Alliance ne veut pas dire amitié et sympathie. Les divagations du Conseil du Faucon, de la Reine Mère ou de ma personne ont couté à l’Empire et aux Royaumes Fédérés – lourdement ou non, je ne saurais pas le dire exactement. Je ne pense pas me tromper en assurant que nous ne pouvons pas être amis aujourd’hui – voire jamais. Je ne sais pas ce que l’avenir me réserve, mais j’ai autant de chance de rester comme le Roi félon et traitre à sa parole, ou celui qui retrouve ses lettres de noblesse !

Par contre, alliance est synonyme de courtoisie et de politesse. Torrhen Braenaryon et ses forces m’ont battu honorablement, sans faire usage de poisons, assassinats ou que sais-je. Si la sympathie n’est pas au rendez-vous à son égard, le respect est là. Alors, je me plie aux usages habituels entre deux souverains – ou du moins, ce dont je me souviens. Depuis le conclave de Goeville, et sauf erreur de ma part, nul étranger n’a mis les pieds sur les terres valoises. Nous avons été occupés à nous quereller, ou à déclarer la guerre aux voisins.

- La distance est la seconde problématique. La Reine Mère pourrait avoir des difficultés à rejoindre un Royaume allié ou à remonter jusqu’à Fort Darion sans être capturée.

Est-ce que Mère sait que sa capture ne pourra rien changer à mes décisions ? Est-ce qu’elle devine que sa capture me coutera grandement, humainement ? Prend-t-elle toutes les précautions nécessaires ? J’espère que oui. A défaut, qu’elle tire convenablement son épingle du jeu car je suis pied et poing lié pour lui apporter une quelconque assistance.

- Initialement, l’objectif du Roi Manfred était de menacer le Trident sérieusement. J’ai manqué à son appel, en mettant en jeu qu’une partie de l’armée et non la totalité, dis-je sans mesure. Je n’ai plus d’intérêt à mentir. Les lettres ont été copiées et données à Torrhen – ou vont l’être. Par contre, je ne sais pas s’il maintiendra une telle stratégie suite à ma capitulation, à l’enlisement de l’Ouest à Vivesaigues et à l’absence de réponse du Sel et du Roc. Je ne sais pas s’il a été sincère, ou s’il m’a menti, mais ses lettres sous-entendaient qu’il n’était pas plus au courant des manigances de l’Ouest ou des projets des Fer-nés.

L’absence de communication a été l’une des raisons de ma défaite, en plus de ma passivité. L’Ouest m’a vendu quelques illusions pour me conforter dans l’idée d’entrer dans cette guerre. Les Lions ont davantage brillé à nouer des alliances sur le dos de ses alliés massacrés et brulés vifs ou de ses alliés à l’agonie que pour ses prouesses militaires. Le Bief jouit d’une force navale et militaire conséquente, mais qu’il concentre intelligemment et non en l’éparpillant. Je dois m’assurer que je ne renouvelle pas ces stupides erreurs avec ces nouvelles alliances : le Nord, Peyredragon et l’Empire m’offrent des solutions plus concrètes, en contrepartie.

- Si la communication est le point faible entre ces puissances, nous devons profiter de la confusion liée à la capitulation du Val. Vous avez donc assez raison qu’il faut frapper sans tarder. Du moins, cette idée est applicable à la Maison Lannister. Auriez-vous quelques conseils à me donner sur la façon la plus intelligente d’ordonner ou de faire usage de mes armées ? Et dois-je me méfier spécifiquement des armées de l’Ouest ?

Une autre erreur a été la méconnaissance de la réelle force – et faiblesse – de mes soldats, ou encore de celle des ennemis. Quel général ferais-je si je lance mes hommes dans des combats ou ils n’ont aucune chance, parce qu’ils ne sont pas faits pour un tel terrain – ou de tels adversaires ?

Je ne peux pas m’empêcher de fixer les terres de l’Orage.

- Pensez-vous que vous pourrez sauver l’Orage ? A travers les lettres du Roi Manfred, j’ai cru comprendre que les forces de la Reine Argella sont éparpillées, défaites les unes après les autres.

Je sais parfaitement que je suis l’une des raisons de cette situation. En forçant l’Empire à couvrir un nouveau front, je l’ai obligé à abandonner temporairement un front tendu par deux longues années de guerre. Est-ce déplacé de ma part de questionner l’Empereur ? J’aurais bien vite ma réponse !

Je ne peux rien faire pour protéger la Reine Mère, si ce n’est prier les Sept pour un bon voyage et espérer que les hommes qui l’accompagnent sauront la protéger convenablement. Si elle tombe entre les mains du Bief ou de l’Ouest, alors il ne sera qu’une question de temps avant que la situation s’envenime tant pour elle que pour moi. Il m’en coûte de l’avouer, mais je ne peux plus sacrifier le Royaume par faiblesse de cœur. Quelles que soient les menaces qui pèseront sur elle – implicites, ou explicites –, et qu’importe ses lettres ou ses cris, j’aurais à être aveugle et sourd. Cette simple pensée m’arrache un haut-le-cœur considérable, arrachant un soubresaut à ce petit corps.



Je me tais, attendant que le verdict tombe. Mes méthodes seront différentes des Rois Fédérés. Ils sont rompus au combat et sont guidés par un code honorable. Pour ma part, j’ai davantage été plongé dans les intrigues complexes ou alambiquées de la cour valoise. Je ne me contenterai donc pas de faire tournoyer une lame – je ne le pourrais pas même si je le désirais. J’ai appris, par la force des choses, que nous gagnons davantage à semer un trouble bien conséquent parmi les rangs ennemis par mille et une méthodes, qu’à se confronter à ces derniers avec honneur et frontalement.

- A la lumière de ce long monologue, et du passé commun entre nos deux Royaumes, je vous laisse énoncer mes forces et mes faiblesses selon votre vision, votre Majesté. Si je ne veux pas tomber trop vite, je dois savoir ce que je dois corriger ou mettre en avant. Et si je veux avoir une chance au sein d'apporter ma pierre au sein de l’Empire et des Royaumes Fédérés, faites-moi savoir quelles sont les méthodes acceptées ou interdites pour être victorieux de nos ennemis, demandais-je de but en blanc.

C’est aujourd’hui, ou jamais, que je pourrais avoir une réponse à ces questions franches – quoique gênantes. Je ne doute pas que, quelles que soient les paroles de l’Empereur – cruelle, horrible ou intéressante –, elles apporteront un éclairage nouveau. Je sais que je suis jeune, et que j’ai beaucoup à apprendre. Et je sais aussi que l’apprentissage est rarement agréable.

Est-ce le moment de vous juger, alors que j’en sais encore si peu de vous ?

Le Vieux Loup a gagné, le jeune Faucon a perdu. Là où l’homme accumule une nouvelle victoire, j’ai droit à un nouveau revers et échec. Entre les conflits avec le Conseil du Faucon, la rébellion de Lord Rougefort, ma retraite stupide, la proclamation de la Loi sur la Tolérance et cette guerre perdue, je suis encore bien étonné d’avoir encore une tête sur les épaules et une couronne entre les mains ! Je tente de me montrer sûr et décidé face à ce peuple, à cette épouse et à ce conseiller mais la vérité est toute autre. J’ai l’impression que l’Etranger n’est pas trop loin, se riant de mes échappatoires constantes à son entrave – ou plutôt jouant sur mes nerfs, mes jours, mes nuits et mes rêves !

Le doute est grand. Est-ce que je vais réussir à mener des troupes après tant d’échecs ? Est-ce que je vais pouvoir leur insuffler suffisamment de confiance ? Est-ce que l’armée va se mutiner contre le faible roi que je suis, avant une bataille imminente ? Est-ce que le Grand Septon va rajouter son gros grain de sel ? Là où Peyredragon ou Nord ne sont pas inquiétés par les appels incessants de la Croisade, mon pays – comme d’autres – se divise constamment.

La vérité est que j’ai peu d’espoir que je reviendrai au sein du Val. Je n’espère plus grand-chose pour mon propre honneur – il vient d’être piétiné par mes bons soins – mais je dois garantir l’avenir de cet enfant qui grandit dans le ventre d’Ysilia. Prince, Princesse, qu’importe ! Je veux que ce nouveau faucon admire le Val du haut des Eyriés, soit accueilli convenablement dans toutes les Cours alliées et surtout protégé tant par les Valois que par ces mêmes alliés contre des ennemis étrangers ou de Westeros. Le futur a largement pris le pas sur tout désir égoïste ou enfantin de vengeance ou de rancune. Si ma colère est encore trop grande envers les Lions, elle ne m’aveugle pas.

J’écoute pour garantir cet avenir au mieux de mes capacités.

Demi-mesure. Prudence excessive. Attaque et défense.
Je me note que je ne dois plus faire cette épreuve.

Vite. Fort. Sans retenue.
Je me note ces trois mots.

Bannière commune de l’Empire.
Je ne dis pas un mot, mais je n’en pense pas moins. Je l’ai perdu, totalement et définitivement, cette indépendance. Je ne suis plus que Roi de nom, quoi qu’il dise, quoi que l’Impératrice assure, quoi que les Souverains Fédérés jurent …

- Les événements qui nous ont mené à cette table sont suffisants pour que je vous demande quelques conseils. Et ils sont bien précieux, je vous l’assure. Il se peut que nous n’aurons pas de telles occasions dans le futur, ou qu’il faudra attendre encore deux ans avant d’être face-à-face à nouveau, répondis-je calmement. Je prendrais bien garde de ne pas commettre ces mêmes erreurs lorsque je me rendrais au Conflans, indiquais-je. Je vais changer de sujet, et vous consulter sur la Constitution. Je veux être certain d’avoir saisi chaque élément. S’il y a bien une chose que je ne veux pas commettre, c’est un impaire à cet accord.

Je veux bien m’assurer d’avoir compris cette Constitution. Entre le Conseil du Faucon, la Reine Mère et moi, le Val souffre largement d’une réputation de girouettes. Il va être dur, mais non impossible, de prouver que ce n’est pas le cas de la majorité des Valois, portés sur l’honneur plus que tout.

- L’article 5 concernant les finances et la diplomatie m’interpellent. « L’Empire peut toutefois faire voter des dispositions contraignant les Royaumes qui n’entretiendraient pas de saines finances, permettant d’engranger en temps de paix des excédents budgétaires. L’Empire peut légiférer sur l’organisation de la production et du commerce à l’échelle internationale. » Par cet article, je comprends donc que l’Empire aura accès à nos dépenses et à nos gains en tout temps et en toute heure ?, demandais-je, sans animosité mais davantage de lassitude. Pour la diplomatie, si je comprends bien, toute alliance, entente, toute mise en place d’ambassade ou conflit hors de mes frontières doit être soumis au Collège Impérial. Rien ne sera ratifié, décidé ou signé sans avoir obtenu le chorum nécessaire ?

L’explication donnée par l’Empereur sur cet article 5 me convient. Il y a une cohérence et logique dans son discours. Pourtant, je n’en reste pas moins tatillon et méfiant. Il y a toujours un fossé entre la théorie et la pratique. Par crainte de briser ce fragile équilibre qui se met en place, je me contente simplement d’acquiescer. A quelques occasions, le silence est la meilleure réponse à offrir.

Il y a autant d’avantage que de désavantage dans cette affaire. Un Royaume peut s’élever en saisissant des opportunités uniques, et rapidement. Le collège impérial est une procédure administrative assez gênante. La décision pourrait trainer en longueur, ce profit pourrait être réattribué à un autre Royaume – et miné bien des efforts du Royaume initiateur –, ou une coalition peut être formée pour mettre des bâtons dans les roues de ce même Royaume initiateur si les rancunes de la guerre sont importantes. Mon raisonnement peut être enfantin mais il est dû principalement sur ma méconnaissance totale des différents souverains qui composent l’Empire. Si je connais plus ou moins l’Empereur et l’Impératrice et vaguement le Roi du Nord, je ne sais rien du Prince Régent, du Roi du Conflans, de la Reine de l’Orage ou de la Princesse Rebelle.

- Je vais bientôt me rendre dans le Conflans afin de prêter main forte aux armées présentes. Si j’ai déjà pu échanger avec votre fils par le passé, et j’ai pu deviner son caractère, je ne connais rien du Roi Lyham Tully. Que pouvez-vous me dire à son sujet ?

Je me rends sur ses terres. Il serait bon ton que je sache quel sera l’accueil. Je préfère prévenir que guérir sur place. Si l’homme a un caractère très belliqueux, alors je le rencontrerai seul et sans témoin gênant. Ainsi, s’il vient à être insultant, je pourrais gérer l’affaire dans l’intimité royale et non avoir à en faire une stupide affaire diplomatique. Si le Souverain est très porté sur le protocole, je prendrais mon mal en patience malgré l’urgence de la guerre et m’appliquerais au mieux. S’il a un caractère raisonnable, alors je pourrais immédiatement traiter des affaires de la guerre et ne pas perdre le temps en quelques roueries et galipettes diplomatiques.  Bref, qui est-il, ce Roi que je vais aider pour les semaines, mois voire années à venir ?

- A-t-il des griefs particuliers, autre que d’avoir été un ancien ennemi, envers la Maison Arryn ou le Val dont je dois être tenu au courant en amont ?

Le conseil du Faucon et la Reine Sharra ont fait et défait tant d’ententes, entretenu et déçu tant d’espoirs, que je ne suis plus surpris lorsqu’on m’accuse d’actes passés auxquels je n’avais aucune voix, pourtant. Loin de rejeter la faute sur les véritables coupables, je fais face et j’essaye de composer au mieux. L’affaire n’est pas facile et, à de multiples reprises, la rage de l’injustice me gagne. Or, je ne peux pas me permettre de déminer davantage ces fichus conseillers ou causer davantage de mal à ma mère. Les premiers ont perdu tout droit décisionnel depuis ma prise de pouvoir définitif, et total. La seconde a déjà bien subi par ma faute, je n’ai pas le cœur de la condamner plus qu’elle ne l’est déjà.

- Si vous acceptez, nous pouvons sortir et profiter pour inspecter mon armée. Vous devez déjà bien la connaitre, mais votre avis sur une organisation et utilisation efficace des forces de mes hommes m’intéresse. Mon père est mort trop jeune, et mes Mestres sont surtout des hommes de lettres. J’ai besoin qu’un homme comme vous pour m’offrir un éclairage tout nouveau.

On toque à la porte et le maitre chenil se présente. L’homme a un rôle modeste, mais il s’est vite hissé au rang d’homme important. Il est celui qui prend soin des lynx lorsque je suis trop occupé par quelques affaires. Il m’a prodigué bien des conseils pour tenter de maitriser ces créatures sauvages de nature, dont notamment être constamment cette main qui nourrit. Les bêtes entrent, et le dresseur s’éclipse aussitôt. Tranquillement, je me dirige vers une étagère un peu plus loin, ouvre une boite, récupère quelques lamelles de viandes séchées et les tend aux créatures. Voraces, elles s’en saisissent et s’isolent presqu’aussitôt dans un coin pour apprécier pleinement leurs mets du jour.

Il faut qu’ils apprennent la chasse, bientôt.
Les paroles du dresseur me reviennent en mémoire.

Je vous déconseille de les séparer.
Avait-il dit. Mais il faudra. Un lynx pour moi, un lynx pour Ysilia et notre enfant à naitre.