Ils étaient de retour.La rumeur avait enflé. Puis des coursiers avaient précédé le roi, afin que tout soit prêt, comme il me l'avait demandé il y a une quinzaine de jours, juste après la bataille qui avait vu mon oncle mourir. Non, je ne devais point penser ainsi. Brandon n'aurait pas aimé que je me complaise dans mon chagrin. Mais je ne pouvais demeurer indifférente à sa disparition. Il avait toujours fait partie de ma vie, il m'avait élevé, il avait joué avec moi, il avait supporté mes colères, il m'avait consolé quand je pleurais, couverte quand je faisais des bêtises. Il m'écoutait tempêter, un sourire patient aux lèvres, avant de me sermonner à sa façon... Avec sagesse et bienveillante. J'étais plus proche de lui que de mon père. Sa mort m'ébranlait profondément. Même si les liens avec mon père se faisaient moins distendus, que nous essayions de nous connaître, j'étais moins proche de lui que de Brandon.Et je ne le verrais plus...Je laissais mes servantes me parer de mes plus beaux atours. Néanmoins, je voulais quelque chose de sombre, afin de montrer que mon cœur demeurait endeuillé, malgré la joie de la victoire. Ternie par le nombre de mort, ahurissant. Je n'avais pas dévoilé au peuple le nombre de nos pertes. Ils n'avaient pas à savoir combien cela nous avais saigné. Ils devaient croire en la toute puissance de la famille royale du Nord. C'était tout ce qui comptait. Tout était prêt pour accueillir nos fier guerriers éreintés comme il se devait. Je n'avais pas lésiné sur les moyens, Père m'y avait autorisé.J'observais la longue colonne depuis le chemin de ronde. Mon regard se posa sur mon père, droit sur son cheval, le visage fermé. Il était victorieux, mais quelques cauchemars devaient le hanter... Je repensais à ce qu'il m'avait avoué dans sa missive... Des Sauvageons massacrés. Hommes, femmes... Enfants. Des innocents. Qui pouvaient devenir des ennemis, éduqués dans la haine par leurs aînés. C'était horrible. Mais c'était pour nous préserver dans les années à venir. Cela apprendrait aux Sauvageons à réfléchir à deux fois avant de se lancer à l'attaque contre nous. Mais cela pouvait aussi nourrir leur rancœur. Leur haine. Un jour, ils se vengeraient... restait à espérer que quand cela arriverait, nous aurions de nouveau des soldats bien entraînés, un roi fort...Je demeurais en retrait, accueillant les vainqueurs, organisant le bal des serviteurs afin que personne ne manque de rien. J'aurais voulu courir au devant de Jon et Walton pour les serrer dans mes bras, leur dire comme j'étais fière d'eux. J'aurais voulu sauter au cou de Lyman, lui avouer comme j'étais heureuse qu'il soit en vie et... comme il m'avait manqué. Il était pâle, comme Gareth qui se tenait non loin. Mais je me fis violence, souriant doucement, bienveillante, discrète.Chacun retrouva ses quartiers, sans doute pour se délasser enfin, en sécurité. Et naturellement, je cherchais à parler à mon père en premier. A mon roi. Je me déplaçais jusqu'à ses appartements, frappant doucement à la porte. Personne pour m'annoncer. Je n'avais cure du protocole. J'étais chez moi, les circonstances étaient exceptionnelles.« Père ? Je souhaiterais m'entretenir avec vous, brièvement. Êtes-vous en état de me recevoir ? Ou trop las par le voyage, peut-être désirez-vous vous reposer ? »Quand bien même cela serait le cas, je doutais fortement qu'il me l'avoue. Pourtant, j'avais vu son visage creusé, par la fatigue, par les tourments, par la maladie. Il était vulnérable le vieux loup du Nord. Et il vivait avec des décisions difficiles à prendre. Qui rongeaient son âme. Être roi était une lourde responsabilité, un poids...

Le défilé était à la hauteur des attentes que j'avais formulées. Partout, des bannières Stark, des bannières des maisons nobles de notre pays. Partout, des pétales de fleurs blanches, autres symboles encore du Nord, jetées sur les hommes qui fièrement, défilaient hallebardes et lances à l'épaule, épées au côté. Les tambours tonnaient la progression au travers du méandre des rues de ma cité, et nous étions acclamés. Je savais qu'en individus pragmatiques, mes nordiens avaient déjà dû entendre parler du bain de sang et du carnage qui s'était ensuivit; on surnommait déjà la bataille gagnée La-Mort-aux-Loups, ce qui en disait long sur l'importance toute solennelle de l'événement dans notre Histoire, notre folklore pour les années à venir. Ils savaient tous que nous avions gagné, que la bataille avait viré au carnage pour l'ennemi, mais ils savaient tous qu'il s'en était fallu d'un cheveu pour que le point de bascule de la bataille ne retourne la situation contre nous, avec une violence terrible. Je restais maintenu sur mon destrier, au milieu de mes fils et généraux, pendant toute notre progression. Je serrais les dents, gardant un visage fermé. Lever la main droit et saluer la foule de mon peuple m'aurait volontiers tiré une grimace de douleur, tant cela tirait sur mes côtes, toujours en souffrance. Pour autant, j'étais ravi d'être là. La joie du peuple était communicative et si mon humeur était toujours pleine de rancoeur et de fiel, je n'avais pas à beaucoup me forcer pour donner le change. Il restait encore à enterrer Bran, dans la sépulture de mes autres frères. Ce caveau ne contiendrait pourtant que trois corps sur quatre, car l'un d'entre eux n'avait pu être récupéré, mort noyé il y a des années contre les boutres fer-nés.


L'alcool coulait déjà à flots dans l'assistance, partout des banderoles, partout des vivats. L'armée se déploya sur la grand-place de la forteresse, mais faute de place, certaines unités attendaient dans les rues parallèles. Je restais droit et fier dans mes cuirs sombres, paré de la cape frappée du loup-garou, masquant mes bandages et mes sangles par la même occasion. Ma cour était assemblée devant mes vétérans. Toujours monté, je jaugeais la masse de mes soldats.


| Soldats! Vous revenez aujourd'hui d'une guerre terrible. Vous vous êtes battus avec courage, avec fierté. Vous vous êtes battus avec cet honneur et ce sens du devoir, du sacrifice, qui caractérise les armées du Nord depuis la Longue Nuit. Vous êtes un groupe à part, dans tout Westeros. Vous êtes unis pour tout un continent, face à son adversaire le plus terrible, le plus impitoyable. Tous ensemble, nous avons fait face. Nous nous sommes serrés les coudes dans les moments les plus difficiles. Dans ces batailles, nous avons vu la mort et l'avons affrontée ensemble. Je suis fier d'avoir combattu avec chacun d'entre vous. Vous méritez tous de profiter de la gloire qui est la vôtre. Je ne vous mentirais pas; le Nord est toujours en danger et nous aurons à livrer ensemble d'autres batailles, car le Nord est cerné d'ennemis et de défis qui veulent sa mort. Mais entouré de nordiens, d'hommes tels que vous, mon coeur se gonfle d'espoir. Car nous ferons face ensemble. |


Clameur. Les prévôts et sergents dispersent les troupes, les nobles démontent et la garde prend place vers la forteresse. Je suis le mouvement, et on me débarrasse dans l'intimité d'une écurie de mes sangles. Je descends de cheval, et boitille vers la crypte, où les plus vieux amis et compagnons de Brandon nous attendent. Son corps est mis en terre. Certains pleurent le grand guerrier, le grand général. Je reste digne, en proie à de violents et contradictoires sentiments. Je repense à Bran, à Sigyn. A notre enfance, à notre jeunesse. A toutes ces batailles. A la crise, l'éloignement. Mon frère va me manquer. Je ne pleure pas, mais reste longtemps, tremblant, les doigts posés sur son masque mortuaire. Je ne pars qu'après un moment. On doit m'aider à monter les escaliers de mon propre domaine, et arrivé à mes appartements je suis épuisé. Je me délasse un instant, puis le mestre arrive et me change mes pansements, pour certains encore imbibés de sang et d'humeurs. L'infection n'est pas encore totalement partie, bien que les soins m'aient privé de ses effets les plus dangereux. Très vite, quelqu'un toque et entre alors que le mestre est en train de terminer. J'avale ses décoctions, quémande du vin. Je me tourne vers l'impudent, sachant très bien de qui il s'agissait.


| Jeyne! |


Je n'étais pas surpris de la voir; nous ne nous étions que croisés lors de la cérémonie. Je congédie le mestre d'un signe de tête. Tenue de deuil, qui me rappelle à mes propres cauchemars. Tout a changé. Je m'avance en boitant vers ma fille, l'enlace. Je la serre contre moi. J'inspire son odeur. Elle m'a manqué. Tout remonte à la surface, Mathie, la fatigue, la lassitude, la terreur des combats, la dispute avec Jon, la mort de Bran, le carnage final.


| Ma fille, je suis tellement content de te revoir. J'ai douté, un moment, que ce moment arrive un jour. |


Je ne la lâche pas, mais desserre mon emprise pour la regarder.


| Plus belle que jamais, ma douce. Je suis ravi de voir que tu te portes bien. Avant toute chose, je suis fier de toi, saches-le. On m'a conté tes préparatifs et ce défilé, plus les festivités qui suivront, réchaufferont l'âme de mes loups comme il se doit. Qu'en est-il de ton autre mission, l'as-tu accomplie avec brio, elle aussi? |


Je parlais de mon remariage; j'abordais avec Jeyne tout ce qu'elle avait dû faire pour moi, avant de partager avec elle les derniers événements. Le plus important d'abord, avant que je ne perde le fil.

Je souris doucement quand mon père me vit. Je ne reçus aucun refus et pris donc son exclamation pour une bénédiction. Je demeurais silencieuse, le temps que le mestre termine son ouvrage. Une légère odeur incommodante flottait dans l'air alors que le pansement venait d'être changé. Il n'était pas guéri. J'ignorais à quel point il était mal en point et tenait le coup pour son peuple, pour son image. Il s'était tenu droit sur son destrier, alors qu'il devait être terriblement las. Il avait vieilli. Le temps semblait l'avoir rattrapé durant ces derniers mois. Il était fatigué. Las. Amaigri. Non, il n'était pas immortel, le vieux loup du Nord. Et durant cette bataille, il avait soigneusement prit soin d'assurer sa suite. Jon... Walton... Et même Lyman quelque part. Il voulait que ses fils et celui qui lui ravissait sa fille soient des guerriers, soient dignes de prendre des décisions, de protéger les leurs. La nouvelle génération allait bientôt prendre la relève et elle devait égaler, voire même surpasser l'ancienne.

J'observais de nouveau mon père. Il était le dernier. J'avais perdu un oncle. Il avait perdu un frère. Combien de guerriers qui avaient servi sous ses ordres, qui s'étaient battus à ses côtés subsistaient désormais ? Plus guère... Un a un ses frères d'arme les rendaient et fermaient enfin les yeux pour l'éternité... A quoi pensait-il ce soir ? Etait-il rattrapé par la mélancolie des jours anciens ? Je savais que la mort de Brandon le touchait énormément, malgré leurs différents. Il était le vestige d'une époque révolue. Une autre débutait. Plus sanglante et dangereuse encore, je le craignais.

Mon cœur se serra alors qu'il se levait et me rejoignait en boitant. Mon premier réflexe fut de lui intimer de demeurer tranquille, de le rejoindre pour lui éviter cette peine, mais je compris tout aussi vite qu'il ne souhaitait surtout pas être considéré comme diminué. Surtout par sa fille. Alors je ne dis rien, le laissant venir à moi. Je le laissais m'enlacer. Je ne voulais pas le blesser davantage. Ses blessures se trouvaient sur son torse. Je me contentais de poser ma tête contre son épaule, retrouvant sa protection, son étreinte rassurante. Je sentis une envie de pleurer me saisir, mais je la refoulais. Pas maintenant.

« J'ai crains également que cela n'arrive jamais. Mais les dieux ont, semble-t-il, exaucé quelques unes de mes prières. »

Pas toutes. Brandon, lui, n'avait pas été épargné... Mon père desserra son étreinte pour me regarder, mais ne me lâcha pas pour autant. Je souris quand il me complimenta, que ce soit sur mon physique ou sur ce que j'avais accompli en son absence. Mais je fus surprise qu'il se hâte tant de parler de son futur remariage. Je ne pensais pas que cela puisse occuper ses pensées aussi rapidement.

« J'avoue être surprise que cela soit votre première préoccupation. Seriez-vous donc impatient de retrouver la chaleur d'une femme à vos côtés ? »

Et la question était posée sans moquerie ou jugement. Juste une réelle curiosité. Si l'idée qu'une femme prenne la place de mère ne me plaisait pas, je savais qu'il demeurait un homme, avec des besoins d'homme, en atteste sa prostituée favorite. D'ailleurs, je ne l'avais pas revue depuis que je les avais surpris dans l'auberge tous les deux. Qu'était-elle devenue ? L'avait-il congédiée ? Se faisait-elle discrète en attendant que je parte ?

« Ou au contraire, seriez-vous ravi que je n'ai pas encore mené cette mission à bien et savourez-vous votre vie de veuf endurci ? »

Je m'écartais un peu, glissant alors mon bras sous le sien, pour lui apporter mon aide dans sa marche sans en avoir l'air. Je le guidais vers le lit, afin de nous y asseoir tranquillement.

« Je sais que votre temps est précieux, mais parlons un peu. J'ai bien quelques candidates en tête. Mais j'aimerais savoir : qu'attendez-vous d'une Lady Stark ? Au delà du fait de vous amener des richesses et des hommes, deux choses dont nous avons cruellement besoin. Comment aimeriez-vous que votre épouse s'occupe de Winterfell... Et s'occupe de vous ? »

J'avais parlé doucement. J'ignorais si je me montrais trop intrusive en lui demandant cela mais... Outre une alliance politique, je voulais qu'il connaisse un peu de réconfort pour les années à venir. Il m'avait choisi un beau parti et un homme avec lequel je pourrais connaître un peu le bonheur. Je voulais faire de même, choisir la meilleure épouse possible pour lui. Je lui devais cela.

Je me sens tout raidi par mes plaies en train de cicatriser bon gré mal gré, chaque mouvement me tire et est douloureux, mais d'un autre côté cette étreinte me fait du bien. Je me sens un peu plus à la maison. Je n'étreignais que rarements mes enfants. Durant leur enfance, quand il y avait eu cette histoire avec Sigyn et Brandon, j'avais eu du mal à les approcher, pendant longtemps. Ensuite, je n'avais pas été souvent là. J'avais été particulièrement dur et exigeant avec Jon, tandis que Jeyne avait très tôt été figée dans son attitude de Dame de Winterfell, et je n'avais pas encouragé les effusions. Mais là, ça me faisait du bien. Parce qu'elle était une des rares personnes sur qui je pouvais compter, même si la chose deviendrait peut être moins évidente avec le temps, l'éloignement, et la loyauté qu'elle nourrirait pour une autre famille, la sienne propre. Je n'avais plus Bran pour m'épauler, les choses semblaient plus compliquées que jamais avec mes propres fils. Dans l'absolu, c'était peut être un des derniers moments d'intimité que j'aurais avec ma propre fille, avec l'une des dernières personnes qui me restait proche. Alors, j'étais décidé à en profiter. Même si j'étais las, fatigué de tout. Paradoxalement, voir ma fille me rappelait que tant qu'il y avait du travail, du cœur à l'ouvrage, nous pourrons nous sortir de toutes les difficultés. Le Nord venait après tout de prouver sa force au monde entier, et j'avais quantité de chantiers à mener de front.


Ma fille pose sa tête contre mon épaule, et mon cœur se réchauffe pour la première fois depuis le carnage. Elle est dévastée par la mort de Bran, je le sens bien. C'est peut être le moment pour lui parler de son oncle, mais au moment même d'y penser, je me dis qu'il est des secrets qu'il est bon de garder pour soit à tout jamais. Je me ferme donc. Profitant de l'étreinte. Je ne souffle mot, ne remuant pas le couteau dans la plaie. Je ris doucement à ses paroles, m'éloignant doucement.


| Oh, non. Ce n'est pas de solitude que je parle. |


Avoir une femme à mes côtés était une réalité que je n'avais pas hâte de redécouvrir. Elles n'étaient que tentations, déceptions et danger. Elles mettaient à mal tout ce que j'essayais de construire, ou me poussaient à l'erreur. Je regardais ma fille.


| Passer par la boucherie que nous venons de vivre m'a fait prendre conscience de notre vulnérabilité. Je suis en deuil, j'ai perdu mon dernier frère, l'un de mes derniers amis et mon plus vieil allié, mais il ne voudrait pas que je pleure sur son sort alors que le Nord est toujours en danger. Tu dois nous assurer les Lannister et moi le Val, mais ni l'un ni l'autre ne saignera à notre place. Comprenons-nous bien, Jeyne. Je laisse l'amour à vous autres, jeunesse. J'ai besoin d'alliés, d'épées, de financements. J'ai besoin que notre situation se redresse au plus vite. Nos finances déjà, vont se gonfler suite à la victoire. Nous verrons bientôt le fruit de nos taxes et de nos productions regarnir le coffre, mais je vois les choses en grand pour toi et tes frères, et cela ne sera jamais assez. |


Le moment de lui partager mes plans était-il venu ? Je me rendais compte que j'avais peur. Peur de son refus, de son rejet, de son jugement. J'étais désormais déconsidéré par mes deux fils, l'un avec qui je m'étais disputé, l'autre qui apprenait sans se laisser détourner de son apprentissage par les sentiments de son père. Voulais-je déjà risquer l'éloignement avec ma fille ? Je me laissais guider par Jeyne, qui me soutenait et m'aidait à faire un pas devant l'autre. J'inspire, et j'agis d'instinct, faisant signe à ma fille de s'installer dans le fauteuil en face du mien, près du feu.


[En hide, gardons un peu de mystère...]






Je ne lui avais pas encore tout dit. Je lui avais dévoilé mes intentions. Pas leurs subtilités ni toutes leurs finalités. Si elle me rejettait, je serais alors effectivement tout seul. Mais je le ferais quand même. Westeros était un échiquier et la lecture que je faisais du positionnement des pièces était pleine de présages funestes, mais il n'était pas trop tard. Pas si nous agissions maintenant.

Naturellement, sa réponse fit naître la curiosité en moi. Même si cela n'avait guère d'importance... Père avait aimé Mère, autant qu'il le pouvait. Depuis sa mort, je ne l'avais guère vu jouer le joli cœur avec d'autres femmes, ni se préoccuper de se remarier. J'avais bien découvert l'existence de cette catin par hasard, qui me prouvait que tout roi et amoureux qu'il ai été, il demeurait un homme, qui avait besoin de satisfaire certains besoins, même si certaines choses à ce sujet m'échappaient naturellement, n'y ayant pas encore goûté. Pourtant, mon départ pour l'Ouest semblait avoir éveillé quelque chose en lui. Il désirait se marier, ou du moins, en avait parlé, suite à cette union avec les Lannister. Je me demandais pourquoi. Il y avait une raison. Il compléta quelque peu sa réponse en parlant d'alliance, de guerriers, d'argent. J'avais conscience que le Nord avait besoin de tout cela, surtout maintenant. Mais le vieux loup avait quelque chose en tête. C'était évident d'après sa dernière phrase.

Nous avions à parler.

De choses dont je n'avais pas eu conscience en venant le voir. Je voulais juste le voir pour lui dire combien il m'avait manqué et que j'étais heureuse de son retour, pour le serrer contre moi. Perdre brandon m'avait fait comprendre que je tenais énormément à mon père, tout absent il ai été de ma vie jusqu'à maintenant. Il ne l'avait pas fait parce qu'il ne nous aimait pas, mais parce que la guerre était une maîtresse exigeante. Aucune femme, aucune famille ne pouvait la concurrencer. Pas aux yeux de mon père. Il était né pour la guerre, ne vivait que par elle. Je l'avais toujours su. J'en avais pleinement prit conscience au cours de mes échanges avec Lyman, qui amenait un point de vue extérieur.

Je le soutenais afin de nous installer plus confortablement. Je m'assis dans le fauteuil qu'il m'indiquait, l'air grave. Peut-être étais-je trop sensible à ce qui m'environnait, mais je sentis mon cœur se mettre à cogner plus fort alors que mon père ouvrait la bouche pour parler. Je sentais la solennité du moment. Et sans doute sa propre tension.

Il y a des carrefours dans l'existence. Des moments dans la vie où on arrive à un croisement routier. On voit plusieurs directions, et on sait qu'une fois une direction prise, on ne pourra plus revenir en arrière. On ne pourra plus qu'assumer. Assumer et faire face à de nouveaux choix, qui eux-mêmes découleront des conséquences de nos actes. Je m'étais retrouvé dans ce genre de situation des quantités de fois dans mon existence. J'avais vieilli trop vite ; je me sentais déjà vieux, las, alors que je n'avais pas encore quarante ans. Je n'étais pas un vieillard comme jadis mon père. Je m'étais marié jeune, avais enfanté dans la foulée. J'avais assuré la transmission de mon patrimoine et l'avait fait fructifier au fil des années. J'avais eu des distractions, dans l'existence. Quand j'étais jeune, rien ne valait une bonne bagarre, un con accueillant ou une pinte bien fraîche. Puis, il avait fallu affronter Harren Hoare. C'était un défi que je ne souhaitais à personne. Dès que je trouvais une stratégie, il développait des parades, puis moi des contres. J'avais d'abord attaqué pour le prendre à contrepied, puis il m'avait repoussé. Moat Cailin et un siège horrible de plusieurs années, puis toutes ces bataille sur mer et dans les Roches, pour un statu quo que je ne pouvais pas laisser perdurer, et lui non plus. Le temps jouait contre moi. Avec son armée, ses ressources, il pouvait continuer de s'agrandir pour plus tard m'avaler. Je ne serais pas connu comme le Roi qui avait laissé le Nord sans défense, prêt à tomber une ou deux générations plus tard. J'avais donc choisi de négliger ma famille pour privilégier mon royaume. Pour qu'à terme, mes enfants aient bien plus que ce que j'avais reçu à leur place. J'avais travaillé d'arrache-pied, pendant des années. Aujourd'hui, j'affrontais les conséquences de mes choix.


Mes fils ne m'aimaient pas. Tous mes frères étaient morts. Ma femme m'avait trompé et était morte elle aussi.


Mais d'un autre côté, le Nord restait fort. Nous avions eu une terrible guerre ; une ville majeure détruite, des bandes de pillards de sauvageons, quatre batailles qui s'étaient soldées par la mort de dizaines de milliers d'hommes. J'avais perdu dix mille homme lors de ma dernière bataille. La victoire, la consécration. Et malgré un tel carnage, le Nord était toujours debout. Ses finances toujours largement positives, prêtes à être réinvesties. Son armée, toujours plus forte et plus expérimentée, mais moins nombreuse. Et pour la première fois de notre histoire, nous n'étions plus seuls.

Il y avait quelque chose de surréaliste dans la situation qui se jouait. Et pourtant, elle n'avait rien d'étonnante. Mon père était à peine revenu de la guerre, il avait failli y laisser la vie, il pleurait un frère, des milliers de camarades tombés au combat et il devait encore se remettre des terribles blessures qui avaient failli l'emporter et pourtant, il n'aspirait pas au repos. Comme si cela lui était étranger. L'oisiveté n'avait jamais été pour le roi du Nord. A quoi aurais-je pu m'attendre d'autre de sa part ? Il mourrait l'épée à la main et pas autrement. Nous nous étions rapprochés au cours de derniers mois. A un tel point qu'il me confiait aujourd'hui des choses qui m'investissaient dans ses plans. J'y avais ma part. Ce n'était sans doute pas ce qu'on pouvait rechercher comme attention de la part de son père, mais j'en étais néanmoins honorée. Je n'étais pas une fille juste bonne à marier et à enfanter. Il me faisait participer à ses plans, me donnait l'occasion de réfléchir et de m'exprimer. Et le connaissant... Et bien, c'était un honneur et le signe de son respect.

J'étais persuadé que beaucoup ne comprenaient pas l'ampleur des abîmes qui menaçaient Westeros. Les nobles ne pensaient qu'à fêter notre victoire, à panser leurs plaies et rétablir leurs rentes, tout en trouvant main agréable à laquelle se marier et joli minois à aimer. Je savais bien que c'était chose futile. Le mariage n'était qu'affaire d'alliance, la rente ne valait que pour le pouvoir qu'elle achetait, les honneurs étaient futiles, autant que la gloire, s'ils n'étaient pas convertis en prestige qui valait le pouvoir à son tour. Ils avaient tous envie de paix, quand ils rêvaient pourtant de guerre. J'avais pressenti le changement, quand les Hoare avaient étendu leur emprise, rognant les frontières du Val, agressant les miennes. Finalement, les choses avaient empiré quand Durrandon perdit la Néra et qu'elle échut à Hoare encore une fois. Son royaume était devenu si vaste qu'il était évident qu'il n'allait plus s'arrêter en si bon chemin, bien au contraire. Il avait changé la donne, en formant le plus vaste et le plus puissant royaume. Westeros se faisait à l'idée qu'un seul homme puisse prédestiner à son destin, et les Targaryen n'avaient finalement fait que surfer sur cette vague, usant de leurs dragons quand ils pensaient avoir l'avantage.

Je me levais alors de mon fauteuil, lissant ma jupe, avant de prendre une légère inspiration :

« Avant de partir... Je tenais à te dire... Tu as écrit dans la missive annonçant votre victoire et votre retour que j'aurais vent de rumeurs concernant certaines exactions... »

Je pensais bien sûr à ce qu'il avait fait aux survivants. A tous les survivants, qu'importe leur âge et leur sexe. Je n'osais imaginer les enfants ainsi crucifiés... Mais c'était la guerre. Pas de sensiblerie. Pas de pitié. Je m'accroupis en face de lui, posant ma main sur sa cuisse, et ajoutant à mi-voix :

« Sache que je ne condamne pas les décisions que tu as pu prendre. Personne ne peut savoir quel est le poids d'une couronne, combien chaque décision doit être pesée et réfléchie. Cela demande d'être parfois impitoyable et radical. Il est facile de juger quand on n'a aucun poids. Je n'y étais pas. C'est sans doute plus aisé pour moi de parler ainsi. Je ne peux qu'imaginer et mon imagination est probablement bien en dessous de la réalité. Mais je ne me suis pas battue non plus, je n'ai pas vu mes hommes mourir, souffrir en attendant la délivrance enfin, être terrorisés parfois. Enfin, quoiqu'il en soit... Tu as fait ce que tu devais faire. Pour le Nord, pour ton peuple, pour ta famille. »

Je souris, avant de me relever, lui embrassant le front au passage.

« Pense à te reposer et à reprendre des forces. Je compte bien que tu apparaisses au mieux de ta forme et de ta gloire à mon mariage. Le Nord s'en souviendra. »

Je me détournais alors, le laissant pour aller rejoindre Lyman. N'avais-je pas la bénédiction de mon père finalement ? Je souris légèrement, même si ces quelques semaines ne seraient qu'une accalmie, avant que la guerre ne reprenne de plus belle, je me sentais un peu plus sereine.