Les dernières semaines ont été rudes pour les deux lynx. La tension au sein de la Porte Sanglante a été très rude pour leurs nerfs, et ils ont été extrêmement agités. Autant dire, le voyage jusqu’à la Capitale impériale a été tout, sauf agréable. Ils ont grogné, ils ont pleuré, ils ont gémi. Si l’idée qu’ils trainent au cœur de la cité de la Maison Braenaryon dans un tel état ne me plaît guère, j’ai sincèrement manqué de courage de les séparer dès maintenant et abandonner l’un – pour quelques jours – au milieu de soldats valois.

En effet, j’ai décidé qu’un lynx restera aux côtés d’Ysilia. Je veux que l’une de ces belles et nobles créatures devienne la plus féroce des défenseurs de la Reine et, surtout, de l’enfant qu’elle porte – qu’importe que ce soit un Prince, ou une Princesse. Je crains que ma capitulation, ou les décisions du Grand Septon à mon encontre, nourrissent des pensées rebelles au cœur de mes terres. Dans ces situations-là, j’ai plus confiance en l’animal qu’en l’homme. Et je refuse de perdre encore une épouse – et un enfant.  

Je profite d’un instant d’accalmie entre les festivités et toutes ces obligations en tant que Roi fédéré pour passer du temps avec ces deux beautés. Elles doivent sentir que la séparation est proche car, plus que jamais, frère et sœur sont complices et impossibles à séparer. Ça va être un crève-cœur le moment venu et, surtout, j’espère que le Maitre Chenil ou moi-même n’allons pas perdre un doigt dans l’affaire. Malgré tous nos efforts pour les dresser, ils n’en restent pas moins imprévisibles et sauvages.

Ils s’éclipsent subitement de ma vue, refusant de se plier à ce nouvel ordre que je leur enseigne depuis deux semaines. Je grogne et je m’élance sur la piste de ces chenapans. Le Maitre Chenil est là, ainsi que deux hommes de la Garde-Faucon. Ces derniers rient bien sous cape en voyant leur jeune souverain s’engouffrer dans des buissons et autres comme un gamin pour retrouver deux bêtes agiles et maîtres dans l’art du camouflage.

Je les appelle par leur prénom. Cendre et Chance.
Je claque de la langue deux fois, un code pour leur ordonner de revenir vers moi.
Je n’obtiens rien.

Par contre, j’entends les cris d’une demoiselle au loin. Mon sang se glace presqu’aussitôt. Les lynx ne sont pas encore violents mais, à nouveau, qu’en sais-je ! Aucun Arryn n’a eu de Lynx avant moi ! Personne n’a répertorié quoi que ce soit sur « comment élever deux lynx de fumés ». Je cours, comme une flèche, pour tomber sur une scène étrange mais rassurante : une femme encore intacte, mais apeurée, et deux bestioles préoccupées par leur repas de fortune.

Dois-je les punir ou non ? Très difficile à dire. Ils grandissent à vue d’œil et, un jour ou l’autre, je ne pourrais pas les saisir par la nuque, les soulever et les gronder. Soit je manquerai de force, soit j’y perdrai un bras. Je dois trouver un autre moyen de leur inculquer la discipline. Alors, exceptionnellement, je fais impasse à cette transgression de nos règles, préférant davantage me concentrer sur la dame.

- Ma Dame, ils ne vous feront rien, n’ayez crainte ! , dis-je au loin pour calmer l’inconnue et lui permettre de retrouver son équilibre sans plus tarder. Plus je m’approche et plus je reconnais son visage. Je m’approche de cette dernière, et lui tends ma main.  Permettez-moi de vous aider ? demandais-je, quoique incertain. Je m’excuse sincèrement si mes lynx vous ont effrayé. Ils sont encore bien petits, du moins pour leur race. Ils sont vite excités par un rien, mais assez inoffensifs, dis-je, d’un ton sûr.

La vérité est que je n’en sais strictement rien. Mais je ne l’avouerai pas.  

L’un des gardes s’est également approché pour apporter son aide.

Et naturellement, c'est sans compter sur l'un des lynx qui s'excite ... et qui s'élance vers moi.

Spoiler:

- Je suis certain qu’ils sont inoffensifs, assurais-je toujours, tentant d’insuffler toute l’assurance nécessaire dans ma voix pour calmer la demoiselle.

Si je ne connais pas encore toutes les capacités des Lynx, je sais qu’ils réagissent vivement à tout agitation. Autant dire, l’attitude de la blondinette n’aide pas à calmer ces félins. Ils voient là un jeu, ou un défi. Splash. Ah !, une dame à l’eau. Couic. Brr !, une bête qui sursaute suite aux éclaboussures d’eau. Là, la sentence tombe. Je sors ma plus grosse voix envers Cendre et Chance, leur imposant de ne plus bouger. Le male se soumet, la femelle se montre plus téméraire préférant monter sur la branche d’un arbre et m’offrir son arrière-train. Bien, il faudra cueillir un chat géant au bout d’un petit arbre. Il ne manquait plus que ça !

Un rire résonne, arrachant quelques discrets sourires à mes gardes. La demoiselle est rouge, de honte ou d’ivresse, je ne saurais pas dire. Elle veut que je sourie mais j’ai un grand mal. Les événements de ces derniers mois ont jeté aux oubliettes toute capacité à apprécier et à partager un instant de joie et de bonheur ou à rire aux éclats. Chaque geste, chaque parole, chaque décision a eu de trop lourdes conséquences sur bien aspect de ma vie – et, à plus large spectre, mon Royaume. Le poison de la crainte s’est répandu jusqu’à mon ménage avec Ysilia.

- Je suis fort désolé mais je ne serais pas votre meilleur compagnon dans le jeu du rire. On m’a toujours décrit comme une personne trop sérieuse, dis-je, préférant taire les véritables raisons sur ces on-dit. La demoiselle s’extirpe de l’eau, tentant de faire sa référence. Ser, donnez votre capte à la dame, ordonnais-je. J’ose espérer qu’une cape portant le blason de ma Maison ne vous gene pas, Dame Daena, ajoutais-je, me demandant sincèrement si le Prince est aussi horripilant avec ses sujets – ou juste envers toute personne portant mes couleurs. Vous avez été meilleure danseuse que moi, je puis vous l’assurer. Dame Vaella a lourdement souffert de ma maladresse, notamment avec la danse introduite par sa Majesté l’Impératrice.

Je n’ai jamais été aussi mauvais de toute mon existence sur une piste de danse. Je reculais lorsqu’il fallait avancer, j’allais à droite lorsque j’étais attendu à gauche. Bref, j’avais opté pour la fin de ce massacre, préférant échanger quelques mots avec la demoiselle avant de m’éclipser et retrouver ma seule et véritable amie dans toute cette assemblée – et tout le continent, je crois : Ysilia.

- Vous n’avez pas à vous excuser. La faute est mienne, pour vous avoir surpris et effrayé avec mes Lynx.

Entre temps, du coin de l’œil, je vois leur dresseur s’approcher. L’homme sait comment éduquer les bêtes les plus récalcitrantes du Val, mais il a une profonde peur – et respect – des lynx. S’il sait se faire obéir, c’est jusqu’à une certaine limite. Je l’interpelle.

- Je vous prie de les surveiller jusqu’à ce que je reviens. Si Chance s’endort sur sa branche, Cendre la suivra sans tarder, constatais-je, lançant un regard critique à la plus impétueuse du lot. Elle sera une bonne protectrice pour mon épouse, et notre enfant à venir, pendant mon absence. La bête a une belle hargne, faisant aucune concession.

Alors, je me retourne vers Daena.

- Permettez-moi de marcher quelques pas avec vous. C’est le moins que je puisse faire, dis-je, tentant de me souvenir de toutes ces leçons de chevaleries ou de galanteries que mon père m’a tenté de m’inculquer. Les leçons sont aussi troubles que ma mémoire. Je me fie, aussitôt, aux bons conseils de Lord Graffton.

Je me retiens fortement de faire référence au Prince Régent Orys et son manque de tact ou de respect vis-à-vis du Val et de la Montagne. Les Festivités ont largement confirmé toutes mes craintes vis-à-vis de cette nouvelle alliance. Je n’aurais jamais la confiance de ces souverains fédérés, je serais toujours un fichu tourne-casaque ayant échoué à faire une guerre et ayant tenu la jambe de l’Empire bien inutilement. Je réprime toutes ces pensées amères naturellement. Je les réserve à mon épouse. Si certains voient là de la cruauté, un esprit avisé arrivera à une tout autre conclusion, celle de la confiance et de la communication entre deux époux. Je n’inflige pas cette mauvaise humeur de bon gré à Ysilia, au contraire ! Je m’agace ! Malheureusement, pour elle, je n’ai pas d’autres interlocuteurs auprès de qui m’épancher de tout ce qui me pèse !

- Je suis alors honoré qu’une dame détenant de telles qualités porte, quelques minutes, les couleurs de ma Maison dans ce cas-ci, conclus-je, prenant toutes les précautions nécessaires pour que rien ne soit mal interprété par elle, par mes propres gardes et, surtout, par tout curieux qui pourraient entendre mais ne pas voir – et vice-versa.

Je tiens autant à l’honneur de la dame, que celle de ma propre épouse. J’ai promis que je serais fidèle, tant qu’elle m’accepte toujours comme son époux et qu’elle est tout autant fidèle à ses vœux de mariage. Malgré tous les défauts qu’on m’attribue, je reste autant loyal que je le peux à ma parole. J’ai tourné le dos à mes anciens alliés des Puissances Centrales car, avant tout chose, la parole donnée à ces derniers allait à l’encontre de la parole donnée, en premier lieu, à mon propre royaume. En honorant mes engagements en tant que royaume indépendant, je risquais d’enfoncer les miens comme l’Orage ou comme la Principauté. Or, je m’y refuse. Je préfère être un Roi faible, qu’un Roi glorieux mais ayant privé les siens d’armée, de flotte et de trésorerie !

- Les lynx sont encore petits. Lorsqu’ils auront atteint leur taille adulte, je dois trouver un moyen de les garder à mes côtés sans effrayer tous mes interlocuteurs, dis-je, ne sachant pas vraiment si je la rassure ou non. J’ai cru, naïvement, que leurs présences n’importuneraient personne. Peyredragon ou l’Empire sont, aujourd’hui, des terres d’un dragon imposant comme Meraxès, indiquais-je, cachant encore difficilement toute mon admiration vis-à-vis de ces créatures et malgré le passif avec le Val.

Pour autant, le Roi prend vite le pas sur l’Enfant, et la méfiance vient vite teinter toutes ces divagations.

- Je dois avouer que le temps m’ait compté pour une quelconque visite. Je suis assez sollicité pour l’intégration du Val au sein des Royaumes Fédérés, dis-je, tentant au mieux de cacher toute l’amertume de ma défaite. Cependant, si mon épouse n’a pas fait de promesses en notre nom, nous serons ravis de partager un repas avec vous et votre époux, indiquais-je, comme alternative.

Je ne sais pas exactement si Ysilia appréciera que j’écourte davantage ces instants passés seuls avec des étrangers. Malheureusement, les rois et les reines sont souvent demandés et sont rarement seuls. C’est un devoir. Ce mot résonne au plus profond de moi, me rassurant aussitôt sur l’attitude future de la brunette : elle se pliera, car elle sait ce que ce mot implique précisément.

- Je n’ai jamais quitté mon Royaume jusqu’à aujourd’hui. Naturellement, tous ces paysages sont extrêmement nouveaux pour moi, commençais-je. Les Eyrié et la Porte Sanglante sont les deux résidences de la Maison Arryn, et sont situés sur les montagnes de la Lune. Nous sommes en hauteur et il n’est pas rare que quelques visiteurs peu habitués à de telles altitudes suffoquent ou manquent de souffles s’ils font trop d’efforts, dis-je avec un petit sourire amusé. Je reprends vite mon sérieux. Par contre, nous avons des vallées très fertiles et riches. Le paysage est plus similaire aux environs de la capitale impériale. Goëville est l’une des villes principales du Royaume, et vous avez peut-être eu l’occasion de la visiter lors du conclave, ajoutais-je. Je ne suis pas habitué de ne pas avoir tout un royaume sous mes pieds, littéralement. Mais je suis tout aussi étonné de marcher sur autant de terrains sans être pris sur des sentiers montagneux assez tortueux ou étroits. Je me tais quelques secondes, réfléchissant à nos us et nos coutumes. Je ne saurais pas vous répondre vis-à-vis des coutumes, Dame Daena. Je n’ai nulle comparaison. Je suis donc persuadé que bien de nos fêtes et de nos manières sont similaires ailleurs. Cependant, je pense que l’histoire du royaume peut vous guider sur cette question. Le Val partage quelques points communs avec le Nord, notamment la présence de maisons priant les Anciens Dieux et non les Sept et, jadis, quelques terres du Conflans appartenaient à mes ancêtres. Je suppose, donc, que nous avons eu quelques influences de nos voisins mais je ne saurais pas vous dire jusqu’où, confessais-je. Est-ce que vous avez visité d’autres royaumes, par hasard ? Au moins, vous pourriez me raconter Peyredragon.

Je n’ai nulle curiosité du royaume de ce fichu Prince Régent, mais je ne peux pas reporter ma colère envers son sujet. Je me dois de faire impasse de ces querelles stupides, et ne pas malmener une dame qui n’a rien fait de mal – et qui est l’une des rares à être franchement et sincèrement agréable à mon égard.

Les lynx de fumée sont également connus au sein du Val et de la Montagne, mais peu ose rêver les approcher – ou les dompter. Créatures sauvages, monstrueuses et sanguinaires, de nombreux braves sont tombés sous leurs crocs. Si j’ai l’honneur d’accueillir deux nobles mais effrayantes bêtes au sein de ma Maison, je sais que je ne suis pas un propriétaire ou un maitre. Plus les félins grandissent, plus cette évidence me frappe. Soit je suis leur égal, soit je suis leur guide : la faiblesse ou la tyrannie ne sont pas permises. J’évite d’en toucher un mot, évidemment. D’une part, je ne veux pas effrayer davantage une femme déjà bien trempée et confuse. D’autre part, je ne souhaite pas trop révéler de mes propres incertitudes à quiconque – et surtout à des étrangers.

- Mon épouse est toujours friande de nouvelles amies, commentais-je le plus aimablement possible, ne relevant pas ce mot ennemi. Elle ne l’a pas dit pour me blesser et elle a tenté de l’inclure dans une phrase amicale. Pour autant, le mot reste fort et ravive l’affront que j’ai eu à essuyer la veille et devant tout le monde. Effectivement, une femme ne peut pas se confier totalement à un homme. Pour ma part, j’espère que le mariage a davantage brisé de barrières entre elle et moi. Nous étions des amis d’enfance, avant d’être mariés, expliquais-je calmement, ne pouvant pas m’empêcher de repenser à ce passé.

Jusqu’à la nuit de noce, je n’ai jamais considéré Ysilia autrement qu’une excellente amie et lointaine parente. J’ai été aveugle à ses charmes, à ses douceurs et à ses traits d’esprit. J’ai été sourd à tous ces compliments que les femmes ou les hommes de mon entourage faisaient à son égard. Aujourd’hui, je me rends bien compte de mon erreur et une pointe de jalousie me pique lorsque je revois ces figures masculines qui avaient tant vanté les beautés de la dame. Pourtant, je ne dis rien, je ne commente pas, car je n’en ai pas le droit encore. Elle mérite plus, et je suis encore bien incapable de tout offrir de ma personne. Le fantôme de Nymeria flotte encore, gâchant quelques joies, empêchant quelques émotions d’éclore pleinement. Je n’irais pas à dire qu’elle a tous les droits d’avoir un amant, mais je ne suis pas égoïste au point de faire preuve d’une jalousie excessive ou ridicule. Elle a droit d’être encensée et complimentée par tous et toutes.

- Voilà que je suis curieuse de connaitre le nombre de ces marches, et si elles valent en nombre les marches qui mènent aux hautes tours des Eyrié, la questionnais-je, mais plus avec humour que sérieux.

Je ne ferais pas une telle demande incongrue même si, sincèrement, je suis curieux. Je me surprends à redevenir ce Prince Héritier courant derrière des bêtises ou des idiots, étudiant les choses les plus inutiles mais ô combien drôles.

- Vous soignez, Dame Daeny ? Le domaine de la médecine, ou tout ce qui s’y rapporte, n’est pas aisé. Il faut avoir une excellente mémoire pour se souvenir des plantes, de leurs vertus mais également de leurs dangers. Enfin, cette tache exige une dévotion et une bravoure considérable. Les blessés viennent rarement à vous, vous devez vous rendre à leur chevet soit dans des zones dangereuses. Au milieu de ce chaos, vous avez à les assister, soufflais-je, me rappelant encore la bataille à la Porte Sanglante menée par mon père. Vous etes bien courageuses.

Les corps mutilés des vivants comme des morts, les cris et les pleurs des proches ou des soldats …

Je ne dis rien sur les difficultés inhérentes à épouser son amie d’enfance – et cousine par la même occasion. Tant par pudeur que par désir de protéger autant que possible le peu d’intimité qu’Ysi et moi avons. Nous nous connaissons, effectivement, mais nous gardons encore des habitudes acceptables entre amis, mais extrêmement handicapantes – voire insensibles – au sein d’un couple. Il faut trouver de nouveaux repères. En somme, un long et ardu travail qui nous attend. Les Sept savent, il ne sera pas aisé !

Des difficultés supplémentaires s’ajoutent à cette tache si simple d’apparence. La guerre et la capitulation m’obligent à m’éloigner de mes terres et, surtout, d’une épouse enceinte. Les fantômes du passé continuent à nous hanter, mettant de l’eau dans nos vins. Les courtisans avisés ou malavisés ne manquent jamais d’apporter leurs propres conseils à un Roi et à une Reine, rafistolant ou étiolant le lien royal. Enfin, il y a nos caractères respectifs : nos qualités et nos défauts rentrent en collision sur quelques sujets – comme d’autres naturellement.  

- Je connais bien des hommes qui préfèrent se briser une jambe ou un bras pour ne pas se rendre à un champ de bataille, ou quitter cette bataille, Dame Daena. Sans armure, sans épée, vous vous y rendez malgré tout. Sans assurance ou garantie de votre sécurité ou de votre avenir, vous parcourez toutes ces distances pour apporter un peu de douceurs à des hommes amputés, en peine, voire délirant. Ne soyez pas trop modeste. S’il est important de connaitre ses faiblesses pour s’améliorer toujours, il est tout aussi primordial de reconnaitre ses forces et obtenir son due. Celui-ci peut être la reconnaissance, les compliments, l’or ou que sais-je, lui dis-je, mêlant un ton ferme mais compatissant également.

Un Roi est constamment critiqué, rarement complimenté. Pourtant, nous continuons à porter cette Couronne. Pourquoi ? Certains, par devoir envers son peuple. D’autres, par amour de la gloire et du pouvoir. Toujours est-il qu’on apprend bien vite à se complaire d’un mot doux et à ignorer dix mots acerbes. Là, le Souverain prend une direction. Il continue à vivre, sans s’ajouter des peines et des complaintes. A l’inverse, il ploie sous tout ce poids, se rajoutant défauts et erreurs. Jadis, je faisais partie de cette catégorie – et peut-être, le suis-je encore. Aujourd’hui, je tente de rejoindre la première catégorie.

Je n’ai rien à perdre, j’ai tout à gagner, me répétais-je, comme une prière ou une promesse. Je pense à cet enfant qui grandit dans le ventre d’Ysi, à ce Royaume qui se divise à cause de cette guerre qui traine. Je veux construire quelque chose de beau pour les futurs valois et surtout pour nos enfants, avais-je dit à Ysi. Je le pense vraiment. Si je dois commettre les pires horreurs et être traité de monstre, de traitre, de félon ou que sais-je par tous et par l’Histoire, qu’il en soit ainsi ! Je paierai ce prix, si j’ai la garantie ou l’assurance que mes enfants auront un règne plus doux.

Malgré moi, je m’arrête. Je fixe de longues secondes cette dame, ne sachant pas quoi lui répondre. Finalement, je détourne mon regard, lui offrant du répit.

- Mon père, feu Roi Jehan, était un noble chevalier. Il m’a toujours appris que nous devons traiter les dames avec grande courtoisie et attention, que nous ne devons jamais les attrister. A l’inverse, ma mère, la Reine Mère Sharra, m’a fait comprendre qu’une femme est forte. Si elle rêve de chevalier, de beau mariage, de paix, elle n’est pas moins capable de supporter la vérité cruelle. Je ne vais pas vous mentir, Dame Daena. Vous avez été l’une des rares de votre patrie à avoir été agréable avec moi. Vous méritez ma sincérité, et non un mensonge courtois, finis-je par dire. Il y a autant d’idées que d’hommes et de femmes au sein du Westeros. Les conflits seront constants. A certaines époques, ils seront mortels, longs et monumentaux, comme aujourd’hui. A d’autres époques, ils seront plus localisés et menés avec des armes différentes. Je vous énonce là une vérité universelle, et ce n’est pas ce qu’il vous intéresse, n’est-ce pas ? , finis-je par dire, soupirant lourdement. J’ai perdu la guerre contre l’Empire. Je vous conseille de ne pas vous fier entièrement à mon avis. Il peut être biaisé, faussé. Mais, si nous abattons les Puissances Centrales, il y aura de nombreuses difficultés à venir comme la reconstruction de l’Orage, la définition de nouvelles frontières, et la maitrise de maisons rebelles qui n’apprécieront pas de perdre. A l’inverse, si nous n’abattons par les Puissances Centrales ou que le conflit se stabilise, alors certains frontières seront constamment source de tensions.

J’hausse les épaules.

- Cependant, il est peut être temps de penser autrement. Mon épouse critique souvent mon défaitisme. Elle aime souligner les nouvelles opportunités et les amitiés qui naissent de chaque conflit. Il y a du mal, oui, mais il y a du bien. De grands hommes ou femmes s’élèvent, d’autres découvrent de nouveaux talents dans des circonstances inattendues. Par exemple, vous, sans guerre, auriez-vous été capable d’être aussi assidue à votre tâche de soignante ? Peut-être que vous n’en aurez pas eu l’occasion, et qu’on vous aurait forcé à mener une existence tout autre, plus détestable, ou plus agréable … Le Val, avec cette guerre perdue, s’est allié à ses voisins. Il se peut que nous ayons formé là une future grande, solide et terrible alliance, assurant une paix à nos terres et à celles de nos alliés.

Comprend-elle ?

Je ne sais pas si l’Empereur m’accorde véritablement sa confiance. Il est, avant tout, contraint de se s’entendre avec moi. L’Orage est en peine, le Conflans saigne douloureusement, la Principauté est isolée parmi toutes ces forces en place et le Nord continue à sacrifier quantité d’hommes et de navires. Il est obligé d’aller batailler auprès de ses autres alliés : il n’a nullement le temps de me contraindre davantage, ou que sais-je.

De mon côté, bon gré, mal gré, je reconnais la parole du Vieux Loup. Il s’est engagé vis-à-vis de mon Royaume et de ma lignée, et tiendra sa parole jusqu’à son dernier souffle ou, tant que les Valois maintiennent leurs propres engagements. Malheureusement, les dernières annonces du Grand Septon, déclarant mon jeune frère comme seul et légitime Souverain du Val et de la Montagne, rajoute de la complexité à la situation.

L’Empereur et moi-même sommes dans un équilibre bien fragile. Nous n’avons guère d’autres choix que de compter sur la parole et la foi de l’autre et oublier ou taire les rancœurs passées. Il y a bien trop en jeu tant pour lui que pour moi pour que nous nous attardons sur des événements résolus et terminés depuis de nombreuses lunes.

- Mes enfants et les futures générations valoises ne connaitront que le modèle de l’Empire et de la Fédération. Ils y adhéreront naturellement, j’en suis persuadé, dis-je, cachant mon amertume sur cet état de fait, de soumission et de perte d’indépendance.

J’y ai mis fin par ma bêtise et mon incompétence. Je ne pipe pas un mot sur la paix actuelle, tant les enjeux sont encore troubles et l’avenir bien flou. Serais-je encore un Roi dans quelques mois ? Aurais-je encore une tête sur les épaules ? Est-ce que des frères se retourneront contre d’autres frères, parce que le Grand Septon insistera encore et encore sur mon hérésie ou sur la légitimité de Jonos ? Je n’en sais strictement rien. Je prends mes précautions, mais les Sept en décideront.

- Je ne dirais pas davantage. Je pense que j’ai déjà apporté quelques ombres à votre journée ensoleillée, soufflais-je, offrant un sourire courtois et amical. Les Lions se sont moqués de moi et ils ne vont pas tarder à supporter les propos du Grand Septon. Je dois les abattre soit avec mes armées, soit en apportant un soutien différemment aux armées nordiennes et riveraines. La stabilité et la paix du Val sont en danger tant que la Maison Lannister est confortable dans son Roc, indiquais-je, préférant ne rien dévoiler davantage. Les discussions et les préparatifs sont encore en cours. Malgré moi, mes traits se tordent douloureusement pour quelques secondes. J’exècre d’en être venu à haïr les terres de ma première épouse, de celle que j’ai aimé plus que tout. Cependant, je crois que mon épouse restera quelques jours. Elle ne rechignera pas à une compagnie. Elle est d’une compagnie agréable et joyeuse, dis-je avec franchise. J’aime me dire que là où je suis la nuit, elle est la lune.

Nous arrivons à destination. Je me plie aux usages de la cour, la salue avec un geste discret.

- Nos chemins se séparent ici, Dame Daena. Nous nous croiserons à un repas, ou alors dans quelques mois, lorsque l’Empire et les Royaumes Fédérés seront victorieux, soufflais-je, sachant pertinemment que je promets une chimère. L’Empire et ses alliés peuvent autant gagner, que perdre. Rien n’est sûr. Sachez que ce fut un plaisir d’échanger avec vous, à nouveau. Je suis ravi de vous avoir rencontré.

Après quelques nouvelles banalités, je m’éclipse avec la Garde Faucon.