Taïna avait appris le retour de Mina ainsi que ses fiançailles avec un noble de l’Orage. Ainsi donc, quand sa meilleure amie lui était enfin rendue, c’était pour repartir encore plus loin et pour toujours ? La vie était foncièrement injuste parfois, mais c’était leur devoir à toutes deux que de quitter familles et amies pour rejoindre la Maisonnée de leur époux. Qui aurait cru que ce serait la Goldwyne qui partirait en premier vers sa nouvelle famille ? Certainement pas Lord Jaden qui depuis des années faisait des pieds et des mains pour marier sa fille en vain et en venait à désespérer de lui trouver un bon parti. Elle avait déjà vingt ans et toujours pas de fiançailles en vue. Heureusement elle n’était plus aussi laide que lorsqu’elle était enfant et jouait sagement avec les filles de ses vassaux. Mais la politique devenait compliquée avec une Reine infertile, un Prince plus prompt à déflorer les jouvencelles qu’à les épouser et les conflits qui ravageaient Westeros. Elle lui envoya un mot pour lui demander de lui rendre visite dès qu’elle le pourrait et attendit avec impatience la réponse de la future Dame de Pierheaume. Elle l’invitait à la rejoindre au château et avait fait préparer un carrosse et un pique nique. De quoi fêter son retour et marquer l'évènement de leurs retrouvailles et profiter du climat agréable de l'île et d’une après midi entière sans que personne ne les dérangent. Ni Aylan, ni Garlan, surtout. Elles pourraient partager leurs joies et leurs peines en toute intimité entre jeunes filles.



La Redwyne n’avait qu’une hâte c’était de la voir pour qu’elle lui raconte ses voyages, ses aventures et ses sentiments vis à vis de ce mariage à venir. Après tout, même si elle l’avait quittée pour faire son devoir de petite noble au service d’une famille plus importante mais très lointaine hélas, la Goldwyne avait été son amie durant leur enfance et elles avaient partagé de nombreux potins et des tas de réflexions. Elles avaient aussi partagé leur goût pour la musique et jouées ensemble à maintes reprises. Dire que la blonde lui avait manqué durant tout ce temps serait un euphémisme, elle n’avait pas retrouvé de suivante plus aimable et de compagnie plus agréable et riche qu’elle. Mais cela faisait si longtemps, une éternité lui sembla-t-il. Mina était alors encore presque une enfant, tandis que Taïna se voyait obligée de rester éloignée du Prince de ses rêves après que Kevan Gardenner l’ait embrassée. Toutes ees années, elles avaient gardé le contacte par missive, mais elle se faisait une joie de la revoir enfin. Comme elle devait avoir changé ! Bon. Elle était déjà très belle quand elles étaient petites, alors la Redwyne s’appreta avec soin pour ne pas faire tâche à côté de son amie. Mina avait toujours été plus jolie, mais elle s’était tout de même bien arrangée depuis.



Pour la grande rousse qui avait très peu voyagé et ne rêvait que d’un beau mariage son amie semblait avoir une vie de parfaite. Elle était curieuse de tout ce qu’avait pu vivre son amie et de ce qu’elle allait encore vivre. Elle était aussi un peu triste, car cela impliquait qu’elle ne la reverrait peut-être jamais ou en tout cas, pas avant fort longtemps. Or, il y avait peu de femmes de sa qualité, même ici, peu de femmes qu’elle pouvait réellement appeler amie. A la fois intelligente et bien élevée, elle l'appréciait beaucoup, leurs discussions allaient lui manquer, autant qu’elle lui avaient déjà manqué pendant les longues années où elle avait été au service des Tyrell comme dame de compagnie, mais plus encore car ce voyage était un voyage sans retour contrairement au précédent. Elle était aussi un peu jalouse qu’elle se marie avant elle. Evidemment son rang inférieur lui permettait de trouver plus facilement un parti acceptable, mais le temps passait et elle n’était toujours pas fiancée, c’était inquiétant. La Goldwyne était plus jeune et elle serait bientôt mariée dans l’Orage tandis que les propositions de Jaden aux Estermont, aux Targaryen ainsi qu’aux Gardenner étaient restées lettres mortes.



Ainsi, la vie de Mina ne cessait d’évoluer et de lui octroyer ce que toute jouvencelle souhaite et celle de Taïna stagnait sans le moindre rayon de lumière lui sembla-t-il. Comme elle avait de la chance se dit la jouvencelle en se parant de son plus beau sourire avant de rejoindre le carrosse qui les amèneraient pique-niquer dans une crique en bord de mer. Quand elle aperçut Mina, elle s’approcha et lui prit les mains.

__ Oh ma chère Mina, comme je suis heureuse de te revoir.

Surprise par une telle démonstration d’affection, Taïna mit un peu de temps à rendre son embrassade à Mina. Cela ne se faisait pas, en tout cas pas dans la cour du château avec autant de témoins, si ? Son père comme sa mère avaient toujours été des personnes distantes, il n’y avait pas de câlin ni de baisers chez les Redwyne, toute marque d’affection trop prononcée était mal vue. Tout geste trop passionné était déplacé et la tendresse, n’en parlons pas, c’”tait pour les petites gens les gens du peuple, et peut-être les demoiselles issues de la petite noblesse. Mais elle ne lui en voulait pas, car au fond, ce n’était pas la première fois que l’une et l’autres se prenaient dans les bras, c’était juste la première fois qu'elles le faisaient en public. Et elles ne s’étaient pas vues depuis si longtemps. La Goldwyne avait tellement manqué à la Redwyne, et elle allait partir si vite et pour toujours qu’elle n’avait pas le coeur de mettre fin à cette étreinte. Non vraiment pas. Et elle dû faire quelques efforts pour ne pas verser une larme.

__ Merci ma chère.



Elle recula un peu, reprenant les mains de son amie afin de l'observer avec un sourire.

__ Tu es aussi belle que lorsque tu as quitté la Treille, mais tu était une enfant et tu es une femme faite à présent.



Dit la jouvencelle touchée par le compliment de son amie, mais sans savoir s’il était sincère. Contrairement à la belle Goldwyne, elle n’avait pas été une petite fille très jolie et il semblait qu’elle s’était améliorée depuis, mais elle avait toujours un doute, le sentiment qu’elle n’était pas à la hauteur physiquement et qu’il lui fallait compenser par d’autres moyens, en l’occurrence, une grande piété, une soumission absolue et le charme de la musique et d’une tête bien faite. Mais sur ce point aussi, la blonde l’égalait et elle avait toujours souffert d’un certains sentiment d'infériorité compensé par le fait qu’elle était de bien plus haute naissance. Maigre consolation, surtout maintenant que la plus jeune était mariée avant elle !

__ Racontes moi, je suis curieuse. Hautjardin, les Tyrell. As tu vu la Reine ? On dit que c'est une beauté.



Taïna murmura pour que personne n’entende. La grande rousse approcha son visage de celui de Mina avec un petit sourire. Elle monta dans le carrosse en prenant la main de la future mariée pour l’inviter à la suivre, puis elle frappa du plat de la main sur la porte et le cocher démarra doucement. La voiture accéléra après avoir passé la large porte. Tout comme l'extérieur aux boiseries peintes d’une vigne chargée de grappes de raisins et aux pignons dorés, l'intérieur était beau et tout à fait confortable. Les sièges en velours lie de vin et la suspension permettaient d’échanger les ragots malgré les secousses du chemin. Quand aux rideaux verts, ils protégeaient la peau délicate des jeunes filles en fleur du soleil et gardaient leur inimitié sauve.

__ Et Lord Swann, que sais tu de lui ?



C’était un grand événement pour une femme de la noblesse de se marier, le plus grand certainement, en tout cas le premier d’une toute nouvelle vie dont Taïna rêvait. Or, la future Dame de Pierheaume avait trouvé là un bon parti, certes, l’homme n’était pas de toute première jeunesse, mais il était de bonne réputation et d’un grande Maison de l’Orage. Quelle tristesse cependant que Mina parte si loin et dans un autre royaume qui plus est. Cependant en attendant son propre mariage, elle pouvait bien nourrir ses songes de celui de son amie plutôt que de la jalouser en silence.



La mer approchait, on entendait les vagues rouler sur le sable et on sentait l’air du large qui soulevait les rideaux. Taïna les tira pour qu’elles puissent admirer le paysage. Cela lui rappelait leur enfance, lorsqu’elles allaient se promener sur le sable en se racontant les rêves de jouvencelles qu’elles avaient ou en discutant de leur dernière lecture. Jaden avait toujours refusé que sa fille monte à cheval pour être certain de préserver sa virginité, aussi il avait érigé l'équitation en péché mortel pour une fille et tout fait pour tenir sa précieuse monnaie d’échange loin des équidés. Ainsi ne se déplaçait-elle qu’en carrosse et avait-elle une peur bleue des chevaux. Mais cela présentait quelques inconvénients comme ne pas pouvoir sortir des sentiers battus, en même temps, il n’était pas dans la nature de la Redwyne de s’aventurer hors des chemins tout tracés qu’on lui avait montré.

C’était une chance d’aller à la capitale et d’y vivre comme Dame de Compagnie, cela pouvait ouvrir des opportunités que l’isolement, bien que relatif, de la Treille n’ouvrirait en aucun cas pour une jouvencelle d’une petite famille. pour Taina c’était différent, d’abord elle était invitée de fait, à tous les grandes fêtes organisés à Hautjardin, elle s’y rendait donc régulièrement, ainsi que dans d’autres châteaux du Bief. Nul n’oubliait la Maison Redwyne dans la liste des invités. De plus, son père faisait ses tractations et à présent, il pouvait faire valoir les atouts physique de sa fille unique en plus de sa bonne éducation, du renom de sa Maison de naissance et d’une dot en conséquence. Mais il avait probablement manqué à la jeune femme une amie durant toutes ses années. Dame de compagnie, Septa, tout ceci était bien beau, mais si elles étaient toutes gentilles, avenantes, elles ne l’étaient pas autant que la Goldwyne et elle ne pouvait pas toujours se confier à elles. Elle aurait pu la retenir auprès d’elle, la rappeler même, mais elle n’en avait rien fait. Parce que ce n’était pas lui rendre service et parce que cela avait quelques bons côtés que d’avoir de nouvelles régulières de la capitale, pour avoir en tête d’autres histoires que les habituels ragots de la Treille. Alors, oui, ces retrouvailles méritaient certainement une embrassade, aussi choquante et surprenante soit-elle.

__ Arrête, je n’ai jamais été jolie, tu me flattes.



Fit la jouvencelle en baissant les yeux, rougissant à son tour, flattée certes, mais doutant de ses charmes, encore maintenant.

__ Je me suis améliorée ces dernières années, il est vrai, mais je n’ai pas la finesse de tes traits.



Elle dodelina de la tête et replongea son regard dans les yeux de la future Lady Swann avec un petit sourire taquin.

__ J’ai tout de même de plus beaux cheveux.



Ajouta la Redwyne avant de rire de bon cœur à cette compétition amicale pour savoir laquelle était la plus belle. Mina sans aucun doute, cela n’avait jamais été une véritable question, et tout le monde semblait s’accorder sur ce point, malgré la nette progression du vilain petit canard. Mais si bien sûr, elle admirait son amie pour cela et la jalousait un peu, elle ne saurait lui en vouloir d’être plus jolie qu’elle, après tout, elle n’y était pas pour grand chose, et cela ne changeait rien à sa naissance, ni à son intelligence, ni à son cœur généreux. Bref, elle l'appréciait bien trop pour lui en tenir rigueur, et au moins la surpassait-elle d’un point de vue capillaire. C'était toujours ça de pris. Le physique bien sur importait pour trouver un mari, mais au fond, ils ‘agissait avant tout d’alliances contractuelles d'intérêt politiques dans laquelle la beauté n’avait que faire, la dot et le prestige compensait largement toute autre considération. Ensuite, plaire à son époux pouvait s’avérer le meilleur remède aux bâtards, mais toujours elle se fanait et il valait mieux acquérir le respect et l’affection d’un époux par d’autres moyens qui ne disparaissaient pas avec le temps. Ainsi souvent avait on consolé la jeune Taïna quand elle était encore un laideron, mais était-ce vrai, elle avait plus que jamais des doutes.

__ Hélas ma chère, nous n’auront jamais plus l’occasion de vivre les doux moment de notre enfance, quand nous avions tout le temps devant nous, pour jouer de la musique, discuter et lire. Mais nous garderons contact par missive. Toujours. Promet le moi !



Les deux jeunes femmes montèrent dans le carrosse et commencèrent à discuter du passé et de l’avenir, surtout celui de Mina qu’il s'annonçait plutôt positif.

__ Plus de trente ans ?



Taïna prit un air outré, mais c’était plus pour la forme. Au fond, ce n’était pas si vieux, on disait même que pour les hommes c'était la fleur de l’âge. Mina aurait pu plus mal tomber.

__ Et te voila prête à nous quitter pour de bon… Hé bien, il semble que ton père ait trouvé un bon parti pour toi alors. Vieux, mais pas encore croulant, de bonne naissance et de bonne réputation. J’espère qu’il sera gentil et attentionné avec toi, tu le mérite.



Yeux noisette perdus un instant dans la beauté, indéniable elle, sans artifice ni subjectivité, du paysage, elle se prit à rêver d'être aussi belle que cette île qui l'avait vu grandir.

__ J’espère que mon père trouvera rapidement un époux pour moi aussi. Dans l’Orage qui sait. Tu imagines si nous étions voisines ?



Il était bon de rêver.



S'arrêtant sur la plage à quelques pas de la mer le cocher et le laquais descendirent de la voiture pour décharger les malles contenant le nécessaire pour le pique nique. Taïna passa la porte et ses cheveux s'envolèrent dans la brise. Comme souvent en bord de mer, il y avait du vent, mais il n’était pas trop fort, elles pourraient manger ici et s’ils se renforçait il serait toujours temps d'aller se mettre dans un endroit plus abrité. Mais pour le moment et le temps que le laquais prépare tout, Taïna avait dans l’idée de se tremper les pieds dans l’eau. Elle enleva donc ses chaussures, attacha son grand chapeau afin de garder la peau bien blanche et proposa à son amie de faire quelques pas dans la mer.

Leur amitié était une chose précieuse qu’elle n'était pas prête à oublier sous prétexte que, comme il se doit pour deux ladies, la vie les séparait et les envoyait à des milliers de miles l’une de l’autre. Elle ne voulait pas y renoncer et ce quel que soit l’avenir de leurs royaumes, la paix ou la guerre, les menaces extérieures. Pierheaume au fond n'était pas si éloigné de la treille et tant qu’elle s’y trouvait, elle pourrait aisément se voir si tant est que Lord Jaden accepté qu’elle prenne le bateau, ce qui n’était hélas pas gagné malgré sa flotte immense. Le Sire de la Treille ne lui laissait que peu de liberté, préservant sa vertue et sa réputation avec hardeur, or les voyages étaient toujours un peu dangereux et il le savait, même sous bonne garde un bateau n’est jamais à l’abri des pirates et une jouvencelle jamais protégé des marins ou des reîtres. De plus, après ce qui avait failli se passer avec Kevan, il la savait par trop naïve pour éviter les pièges tendus par des hommes trop entreprenants et elle n’aurait peut-être pas deux fois la chance qu’elle avait eut alors. Celle d’être surprise par la Reine Tricia en personne qui avait mit fin à ce qui aurait pu se transformer en horreur pour elle et en infamie pour son nom. Il lui faisait confiance, elle avait été bien éduquée et mise en garde contre le péché, mais pas trop informée tout de même sur ce en quoi il consistait. On ne pouvait en dire plus à une chaste jeune fille de bonne famille qui découvrirait le devoir conjugal au grand soir de ces noces comme il se doit, et surtout pas avant. Alors Taïna attendait patiemment que ce grand soir arrive sans savoir ce qu’il lui arriverait, mais imaginant le pire comme on le lui avait inculqué. Le sang sur les draps en disait long sur les souffrances obligatoires qu’un époux infligeait à son épouse afin d’enfanter. Mais tel était son devoir et elle s’y plierait sans rechigner, mais avec son époux seulement, bien évidemment. En attendant elle devait garder les cuisses fermées et ce au prix des douces balades à cheval auxquelles pourtant, d’autres jouvencelles de bonne famille s’adonnaient.

__ Vraiment ? Tu trouves ? Je ne sais pas. Je trouve mon visage si grossier par rapport à celui de la plupart des jeunes filles, dont toi. Le Seigneur mon père m’appelait le vilain petit canard quand j’étais plus petite, à cause de mon front proéminent et de mon menton fuyant. Je n’ai jamais été considérée comme une belle femme. J’espère néanmoins trouver un époux digne de mon rang et que la mère bénisse notre union avec de nombreux enfants. Je te souhaite bien du bonheur avec le tiens.



C’était sincère, même si elle était triste de la voir partir et aussi de ne toujours pas être mariée, elle ne voulait que le bonheur de son amie et il y avait de grandes chances que sa beauté et son intelligence convainque son promis de la rendre heureuse. Après tout, elle avait déjà fait une grande partie du travail lors de leur rencontre, un tel mariage pour une Goldwyne, elle devait lui avoir tapé dans l’œil. Une preuve de plus que la Redwyne n’était pas si belle c’est qu’elle n’avait encore jamais tapé dans l’œil de personne, sauf Kevan, mais pas suffisamment pour qu’il l’épouse.

__ Je ne le permettrais pas non plus, d’ailleurs je compte sur toi pour m’écrire les potins de Pierheaume et de l’Orage en échange de quoi je t’informerais sur ceux de la Treille et de Hautjardin. Tu me manquera tant, Mina, je vais me sentir bien seule sans toi.



Elle ouvrit les mains et prit son amie dans ses bras, la serrant fort contre elle et essayant de grave ce moment dans son esprit. Elle versa une larme qu’elle laissa couler sur sa joue enfouie dans les cheveux de Mina, puis elle se redressa et se ressaisit bien vite, affichant bientôt un doux sourire. Heureusement tout dans ce mariage n’était pas si triste et il ne fut pas trop difficile de retrouver un peu de joie dans cette conversation. Elle voulait profiter de ces derniers moment au mieux, sans se morfondre sur la suite qui était le lot de toutes les pucelles du monde.

__ Ah bon ? Je ne l’ai jamais rencontré. Mais s’il est à ton goût, c’est le principale, et puisse son expérience ne pas être un fardeau pour toi.



Fit la grande rousse en mettant avec les doigts des guillemets sur le mot expérience avant d'émettre un petit rire. La trentaine, cela paraissait loin et pourtant ça n'était pas si vieux, Mina avait cette chance de ne pas devoir épouser un vieux crouton. Mais qu’importe l’âge en vérité, elle même, pas plus que la future Lady Swann ou n’importe qu’elle femme n’avait le choix et les veufs ne manquaient pas. D’ailleurs, plus elle même avançait en page plus ses chances d'épouser un jouvenceau s'amenuisaient, elle espérait ne pas épouser un homme trop vieux quand même, mais elle ferait son devoir avec celui que son père choisirait pour elle. Pourvu qu’il fasse vite.

__ Nos ventres sont à la fois notre bénédiction et notre malédiction. Sachons en faire bon usage et espérons que nos époux ne voient pas que cela en nous.



Porter les héritiers d’une maison était, avec prendre soin de son époux et de ses enfants la seule utilité des femmes, alors il fallait le faire bien. Certains hommes voyaient la beauté, l’intelligence, la vertu, la soumission, bien des qualités qu’on inculquait aux jeunes filles, mais cela importait peu, ou plutôt faisait partie du devoir de l’épouse, mais au fond, seule sa capacité à enfanter était réellement importante et vitale. Quelle tristesse d’ailleurs que Tricia n’ait pas d’enfants, c’était une grande Reine et Taïna ne comprenait pas pourquoi les Dieux ne lui accordait pas au moins un héritier. Quand à elle, elle priait tous les jours pour que son ventre soit fécond, quitte à y laisser la vie, car une vie sans cela n’était qu’une existence morne et vide de sens et une honte jetée sur sa famille de naissance comme sur celle de son mari. Et s’il décidait de la répudier, alors elle ne vaudrait plus rien et serait tout juste bonne à entrer chez les sœurs du silence. Quelle horreur.

__ Nous savons pourtant notre rôle et notre place, je suis certaine que, comparée à la Princesse de l’Orage qui n’a rien d’une femme d’après ce qu’on dit, nous ferions des Ladies digne de ce nom et de la Foi des Sept. Je reste humble malgré tes compliments et je ne saurais séduire qui que ce soit sans qu’on m’en intime l’ordre, je ne suis pas de ses viles tentatrices et je sais que toi non plus. J’espère qu’un homme bon et de bonne famille saura voir ce que tu sais de moi et dont je me dois de préserver la modestie, la jouvencelle puisse me préserver de manquer un jour de pudeur.



De petites vagues s'enroulaient autour des chevilles de la Redwyne qui avait soulevé sa robe avant de se tremper les pieds. Ici elle le pouvait, les valets n’oseraient lever les yeux de leur labeur pour regarder la fille du Seigneur des Lieux, elle avait toute confiance en leur respect pour sa pudeur et il n’y avait personne d’autre que Mina sur cette plage. L’eau était bonne, peut-être pourraient-elles se baigner après le pique-nique, il y avait une crique abritée derrière un pan de falaise écroulé et les serviteurs garderaient le dos tourné. Cela lui rappelait leur enfance commune, leurs baignades d’avant qu’elles ne soient femmes, leurs cavalcades et leurs jeux sur le sable. Une insouciance désormais disparue, emportée au large par la houle et les vents, par le temps qui désormais allait les séparer. Enfance bénie et bien lointaine désormais, se dit elle en regardant l’horizon bleu ou le ciel et la mer s’embrassaient. Elle jeta un regard complice à son amie avec un petit sourire de manigance et elle se mit à courir vers l’endroit où elles avaient l’habitude de se baigner à l’abri des regards indiscrets.

Taïna ignorait la façon dont Lord Jaden voyait ce mariage entre la dernière née des Goldwyne et un Seigneur d’une importante Maison Orageoise. Et elle n’en voulait pas à Mina, elle était un peu jalouse certes, mais plus du fait qu’elle se marie avant elle que de l’époux qu’elle avait trouvé et qu’elle méritait amplement, même si c'était effectivement aussi inattendu que supérieur à ce qu’elle pouvait prétendre de sa simple naissance. La grande blonde savait la future Swann vertueuse et instruite, et sa beauté ne faisait aucun doute. Telle était la chance des jouvencelles de basse naissance, être suffisamment jolie pour taper dans l’œil d’un homme riche et important. Elle, elle n’avait pas besoin d’être belle et tout tendait à confirmer qu’elle ne l’était pas car malgré sa naissance, elle n’avait toujours pas promis. Mais le Sire de la Treille visait haut pour sa fille, très haut, plus haut qu’un Seigneur des Marches, proche de la Reine Argella, mais pour autant d’un autre Royaume. Il visait le cœur de l’état, le Royaume du Bief, pour que par l’intermédiaire de sa parfaite poupée bien docile, il accède lui même aux plus hautes sphères et que la Maison Redwyne en sorte plus riche, plus grande, plus prospère et plus puissante que jamais. Mais Mern refusait de répudier son infertile épouse, il refusait de marier son frère le Prince malgré l’absence totale d’héritiers pour la Maison Gardener et Aegon n’avait pas même accepté de discuter avec lui pour négocier le contrat de mariage, lui préférant Aylan pour Visenya. Il en tirait grand ombrage et de tous ses déboires, en faisait porter la responsabilité à la jeune femme qui courbait l’échine sous les critiques. Elle acceptait de porter le poids des ambitions de son grand père comme un signe de son amour et de sa confiance et culpabilisait que ses tractations ne fonctionnent pas, se demandant toujours ce qu’elle faisait de travers et se faisant de plus en plus sévère avec elle même.

__ Tu n’es pas à mon service, mais tu l’as été. Cependant je ne crois pas que tu me compliment par intérêt, peut-être juste par gentillesse. Tu sais Mina, si j’étais si jolie que tu le dis, je serais déjà mariée. Je ne me fais pas d’illusion, c’est physique, les hommes ne tombent pas sous mon charme car je n’en ai point, c’est ainsi. Je ne peux croire que, même si j’ai des défauts, se soit mon caractère ou mon attitude qui les repoussent. Cela ne peut-être que mon visage, mes yeux de merlan frit et mon menton fuyant les rebutent. Mais je n’y puis rien si ce n’est faire de mon instruction, de ma bonté et de mes manières des qualités qui pourront, un jour, en convaincre un de m’épouser.



La jouvencelle qui ne savait rien des choses de l’amour, pas plus qu’elle ne savait ce qu’un homme pouvait aimer chez une femme ni ce qu’il pouvait désirer, n’ayant pas compris grand chose aux mots ni aux gestes de Kevan Gardenner dans la précipitation puis l’effroi qui l’avaient assaillie alors. Elle l’avait pourtant aimé, de tout son cœur, mais Lord Jaden et la Reine Tricia en avaient décidé autrement. Alors elle attendait, depuis qu’elle était en page de comprendre ce à quoi elle était destinée, elle attendait. Elle attendait sagement que son père lui trouve un bon parti qui scellerait une alliance intéressante, commercialement et politiquement, comme cela aurait pu être le cas avec les Estremont. Elle ne trépignait pas, elle ne réclamait rien, elle patientait et espérait être utile à sa famille, même si à mesure que les années passaient et que les refus s’accumulaient, il lui semblait qu’elle était plus un fardeau qu’un cadeau pour son père. Cela la rendait triste. Aussi triste que le risque grandissante de finir vieille fille, honte de sa Maison et risée du Bief, quelle horreur, plus triste que d’être laide et seule, car tout ce qu’elle voulait, c’était servir les siens, son père, son future époux, ses enfants et pour l’instant, les Dieux lui refusait cela. Alors elle se refusait tout manquement, tout écart de conduite et toute erreur et priait beaucoup afin que la mère lui accorde sa miséricorde, que l’aïeule lui accord la sagesse et que la jouvencelle lui accorde d’aimer son future époux de toute son âme.

__ Je te remercie, cela me donne du baume au cœur que tu me trouves belle. Même si tu as raison, on ne nous demande pas notre avis alors cela ne changera pas grand chose, mais cela peut-être être faire une différence entre épouser un vieillard, veuf et impotent, un second fils brutal et un Seigneur bien né et aisé. Bien sûr, la mère me pardonne mon impudence, ni l’âge ni le patrimoine d’un époux ne peuvent faire le bonheur de son épouse, et nul homme n’y est tenu. Mais il est certainement plus facile pour une femme de faire la joie d’un jeune Lord fortuné à l’avenir brillant que d’un Seigneur dont la lignée fut assurée par une autre et qui n’a plus rien à perdre ou à gagner et ainsi d’éviter les réprimandes verbales ou physiques.



Elle sourit, comme si tout ce qu’elle venait de dire n’avait rien de cruel ou d’horrible, mais l’était-ce vraiment, tant c’était normal, tant les femmes devaient accepter cette situation, et avec le sourire si possible ?

__ Je crains fort que tout déplacement à l’étranger soit proscrit pour moi. Père m'empêche de voyager pour ma sécurité, n’en prend pas offense. Il a toujours estimé qu’une femme n’avait rien à faire sur un bateau sauf pour aller rencontrer son époux. Cela porte malheur paraît-il, et très franchement, les périls dont il m’a fait part me glacent le sang. Entre les pirates, les tempêtes et les monstres marins, je suis bien les deux pieds sur la terre ferme.



Un frisson d'effroi parcourut la jeune femme en parlant des horreurs qu’on pouvait croiser sur la mer, surtout en ces temps d’instabilité politique. Évidemment prendre la mer ou la route pour aller se marier était une obligation et donc, la question ne se posait pas dans les mêmes termes pour Mina. Mais tout voyage inutile pour une jouvencelle était futile et par trop dangereux pour qu’un père aimant et attentionné comme l’était Jaden autorise sa fille à faire un aller retour jusqu’à Pierheaume. Cependant, s’il avait davantage laissé sa fille surprotégée et devenue trouillarde comme tout à force qu’on lui raconte les pires choses qui pouvaient arriver à une jouvencelle dans son genre afin de la dissuader de faire le moindre pas de travers, elle aurait peut-être eu plus d'occasion de trouver un époux. Les portraits que le Sire de la Treille envoyait n’étaient peut-être qu’un pâle reflet de la réalité et bien des choses pouvaient expliquer le refus de ceux qui l’avaient rencontrée à Hautjardin ou à Villevieille, les seuls endroits où elle se rendait régulièrement. Mais rien n’y faisait, Taïna ne voyait pas les erreurs stratégiques et les défauts de son Seigneur père, maître de toute chose, de sa vie et de sa virginité, et qu’elle aimait profondément. Et même lorsqu’elle pouvait les entrapercevoir, elle balayait tout d’un revers de main, le dédouanant, lui trouvant des excuses, accusant d’autres de ses torts. Elle s’accusait plus facilement d’être peu au goût des hommes que son père des errances matrimoniales dont elle était victime.

__ Personne, en tout cas, n’est venu directement à moi jusqu’ici… Enfin si… Kev… Le Prince Kevan. Mais tu sais déjà ce qu’il s’est passé. Il m’a embrassée et moi, charmeuse charmée, je ne l’ai pas repoussé assez fort, je n’ai pas crié assez fort. Ses lèvre ont manqué de me faire perdre pied, mais il m’a empoignée si brutalement qu’il m’a fait mal. Je… J’ai eut si peur Mina.



Séductrice, pécheresse ! Ces mots résonnaient dans sa tête aussi fort que les cloches d’un septuaire, comme des punitions divines. Elle aurait dû le repousser dès le premier baiser, lui montrer clairement qu’elle ne voulait pas. L’avait-elle fait ? Elle ne se souvenait plus, elle ne se souvenait que du goût exquis des lèvres de son Prince bien aimé puis de la peur, l’amour, puis brutalement, cet autre chose qu’elle n’arrivait pas à définir. Elle baissa les yeux, honteuse. Elle s'était déjà confiée à Mina qui venait alors d'entrer au service des Tyrell lorsque c’était arrivé et qui donc se trouvait à Hautjardin, sa seule véritable amie pour raconter un tel secret. Les souvenirs étaient encore plus flous, mais la frayeur elle était toujours là tenace, avec l'ignominie et le dégout d’elle même et ce sentiment d'être fautive sans comprendre exactement pourquoi. Tentatrice. Qu’avait-elle donc fait ? Son père avait demandé à Mern, mais le courrier était resté sans réponse et elle n’en avait jamais rien su. Avait-elle outrepassé la bienséance en lui souriant timidement ? Quand aux autres propositions, s’il y en avait eut, elle n’en savait rien. Son père ne la mettait que rarement dans la confidence de ses tractations, sauf après coup lorsque la déception d’un nouvel échec le faisait sortir de ses gonds.

__ C’est bien normal, il est plus correcte de demander à père et bien sûr, si la proposition ne lui convient pas, il n’a pas de raison de m’en parler.

Taïna n’en voulait pas le moins du monde à son amie, elle était juste triste de la voir partir si loin et de voir le temps passer sans qu’elle ne soit encore fiancée. Mais s’il lui venait parfois le sentiment que son père peinait à trouver un prétendant à la hauteur de ses ambitions, elle se flagellait, elle et elle seule, de ne pas savoir attirer à elle de nobles jouvenceaux dignes d’épouser une Redwyne. Effectivement, la belle Mina ne lui ferait plus d’ombre une fois mariée à des centaines de milles du Bief, mais elle ne serait plus non plus présente comme amie proche et cela, pour sûr allait lui manquer. Mais la future Lady Swann avait raison, le Sire de la Treille était exigeant dans le choix des hommes qu’il prévoyait pour sa fille, il visait haut. Rien d’étonnant connaissant l’importance de la famille au sein du Bief et la dote conséquente qui pouvait accompagner le mariage. Hélas, ses rapprochements avec la Maison Targaryen n’étaient pas bien perçus par une majorité de grandes Maisons Bieffoises et d’autres choses, des accords secrets entre un Roi et son frère, des amours cachés et des rivalités séculaires n’arrangeaient pas les affaires de Taïna sans même qu’elle ne le sache. Mais sans nul doute, un jour, elle serait envoyée au loin épouser un homme qu’elle ne connaissait pas pour faire briller sa Maison et son nom et donner des héritiers à une autre, pour conclure un accord commercial, politique ou militaire. Pas trop loin espérait-elle.



Alors que la jeune Goldwyne insistait sur le fait qu’elle pouvait plaire et qu’elle devait arrêter de se dévaloriser, la grande rousse rougissait de plus en plus. Elle ne savait pas trop quoi en penser, elle si laide quand elle était enfant était devenue une belle jeune fille au fil du temps, mais elle ne le voyait pas, toute habituée qu’elle était à ne pas plaire justement et à cacher son physique peu avenant derrière une docile timidité. Mais elle avait de beaux cheveux, de belles robes et une éducation parfaite, cela pourrait suffire probablement. Mais cela serait-il suffisant pour faire briller la Maison Redwyne ? Il le faudrait certainement, mais peut-être était-ce un poids trop lourd à porter pour le vilain petit canard de la Treille. Elle se redressa cependant et essaya de retrouver une contenance avant de dire, aussi assurée que possible :

__ C’est vrai, en tant que fille unique de Lord Jaden, je suis la seule à pouvoir glorifier la Maison Redwyne par le mariage avec une grande famille et les nobles plus importants que nous ou plus riches ne sont pas légions.



Oh, ce n’était pas de la prétention mal placée, juste la réalité. La jouvencelle eut un petit rire. Les Redwyne portaient le sang de Garth Mainverte et leur commerce était florissant, leurs vins connus jusque par delà le détroit, leur flotte redoutée jusque dans les Îles de Fer. Peu de familles du Bief pouvait s'enorgueillir d’avoir autant de cartes en mains et il était plus facile de faire une mésalliance qu’un bon mariage quand on était dans une telle situation. Elle savait cela, elle connaissait suffisamment bien son père pour savoir qu’il ne pouvait que viser haut et que, par conséquent, les mariages potentiels se comptaient sur les doigts d’une main. Elle savait aussi qu’il était opportuniste et pouvait attendre son heure afin de lui octroyer le meilleur. Mais le temps ne s'arrêterait pas pour autant et son âge avançant, il serait de plus en plus difficile de lui trouver un mari. Il fallait trouver le juste milieu, le bon moment et en quelques sortes, le mariage de son amie Mina marquait le fait qu’il était peut-être temps de commencer à se hâter et de cesser, en tout cas, d’attendre que le meilleur parti disponible arrive de lui-même.

__ Je t’écrirais et je serais avec toi dans toutes mes prières, je le jure.



La Redwyne sourit. La distance qui allait à présent se mettre entre elles, les devoirs d'épouse de Mina, puis, très certainement bientôt, de mère. L’obsession de Lord Redwyne pour la sécurité de sa fille et sa propension à la garder enfermée non par des serrures closes, mais par la peur. Tout ceci risquait fort de les éloigner toutes deux pour toujours. Cependant, Taïna était sincèrement heureuse pour son amie, elle espérait que ce mariage serait aussi heureux qu’il était prestigieux et que Lord Béric serait doux et aimant. Quand à leur amitié, l’avenir restait à écrire, peut-être ne tenait-il qu’à elles de garder le contacte.

__ Oui…



Fit-elle en baissant la tête. Repensant à ses sentiments pour le Prince Kevan, sincères et toujours présents en vérité. On l’avait éloignée de lui pour qu’elle ne faute pas, pour préserver sa virginité et sa réputation. Elle sourit et reposa les yeux sur son amie, elle avait véritablement hâte d’être mariée et de fonder une famille, d’enfanter, malgré tous les risques liés à la grossesse et dont, bien sûr on n’avait pas manqué de la farcir pour qu’elle ne fasse pas l'erreur de risquer une telle chose en dehors des liens sacrés du mariage. C’était certainement là le meilleur moyen de finir chez les Sœurs du Silence et ce n’était pas ce qu’elle désirait. Elle voulait échanger des missives avec Lady Mina Swann sur leurs enfants, pour annoncer une énième grossesse , peut-être même organiser un banquet où elle pourrait l’inviter avec sa famille. Cette perspective évoquée par la Goldwyne lui rendit le sourire radieux qu’elle affichait parfois.

__ Oh oui, nous écrirons de longues lettres pour nous plaindre de nos époux respectifs et encenser nos enfants chéris.



EElle rit, de bon cœur cette fois, mais elle s’assombrit quelque peu. Elle avait bien essayé, malgré l’évocation d’un mariage qui l’aurait rendue plus qu’heureuse à n’en pas douter, de ne pas repensé à son premier amour et au fait qu’elle l’aimait toujours de tout son cœur. Elle essayait de l’oublier, mais n’y parvenait pas vraiment. Alors, elle partagea avec Mina une de ses nombreuses réflexions à ce sujet :

__ Je suis presque certaine que père en a fait la demande. Je me demande juste pourquoi elle n’a pas été acceptée. Je l’aimes tu sais, et je pense qu’il m’aime aussi, son comportement, aussi déplacé soit-il le prouve… non ?

Les deux jeunes femmes, loin de se douter que le Bief et l’Orage seraient un jour en guerre et que les missives tarderaient à arriver ralenties ou arrêtées par le armés et que leur correspondance semblerait certainement suspectes se promettaient d’être toujours là l’une pour l’autre, au moins grâce aux corbeaux. La pure naïveté des jouvencelles qui ignoraient tout des desseins de leurs pères, de leurs frères, de leurs rois et de leurs futurs époux. Car après tout, une fois mariée, elles leur appartiendraient corps et âme, qu'elles les aiment et les apprécient ou non. Täina avait toujours été consciente de cela, elle voulait un Prince charmant bien sûr, un jeune homme, beau et avenant, galant et fortuné, bien sous tout rapport, peut-être même tendre. Et elle pouvait y croire un peu étant donné son rang et les richesses de sa famille, mais elle savait aussi qu’elle pourrait fort bien être mariée à un vieux seigneur peu avenant. Elle était donc prête à toutes les concessions du moment qu’elle faisait un mariage utile à sa famille et au Bief et que son fils aîné héritait du domaine familial. Elle ferait son devoir, obéir et pondre un héritier dans les plus brefs délais. Restait à trouver le parti adéquat avant qu’elle ne finisse vieille fille fripée et plus bonne qu’à servir les morts ou les Dieux.

__ Merci.



Sourit la Redwyne. Mina avait entièrement raison, son physique ne comptait que peu au final, les alliances étaient politiques et l’amour n’existait pas dans ce monde. Rares étaient celles qui avaient la chance d’être marié avec l’homme de leurs rêves et d’en être aimées en retour et elle ne s’imaginait pas faire partie des chanceuses, encore moins avec ce physique de jument qu’elle avait. Elle compensait autant que possible en étant docile, douce et gentille, suffisamment cultivée pour tenir une conversation, suffisamment polie pour se taire et très pieuse.

__ Je prierais pour toi. Pour qu’il ne te batte pas et qu’il ne t’impose pas ses maîtresses et ses bâtards à Pierheaume, qu’un moins il fasse preuve de discrétion et de respect. Les hommes ont des besoins, j’en ai bien conscience, mais les hommes de bonne famille n’étalent pas leurs infidélités au grand jour.



Jaden Redwyn avait peut-être déjà eu des maîtresses, mais elle n’en avait jamais rien su. A la Treille on ne mélangeait pas les torchons et les serviettes en légitimant n’importe qui et en ouvrant les portes du château à n’importe quelle fille de mauvaise vie et ses bâtards sortis d’on ne sait où. Quant à la violence au sein du couple, Täina s'était pris tellement de gifles de la part de son père qu’elle trouvait ça normal, et effectivement il avait le droit de la battre tout comme un époux avait le droit de corriger son épouse. Cependant, elle savait que certains abusaient, les histoires sordides circulaient parmi les jouvencelles et les suivantes, rumeurs plus ou moins avérées ou simples légendes destinées à trembler en gloussant les soirs d’hiver au coin du feu. Il fallait se méfier des hommes violents et être bien soumise afin d’éviter d'envenimer les choses.



Taïna sourit à son amie qui serrait ses mains. Elle comprenait le message, mais elle ne pouvait simplement pas y croire, son père, un homme en qui elle avait toute confiance, lui avait toujours dit le contraire. Elle avait beau adorer Mina, se fier à son jugement sur bien des points et la respecter, une parole de sa part n'effacerait pas les années de dénigrement en un claquement de doigt. Heureusement elle pouvait se passer d’être belle, elle était riche et de haute naissance, bien consciente que son physique, au fond, n’était pas capital dans les négociations, même si cela pouvait aider, ou en l’occurrence, freiner les pères des jouvenceaux.

__ J’aimerais bien. Mais au fond, même si ce n’est pas un Prince dont je suis amoureuse, je ferais mon devoir.



Finit-elle par répondre en levant à son tour ses robes afin d‘entrer dans l’eau jusqu’à mi mollet. Tout comme Mina, elle aimait la mer, pas voguer dessus, non, grands Dieux, mais tremper ses pieds ou même se baigner, la regarder aussi. Elle était d’un bleu limpide ce jour-là, comme les yeux de son amie qui lui avait tant manqué et qui repartirai bientôt, pour toujours, à Pierheaume. La vie à la Treille était douce, pleine de lumière, de fleurs et de soleil, et elle se prit à se demander si sa vie après le mariage le serait autant, où donc elle atterrirait, dans quelle famille, dans quel coin du Bief. Évidemment, elle n’avait jamais songé rejoindre un autre Royaume, même si c’était aussi une possibilité. Elle se disait que si elle était privée de la mer, se serait difficile de s'habituer, mais désespérée comme elle l’était, elle ne ferait pas de chichis pour si peu, elle ne ferait pas de chichis ni de manière du tout. Elle ferait ce qu’on lui disait de faire et irait où on lui dirait d’aller, même si toujours, La Treille lui manquerait, elle le savait, mais c’était certainement toujours ainsi, le lieu de votre enfance vous manque à tous les coups, bénis soient les héritiers qui y restaient, mais elle avait toujours su qu’elle ne pourrait y demeurer toujours, sauf si elle ne se mariait pas éventuellement, mais cela était pire qu’une malédiction.

__ Allons manger veux-tu ?



Proposa-t-elle avant de sortir ses pieds de l’eau et de se diriger vers l’endroit installé sous un dais pour le déjeuner.

Lady Redwyne avait toujours dit à sa fille que le bonheur d’un mariage était la responsabilité de l’épouse, l’homme ayant bien d’autres chats à fouetter que de s’occuper de ça. Il se construisait dans le temps, avec une femme aimante et attentive qui ne demandait rien en retour et si elle avait la chance d’éveiller les sentiments de son mari et sa tendresse, elle devait en être comblée. Mais si tel n’était pas le cas, c’était toujours sa faute, soit qu’elle ne fasse pas assez d’efforts, soit qu’elle ne corresponde pas à ce qu’il attendait. Alors elle devait redoubler d'efforts. De même s’il la trompait, c’était parce qu’elle ne remplissait pas son devoir conjugal correctement. Bref, le couple et la famille étaient le domaine de la femme et aussi sa responsabilité. Les mariages arrangés de la noblesse ne garantissaient pas l’amour et cela, malgré les romances qu’elle pouvait lire, Taïna le savait parfaitement. Il ne tenait qu’à elle pour autant de se faire apprécier de son futur époux afin de garantir la pérennité de l’alliance conclue par le mariage et son bonheur, ou au moins l’absence de violence ou pire, de répudiation.

__ C’est tout ce que je te souhaite, un fils dans l’année du mariage, beau et bien portant, une héritier qui deviendra fort et qui ressemblera à son père. Et une fille pour te ravir, te chanter des chansons et constituer une alliance, qui sera aussi belle que toi.



Avec un peu de chance, il y aurait d’autres enfants, la mère de Mina en avait eu beaucoup, c’était bon signe, tout comme celle de Taïna d’ailleurs. De quoi convaincre un homme de l’épouser pour s’assurer une descendance fournie. La jeune femme ignorait ce qui pouvait bien se passer pour qu’avec tous ses atouts, elle ne soit toujours pas mariée, elle pensait que c’était sa faute, et pourtant elle avait vraiment l’impression de faire le maximum pour se montrer tout à la fois docile, cultivée, agréable et pieuse. Que leur fallait-il de plus ?

__ Je te remercie, je vais essayer de me faire un peu plus confiance, cela pourrait aider mon père dans ses tractations, qui sait ?



Elle sourit et se dirigea bientôt vers le dais installé pour préserver sa peau laiteuse du soleil afin de ne pas ressembler à une paysanne. Elle s’assit et le repas commença avec des tartelettes variées en entrée et un verre de vin de la Treille. Les deux jeunes femmes évoquèrent leurs souvenirs communs avec joie durant tout le repas. Les années que Mina avait passées au service de Taïna étaient d'heureuses années d'insouciance où elles se racontaient des histoires à propos du Prince charmant sans que les réalités du mariage ne soient trop prégnantes. Elles avaient profité de la beauté et du doux climat de leur Île natale, elles avaient grandi aussi, apprenant la musique, la broderie. Deux petites filles sages qui faisaient ce qu’on attendait d’elles avec un certain plaisir, même si Taïna s’était toujours trouvée moins jolie que son amie et qu’elle en était fort triste.



Gagnant bientôt le dais la chaleur devenait étouffante et quand elles eurent terminé de manger, Taïna proposa d’aller marcher à nouveau les pieds dans l’eau pour se rafraîchir. Elles rentrèrent en fin d’après midi et se quittèrent en promettant de se revoir bientôt, mais les préparatifs du mariage de Mina et son départ pour l’Orage en décidèrent autrement. Telle fut leur dernière rencontre avant que la guerre n’éclate entre le Bief et l’Orage.