Ca y est, c’est le moment. Inspire, expire. Mahée obéit aux ordres mentaux qu’elle se donne, alors que la princesse Jaenyra, de l’empire étranger Valtigar, remonte, elle le sait, la colonne de ses hommes pour l’atteindre. La valyrienne n’en sait rien, mais la princesse de Dorne redoute ce moment autant qu’elle. Après tout, que ferait Mahée si, mut par le désespoir et la rancœur, l’un de ses hommes se jetait sur elle pour tenter de la tuer ? Voilà un scénario sur lequel elle n’aurait que peu de prise, une tragédie à laquelle elle ne pourrait rien. Une froide sueur perle sur son front de la couleur du caramel. Ses vêtements, aussi classiques que faire se pouvait, composés d’une chemise ample sous une armure de cuir renforcé ça et là par de la maille, à sa ceinture, le magnifique coutelas offert par Sarzir, toujours, n’ont rien de princier. Son seul atour trahissant son rang est la fine couronne d’or, discrète, ceignant son front, parure qui vise davantage à son identification sur champ de bataille, en cas de décès, que de symbole de pouvoir ou d’autorité. Sa longue cascade d’encre nattée sur son épaule, Mahée ne fait preuve, ce jour-là, d’aucune coquetterie. Il faut dire que l’heure est loin de s’y prêter. Après tout, son armée est en siège et cette foutue Spectremont refuse de se rendre. Mais cela, Jaenyra n’en est en rien responsable. Un raisonnement sournois pourrait lui souffler que les valtigar sont les responsables de cette débâcle, chaos duquel le félon a profité, mais la princesse n’en est pas là. Certes, les étrangers ont des torts, mais ils n’ont aucune responsabilité dans l’infâme duplicité du Toland.

Juste avant que la princesse valyrienne ne rentre dans là tente où, nerveuse, Mahée l’attend, cette dernière essuie ses mains moites sur son sarouel noir, avant de joindre ses mains, se tenant debout pour accueillir son hôte, dans une position qui se voulait digne. Enfin, c’est avec soulagement et un sourire que la jeune femme au teint de caramel accueille l’ouverture du pan de sa tente et voit, enfin, la princesse étrangère lui être introduite. Une fraction de seconde, la princesse est saisie de voir une femme à la chevelure corbeau, s’étant toujours attendue, sans savoir pourquoi, à ce que la dame ait une chevelure de nacre, mais l’éclat améthyste du regard qu’elle pose sur son hôte répond à toutes les questions que Mahée aurait pu se poser. Si les iris de la princesse sont noirs comme la nuit, ils sont aussi plein d’une certaine chaleur. Les mots d’Orys ont fait leur effet. La dornienne se revoit, il y a un an de cela, supplier les Braenaryon de lui confier quelques hommes pour le projet fou de reconquérir Dorne, après les multiples débâcles connues avec Deria. Elle aussi s’était présentée, sans rien à offrir et tout à demander, et elle se souvient que, à ce moment-là, ça l’aurait tuée que le couple impérial la toise avec mépris. Consciente de cela, ce n’est pas avec mépris que Mahée regarde Jaenyra, mais plutôt avec une certaine compassion, roide compte tenu du passif de l’empire valyrien en terres dorniennes, mais bel et bien de la compassion, et, plus important encore, elle ne la toise pas comme si elle n'était qu'une moins que rien, comme si elle lui était inférieure, non. Mahée regarde Jaenyra avec le respect d'une égale. Ni plus, ni moins.

« Princesse Jaenyra, je suis heureuse de pouvoir, cette fois, être celle à vous souhaiter la bienvenue sur le sol de Dorne. » Respectueuse du protocole, Mahée réciproque les égards qui lui sont montrés par l’étrangère assez magnifique pour avoir tourné la tête à Orys, peut-être la raison pour laquelle il s’est oublié en prenant des engagements pour nous…, songe la dornienne, en la voyant de près. « Vous avez raison, votre majesté. » Lui concède la princesse, oui, elles ont beaucoup à se dire. Autant qu’elles se mettent à l’aise. D’un geste, elle invite Jaenyra à s’installer dans l’espace qu’elle a fait préparer pour leurs négoces, une table basse entourée de poufs et coussins divers sur lesquels prendre ses aises. La table en elle-même, for simple, offre toutefois de quoi restaurer son invitée. Mahée avait demandé à Lin de faire de son mieux. Dès lors, avec très peu, la belle yitish leur avait concocté quelques brioches aux légumes et à la viande, de la soupe, des fruits, du fromage et du miel, ainsi qu’un thé dont on pouvait déjà percevoir les effluves. « Je vous en prie, installez-vous. Vos hommes peuvent patienter dehors. Robert Dayne se tiendra devant la tente, veillera à notre sécurité et à ce que personne ne vienne nous interrompre. » Peut-être cet accueil semblera-t-il trop chaleureux à Jaenyra, compte tenu des circonstances, mais, contre toute attente, Mahée n’a rien à gagner à se montrer austère et agressive. Après tout, si Orys dit vrai et que la dame a subi ses deux frères aînés, mérite-t-elle seulement qu’on l’agresse ? Du reste, la dornienne pense à long terme, voire, très long terme, et, dans une vision à long terme, les actions entraînées par la colère ne sont que des sources de chaos. Déterminée à ce que la Principauté sorte du chaos, et demeure en paix le plus longtemps possible, il lui faut tracter avec les valtigar, elle n’a pas le choix. Autant, donc, se faire de son émissaire une alliée, si elle le peut, plutôt que s’aliéner le contact avec un empire ennemi. Et enfin, au-delà de tout calcul politique, Mahée était ainsi, chaleureuse et accueillante, plus encore vu qu’elle espère, en secret, que cette entrevue n’est que la première de beaucoup d’autres. Tourner un empire ennemi en allié aurait de quoi être célébré, non ?

La tente quittée par les yeux indiscrets, la princesse vient prendre place autour de la table. « J’espère que vous avez eu bonne mer, princesse. » Elle ouvre, tout en versant du thé à la menthe bien chaud dans une tasse, qu’elle fait ensuite glisser jusque Jaenyra, avant de s’en servir une tasse à son tour. « Cet accueil vous surprendra peut-être, mais Orys Baratheon a intercédé en votre faveur. J’ai cru comprendre, en le lisant ainsi qu’en vous lisant, que vous n’aviez pas adhéré à toutes les… excentricités » le mot lui arrache clairement la bouche « … de vos frères. Vous êtes loin de chez vous, et chahutée depuis des mois. Je me suis dit que vous sentir aussi à l’aise que possible pendant que nous échangerions vous ferait du bien. » C’était quand, la dernière fois qu’on a pris soin d’elle ? Mahée sourit gentiment, et rit même un peu, une expression quelque peu désolée étirant fugacement ses traits. « Nonobstant, je vous prépare également à recevoir ma liste de doléances, savez-vous… » Son sourire se fait plus large, amusé, et elle lève la main en signe de paix. « Rien de sanglant, je m’y suis engagée, vous avez ma parole… Mais, je ne doute pas que quand vous connaîtrez le contenu de cette liste, tout fera beaucoup plus sens pour vous. » Elle lui sourit, gentiment. « Commençons-nous ? Oh, et il est évident que vous pouvez vous servir. Comme je vous l’ai dit par missive, la guerre et le siège ne nous autorise aucun faste, mais certaines des âmes qui composent cette armée ont des talents très inattendus, mais plus que bienvenus. Je vous laisse juge. » Elle lui indique les mets sur la table d’un geste de la main.