Les chevaux étaient prêts. J’avais veillé personnellement à ce que tout soit fait dans les règles. Nelya Omble aurait pu s’en occuper mais j’avais décidé de le faire. Les préparatifs avaient été rapides et sommaires. L’heure était à l’urgence et non pas au confort. Torrhen avait écrit. Il avait vaincu et mis à genou le Val. Cela aurait dû me réjouir mais pour l’heure, j’en étais incapable. La veille, j’avais longuement converser avec celle qu’il avait demandé à ses côtés concernant les demandes et revendications de Peyredragon mais également de l’Impératrice. Nous n’avions parlé que de cela, dans un cadre on ne peut plus formel. Rien de plus. Rien de moins. Je l’avais laissé pour rejoindre ensuite mes appartements et passer un peu de temps avec mes enfants. Je rêvais de voler, d’évacuer ma frustration, mais je ne pouvais rien faire. Inutile. Faible. M’occuper du départ avait au moins donnait l’impression que j’avais contribué. Un peu. C’était toujours cela de gagner.

Il ne restait qu’une petite heure avant leur départ. Les soldats étaient déjà afférés et les servants finissaient leur tâche alors que les palefreniers vérifiaient une dernière fois toutes les montures. Je quittais la coure et son effervescence pour me rendre jusqu’aux appartements dans lesquels logeaient Isla. J’entrais sans me faire annoncer et chassais les servantes afféraient dans la pièce d’un geste de la main. Dès que la dernière d’entre elles fut sortie, je m’asseyais sur le coin du lit. Je balayais du regard la pièce dans laquelle régnait un joyeux bordel de toilettes, et accessoires en tout genre. Sans m’en rendre compte, un léger sourire naquit sur mes lèvres. Cela avait un air de déjà vue quelque part. Ton cheval est prêt. Renonce à la coquetterie pour ce voyage. Tu n’as, de toute façon, pas besoin de tous ces froufrous pour rester à ton avantage. Elle l’avait toujours été, belle. Ce n’était pas pour rien qu’elle avait vite rejoint la couche non pas de l’un de mes frères mais bel et bien des deux. Plus d’un homme et plus d’une femme d’ailleurs savaient apprécier sa beauté, dont le dernier en date était nul autre que mon époux. Que cela soit clair et dit à haute voix : Torrhen et toi pouvaient partager autant de lit que vous le désirez. Je n’ai jamais été jalouse et c’est là l’un des fondements de notre mariage. Apporte lui le réconfort et la passion qu’il désire, si, bien évidemment, tu le veux aussi. Nulle culpabilité à avoir sur ce point-là. Qu’ils savourent leurs retrouvailles. Qu’ils fêtent ensemble leur victoire. Ce n’était, de toute façon, comme si je pouvais offrir tout cela à Torrhen désormais. Dis lui que j’ai reçu ces lettres et que nous nous retrouverons plus tard à Fort-Darion. Félicite le, de ma part, pour sa victoire dont je n’ai pas douté une seule seconde Je ne pouvais que trop difficilement écrire et mon dernier exercice avait été trop épuisant et éprouvant pour que je le retente. Faire écrire Isla à ma place comme pour les autres missives serait futile puisqu’elle s’entretiendrait directement avec lui. Rappelle-lui qu’il ne doit pas oublier ses promesses, aucune de celles qu’il a pu faire s’il ne veut pas se frotter au Dragon. Il doit prendre soin de sa personne non pas pour lui, mais pour Aeden, Athynea et l’Empire. Rappelle-lui Isla que je mettrais ce royaume à Feu et à Sang s’il devait rejoindre ses Dieux. Rien ne m’arrêtera. Rien. Je rongeais ma soif de destruction pour lui. S’il disparaissait, plus rien n’y mettrait un frein, plus rien ni personne. Ne prend aucun risque inutile. Toi aussi tu as une promesse à tenir Isla et tu as encore tes preuves à faire. Si je n’étais pas encore capable de lui faire confiance aussi aveuglément que mon époux, j’attendais beaucoup d’elle. Elle m’avait déjà tournée le dos une fois. Je n’accepterais pas une seconde fois. Je suis désolée pour ce qui t’es arrivée même si je ne comprendrais jamais pourquoi tu as préféré de murer dans un silence qui nous a tous fait du mal, à toi la première.   Je lève la main pour lui faire comprendre que je n’attends aucune explication. Nous ne pouvions pas changer le passé après tout. Si un jour, tu devais te remarier, soit certaine que je m’entretiendrais personnellement avec ton époux. Fureur, rage. Ce seront les promesses qui lui seront faites. Il apprendra à craindre la colère du Dragon s’il venait à outrepasser ses droits et oublier ses devoirs.

Elle était là, non loin. Elle attendait une simple étincelle pour tout ravager sur son passage. Je la contenais, certains jours plus facilement ; d’autres fois, plus difficilement. Enfermée ici, dans cet endroit que j’aurai préféré voir brûler, je commençais à étouffer. La présence d’Athynea et Aeden contenait le braisier qui sommeillait en moi, mais bientôt cela ne suffirait plus. Je devais quitter ses lieux, et le plus tôt serait le mieux. Bientôt. Oui bientôt. En attendant que cela arrive, c’était Isla qui le faisait, à la demande de Torrhen. Une surprise sans vraiment l’être, pas lorsqu’on avait toutes les cartes en main. Sa décision était stratégique mais pas que. Parce qu’il aurait pu m’appeler. Il ne l’avait pas fait. Pas seulement parce que j’étais blessée physiquement. Mon esprit était trop instable. Elle, elle était en parfaite santé et capable de non seulement faire preuve de diplomatie mais aussi apaiser son esprit à lui. Ce n’était pas seulement la conseillère dont il avait besoin pour fêter sa victoire mais également de son amante, d’une femme pour réchauffer son âme et son corps. Qu’importe. Comme je venais de lui dire, je n’étais pas jalouse de cela. Au fond, c’était une bonne chose. Elle était ce que je n’étais plus. Elle pouvait apporter au Loup de Winterfell ce dont j’étais incapable : de l’apaisement, des étreintes, et, plus tard, d’autres héritiers. Elle avait bien plus sa place à ses côtés que moi. J’étais lucide : lorsque les guerres seront finies, je retournerais me « reposer » à Peyredragon. Je ne renoncerai pas à mon rôle d’Impératrice ni de Mère. Mais je lui laisserai cette place au côté de Torrhen. Il en sera bien plus heureux qu’il ne l’était actuellement. Cela ne faisait aucun doute dans mon esprit. En attendant… En attendant, Isla serait protégée. Non seulement par l’Empereur mais également par moi. Elle était son futur et si je ne pouvais oublier le passé, je devais le laisser de côté. Pour lui. Je la préserverai puisqu’elle était celle qu’il avait choisi. Je le connaissais assez pour savoir qu’il l’aimait. Si cela n’avait pas été le cas, il n’aurait pas franchi le cap d’un lien charnel avec elle. Elle l’ignorait sans doute et je ne comptais pas lui indiquer. Il lui dirait d’ici peu, cela ne faisait aucun doute non plus. Je lui demandais de lui transmettre quelques messages après lui avoir fait part qu’elle pouvait avoir le lien qu’elle désirait avec mon époux. Je ne me mettrais pas entre eux. J’incline la tête à sa réponse avant de lui indiquer que, si nous ne pouvions changer le passé, je préserverais son futur du mieux que je le peux. Je n’arrive pas à esquisser un sourire à sa réponse. La joie quitte mon cœur et mon âme dès qu’Athy et Aed’ ne sont plus là. Je n’ai plus goût à tout cela. Je ne le recherche plus. J’accepte le sort que les Dieux ont décidé pour moi. Sache également que tu n’es pas obligée de prendre époux. Nous te préserverons de ta famille si cela est nécessaire. Tu peux décider de rester célibataire et devenir plus tard, si tu le désires, l’amante « officielle » de l’Empereur. Je lui ai dit, je ne me dresserai jamais contre cela. Et si vous veniez à avoir des enfants, je ne m’y opposerai pas. Ils seront traités avec égard, respect et bonté. Elle avait un avenir au côté de Torrhen. Pas celui qu’attend une jeune femme de bonne famille, mais elle en avait un malgré tout et il était important qu’elle en ait conscience. Je me relève du lit et la regarde droit dans les yeux. Oui. Oui elle pouvait faire quelque chose pour moi. Quoi qu’il arrive, ne le trahit pas. Ou je te ferai regretter le jour où tu es entrée dans sa vie. Non pas une menace mais un avertissement. Sigyn. Mathie. Deux, pas trois. Pas de mon vivant tout du moins. Noire-Sœur teinte contre mon flanc lorsque je marche jusqu’à la fenêtre. Je lui tourne le dos mais je ne crains aucune attaque. C’est un homme bon, généreux, derrière cette épaisse couche de glace qu’il pense devoir ériger autour de lui. Il sera parfois froid, distant. Il te faudra discerner l’homme du loup, de l’empereur, de l’ancien roi du Nord. La tête couronnée te déplaira. Peste. Cries. Dis lui si tu ne peux passer outre. Mais n’oublies jamais qu’il doit diriger, mener avant de faire parler ses propres intérêts. Il se sacrifiera pour le bien du plus grand nombre. Il était ainsi fait. Il avait conquis mon cœur et mon âme par la grandeur de sa générosité même s’il ne s’en rendait que rarement compte. Il n’était aussi sombre qu’il le pensait, bien au contraire. Il guide non seulement ses hommes, mais également le peuple, et les siens. Je finis par me retourner vers elle et change du tout en tout avant qu’elle ne puisse répondre. N’oublies pas que tu ne représenteras pas seulement l’Empire mais également Peyredragon et ma Personne. Le Val nous a déjà humilié et trainé dans la boue. Il plie le genou, il doit accéder à nos requêtes. L’Empereur ne sera pas d’accord lui non plus. Tu ne dois pas oublier quelle voix tu dois porter. Ne nous déçois pas. Nous avions longuement parlé la veille des doléances. Tout ne serait pas accepté, je le savais très bien. Mais elle devait faire en sorte que les plus importantes le soient, quitte à devoir aller un peu contre Torrhen. Il n’était pas le seul à négocier avec la montagne traitresse et sans parole. Je ne saurai être présente physiquement mais mes revendications seront tout de même portées par Isla. Il ne tenait qu’à elle de me prouver que je pouvais me fier à elle.

Je sais que Isla aurait les mains liées à un moment donné pendant les négociations. Torrhen n'était pas au fait de toutes les demandes de Peyredragon et de ma part. Elle devra défendre les points les plus importants et faire comprendre à l'empereur leur importance. Il sera bien plus modéré que je ne l'aurais été. Au fond, l'affront du Val avait surtout été dirigé envers ma personne. Ce n'était finalement pas un mal que je ne me rende pas à cette conciliation. Je n'avais plus aucun respect pour les Valois et je ne leur faisais nullement confiance. A mes yeux, nous étions en train d'ouvrir notre bergerie au loup et si elle n'était pas protégée par deux dragons, j'aurais déjà brûlé toutes les terres des montagnes. Le règne du feu et du sang aurait pu commencer chez eux.

Bientôt.

Oui bientôt.

Je ne comptais plus rien laisser passer. J'avais preuve de modération, de compréhension, de pitié et j'en avais payé le prix. Le dernier était de trop. Je n'en accepterai pas plus. Je ne décevrais pas plus mes dieux. Qu'importe la noirceur dont je devais faire preuve. Tendre la main ne servait à rien ? Soit. Je ferais régner la terreur chez mes ennemis, peu importe ce qu'il m'en coute. Peu importe que je sois perçue comme un monstre. Je suis Dragon. Je suis le feu, le sang et l'hiver de cendres.

Isla interrompt le fil de mes sombres pensées. Je la regarde, d'une expression neutre et j'écoute. Il fut un temps j'aurai pu être touchée par cela. Mais mon coeur n'avait plus de place pour les sentiments. Et, comme je lui fis la remarque, au départ. Va au bout de ta pensée Isla. Au départ et désormais, c'est Torrhen qui te retient. C'est à ses côtés que tu veux rester. Sois rassurée, je n'en prends nullement ombrage. Je constate simplement. Et Orys aussi j'imagine sans mal. Vous êtes désormais libérés de toute attache. je n'étais pas sotte. Je savais qu’elle l’avait aimé et que lui aussi avait dû de la tendresse à son encontre. Je passais trop de temps à l’observer pour ne pas le voir. Il te faudra faire un choix. Tu ne pourras pas les avoir tous les deux. L'un comme l'autre ne le supporteront pas. Si cela met en péril l'empire, je serai forcée d'intervenir. Et aucun de vous ne le désire. Torrhen ne l'acceptera pas. Ou du moins, il se mettrait en retrait par affection pour elle. Et il n'en était pas question. Je ne me le permettais pas par considération et amour pour lui. Je ne laisserai pas Isla faire à sa guise sur ce point là. Il y a t-il plus audacieux que de coucher avec mon époux? Ne prends pas cela pour une attaque. J'évoque simplement un fait. j’avance de quelques pas et me rapproche d'elle pour ce qui est du reste... Que sais tu Isla? Peu de choses. Là encore libre à toi de t'en offusquer ou d'écouter. Je ne suis plus la Rhaenys que tu as connu. Tu as changé, et il en va de même pour tous. Tu es plus intelligente que cela. Tu sais, au fond de toi, que tu ne peux pas reprendre ta vie là où tu l'as laissé en quittant le château. Ce ne sont pas de simples pages qui se sont tournées mais des livres entiers. Un s'est terminé à la mort Ae et Vis. Un second lorsque l'empire a été fondé. Un troisième à Buron. Un quatrième lorsque Yesaminda a donné sa vie et celle de son enfant pour sauver celles d'Athyena et Aeden. Un cinquième lorsque c'est Baâl qui a aussi donné sa vie pour l'empire. Un sixième s'est fermé à Dorne. à chaque fois, cela s'est mal terminé. A chaque fois. Isla m'avait abandonné. Drena avait trahi ma confiance. Yesaminda avait été cette soeur dont j'avais cruellement besoin, ce soutient qui m'apportait tellement de lumière. Elle était solaire. Mais elle s'était éteinte par ma faute. Argella aussi m'avait tourné le dos lorsqu'elle n'avait pas obtenu ce qu'elle voulait de moi. Et puis Baal avait succombé. Lui qui avait été toujours été là, dans nos vies. Il était le dernier lien que j'avais avec mon père. Il était un père de substitution depuis que le mien avait été rappelé par les dieux. Orys m'avait aussi tourné le dos puisse profit d'une autre. Et puis il y avait ce petit prince, qui n'avait même pas pu pousser son premier cri. Chaque personne qui m'était chère finissait par mourir. Torrhen en prenait le dangereux chemin et cela me terrifiait. Orys prenait aussi trop de risques. Ils avaient tous deux leurs propres démons. Et si je pouvais les absorber par le passé, je n'en étais plus capable. ils méritent bien plus que ce que j'ai à offrir, c’est-à-dire, rien. Et il a été prouvé à plusieurs reprises qu'il n'est pas bon de rester dans mon sillage. Ce que je dois accomplir je dois le faire seule. Telle est Leur Volonté. Je suis Dragon. Je ne peux plus me permettre de l'oublier fervente croyante, je ne pouvais pas voir autrement tous ses signes. Je posais ma main sur son épaule et concluais Celle que tu chérissais est morte depuis bien longtemps. Je n'ai rien à t'apporter si ce n'est le malheur et la mort. . J'étais on ne peut plus sérieuse et sincère. Je pensais chaque mot prononcé dans cette pièce Fais bon voyage. Puisse le souffle du dragon te portait et te protéger finis je par lui dire en ancien Valyrien avant de quitter la pièce. Tout avait été dit et elle savait désormais à quoi s'attendre. Elle devait avancer, et enterrer ce passé auquel elle accrochait bec et ongles.