Au lendemain du Banquet, la Reine de l’Orage avait épongé le vin qui lui avait fait tourné la tête, elle avait pansé ses blessures gagnés lors de l'entraînement matinal avec Stannis et elle avait reçu une missive. Mahée Allyrion demandait audience. Elle était curieuse de la rencontrer, curieuse de comprendre, enfin, pourquoi Rowenna l’avait invitée à la table Royale, curieuse de savoir ce que la Dornienne avait derrière la tête. Courroucée aussi, que sa mère n’ait pas jugé utile de l’informer en temps et en heure, ce qui aurait pu leur éviter les malentendus et la gêne exacerbée par l’auditoire. La jeune femme s’était montrée suffisamment intelligente pour ne pas répondre, prenant sur elle jusqu’à disparaître des festivités. Quand à sa position sur la foi, et les quelques mots de sa génitrice sur la question de Dorne, cela avait eut le don d’éveiller la curiosité de l’Impétueuse pour de bon. Si elle n’avait pas eut une tonne de choses à faire et préparer, peut-être aurait-elle convoqué la jeune femme avant, mais c’était une bonne chose que cette dernière vienne au devant de la Souveraine. Après ce qui s’était passé, il fallait du courage et de l’audace pour se faire, et elle appréciait ces qualités, et elle préférait que l’entrevue vienne de l'hôte de sa mère plutôt que d’elle. De plus, cela confirmait ses soupçons, il y avait bien anguille sous roche, toujours avec la Reine mère, elle aurait pu s’en douter. Mais une fois de plus, elle ne l’avait pas tenue au courant, toujours des secrets et des cachoteries, tout ce qu’elle détestait, ce qui les avait séparées jadis. Rowenna n’avait donc pas retenu la leçon ?

La jeune biche enfila un corset en cuir noir et or, un pantalon de cuir noir et des bottes, par dessus, une simple tunique noire lacée sur la poitrine et fendue devant avec laquelle elle pouvait se battre. Elle était dotée d’une capuche qui faisait aussi office de col et de grandes manches serrées jusqu’au dessus du coude et descendant jusqu’au sol après un galon doré. Laissant ses cheveux tomber sur ses épaules, elle s’assura que les serviteurs avaient apportés tout le nécessaire pour se sustenter dans son cabinet privé, où elle avait prévu de recevoir la Dornienne. Ses armes étaient à porté de main, plus jamais elle ne s’en séparerait, elle l’avait juré au moment où elle avait appris le drame qui s'était joué quelques étages plus haut tandis qu’ils s’amusaient et dansaient. Il n’était plus question de jouer avec les convenances de cour, une entretien privé et secret s’imposait à présent, d’autant que le couple Impérial comptait emmener Mahée en campagne. Il fallait jouer cartes sur table. Deux chevaliers de la garde Royale en armure de plate et heaume complet noir et or sont en faction devant la porte. Argella, pour ne pas attendre vainement, rédige des ordres de mission quand la Allyrion frappe trois coups à la lourde porte. Un chevalier pose sa main gantée d’acier sur l’épaule de la jeune femme au teint hâlé lui intimant d’attendre et entre pour l’annoncer à sa Reine. Elle range alors les parchemins dans un tiroir et ordonne qu’on fasse entrer son hôte. Le chevalier ressort et ouvre la porte d’un air rigide l’invitant à entrer, mais il retient le garde à l'extérieur. Aucun homme en arme dans le cabinet, la brune aux yeux céruléens est bien capable de se défendre seule en cas de piège et la Reine mère aurait été bien avisée de faire entrer à Accalmie un assassin à la solde de l’usurpateur, du moins faut-il l’espérer.

La Durrandon plonge son regard sur Mahée, mais si tempête il y a, elle dort pour le moment et elle ne compte pas la réveiller, même si la tentative d’assassinat sur les jumeaux au sein de sa forteresse et par ses gens l’avaient mise dans une rage que seul Torrhen était parvenu à contrôler.

__ Dame Allyrion.

Aucune chaleur cependant dans le ton employé.

__ Asseyez-vous et dites moi sans détour ce qui vous amène à Accalmie.

Sur la table, du fromage du pain, du vin chaud aux épices servi dans deux verres, des œufs, des tartelettes aux noix et au miel, des beignets au lard, des bouchées aux châtaignes. Un en-cas copieux mais pas ostentatoire même si les talents du chef cuisinier donnent aux mets les plus simple des airs de fête. Mais les yeux azurs d’Argella restent fixés sur son hôte, pas qu’elle veuille l’impressionner, elle veut juste comprendre, et pour comprendre, il ne suffit pas toujours d’écouter, il faut observer. Le prédateur en elle, la guerrière sait regarder avec un œil acéré et voir de quoi son ennemi est fait. Quand à savoir si la Dornienne est une alliée ou une ennemie, elle a accepté de la rencontrer en privé pour le savoir justement, en espérant que cela lui éclaire les idées et ouvre la voie à des desseins moins sanglants que prévu. Car elle ne veut pas combattre Dorne, elle ne veut pas tuer les Dayne, ni même les Martell, Roward tout le moins. Mais avec le ralliement de la Principauté à l’Usurpateur Manfred Hightower, son devoir l’y contraint, parce qu’elle est Reine de l’Orage avant d’être Dayne et ce, jusqu’à ce que la mort l’emporte, qu’importe d’où viendra l’épée qui lui prendra la vie.

Il y a un lourd passif entre les deux Royaumes, des siècles de sang, de conflits et de pillages, ou les deux peuples ont leur torts. Cela aurait pu être apaisé par son mariage avec Roward, mais il n’en fut rien, hélas, et là encore, les deux partis ont leurs responsabilités dans cet échec. Mais cela ne saurait être oublié. Quand à la haine envers le Bief après la dernière campagne sanglante ou la Maison Durrandon a perdu près de la moitié de son royaume, elle est tenace et ne saurait être calmée qu’au prix de cette nouvelle campagne et de la reconquête de l’ouest du Royaume des tempêtes. S’il faut écraser Dayne, Allyrion et Martell pour cela, elle le fera. Elle espère cependant pouvoir faire autrement, mais comment, les Dayne sont trop proches du pouvoir et trop loyaux aux Martell pour les trahir, de plus, les contacter risque de mettre leurs vies à tous en danger. Peut-être que la clé est à présent assise en face d’elle.