse. Mon rythme cardiaque s'accélèrait, impuissant à attraper la moindre des mains tendus de ces visages auxquels je suis incapable de mettre un nom dessus. Simplement, je savais que je devais les sauver, c’était là mon devoir premier. Celui de porter mes camarades qui un à un se faisait agriffer par cette ombre menaçante. Ce devoir pantelant qui m’obligeait à me battre pour mes ancêtres, pour une famille qui ne portait pas mon nom, pour une cause que j’étais incapable de comprendre. De bravache, je me retrouvais à fuyant, tentant d’échapper à l’intenable démiurge se tenant face à moi. Courir pour aller où ? Dans cet univers infini qui ne ressemblait à rien, qui se présentait sans fin et pourtant si tassé. Le sentiment d'étouffer devint véritable et ce qui devait arriva se déroula. La chute, le renoncement, l’abdication. A quoi bon de toute façon. Dans un silencieux hurlement faisant résonner mes entrailles, une indescriptible forme de douleur me brûla de l’intérieur. La componction fut si grande qu’elle me conduisit à ouvrir mes yeux, enfin.

Je découvrais une pièce vaguement familière, à mon chevet se trouvait un petit garçon au teint halé et cheveux blanc. Sans un bruit il m’observait, me fixait. Il me vit me redresser et me gratifia d’un sourire. Je sentais mon dos perlé de sueur. L’atmosphère de la pièce était chaude, rougeoyante. Une femme, une dornienne, accompagnée d’une fille tenant un un bébé entrèrent à leur tour. Un large sourire affiché sur leur visage. C’est cette femme, ma femme, qui prit la parole en premier. Une voix que je pouvais reconnaître entre mille, entre millions. Si douce, si épicée, si intense. « Aegon, j’espère que tu n’as pas réveiller ton père. Il revient d’un long trajet. Désolée. » dit-elle en s’adressant à moi. On aurait dit un ange descendu du ciel. Depuis combien de temps ne nous étions-nous pas vus ?  Deux lunes ? Non trois. « Mais papa m’avait dit à mon retour qu’il m’emmènerait voir son dragon. » Je passais ma tête sur la tête de mon fils, ébouriffant ce qu’il n’appréciait pas trop, me rappelant que je lui avais fait cette promesse après être partie plusieurs mois en mission. « Il ne m’a pas réveillé, ne t’en fais pas. Je suis heureux de tous vous voir. » Toi, Ashara notre fille aînée qui avait tes traits, Aegon dont le côté valyrien semblait prédominer, et nos deux jeunes jumeaux Allyria et Belandra qui semblaient avoir hérité autant de Lancehélion que de Peyredragon. Et j’observais ton ventre. « Nous ne t’attendions pas aussitôt. Nous avions entendu que la campagne menée en Essos pour libérer les cités du Nouvel Empire Valyrien s’était bien déroulée cependant je pensais que tu serais retournés à Fort-Darion.» « J’ai exceptionnellement demandé à l’impératrice une permission pour venir vous voir plus tôt. » Je la serrais dans mes bras. « Tu ne repars pas Papa. » « Je vais devoir malheureusement, mais je reviendrai vite. Et puis ce sera bientôt l’occasion pour tout le monde de montait dans la capitale pour voir vos cousins. » J’avais voulu débarquer par surprise hier, mais comme un imbécile, la fatigue avait pris le dessus et je m’étais endormi. Ridicule n’est-ce pas ?

Ma fille grandissait bien, et vite. Déjà la décennie passait. Je regrettais de ne pas avoir passé plus de temps avec elle à cause des nécessités de la guerre mais si c’était pour lui offrir un avenir meilleur. Un jour, à son tour, elle sera princesse de Dorne dans une Westeros pacifiée, sans menace venant de l’autre côté du Détroit ou par-delà le Mur. Si elle n’était pas en train de tenir ses deux jeunes sœurs dans ses bras, je l’aurais aussi serré dans mes bras. Déjà se montrait-elle maternelle et à bien des égards, on pouvait la considérer plus mature que ses deux parents. Le jeune prince me secoua la manche. Les traits de son visage ressemblaient aux miens et ses cheveux étaient ceux des valyriens d’ordinaire pur sang. Une preuve que je descendais bien de ce dernier, malgré ces yeux noisettes. Peut-être sera-t-il le conquérant que son oncle n’a jamais été. D’ici quelques années il devra rejoindre la capitale, et s’il apprécie tant les dragons, peut-être parviendra-t- il à se faire accepter par l’un d’entre eux. J’ai fait préparer un banquet pour ton retour. Toute la famille sera présente. Je crois que tu vas faire des émules et qu’Arianne va avoir quelques questions à te poser.» Je la regarde interloqué. Tu verras bien. » Haussement d’épaules. Je les vois partir devant m’invitant à les suivre dans les dédales du Vieux Palais. Combien de fois m’étais-je perdue dans ce dernier ?

Soudainement, quelque chose claudiquait. Un froid soudain, intense et puissant s’éprit de moi. Suffisamment pour que je me sentes grelotter. Figer sur place alors pourtant que je continuais de marcher, je voyais cette famille, ma famille, s’éloignait sans rien pouvoir faire. Ma gorge serrée, était bien incapable d’émettre le moindre son. Faisant tous les efforts du monde pour échapper à cette étreinte, j’étais impuissant, une nouvelle fois. Et soudain, de nouveau, un hurlement, provoqué par une vive douleur au niveau de mon bras droit, un supplice si grand qu’il me fit tomber dans la neige. A terre, entouré de cadavres et des plaintes des corps chauds attendant désespérément leur fin. Des flocons tombaient du ciel alors que les troupes du Hoare massacraient nos hommes. Impossible de me relever, vidée de toute force. Je ne pouvais qu’observer mes camarades tomber les uns après les autres dans un déluge de vermeil que l’ivoirine neige sublimait. Puis sans crier gare, le décor changea soudainement.

La terre avait laissé place à l’eau puissamment balayée par les zéphyrs, impossible de maintenir la tête plus de quelques secondes hors de l’eau. Un déluge continue à la surface. Je suffoquais, et cet instant était limpide comme de l’eau roche. Cette réminiscence… lâchant prise ballotté de toutes parts au gré des fracas des vagues qui se brisaient sur les roches noirâtres de la côte. Un défi stupide à relever, une outrecuidance manquant d’être emportée par les flots de l’indomptable mer… Rien n’était visible. Cette obscurité terrifiante avait quelque chose d’agréable… et même de chaleureux. Puis une main, la tienne. Avant un tonitruant réveil sur une plage humide avant de retomber. Une douleur intense au niveau de l’abdomen.

Puis le réveil, brutal.