Les festivités étaient passées désormais et la cité avait l'air d'avoir retrouvé son calme. C'était même assez étrange que tout soit aussi silencieux. Et j'errais un peu comme une âme en peine, cherchant vainement à trouver le sommeil, sans toutefois y parvenir. Les insomnies sont de plus en plus nombreuses et de moins en moins espacées dans le temps. Et dire que je repars pour le Conflans pour continuer de mener à bien cette mission qu'on m'avait confiée. J'appréhendais un peu. Pas tant de devoir convaincre des gens de se rallier à l'Empire, mais c'était autre chose. Et si au final je ne réussissais pas ? Et puis je m'étais aussi mise en tête de rencontrer le roi Lyham, c'était plus que nécessaire d'ailleurs. Tout cela tournait en boucle dans ma tête et je m'endormais généralement tard, presque au moment où l'aube pointait le bout de son nez, pour ne dormir qu'une poignée d'heures. Alors généralement, quand je ne trouvais pas les bras de Morphée, je m'aérais la tête. Les remparts étaient toujours ma destination de choix. Je traverse les couloirs, ne rencontrant que peu de personnes au vu de l'heure avancée. La nuit était tombée depuis quelques heures déjà et j'enviais ceux qui dormaient à poings fermés. Je m'arrête un moment pour observer le ciel étoilé, beauté absolue à laquelle je ne comprenais pas grand-chose. On racontait mille et une histoires à leurs propos, mais personne ne connait la vérité. Les cieux sont pleins de mystères.

Et soudainement, il me semble entendre du bruit et surtout des cris. De loin, mais je souris. Visiblement la paix ne règne pas dans toutes les chambres ce soir. Bien entendu, je me suis déjà disputé avec Yoren bien à l'abri des regards, mais jamais rien qui ne soit aussi bruyant. Nous étions un couple royal, nos disputes ne regardaient que nous et l'un comme l'autre l'avions compris. Et puis, il faut dire aussi que nous avions pas mal d'arrangements. Disons plutôt que je fermais les yeux sur certaines choses pour rendre les choses plus simples. J'eus un sourire assez triste en me rendant compte que malgré tout, malgré le fait que j'ai rallié cet Empire qu'il haïssait tant, je l'aimais toujours et qu'il me manquait. Il n'était pas parfait, mais c'était mon époux. Et alors que je reprenais mon chemin, je vois un homme arrivé vers moi quelque peu débraillé et je reconnais le mari de ma cousine. Lord Whent. Mais il n'est pas dans son état normal et alors qu'il passe à côté de moi sans me voir, j'entends des mots comme "folle" ou encore "hystérique" et un truc à propos du mariage mais je n'en saisis pas le sens.

Je fronce les sourcils et décide de changer mon chemin habituel pour voir si elle va bien. Juste par acquis de conscience. Je me doute bien qu'elle ne voudra pas me voir et je l'avais bien compris, mais j'avais l'impression que quelque chose de pas normal venait d'arriver. Et puis c'était ma cousine après tout. Je soupire, prête à encaisser ce qu'elle pourra me dire si le coeur lui en dit. Et j'arrive rapidement près de la porte entrouverte et j'entends qu'elle est toujours à l'intérieur. Est-ce que j'ouvre pour savoir comment elle va où je passe mon chemin ? Je regarde autour de moi, pour voir si quelqu'un arriverait, alarmé par le vacarme, mais rien. Les couloirs restent déserts et silencieux. Alors, je prends sur moi et je pousse la porte, pour la trouver debout, prise de tremblement, en plein milieu d'une pièce dévastée. Des traces de sang aussi sur le sol. " Oranne ?" Que dire ? Que j'avais vu son mari dans les couloirs ? Lui demander si ça allait, alors qu'il était évident que non ? Pourtant, je vois qu'elle est peu vêtue, alors je prends l'initiative de rentrer dans cette pièce qui était la sienne et du regard, je cherche quelque chose pour la couvrir. Inutile que tout le monde la voit dans un tel état de colère et en pleurs. Toujours en étant sur mes gardes, comme si j'approchais un animal sauvage dont les réactions étaient imprévisibles, je pose le vêtement sur ses épaules, sans rien dire.

Dès lors qu'elle remarque ma présence, je sens l'animosité qui l'anime reprendre de plus belle. Je sais bien que je lui avais dit que je la laisserais tranquille, mais je ne pouvais décemment pas la laisser dans cet état et passer mon chemin, faisant comme si de rien n'était. Je ne pouvais tout simplement pas, alors même si je sais que ma présence ne lui fera pas plaisir, je prends quand même le risque d'avancer dans cette chambre dévastée pour poser quelque chose sur ses épaules. Si j'avais un tant soit peut abandonner l'idée qu'un jour on puisse de nouveau s'adresser la parole sans me prendre une vague de mépris au visage, pour l'heure, ce n'était pas du tout ce qui m'intéressait. C'était une figure importante de ce royaume et visiblement elle avait un époux vraiment pas à la hauteur de ce qu'elle pourrait prétendre. Je hausse juste les épaules quand je sens toute la violence qu'elle éprouve en un seul mot. Je suis prête à y faire face, une fois de plus. " Oui moi." Que dire de plus de toute façon. Elle s'éloigne de moi et je prends soudainement conscience, qu'espérer quelque chose, qu'espérer qu'un jour on puisse se réconcilier était assez vain. Le fossé entre nous était bien trop profond. Cette réalité me frappe de plein fouet et je ferme les yeux, inspirant doucement. Il n'y avait vraiment rien à faire, à part sans doute accepter quelque chose que je me refusais pourtant de faire. Pas sans me battre, mais là, je réalise que ça serait en vain. Et ça me fait mal, parce qu'elle restait tout de même de ma famille. Mais si c'était ce qu'elle voulait...

Mon regard se porte sur la pièce dévastée par ses soins visiblement. Vases brisés par terre, objet du quotidien jeté sans doute sous l'effet de la colère. Ce n'était pas une scène agréable à voir et je comprends alors que son mari avait sans doute, dû avoir le geste de trop ou le mot de trop. Vu dans l'état dans lequel je l'avais croisé dans le couloir, l'un et l'autre sont probables. Je ne le connaissais pas vraiment, juste de nom. Et c'était bien assez vu ce que j'avais sous les yeux. Il y avait aussi quelques traces de sang et mon regard se pose sur la silhouette de ma cousine pour voir qu'elle saignait du pied, mais je ne lui adresse pas un mot et le silence commence à devenir oppressant. Jusqu'à ce qu'elle s'adresse de nouveau à moi. Je secoue légèrement la tête. Je reprends sur un ton plus froid que je ne l'aurais voulu, mais je comprenais bien que tout autre sentiment était vain. " Vous pensez réellement que je serais encore là si la situation me réjouissait ? Vraiment ?" Elle ne sait pas ce que je pense, elle ne sait pas quel combat intérieur je mène en ce qui la concerne, entre le désir de persévérer et l'envie d'abandonner ce combat qui visiblement ne sert à rien. " A quel point êtes vous aigrie pour penser que les gens sont contre vous Dame Whent ?" Je l'ai vue en plusieurs occasions, cette froideur qu'elle porte comme un masque, cette impassibilité qui peut en effrayer plus d'un...

" Vous saignez ma Dame, souhaitez vous que j'appelle quelqu'un ?" Dans une autre réalité, un autre temps, je l'aurais fait moi même, mais là, je ne sais pas ce qui m'attends si j'ose la toucher une fois de plus. En attendant une réponse de sa part, quelle qu'elle soit, je ramasse les morceaux de verres qui sont à mes pieds, histoire qu'elle ne se blesse pas plus qu'elle ne l'étais déjà et aussi pour m'occuper les mains. Et aussi pour ranger un tant soit peu ce bazar si quelqu'un devait arriver pour lui venir en aide, par exemple. Les apparences sont importantes et je sais qu'elle y tient.

La froideur qui se fait sentir n'est que le résultat de cette incompréhension qui règne entre nous et surtout aussi du fait qu'elle se comporte de la sorte avec moi tout en ayant conscience de cela. Ce n'était pas ce que je ressentais, je n'avais jamais été quelqu'un de froid, Je suis tout l'inverse. Lorsque je me mets en colère, c'est comme un immense brasier qui rase tout sur son passage, mais qui ne couve pas longtemps. Je m'énerve facilement mais me calme rapidement. La rancoeur, c'est autre chose. Elle m'en veut pour quelque chose que je ne saisis que partiellement. Oui j'ai épousé un Hoare, oui j'ai aimé Yoren contre toute attente, mais je ne me blâme pas pour cela. Et elle n'avait aucun droit de le faire. Je hausse un sourcil, quand elle ajoute que je ne sais rien. Effectivement, mais si elle me parlait peut-être que je pourrais finalement le faire, mais c'est peine perdue, je le comprends bien désormais. Et dans la foulée, elle m'interdit d'appeler quelqu'un pour l'aider et je secoue légèrement la tête. Comment pouvait on être aussi obstiné et aussi butée à la fois ? Ce n'était pas le souvenir que j'avais gardé d'elle toutes ces années.  

Alors que je ramassais les bouts de verre sur le sol pour qu'elle ne se blesse pas plus, le silence s'installe pendant qu'elle s'occupait de sa blessure, mais je sentais que c'était une situation tendue, elle ruminait quelque chose, c'était certain, mais quoi ? Et je me redresse lorsqu'elle affirme ne pas avoir oublié. Je la fixe, sans vraiment comprendre où elle voulait en venir. Oublier quoi ? L'union que l'on m'avait imposée, alors que j'avais réussi à faire annuler les premières fiançailles avec succès ? Le fait que je sois devenue reine et pas elle ? Où est-ce qu'elle voulait en venir ? Je n'avais jamais voulu devenir une souveraine, ce n'est pas comme ça que j'avais imaginé ma vie, mais j'avais fait avec, acceptant ce que cela me rapportait et me coûtait à la fois. Mais elle reprend la parole et je sens la colère montée. Elle accepte ma présence juste parce que je suis utile pour l'Empire et ça je voulais bien l'accepter, mais la suite de ces mots me fit grincer des dents. " Alors c'est ça le problème à vos yeux ? L'homme que j'ai aimé ?" Je n'arrivais même pas à y croire. " On ne choisit pas de qui on tombe amoureuse Lady Whent, mais il est vrai que votre situation est des plus enviable à ce niveau." Je suis mauvaise sans doute. Certes,  Yoren n'était pas le meilleur époux au monde, pas le plus fidèle, pas le plus gentil des hommes. Je savais parfaitement ce qu'il faisait, mais je n'avais pas non plus fermer les yeux sur ses exactions. Nous avions eu de nombreuses disputes à ce sujet, mais elle ne pouvait pas le savoir. " Yoren n'était pas parfait. Il était certes l'ennemi de l'Empire et de bien d'autres personnes, mais il m'aimait malgré tout." Je pose les morceaux de verres sur un meuble parce que je me rendais compte que cette colère m'avait fais serrer mon emprise et que je commençais moi aussi à saigner. " Vous ne savez pas tout, alors ne me juger pas sur un choix qui n'était pas le mien. J'ai accepté la situation, c'est vrai, mais votre colère je ne la mérite pas."

Je souffle légèrement afin de me calmer. Je ne voulais pas me disputer avec elle, pas ce soir, mais si c'était le seul moyen pour que les mots sortent alors je pouvais bien courir le risque de tout perdre, puisque de son point de vue à elle, il n'y avait plus rien à sauver. " Ne vous en faites pas, je ne resterais pas à Fort Darion encore longtemps. Je pars pour le Conflans avec le prochain convoi. Ma présence ne vous sera plus imposé avant un très long moment." Je ne savais même pas si j'allais revenir. J'avais beaucoup de choses à faire là-bas après tout. Mais elle devait certainement être un peu au courant. Et si elle ne l'était pas ce n'était pas mon problème.

Au final tout ça n'était qu'une question de sentiment ? Le fait que j'ai aimé sincèrement quelqu'un qu'elle détestait pouvait il a lui seul expliquer toute cette froideur ? Non, mais c'était déjà un début de réponse. Mais pas suffisant pour autant. Est-ce que je devais insister plus encore ? Je n'en savais rien. Est-ce qu'elle n'avait donc jamais été amoureuse ? A en croire ce que je voyais et ce qu'elle sous-entendait, la réponse était non. Serais-ce de la jalousie alors ? Non plus. Oui j'avais aimé Yoren et rien de tout ce qu'il avait bien pu faire ne pouvait entaché cet amour que je lui avais porté. Quand bien même je savais en partie ce qu'il faisait quand je n'étais pas avec lui. Mais ce qui était arrivé à ma cousine était un secret de polichinelle bien gardé et je ne suis même pas sûre que ma mère soit au courant de ce qui s'était passé au sein de sa propre famille. Je voulais tellement la comprendre mais elle ne me donnait aucune clef, aucun indice que je pourrais essayer de comprendre. Rien à part la froideur, l'indifférence et la colère. " Cela n'explique pas tout Lady Whent." Yoren avait eu beaucoup d'ennemis et c'est ce qui a fini par cause sa perte et la mienne en quelques sortes.

Elle alla s'asseoir sur son lit et je la regarde faire. Rien de ce que je pourrais dire ou faire ne trouvera grâce à ses yeux et je ne savais plus quoi faire. L'attaquer sur son mariage malheureux n'était sans doute pas la meilleure chose à faire, mais c'était tellement flagrant qu'elle n'était pas heureuse que j'en venais réellement à me demander depuis quand elle ne l'était plus. L'optimiste que j'étais parfois, espérait sincèrement qu'elle arriverait a se débarrasser de cette haine qui semblait la consumer à petit feu. Pourtant, quand elle reprend la parole, je l'écoute avec attention. " Alors expliquez moi s'il y a des choses que j'ignore ! Dites le moi ! Au lieu de vivre perpétuellement dans cette haine tenace qui vous ronge à petit feu." Cela sonnait comme une supplique, mais qui je le savais, allait rester sans réponse, comme tout le reste. Les hommes de Yoren n'étaient pas des tendres, je le savais parfaitement. Que lui ont-ils fait de si abominable pour qu'elle réagisse de la sorte ?

Je regarde ma main qui saigne toujours et serre le poing alors que je venais de lui dire que je partais dans les jours à venir. Je retournais sur mes terres, celles qui autrefois nous avaient connus si complices, si proches, qui avaient vu nos pleurs et entendu nos éclats de rire. La guerre se déroulait sur mes terres et je ne pouvais pas rester sans réagir. Mais elle n'eut aucune réaction, comme si cela l'indifférait au plus haut point. Qu'importe au final. C'était la dernière fois que l'on se voyait avant très longtemps. Peut-être que la prochaine fois se déroulera sous de meilleurs auspices. Elle ne décrochait plus un mot. Je n'étais donc plus la bienvenue dans cette chambre. " Pensez a soignez vos blessures." Et moi la mienne à la main par la même occasions. Je pose une dernière fois le regard vers elle et me tourne vers la porte. " Au revoir Lady Whent. Portez vous bien." Parce que je ne lui voulais pas de mal malgré tout. Mais nos chemins se séparaient encore une fois et peut-être de manière définitive cette fois.