Briser la glace (An 2, Mois 2, Semaine 4) [Terminé - Tour IX]

Je frottais mes mains l’une contre l’autre avant de déposer un baiser sur la grosse joue chaude de mon cheval Danseur qui tentait de me léchouiller les mains. Je devais les avoir pleines de sel pour qu’il le fasse. Je finis de le brosser soigneusement avant de lui offrir une séance de câlins. J’aimais tellement mon Danseur qui me le rendait bien. J’étais toujours dans ma bulle avec lui, j’avais fini mes tâches pour le roi et je mangerais après. Je finis par le détacher pour l’inviter à me suivre d’un claquement de langue, tenant du bout des doigts la longe avant de le mener dans la pâture. Je défis la longe avant de sourire un peu, passant la corde autour de mon épaule et si Danseur s’éloigna un peu il revient aussi tôt pour jour.

Avec un sourire, je me mis à jouer avec lui, dansant avec lui, courant un peu à ses côtés, me laissant parfois tomber au sol, à bout de souffle pour le reprendre alors que Danseur venait, frôlant mon visage de ses lèvres avant de repartir. Et je repris le jeu avec un sourire, cela faisait du bien, ce petit moment de paix entre nous… Juste oublier l’inquiétude, la peur… Tout cela… Juste pour profiter d’un moment entre nous… C’était si… Bon… juste de se sentir vivant en paix avec soi-même et les autres. Je dansais un petit moment avant de laisser mon hongre partir en s’ébrouant. Qu’on dise que c’était stupide, mais ce cheval je l’aimais de tout mon cœur, il était banal en physique, mais exceptionnel en caractère.

Je sortis du paddock en me massant la nuque. J’avais les crocs moi ! Après une telle journée à cheval… J’allais finir par en avoir les fesses plates ! Qu’importe. J’avais du temps libre ce soir visiblement. Tout irait bien. Je me rendis à la cantine, en quelque sorte, pour attraper de quoi manger. Sept, il y avait des légumes au menu aujourd’hui ! Et dire que ma conversation avec le roi datait d’il y a deux jours. Je m’assis un peu à l’écart avant de m’attaquer à ce repas, j’avais posé mon épée juste à ma droite, j’étais gaucher. Je discutais quelques instants avec des soldats dont l’un d’entre eux m’appela, encore, Vol drapeau. J’essayais de ne plus réagir à ce surnom stupide. Et j’avais la désagréable sensation que quelqu’un me fixait…

Je finis par retourner à la cantine pour déposer mes affaires et je manquais de rentrer dans quelqu’un. Je reconnus la personne. Malgré nos quatre ans de différences… Je le connaissais beaucoup trop bien…

« Daenar. »

Je fis un pas de côté, je n’avais pas envie de lui parler. Ni même de le voir. Beaucoup trop de mauvais souvenir avec ce crétin. Et de toute manière, j’avais au besoin l’excuse que le roi avait besoin de moi. Pardon majesté.

Daenar Racin

Daenar Racin est le frère aîné de Sacha. Il est le portrait craché du père de Sacha et en veut beaucoup à ce dernier pour le sort de leur père. (Le père de Sacha a été envoyé au mur par l’Empereur après avoir commencé à fouetter Sacha en public). Daenar considère que son père n’avait rien fait de mal si ce n’est tenter d’inculquer les bonnes manières à ce stupide petit frère. Daenar est actuellement écuyer d’un chevalier dans l’armée du Conflans et suit donc le roi. Sacha a fait en sorte jusque-là d’éviter son frère aîné, avec beaucoup de talent. Daenar est bien décidé à lui parler et lui montrer ce qu’il pense de son petit frère.

La journée était déjà rude. Je me coltinais depuis des jours un léger mal, de la fièvre, de la fatigue et des insomnies mais pas assez pour m’autoriser le moindre jour de repos. Ma fierté me perdra un jour, mais au moins, je me comporterai comme un homme jusqu’au bout, à la différence de mon petit frère. Lucas n’est pas de cet avis mais je suis persuadé que mère a enfanté ce simplet avec un autre homme que père. Sacha ne pouvait en aucun cas être un Racin et qu’il soit un bâtard expliquerait bien des choses.

Je pensais souvent à lui d’ailleurs, à mon grand désarroi et d’autant plus depuis que je suis malade. La fièvre ne me rend pas service et affecte mon irritabilité. Heureusement pour moi, le moment vint de manger un peu. En voyant les plats servis, je me doutais qu’ils raviraient mon petit frère et j’imaginais sa petite mine niaise devant son assiette. Je me servis presque en colère et me trouva une place.

Mon nez bouché m’empêchait de profiter du moindre goût et mon crâne me faisait souffrir. Je plongeais ma tête dans mes mains pour tenter de me calmer et pour me motiver, je m’infligeais de petites claques sur la joue.

“ Je ne tolèrerai aucune faiblesse de ta part !”, pensais-je pour moi-même. “Les plaintes de migraines c’est pour les femmes, et les femmes n’ont pas leur place auprès de soldats d’une telle armée ! Reprends-toi !”.

Une petite claque plus tard, je relevais ma tête et affrontais la lumière aveuglante du jour... Avec une mauvaise surprise en plus. J’aperçus un visage qui m’était bien trop familier. “Une femme n’a pas sa place ici”, me répétais-je en le fixant. Pourtant, ce gamin faiblard était l’écuyer du Roi en personne. Il fallait croire que Sa Majesté prenait ses larbins par pitié.

Un furieux mal de crâne me saisit, me forçant à nouveau à plonger ma tête dans mes coudes. Mes dents se serraient à mesure que ma rancœur me saisissait. Je débordais d’envie de le confronter à moi, mais je sentais aussi que mon corps n’en avait nullement envie. Peut-être me faisais-je du mal, peut-être était-il préférable de l’ignorer... Peut-être méritait-il de subir une petite correction ?

D’un pas assuré pour cacher mon mal-être, je m’avançais vers lui et nous nous percutâmes. Il était si proche que je sentis l’odeur de son abruti de cheval. Je devais réunir tous les efforts du monde pour ne pas le massacrer sur place, sans compter que l’audacieux tenta de m’esquiver.

Je saisis son épaule frêle d’avorton efféminé pour le bloquer dans sa progression. J’ignore combien de temps nous sommes restés comme cela, je sais seulement que je trahissais mes rancœur en le serrant fermement... Puis je relâchais légèrement la pression, tout en le maintenant sous mon contrôle.

- Oh pardon ! J’espère ne pas avoir suffisamment froissé ton petit muscle pour mériter de finir mes jours au Mur !

Je n’avais réussi qu’à m’énerver plus encore, mais j’avais conscience de l’influence qu’avait cette petite merde sur le Roi Lyham.

Je me contentais alors de le tourner vers moi de force pour qu’il me regarde dans les yeux.

- Comment va mon cher petit frère ? Hm ? Ca fait un petit moment que je désire m’entretenir avec toi mais curieusement nos chemins ne se croisent jamais ! Ca doit être une espèce de coïncidence ! J’espère au moins que tu continues d’honorer notre nom comme il se doit !!

Mon regard se voulait rassurant, mais je ne comptais pas le leurrer. J’avais bien conscience que Sacha me craignait d’autant plus lorsque j’affichais cette mine. Il allait enfin pouvoir se justifier de ses actes, d’avoir insulté Père et d’avoir trainé davantage notre nom dans la boue.

De mes quatre frères, si j’adorais Lucas je ne supportais pas en peinture Daenar. Rien que l’évoquer me donnait de l’urticaire. Et là il était en face de moi. Malheureusement il venait de m’attraper l’épaule comme pour m’empêcher de partir. Bordel… J’inspirais profondément pour essayer de me calmer. Je savais que j’avais le sang chaud, mon poing s’était serré à m’en briser une phalange, quand il m’avait pris l’épaule. Je plongeai mon regard dans le sien en essayant de ne rien laisser paraître si ce n’était que ma fureur. J’étais l’écuyer de Lyham, je ne pouvais pas faire honte à mon maître. Avec sa moustache ridicule… Je me mordis les joues à m’en faire saigner en soutenant son regard sans frémir. Il me semblait moins impressionnant qu’avant… peut-être que c’était parce que j’avais grandis ? Aucune idée. Je pris son poignet pour le faire me lâcher. Je préférais rester silencieux sinon…

Il m’obligea à me tourner vers lui alors que je continuais de le regarder droit dans les yeux. Inspire, expire Sacha… Pense que tu es l’écuyer du roi. Ce n’est pas rien après tout ! Tu as des devoirs ! Des obligations… Je soutiens son regard. Comment j’allais… Oh ce ton… Merde… j’avais l’impression d’entendre mon père avec cette intonation… Et cette manière d’être… D’un mouvement brusque, je me dégageais de son emprise.

« J’allais très bien jusqu’à ce que je te vois, Daenar. »

Je l’aurais insulté de « Sombre fils de pute » mon ton n’aurait pas changé d’un iota. Et je parlais de notre père. Je continuais de soutenir son regard, sans reculer d’un pas.

« Et crois-moi, je m’en portais très bien de ne pas te croiser. Et tu comprends bien, je suis l’écuyer de Lyham Tully, le roi, je n’ai pas le temps d’en passer avec toi. Je fais honneur à notre nom, plus que tu ne le eras jamais. Tu m’excuseras, j’ai du travail. »

J’avais parlé les dents serrées, je fis à nouveau un pas de côté pour m’écarter. Je n’avais pas très envie de rester proche de lui.

« Et la moustache te va pas. »

Fis-je d’un ton sarcastique. Tout en lui puait notre père et je ne supportais même plus de penser à lui. Mon dos était lacéré de quelques cicatrices dues à notre père et je ne comptais pas les coups. Et ce n’était pas parce qu’il me faisait cette mine rassurante qu’il allait pas me frapper par-derrière, sauf que c’était terminé la période du petit frère qui tremblait un peu devant son frère aîné. J’étais toujours plus petit et plus maigrichon que lui… Mais ce n’était pas pour ça que je le craignais. J’avais combattu aux côtés du roi. Et lui… J’en savais rien, et je m’en tapais.

Briser la glace (An 2, Mois 2, Semaine 4) [Terminé - Tour IX] YndjAUD

De toute évidence, Sa Majesté le Roi avait enseigné à mon frère l’impertinence plus que la maturité. Tout en lui m’énervait mais rarement il n’avait osé me répondre ainsi sans frissonner. Bien qu’il ait toujours été turbulant, Sacha était un minimum éduqué lorsque Père était là car depuis son départ, il empirait chaque jour.

Puisqu’il avait décidé de me tourner le dos, je me déplaçais à nouveau pour cette fois-ci lui faire face.

- Mais voyons s’il t’a appris à manier un autre type d’épée. Peut-être ai-je eu tort, peut-être que tu as beaucoup appris en sa compagnie ! Et tu sais quoi, cher petit frère ? Je n’te laisse pas le choix.

Mon crâne tambourinait à chaque seconde. J’ignore presque si j’avais conscience de ce que je faisais. Je le prenais par le col et le tirait hors de la tente. Pas loin était situé un camp d’entraînement avec des épées en bois. Je l’y amenais et le lâchait au milieu d’une petite arène d’entraînement. Remonté, je saisis une épée et lui balançait sous ses pieds.

- Ramasse. Si tu veux que je te laisse tomber il faudra me prouver que t’es un homme et que tu vaux le nom que Père a bien voulu te céder. Allez ! Plus vite que ça, ramasse cette arme !

J’en saisis également une tout en provocant le bon à rien.

- Si tu ne fais rien je vais te flanquer une râclée qui te fera regretter notre père !

Je sentis la colère monter plus violemment dans mes veines face à sa remarque sur mes goûts, mais surtout le roi. Je ne supportais pas qu’on critique celui qui m’avait sauvé la vie. Ma sexualité n’avait jamais été une question, surtout avec mes treize ans… Je respirais profondément pour ne pas lui envoyer mon poing dans sa sale gueule. Je plantai mon regard dans le sien.

« Ferme ta gueule, sac à merde, t’as tellement léché le cul de notre père que je sens encore sa merde quand tu parles. »

Ne pas frapper… ne pas frapper… Je devais rester calme… Autant que possible, j’avais les poings serrés, les ongles plantés dans ma chair. Je m’écoutais, je me serais jeté sur lui pour le rosser et le frapper. Même si j’étais le plus petit et le plus fin des cinq frères que nous étions. Daenar… j’allais le frapper… vraiment. Non, je ne pouvais pas… Le roi serait fou de rage… Et je risquais beaucoup plus que lui… Il le savait. Autre épée ?! Merde ! Oh non ! Ça sentait beaucoup trop mauvais ! Pas parce que je craignais ses coups, je m’en foutais, mais bien parce qu’une épée c’était bien plus dangereux que simplement nos poings. Je tentais d’esquiver sa poigne, sauf qu’il me choppa au col et me traîna. Niveau force c’était toujours lui le plus costaud.

« Lâche-moi ! »

Je tentais de le faire lâcher alors qu’il me traînait jusqu’au terrain d’entraînement, vide à cette heure-là, tout proche, je titubai en arrière quand il me lâcha brusquement. L’épée en bois fut jetée à mes pieds et j’eus presque un soupir de soulagement. Ça ferait mal… Mais beaucoup moins qu’une épée en métal… Sauf que je ne pouvais pas. J’étais l’écuyer du roi… Je me martelais cette phrase, je ne pouvais pas rendre un coup sans risquer ma place. Sauf que me laisser faire par cet abruti… C’était hors de question. Je soutiens son regard sans bouger. Merde…

« T’as vraiment aimé quand Père t’enfiler comme sa dernière catin ? »

Autant l’énerver et lui faire perdre bien plus le contrôle qu’il ne semblait au premier abord. Flanquer une raclée digne à notre père ? Je l’observais avant de faire rouler l’épée du bout du pied pour la jeter dans les ais et l’attraper.

« Toi ? Me donner une raclée ? Laisse-moi rire, une grand-mère à plus de force que toi. Quant à père, je lui pisse à la raie à ce fils de chien. »

Je haïssais assez mon père pour l’insulter de tous les noms. Je fis tourner la lame entre mes doigts sans peur. Qu’il vienne… J’allais pas attaquer en premier, c’était trop dangereux, mais me défendre c’était une possibilité après tout.

« T’as peur que j’ai plus de couilles que toi ? Tu me diras… c’est pas bien difficile vu ton comportement de pucelle. »

Je me foutais de prendre une raclée si au moins je me défendais bien.

Comme attendu, mon frère répliquait comme un enfant et malgré mon mal de crâne, ses mots ne m’atteignirent pas. Il pouvait s’estimer heureux que j’aie patiemment attendu qu’il soit prêt à répliquer. Je voyais clair dans son jeu. Malheureusement pour lui, il sur-estimait beaucoup trop mon impulsivité. Il disait sans cesse que j’étais comme Père, mais j’estimais avoir plus de sang-froid. Peut-être Sacha se croyait-il plus intelligent... Cela ne m’aurait pas étonné de sa part, il a toujours eu une haute estime de son intellect. Il a toujours voulu avoir le dernier mot et clairement, sa condescendance reflétait sa basse estime de nous ainsi que sa haute estime de lui.

J’allais le remettre à sa place. Il s’attendait probablement à ce que je fonce dans le tas, mais cette vermine allait être déçue. J’entamais les hostilités, certes, mais dans les règles de l’art. Je ne voulais pas lui prouver que j’étais plus fort car après tout, je l’étais bel et bien. Que cela nous aurait-il apporté ?

Je voulais le placer devant ses échecs, lui prouver que jamais il n’arriverait à être un soldat digne de ce nom. Je voulais lui prouver que malgré ses grandes fréquentations, il ne parviendrait jamais à se démarquer. C’est par la technique que je voulais l’humilier.

J’attaquais alors en maîtrisant ma rage pour tester de quoi il était capable. Comment ripostait-il, quelle était son endurance ?

- J’y vais doucement avec toi petit frère car après tout, je t’aime bien, mentis-je. Seulement j’ai conscience de toute la rage que tu éprouves envers moi alors vas-y, libère-donc toute cette colère qui te ronge le ventre. Allez ! T’as qu’à imaginer que je suis Père ! Cela doit être facile pour toi, puisque je lui ressemble tant ! Essaie-donc d’inverser les rôles ! Ne méritait-il pas de se prendre une bonne râclée ???

L’issue de cet échange était courue d’avance. Les coups de Père ne l’ont jamais changé, ce n’était pas avec les miens que Sacha allait prendre conscience de sa place. Il avait eu beaucoup de chance jusque-là, et cette dernière n’avait pas arrangé sa désinvolture. Chance ou pas, il restait le même. Quelque part, c’était mon rôle de grand-frère de lui apprendre la vie.

Je perdis légèrement patience et lui infligeais un croche-pied. Je voulais le voir hors de lui car après sa défaite, plus dure sera la chute.

Je n’aimais pas ça, pas du tout. J’aurais préféré éviter cette rencontre, éviter de sentir cette rage brûlante au creux de mon corps. Je ne voulais pas faire honte au roi. Alors c’était Daenar que j’essayais de pousser à la faute, le faire enrager. Sauf qu’il semblait plus calme que moi, et ça me foutait en rage en plus. Respire Sacha, ne porte pas le premier coup… Cela ne doit pas être toi qui as provoqué. Je serrais encore plus fort les dents sans rien dire de plus. Je plongeais mon regard dans le sien, prêt à en découdre autant que possible. Daenar attaqua le premier et je me contentais, pour l’instant, d’esquiver. Réfléchis… Réfléchis… Le roi Lyham était un bon professeur, j’avais progressé. Lui l’ignorais. Je haussais un sourcil, lui ? Bien m’aimer ? Mon cul s’était du poulet, ouais ! Libérer ma rage ? Imaginer Père, j’eus un rictus avant de cracher par terre.

«L’Empereur lui a déjà donné ! »

Il me fit un croche-patte et je repris un équilibre vif avant de donner un coup en fendant l’air pour le repousser. J’avais pris la lame à droite alors que j’étais gaucher. Mais ça, je n’étais pas sûre que Daenar était au courant. Je lui tournai autour en silence.

« J’ai pas besoin de me défouler sur ta sale gueule ! C’est plus l’inverse ! Tu veux te défouler ! »

J’étais mordant, mais puisqu’il le voulait…

« T’as la haine, Daenar ! T’es pire qu’un chien après son os ! T’as la haine parce que notre connard de père est plus là. Et que va faire le bébé sans son papa ? »

Je n’avais jamais vraiment eu de père. Aussi loin que je m’en souvienne, avec le mien, on se déchirait. Mais ça c’était autre chose. Daenar avait toujours été son chouchou. Moi j’avais le droit aux coups, insultes et menaces. Chacun son truc après tout. S’il fallait le chercher pour que ce soit lui qui soit en faute… J’allais le faire. Je fendis à nouveau l’air de ma lame en bois.

- L’Empereur lui a déjà donné !

- Quelle répartie, peut-être devrais-tu partager ta réplique au Roi !

Un croche-patte plus tard, Sacha semblait perdre de son sang-froid. Le regarder enrager de la sorte me déplaisait au plus haut point. Mon crâne tambourinait encore et encore et mon petit frère ne faisait rien pour arranger la situation.
Il prétendait que je voulais me défoulais, mais ne comprenait pas la véritable raison qui me poussait à me confronter à lui, aussi peu peut-il valoir.
Son arrogance maladroite me faisait bouillir. Plus il laissait échapper de mots de sa misérable bouche, plus l’envie de lui en coller une me démangeait.

- T’as la haine, Daenar ! T’es pire qu’un chien après son os ! T’as la haine parce que notre connard de père est plus là. Et que va faire le bébé sans son papa ?

Ce gamin que je devais assumer comme petit frère me dégoutait. Je frappais sa lame avec la mienne sans contrôle et m’avançais vers lui en ripostant. Nous allions voir s’il allait rester aussi arrogant.

- En plus d’être le plus faible, tu es décidément le plus idiot de la fratrie.

Mes coups s’enchaînèrent, je ne désirais plus le préserver d’une quelconque douleur. Peut-être allait-il comprendre ce qu’il a fait subir à notre famille.

- Crois-tu que je n’ai pas eu le temps d’avaler l’affront que tu nous as fait ?

Je donnais à nouveau un grand coup sans me préoccuper de s’il allait parer ou non.

- Je ne suis pas aussi puéril que toi, Sacha. Contrairement à toi, j’ai conscience que le monde ne tourne pas autour de mon nombril ! Connard ou pas, notre père portait notre nom.

Agacé, je laissais tomber mon épée par terre et fonçais sur mon adversaire. Je saisis son bras pour le bloquer avec ma main gauche, et avec le droit, je le saisis par le col. Le bougre avait grandi, si bien que je ne pouvais plus le faire décoller du sol, mais je restais plus fort que lui de toute évidence.

- Ecoute attentivement, Sacha. Tu méprises notre père au plus haut point et c’est tout à ton honneur. Tu méprises ton nom, et nous te méprisons. Supplie-donc à ton Roi de t’adopter, ainsi tu pourras lui faire des courbettes à la Cour quand la guerre sera finie, et nous, nous aurons enfin le plaisir de s’être débarrassé de toi ! Continue seulement à nous faire honte et je peux te promettre d’être bien moins diplomate la prochaine fois.

Désireux de ne pas succomber à l’envie de lui refaire le portrait, je le repoussais d’un coup sec avant de ramasser mon épée et de la ranger. Je me retournais une fois encore vers Sacha.

- Souviens-toi bien de ce que je viens de te dire. S’il te faut du soutien dans ta démarche, tu n’auras qu’à dire à Lyham de me consulter. Dans le meilleur des cas on le convaincra à t’effacer de notre famille. Dans le pire, tu le convaincras de m’envoyer rejoindre père, mais tu as déjà encrassé notre nom, le mal est déjà fait. Réfléchis bien.

Je serrais les dents à sa remarque. Qu’il arrête de se moquer du roi ! De s’en prendre à lui ! Il ne lui avait rien fait de mal et il nous menait comme il le devait.

« La ferme Daenar ! »

Je lui envoyai autant de pique que possible alors qu’il frappait comme un sourd, plus sur moi que sur mon épée ! Merde… ça faisait très mal ! Le plus faible ?!

« Faible ? J’ai résisté aux tortures de père ! Quant à idiot je n’agresse pas mes propres frères pour rien ! »

Je retiens un grognement de douleur quand son coup me frappa dans les côtes. Je titubai un peu sur le côté en essayant de frapper en retour. Je me retiens de tousser autant que possible. Avaler ?

« Non. »

Il ne l’avait pas avalé. Pas avalé du tout. Je pouvais le sentir dans ses coups de plus en plus violents aussi bien sur moi que dans mon épée ! Puéril… Le monde ne tournait pas autour de moi et je le savais.

« Et alors ?! Ça l’empêche d’être un connard ? T’as pas hérité que de son nom, mais aussi de son caractère ! »

De connard. Il se jeta sur moi pour m’immobiliser et faire tomber mon épée, m’attrapant au col et je serrais les dents en essayant de le repousser comme je le pouvais… Je rassemblais ma salive dans ma bouche sans rien dire en fronçant les sourcils à sa remarque.

« Faire honte ? Je sers notre roi en portant le nom de Notre Frère aîné. Crois-moi, je suis beaucoup plus fier d’être le frère de Lucas que d’être le fils de père. Et va donc demander au roi si je vous fais honte. »

Lucas était le nouveau seigneur de notre maison après tout et cela me dérangeait beaucoup moins, voir plus du tout, de porter le nom de Racin. Il me repoussa et je tombais en arrière le corps endolori par ce qu’il venait de me faire subir. Je me remis aussitôt sur pieds en le toisant avant de venir reprendre le bras de Daenar.

« Je ne changerais pas mon nom, je n’ai pas envoyé père au mur, je n’ai rien demandé, ce n’est pas moi qui l’ai puni ou même dénoncé. Je suis un Racin, que tu le veuilles ou non, je reste le petit frère de Lucas… »

J’inspirais profondément avant de lui cracher à la figure en lui lâchant le bras :

« Et ça c’est pour te montrer toute mon affection mon cher Daenar. »

Je reculai un peu en soutenant son regard sans flancher. J’allais sûrement le regretter un peu, mais c’était pas grave.

Le petit frère s’obstinait. Je devais bien le reconnaître, il avait bien là un caractère des Racin, dommage pour lui que ce soit ce défaut. Faible et entêté… Ce gosse allait se faire marcher dessus toute sa vie, sans le moindre doute, en plus d’attiser la colère des plus sanguins. Peut-être était-il plus fait pour le monde de la Cour, mais en temps de guerre, ce petit merdeux était aussi utile qu’une botte sans semelle.
Il se ventait d’être le frère de Lucas, mais n’avait pas une once de ce qu’il pouvait représenter. J’avais déjà eu quelques différents avec Lucas, mais rien de similaire à Sacha, avec lui, il était possible de discuter, lui, était capable de me tempérer.

- Ne parle pas de Lucas, lui, il est un digne représentant de la famille alors cesse de l’insulter en te comparant à lui, le réprimandais-je avant qu’il n’ose me cracher au visage, son regard accroché au mien. D’un revers de la main, je balayais son mollard. Mes yeux piquèrent d’autant plus, je me mis à trembler, mon crâne ne cessait de battre et je ressentais une chaleur étouffante. Ma mâchoire se serra si fort que ce fut un miracle que mes dents ne se fissurèrent pas.

- Alors, ça, c’est dommage, dis-je d’un ton surprenamment calme comparé à l’immense vague de colère qui me submergeait et sans transition, mon corps expulsa en un coup toute ma rage.
Je sentis une de me phalanges se briser et entendis un grand bruit sec suivi d’un autre, plus lourd. Une quinte de toux me pris, mais je me sentis curieusement beaucoup mieux. Quand je repris un peu mes esprits, je vis mon frère affalé dans la boue, face contre terre, entouré de deux hommes tentant de le relever.

- Tu es cinglé Daenar ? Bon sang, par les Dieux, qui est ce môme ?, demandait l’un d’eux que je ne sus reconnaître.
Ma respiration se faisait moins saccadée, je me sentais de plus en plus léger.

- Un inconscient prétentieux.
Mon regard se posait sur Sacha. Il ne bougeait plus. Un souffle de regret me parcourait, mêlé à de la panique.

- I… Il est mort ? m’inquiétais-je.
- Non, abruti. , répondit sèchement le même garçon dont l’identité m’échappait totalement. Je l’aurais volontiers réduit au même état que Sacha pour m’avoir répondu ainsi, si je n’étais pas aussi soulagé de savoir que je n’avais pas tué mon petit frère. Un autre camarade vint ensuite à moi, tout aussi surpris du spectacle que nous leur avons offert.

- Daenar, tu vas bien ? T’as l’air… Vraiment malade… Et regarde ta main ! .
Je m’exécutais. Mon doigt se teintait de noir. Je tentais de le faire bouger mais rien n’y fit.

- Pas grave. Occupez-vous d’abord du merdeux là-bas, il en a plus besoin que moi. J’irai me faire soigner en temps voulu. En attendant je pense me reposer .

Je tournais alors les talons pour retrouver ma couche, d’un pas lent et hésitant, la tête ensevelie par la fièvre.

Mon frère était un abruti. Mais il était rapide. Je n’avais pas vu le coup venir, je le sentis par contre me percuter la mâchoire, une de mes dents craqua, mais je vis des points noirs envahir mon champ de vision. J’avais subits bien des coups, mais celui-là était particulièrement violent et bien placé. Je me sentis basculé un bref instant en arrière avant de m’effondrer au sol. J’étais incapable de savoir ce qu’il s’était passé, ou de sentir… J’étais… Mon frère avait frappé fort et bien, ma mâchoire avait claqué, heureusement une dent, mais pas l’os, était cassée. Mais elle avait claqué, me mordant légèrement la langue au passage. Mais surtout, ma lèvre était en plus fendue.

Je n’entendis pas les remarques de mon frère, les mots, les autres… Rien du tout. Je n’entendis pas, je ne sentis pas, complètement assommé par mon frère. Un homme me souleva sans trop de difficulté sur son épaule et me traîna jusqu’à l’infirmerie pour me poser sur un lit, juste le temps de me réveiller et de soigner légèrement ma lèvre ouverte. Je rouvris les yeux quelques instants plus tard, les tempes battantes avec violences… Je regardais autour de moi et le gars qui me surveillait leva les yeux vers moi.

« Tu veux pas me dire ce qu’il s’est passé Vol-Drapeau ? »

Je grondais légèrement en tendant la main pour prendre une coupe d’eau et me rincer la bouche soigneusement en regardant l’homme que je côtoyais tous les jours en servant le roi Lyham. Je recrachais l’eau sur la terre battue en secouant la tête.

« Nan. Rien de grave. Je suis vivant et entier. »

Enfin… je crois… Pour ce que j’en savais… J’avais juste la tête qui sonnait comme une cloche.

« T’es tombé ? C’est ça ? »

J’eus une grimace en m’asseyant.

« Sur une grosse pierre. »

Il renifla, pas du tout convaincu.

« Tu veux pas dire qui t’en a collé une ? Pourquoi ? »

Je haussais les épaules en me frottant le menton.

« Parce que ça te regarde pas. Et y a pas mort d’homme.
- T’es l’écuyer du roi. »

Je haussais à nouveau les épaules sans rien dire, je préférais vraiment ne pas en parler.

« C’est bon. Je préfère qu’on pose pas de question.
- Ouais, enfin, le roi il va poser des questions. »

Je secouais la tête.

« T’occupe. J’ai pas envie d’en parler. J’ai du boulot à faire. »

J’inspirais profondément en me levant… Daenar, t’inquiète je me souviendrais de cette beigne. Connard.

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