J’ai pris mes précautions, en amont de cette prétendue capture.

Robyn m’accompagnera. D’origine bieffoise et n’ayant aucun lien avec moi - si ce n’est une affaire de contrat et d’or -, je sais que ses émotions n’influenceront pas son jugement et que son sang-froid me sera utile pour nous sortir d’un quelconque guet-apens. Baldyr et Léliana sont mes garanties « externes ». Abandonnés dans un village des environs encore debout et pas trop menacé, ils ont l’instruction d’y rester que deux nuits puis de partir vers Fort-Darion, avec ou sans nous. Là-bas, ils seront libres d’agir ou non pour savoir si Robyn et moi vivons toujours ou non, si nous sommes libres ou prisonniers.  

Enfin, je me suis préparée au mieux, malgré les circonstances. Qu’importe que nous rencontrons un allié, un ennemi, un inconnu, un amant, il faut toujours être présentable. Alors, j’ai serré les dents dans les eaux froides et glaciales d’une rivière, me frottant furieusement jusqu’à rougir la peau, et j’ai déballé la seule tenue propre que j’ai porté avec moi durant ce long voyage. Mon seul bijou est celui offert par mon père : un collier en or dont le médaillon porte le symbole de la maison Martell et dont une face est gravée de cinq noms - Nymor, Arianne, Deria, Anders, Roward.

Ainsi, ce que les Bieffois trouvent n’est pas une Dornienne fatiguée et sale d’un long voyage mais une Dame soignée et plus ou moins fraîche. Et ils ne tardent pas à m’emmener près d’une tente qui se distingue des autres par sa grandeur, auprès d’un homme que je ne reconnais pas. Pourtant, au vu de la garde qui l’entoure, je devine vite son identité. Mes gardiens confirment mes doutes, en le désignant par « votre Majesté ». Aussitôt, je m’incline et le salue. Je ne relève ni la tête, ni les yeux, jusqu’à ce qu’il m’invite à parler. Feu Princesse Meria avait tenu à m’enseigner autant que possible tous les protocoles des cours étrangères connues. Elle aimait dire qu’avec mon minois, je pourrais être une messagère agréable à ces Souverains étrangers … Voyons voir, si elle avait raison, ou tort.

- Toutes les dames soignent les maux des hommes, votre Majesté. Certaines exigent monnaies trébuchantes, certaines souhaitent des titres, certaines rêvent de cœur et de sentiment, répondis-je, nullement insultée par les sous-entendus de cet homme.

Au vu de cette situation particulière, je lui offre le bénéfice du doute. En effet, qu’est-ce que je fais donc ici si ce n’est pas pour jouer une femme de camps ?

- Mais je ne suis aucune de ces femmes, aujourd’hui. Je vous ai écrit pour obtenir une audience afin de discuter des affaires dorniennes. Malgré que je n’ai pas décliné mon identité, vous avez été magnanime et avez cédé à ma requête. Il aurait été préférable que nous nous entretenions au sein de votre domaine royal, mais cette campagne que vous menez avec brio et pour laquelle on vous attribue déjà la victoire, vous occupe. J’ai donc eu à suivre votre trace, patiemment et avec l’aide et la protection d’un homme, et malgré tous les dangers que je risque pour un tel périple.

Je profite de cette longue explication, dite d’un ton calme, pour inscrire les traits de cet homme dans un recoin de ma mémoire. Il n’est pas bien solide, mais sans être malingre et fragile. S’il n’est pas l’homme le plus séduisant que j’ai rencontré, je ne doute pas de son succès auprès des dames, voire des hommes sensibles aux charmes de leur propre sexe. Comme tous ces souverains que j’ai croisé, ayant discuté ou non avec, lors du conclave de Goeville, le Roi Manfred dégage cet aura propre aux hommes de pouvoir, imposant naturellement le respect, la discipline et l’obéissance. Au final, Roi auto-proclamé ou Roi de naissance, il semble qu’il n’y a nulle différence.  

- Malheureusement, depuis ma première lettre, la Principauté a changé drastiquement de visages. Je n’ai eu veut de ces terribles nouvelles qu’à ma dernière étape. Là, j’ai été bien gênée, votre Majesté. Est-ce pertinent, encore, de vous déranger pour une affaire qui n’existe plus ? Est-ce une insulte à votre égard en ignorant une invitation que vous avez accepté ? Pendant que je m’interrogeais, vos hommes me sont tombés dessus. Il semble que les Sept ont décidé pour moi, ou pour nous.

On dit que le Roi Manfred est très pieux. Alors, j’use de ces rumeurs et de ces faits autant que possible. Arianne Martell, née Sand, n’a que peu d’importance aux yeux des grands de ce monde - et d’avantage depuis la mort de Deria - et donc peu ou personne ne sait véritablement ma Foi. Alors, je peux mentir et jouer à ce sujet-ci pour m’attirer quelques faveurs ou sympathies de mon interlocuteur. Les hommes ont toujours tendance à être plus tendres et plus compréhensibles envers leurs pairs qu’envers ceux qui critiquent ou combattent leur croyance chérie.

- Votre Majesté, si vous désirez toujours m’entendre et avant que je ne continue, puis-je vous demander une nouvelle faveur ? Je souhaite que nous continuons l’entretien seuls, là où nous serons pas entendus. Comme nous vivons des temps bien étranges et dangereuses, il est opportun que je vous jure que je ne suis pas un danger pour vous ou quiconque. Je ne sais pas porter une épée ou un bouclier, je suis davantage un danger pour moi-même que pour autrui si on me remet une dague entre les mains , je n’aurais pas la folie de glisser quoi que ce soit dans votre boisson ou vos mets et l’épée que j’ai loué pour me protéger est un Bieffois : il a plus de respect et de loyauté envers vous, qu’envers mon or.

Je me tais, je baisse la tête, et j’attends humblement la décision. Allait-il me condamner à un terrible sort, ou allait-il me donner une chance ?  Non loin, j’entends les ricanements de certains hommes d’armes. Ils partagent donc un même avis sur ma personne. Ils m’ont suffisamment lorgné, pour deviner que cette tenue légère à la mode dornienne ne peut rien dissimuler de tranchant, et dévoile même quelques formes. Avec une fausse pudeur, j’enroule ma cape autour de moi et glisse un regard gêné de circonstance à ces idiots.

En plus de louer mon joli minois, Feu Princesse Meria aimait dire qu’il vaut mieux que je sois bête qu’intelligente avec une telle beauté. Tentons de suivre les conseils de cette femme avisée, et jouons à la pauvre ingénue perdue aux milieux des loups. Voyons ce que je vais en tirer, car, en vérité, je ne sais pas moi-même ce que je fais ici.

Le sourire gourmand, ou le léger frémissement au niveau de la mâchoire du Roi, n’échappent pas à mon attention. Je lui plais, j’en suis persuadée. Jadis, la précieuse fille que j’étais aurait été extrêmement fière, voire vaniteuse, d’être l’objet des désirs d’un homme puissant et influent. Aujourd’hui, mon âme est celle d’une vieille femme et les expériences passées avec les hommes m’ont rendu naturellement plus méfiantes. J’en ai connu suffisamment pour savoir que toutes les apparences sont bien trompeuses. Les personnes les plus hideuses peuvent avoir les personnalités les plus adorables. L’inverse se vérifie également. En parallèle, la laideur d’un homme peut être la manifestation physique de sa mauvaise hygiène de vie ou de ses tares de caractère. En somme, il est impossible de le deviner immédiatement.

Malgré moi, je repense à l’un des précieux conseils de ma tendre mère. Elle m’avait prévenu que mes frères et ma sœur ne me protègeront pas, et que j’allais faire de mauvaises rencontres et avoir de terribles expériences. Inlassablement, elle a répété ses leçons de vie, celles tirées tout droit d’un bordel même. Elle a assuré que les femmes comme nous – c’est-à-dire sans nom, sans un sang noble, sans influence, sans armée – seront toujours malmenées par les hommes. Elle a juré que nous n’obtiendrons jamais justice, car ce monde a été façonné par des Rois et des Princes sourds à la souffrance des femmes et non par des Reines et des Princesses partageant nos peines et nos faiblesses. Elle a affirmé que je n’aurais que trois choix face aux hommes, qu’ils soient bons ou non. Soit je dois jouer avec et avoir le dessus par l’esprit et le cœur – si je suis maligne, ils me mangeront au creux de la main. Soit je dois fuir, en profitant que nous sommes souvent invisible et facilement confondues avec d’autres. Soit je dois supporter et subir ce mauvais sort, en silence. Elle a insisté, à plusieurs reprises, qu’il est inutile d’attaquer ou de se défendre : nous perdrons toujours.

Et j’ai suivi ses précieux conseils toute ma vie. Avec Yoren, j’ai pu avoir le dessus. Avec d’autres, un peu moins. Qu’en est-il de cet homme qui me fait face ? Sera-t-il aisé à berner ou suis-je tombée dans un quelconque piège ? Je sais que la fuite n’est plus une option. Comment puis-je m’éclipser discrètement d’un ost royal sur des terres étrangères où je détonne ?

- Les routes sont dangereuses en temps de paix, et bien pire en temps de guerre. En prime, le continent a une bien piètre opinion de mes gens. Je n’aurais pas pu faire ce trajet-ci sans l’aide d’une épée louée, dis-je en saupoudrant mon ton d’un soupçon de détresse.

Je remarque bien la disparition subite et soudaine des gardes du Roi. Je devine aisément la raison – ils vont aller chercher le fameux chaperon. Je me retiens habilement de sourire ou d’afficher une quelconque mine victorieuse. N’ayant aucune affinité particulière avec Ser Ashford – et lui-même n’ayant guère davantage de sympathie à mon égard –, nous n’avons pas à nous inquiéter l’un pour l’autre. Je n’espère pas qu’il reste si la situation est périlleuse pour lui. Au final, sa seule mission était de m’amener auprès du Roi, saine et sauve. Et il l’avait accompli avec brio. Il ne s’offusquerait pas si je viens à être otage ou à être insultée – un peu comme plus tôt – et agir spontanément.

- Je suis flattée, votre Majesté, si ma présence apporte un peu de réconfort à votre journée, répondis-je avec une modestie feinte. Je le suis dans la tente. Si mon pas est sûr, je n’en reste pas moins craintive au plus profond de mon être. Il me pose la question, celle que je redoute même. Qui suis-je, et qu’est-ce que je lui veux ?

J’inspire, et je parle.

- Je suis Arianne Martell, née Sand, première enfant mais illégitime de feu Prince Nymor Martell, dis-je. Malgré moi, ma langue fourche sur mon propre prénom. Je ne sais pas à quand remonte la dernière fois que je l’ai entendu ou prononcé. Je désirais vous rencontrer et, enfin, établir une véritable relation amicale entre nos deux Maisons. Malheureusement, durant mon trajet, j’ai eu quelques nouvelles.

Je ne dis plus rien, incapable de continuer davantage. J’aurais voulu feinter l’indifférence mais je n’en suis pas capable. Cela tombe bien, car j’attends tout bonnement que le Roi prenne sa décision. Va-t-il m’écouter ? Va-t-il me congédier ? Va-t-il faire de moi sa prisonnière ?

Advienne que pourra.

J’ai vu cette lueur d’intérêt au fond de ses prunelles à l’instant où j’ai révélé mon identité. Je ne sais pas exactement ce que je représente au vu des décisions passées de ma soeur, ou encore la sombre réputation associée à la Maison Martell, mais qu’importe ! Je l’apprendrai bien assez tôt, ou tard si jamais le Roi Manfred est avare de mots - ou amoureux des jeux d’esprit. Quelle que soit ma valeur, elle est suffisante pour que l’homme daigne à supporter ma présence - mais insuffisante pour qu’il m’offre un accueil extrêmement chaleureux.

Je ne me dégonfle pas. Feu Princesse Meria m’envoyait, souvent, en pourparlers auprès de nobles ou bourgeois extrêmement rétifs, critiques, vulgaires ou insultants. Mon rôle était inconfortable à bien des reprises. J’avais à supporter les caprices, les lubies, les fantasmes, les colères ou les condescendances des uns et des autres, jongler entre courtoisie et exquis jeu de mot, trouver un juste milieu entre les réclamations des contestataires et les compromis ténus que la Couronne était prête à faire. Pourquoi moi, et non un autre noble ou messager ? Il est plus aisé d’obtenir un dédommagement pour avoir insulté une batarde, qu’une personnalité royale - ou noble. Enfin, ma grand mère aimait dire que mon jolie minois est un atout à lui seul.

Cependant, je dois avouer qu’il n’a jamais été question de rencontrer un Roi et discuter sur des sujets qui n’existent plus. Qu’est-ce que cet homme qui me fait face peut bien vouloir, alors qu’il détient déjà tout ? Enfin, plus important, qu’est-ce que moi-même je souhaite lui soutirer - ou que je peux lui arracher ? Je réfléchis à toutes ces questions, pendant qu’il énonce les évidences, tournoyant autour de moi tel un prédateur.

Apatride. En effet, je suis sans royaume à cet instant-ci. Ma ville natale est sous blocus - du moins, c’est ce que j’ai ouïe dire aux dernières nouvelles. Ma ville d’adoption est sous domination des Dragons de l’Est. Pourtant, je ne me sens pas orpheline en raison de l’absence de maison. Je l’ai senti lorsqu’on m’a arraché un frère et une soeur, en ne me laissant plus qu’un dernier - le plus jeune, le plus hargneux. Pour le sauver, je brûlerai toute la Principauté, voire tout Westeros si j’en avais seulement le pouvoir. La famille, ou plutôt ceux que j’aime et que je sais qu’ils m’aiment, m’importe bien plus que le destin d’une poignée de terres sablonneuses ou rocaillleuses.

Bâtarde. Un sourire amusé s’étire sur mes lèvres. Je me sens bien plus à mon aise en étant appelée ou désignée comme Sand, ou Lady Arianne ou Dame Arianne, que comme Lady Martell ou Dame Martell - avec cette éternelle confusion des titres de Princesse. Gamine illégitime, je ne porte plus le poids d’une lignée : je suis, ni plus, ni moins, qu’une obscure demoiselle dont les plus stupides et les plus crédules pensent qu’ils peuvent manipuler ou abuser. Et c’est dans ces ténèbres même où je me sens à mon aise pour aider les miens. J’arrache lorsque les hommes se détendent à mes côtés, pensant voir qu’une fleur exotique délicate et naïve et sans défense. Voilà des faiblesses que j’essaie de transformer en opportunité.

Enfin ! Manfred encense son ascendance militaire sur la Principauté de Dorne. J’aime à penser qu’il n’est pas question de narcissisme ou d’un besoin viscéral et dérangeant d’asseoir à nouveau son ascendant. Je me permets de croire que nous engageons véritablement une discussion sérieuse, où chacun cherchera à percer la carapace de l’autre tantôt en poussant à bout, tantôt en se montrant mielleux. Les questions à se poser sont nombreuses. Qu’est-ce que je dois dissimuler ou révéler ? Comment puis-je tromper ou me jouer de ce parfait inconnu ? Lui-même, quelles sont ses plus grandes qualités mais, également, ses plus grands défauts ? Ai-je à feindre une soumission complète et totale, ou est-il plus avisé de me hisser jusqu’à oser être son égal ?

- Votre Majesté, avec justesse, vous avez souligné ma condition. Je suis née d’une union illégitime, de Feu Prince Nymor et d’une femme du peuple sans nom et sans richesse. J’ai été légitimée bien trop récemment, et sans aucun droit à la Couronne ou ce qu’il en reste. Vous pouvez donc m’appeler Dame Arianne, commençais-je, le ton calme et maîtrisé et le regard sûr et déterminé.

Je n’ai nulle honte à être appelée Sand. La vérité est que je n’ai jamais véritablement mérité le droit de porter le nom Martell. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai été vaincue, brisée et marquée. Evidemment, je sais très bien toutes les conséquences du dépouillement d’un tel nom, face à un homme que je juge dangereux à son regard et à son souffle. Jadis, j’étais bien naïve. Aujourd’hui, l’expérience m’a assez forgé pour juger ce sexe opposé avec une certaine clairvoyance. Suis-je apeurée ? Non. Je n’ai plus que ma misérable vie à perdre, et elle ne m’importe guère à cet instant-ci. Est-ce une fatalité ? Je ne saurais le dire. D’une part, j’ai la sensation d’outrepasser des règles ou des limites et d’être envahie par l’euphorie d’une aventure nouvelle. D’autre part, le souffle de la Mort me chatouille le creux du cou comme celui du Roi Manfred, me ramenant bien vite à la rude et funeste réalité, ravivant toutes mes peines et mes douleurs. A cet instant, je veux tout jouer. Si j’ai à m’éteindre, autant le faire avec un certain panache - autant que je peux, dans ces circonstances. Si j’ai à vivre, autant retirer le meilleur de cette rencontre - et non le pire.

- Je désirais vous rencontrer car, précisément, vous avez été le bourreau de la Principauté de Dorne. Vous, mieux que quiconque, aurez pu m’éclairer sur la situation de ma famille vis-à-vis de la rébellion dirigée par Dame Mahée Allyrion. A partir de là, j’espérais vous aider à faire entendre raison aux miens sur les manœuvres à accomplir, et garder la Couronne. Je ne doute pas que vous devez suivre la situation de près. Après tout, vous avez été couronnés dans les Montagnes Rouges. Ces terres conquises ont apporté un lustre important à votre réputation et à la légitimité de votre réclamation. Que se passera-t-il lorsqu’elles seront sous le joug de la Rebelle, ou plutôt de l’Empire que vous combattez déjà de nombreux mois ?

Je ne critique pas le passé, me contenant simplement de paraphraser l’homme en d’autres termes. Je ne mens pas également sur mes intentions initiales. D’une certaine façon, je veux lui montrer - ou plutôt j’aurais voulu lui prouver - que je suis différente de ma fratrie. Deria, Roward ou Anders sont pétri d’orgueil, acceptant difficilement les défaites ou les vexations passées. A l’inverse, bâtarde d’une prostituée malmenée par sa prope belle-mère et jetée aux fauves par sa grand-mère, j’ai appris à ravaler fierté et honneur et à ripailler comme une vautour. Moi, je regarde toujours vers le futur.

- La Principauté a toujours accueilli la Foi des Hommes avec bienveillance. Cependant, la Foi  n’est guère différente de la politique, Votre Majesté. Il suffit que deux Hommes ont deux visions opposées pour qu’un conflit né. Aujourd’hui, sa Sainteté le Grand Septon Lycaon XII mène des croisades intenses et actives envers les hérétiques. C’est une approche différente de ses prédécesseurs, à l’opposé des approches ou des visions de Royaumes tels que la Principauté, de l’Orage, de Peyredragon et du Conflans. Aujourd’hui, la Foi enflamme ces Royaumes. Demain, qui sait ce qu’il adviendra. Ces terres pourraient être totalement dominées par la Foi, à moins qu’elles n’apportent un souffle nouveau à celle-ci. On dit que les us et les coutumes d’un peuple peuvent influencer certaines pratiques religieuses, menant à des courants nouveaux. J’avoue, votre Majesté, que je ne saurais dire et je pense que vous êtes extrêmement occupés avec votre campagne pour discuter théologie avec une Dornienne sans maison.

A mes yeux, la Foi est une autre forme de guerre. La Principauté a perdu, le Grand Septon a gagné. Voilà tout.

- J’ai entrepris ce voyage lorsque vous aviez une alliée au sein de la Principauté. Malgré toute la confusion autour du Traité de Boycitre, elle semblait vouloir honorer l’alliance. Elle était prête à me renvoyer aux Îles de Fer, parmi des hommes barbares, ceux qui ont ravi la Couronne à votre épouse, son Altesse Eren. J’ai jugé qu’il était préférable de vous rencontrer et de discuter de  sujets importants plutôt que voguer vers ces eaux-là.

Malgré moi, ma voix se brise un tantinet. J’ai encore du mal à parler de ma soeur sans que l’émotion ne m’étouffe. Je maudis cette faiblesse, mais que puis-je ? Je n’en reste pas moins une humaine, et une soeur au cœur encore trop tendre.

- Malheureusement, une menace inconnue s’est élevée dans l’ombre et a décimé les miens. Il ne me reste plus qu’un frère dont j’ai que peu de nouvelles et que j’aurais bien plus du mal à raisonner.

Je me tais, cherchant mes mots.

- Comme je vous ai expliqué, bien avant, j’étais prête à passer mon chemin et à m’exiler dans quelques lieux. Puis, je suis tombée sur vos troupes et ils m’ont amené à vous directement. Je sais qu'il n'y a plus rien à dire. Je suis arrivée tardivement.

Voyons voir où va me mener cette carte de l’honnêteté. Je profite de la chaleur de ce feu au centre de cette pièce aménagée pour me débarrasser de cette cape encombrante et trempée.

Qu’a-t-il que je n’ai pas ? Une Couronne imbibée du sang de ses ennemis – incluant celui des Dorniens –, une armée et une flotte écrasante en force et en nombre et surtout une influence considérable grâce à ses alliés – ou grâce à sa renommée propre. Qu’ai-je qu’il n’a pas ? Un statut de bâtard me permettant de voguer entre deux mondes – le peuple et la noblesse –, un nom symbolique pouvant apporter du crédit à quelques menus projets de l’Empire ou des Puissances Centrales et, enfin, quelques connaissances précieuses sur la Principauté.

De prime abord, nous n’avons rien en commun. Pourtant, mes instincts me soufflent le contraire. La Vengeance m’intime de me confier à cet homme, quel qu’en soit le prix pour mon âme – s’il peut encore être sauvé aux yeux d’une quelconque force, ou divinité outre-tombe. La Paix me conseille de fuir au plus vite, avant de commettre l’irréparable et me parjurer éternellement. Une tension fourmille sur tout mon corps, mais je doute de son origine. Est-ce toutes ces questions qui tournoient dans ma cabosse, à moins que ce ne soit l’attitude ou les paroles mielleuses du Roi ?

- Je suis, avant tout, loyale, commençais-je. Je n’ai jamais été attiré par le pouvoir ou ambitionné de me saisir de la Couronne de ma sœur, ou de mon frère. Enfin, la Principauté reste un bout de terre, aux frontières qui glissent et qui changent au gré des événements, du temps, des batailles et des décisions. Aujourd’hui, Dorne est morcelée. Demain, Dorne peut être partout, continuais-je, maîtrisant difficilement ce tremblement qui s’empare de moi. Ma famille était tout ce qui m’importait en ce monde. On m’a privé d’un père en l’empoisonnant, et d’une sœur et d’un frère en les brûlant vifs.

Alors, je lui offre un regard où je ne cache rien de mes sentiments : la colère, le deuil, le choc, l’hébétude …

L’homme pose les véritables questions, celles que je n’ai jamais osé formuler.

A quel point est-ce que je souhaite me venger des Valtigar, des Durrandon, des Dayne ou des Allyrion? Si ma réponse est assez claire vis-à-vis des trois premiers noms, une clémence persiste vis-à-vis de la rebelle – elle n’est qu’une voix parmi d’autres, soutenue par le monstre gargantuesque qu’est l’Empire. Contrairement aux autres, Dame Allyrion n’a pas assassiné les miens par traîtrise ou par sournoiserie et ne s’est pas parée d’un semblant d’innocence, de légitime défense et que sais-je d’autre.

A quel point est-ce que je suis prête à m’investir ? La réponse se répète, allant à contrecourant de ma nature profonde. Je suis divisée entre un profond désir de vengeance pour les miens – et pour toute cette vie sacrifiée – envers les assassins et les injustes, et le souhait d’une paix simple et agréable, exilée dans quelques terres chaudes et nullement en guerre. Pourtant, puis-je véritablement apprécier un tel bonheur, en sachant comment les miens ont été enterrés ?

Le roi clôture son questionnement par quelques mots. Ils m’arrachent des frissons d’horreur. Je n’ai jamais voulu d’un tel titre, et je ne le souhaite toujours pas. J’ai été éduqué pour conseiller les Princes et les Princesses et pour danser avec tous ces vipères qui les entourent. Il n’a jamais été question de briller, de diriger, d’ordonner ou de commander. Pourtant, quelque part, je crois voir où il veut en venir.

Il y a encore de la valeur à ce sang qui coule entre mes veines. C’est à moi de décider si je vais gâcher cette possibilité ou, au contraire, je vais en profiter et qu’importe le prix. Je ne dis rien, je ne vois rien, je n’entends rien : je suis perdue dans mes pensées. Que faire ? Que dire ? Je peux tout refuser, et quitter cette tente. Je peux tout embraser, et rester là. La capacité n’est jamais un problème, mais la volonté est une tout autre paire de manche.

De très longues minutes s’écoulent sans que je ne prononce rien, fixant inlassablement ce même point invisible.

Je me revois aux Météores aux côtés de ma Mère qui me loue la Maison Dayne et m’apprend tous les bons chants à leurs sujets. La moutarde me monte au nez. L’un a partagé la couche de Deria, pendant que l’autre a conseillé cette dernière. Aujourd’hui, ils piétinent sa mémoire.

Je me retrouve au Vieux Palais, en compagnie de mes frères et de ma sœur, jouant à mille et un jeux, entourés de ces grands Seigneurs jurant loyauté et fidélité à la vie et à la mort. Un rictus amer étire mes lèvres. Ils sont bien beaux, ces gens-là – ces mêmes gens qui se moquaient de mes origines bâtardes.

Je me surprends à repenser au mariage de Roward et d’Argella, et à toutes ces échanges de lettres avec Rowenna. Quelle audace ! Quelle honte ! Quel manque de scrupule ! Assassiner le père, et marier le fils à sa propre fille ! Elle est Reine d’une lignée noble, mais elle ne vaut pas plus que moi ou une autre putain des Météores.

Et je repense à toutes les mauvaises décisions de ma sœur, et de tous les sacrifices qu’elle a consenti par bêtise. Elle a donné des otages dans le cadre d’un Traité, pour aussitôt briser les principaux termes. Si Dame Allyrion est une voix, elle n’est pas plus juste. Personne ne pense à toutes ces pauvres âmes vendues.

Pourquoi dois-je faire preuve d’honneur quand tout le monde en manque ?
Enfin, est-ce qu’une bâtarde comme moi a encore une once d’honneur ?

- Malgré leurs défauts, j’ai aimé ma sœur Deria et mon frère Anders plus que tout. Je les aimais tant que, si je le pouvais, j’aurais brûlé toute la Principauté pour les sauver. Sauf qu’ils ne sont plus là, et Roward pourrait très bien mourir d’un instant à l’autre, soit tué par la Maison Valtigar, soit assassiné par quelques partisans zélés de Dame Allyrion, dis-je doucement et calmement. Je ne suis pas naïve au point de croire que les rebelles ne sont que des âmes braves et vaillantes. Il y a des opportunistes et, surtout, des hommes fous. J’ai tout donné pour ma Maison, votre Majesté, mais elle a gâché tous ces sacrifices. Je n’ai plus rien à défendre, reconnus-je. Où que j'aille, je ne serais jamais en paix à la simple idée que ces gens vivent et sont heureux,, avouais-je. Je n’ai plus que ma vie à offrir. Et je vais la dédier entièrement, totalement et sans retenu, à me venger de ces Maisons et à abattre tous ceux qui voudront me faire taire ou me soumettre davantage.

Je ne sais pas comment, ni quand. Je peux tout autant divaguer à cause de la fatigue, du deuil et du désespoir. Mais je vais m’y atteler.

Je suis bien lasse de fuir.
Si je dois crever ici, qu’il en soit ainsi.
Si je dois crever à Lancehélion, qu’il en soit ainsi aussi.
Je n’ai plus rien, ni personne pour me pleurer.

Nos destins se tissent malgré nous, dans un enchevêtrement étrange et inattendu. Les rêves s’empoisonnent et les espoirs se fanent. Le cœur lourd, je délaisse cette once de naïveté qui me définissait encore et me permettait encore de m’émouvoir des bontés ou des surprises des Hommes. Mon avenir se dessine. Il n’est guère joyeux, ayant des allures de condamné. Les erreurs passées de ma Maison, ainsi que les miennes, sont de terribles boulets à mes chevilles, à mes poignets et à mon cou. A chaque pas, je m’englue dans un sol jonché de cadavres, de regrets, de déception, de sang et de cendre. Il n’y a aucune lumière pour me guider véritablement. A nouveau, je comprends une dure loi de ce monde. Il n’y a nul bonheur ici-bas si nous ne pouvons pas obtenir justice – ou imposer sa justice. Et il n’y a nulle justice, si nous n’avons aucune influence ou force.

Arianne.

Les titres de courtoisie ont disparu. Qu’est-ce que cela signifie exactement, pour un tel homme ? Souhaite-t-il me mettre sur un même pied d’égalité avec lui ? Au contraire, souligne-t-il implicitement que je suis son pion - ou jouet ? Avec la noblesse, ou la royauté, tout est possible. A nouveau, qu’importe son but, je ne suis ni flattée, ni insultée. Je ne suis pas loyale à cet homme, et je ne le serais jamais, et son avis à mon sujet m’importe très peu – autant que mon propre avis à son sujet l’indiffère.

Et le verdict tombe, portant le glas même à toute mon existence passée.

Tous mes sens sont en alerte, guettant le prédateur caché sous visage d’homme. Je n’assume pas qu’un homme est bon ou mauvais sur base de ses gestes, de ses paroles, de son sang ou des rumeurs à son sujet. La plus hideuse créature peut cacher un cœur en or ou une âme aussi noire que sa figure. L’inverse se vérifie tout autant. Enfin, les événements qui jonchent toute vie humaine forgent et sculptent la personne. Elle peut être bien innocente et le rester, comme la perdre au profit d’une jarre pleine de péchés.

Manfred Hightower n’est pas une exception. Je suis venue sans réel jugement, sans véritables idées sur ce que cet entretien me réserve. Est-il un Saint homme, stratège excellent mais impitoyable envers ses ennemis ? Au contraire, est-il un Démon, créature maudite par son propre créateur et destinée à semer misère et désolation ? Homme bon, ou homme mauvais, est-il la réponse à ces questions et à ces divagations qui me rongent et me pourrissent l’existence ?

Il tourne autour de moi, me jaugeant attentivement. Je sens, encore, qu’il se délecte du spectacle. Mon instinct, forgé par des années d'expérience, flaire le Danger. Aussitôt, comme un automatisme, je repense aux sages paroles de ma mère. Fuis toujours le danger, si tu le peux : une fille du peuple ne peut rien contre les dangers de ce monde. Si tu ne peux pas fuir, joue avec les monstres, offre-leur satisfaction et profite de leur bonne humeur pour grapiller un gain, rester ou partir. Si tu ne peux pas fuir, ou jouer des monstres, alors soumets-toi à leurs caprices : préserves tes forces jusqu’à ce qu’ils soient épuisés de toi, et alors uses de toutes tes forces.

Est-ce que je peux encore fuir ? Non, je suis une souris prise au piège. Il a des milliers d’hommes à sa solde, je n’ai qu’un mercenaire bieffois à la mienne dont la loyauté va avant tout à son Roi et non à mon or.

Est-ce que je peux jouer avec le monstre ? Son esprit est retord et aiguisé par de nombreuses lectures et par l’expérience. Je suis belle, certes, mais je ne suis pas l’unique beauté de tout Westeros : il ne se fera pas avoir par un regard de biche. Le doute m’assaille sur mes capacités face au Souverain. Je ne montre rien, pour autant, de mon trouble.

Est-ce que je dois me soumettre ? Le mot revient encore et encore dans mon esprit.