On pourrait croire qu’en étant Princesse, Mahée ne se laisserait plus intimider par qui que ce soit, ni quoique ce soit. Elle est capable de missives diplomatiques qui n’ont rien de diplomatique, elle est capable d’écrire noir sur blanc à un souverain étranger aux multiples armées d’aller se faire voir chez les grecs pour qu’elle cède un pouce de terrain, le tout avec un aplomb, une assurance, une foi, qui confinent à l’aliénation. La femme est capable de mener son armée, ce qu’elle fait depuis près d’un an maintenant, tête féminine avant même d’être couronnée, suivie par des milliers d’hommes. On pourrait croire que, tout cela mis bout à bout, lui conférerait un sentiment de puissance inaltérable, un sentiment qui pourrait écraser les autres… Et pourtant, au moment de sortir de sa tente, non plus habillée en dame mais en garçon manqué, avec sa sempiternelle armure de cuir, entretenue mais qui, après un an à être portée presque tous les jours et contrainte à un mode de vie de campagne rude, qui a connu des jours meilleurs, Mahée se sent ridicule. Rattrapée par ses souvenirs de jeunesse, elle se souvient des airs hilares qui l’avaient accueillie, la première fois qu’elle avait parlé d’apprendre à manier des armes. Elle n’était pas si ambitieuse, ne souhaitait pas devenir un grand guerrier, mais souhaitait contraindre son corps et son esprit à l’apprentissage d’arts martiaux de sa culture, exactement comme elle a eu à cœur d’apprendre à danser leurs chorégraphies traditionnelles. Depuis toujours, Mahée respire Dorne et son soleil, et son amour de sa patrie a toujours été infini, absolu. Conciliant face à ses arguments, Noah, le père de la dornienne, avait concédé à sa fille son caprice. Bien sûr, jamais elle n’a atteint le niveau de la reine Argella ou de l’Impératrice Rhaenys. Mahée n’a rien d’une redoutable combattante, et ça n’a jamais été son objectif de le devenir… Non, ce qu’elle voudrait être capable de faire, c’est de vendre sa peau le plus chèrement possible.

Aussi vrai que son amour pour sa patrie, Mahée sait aussi qu’il sommeille en elle une fureur de vivre impossible à contrer. Cette fureur l’a faite sauter d’un bateau pour tenter d’échapper à des pirates, l’a faite tenter le tout pour le tout à Grigibet, enfourcher un cheval, agir avant de réfléchir, par instinct… Mahée sait qu’elle a tout cela, mais elle doit encore apprendre à le canaliser, et à solliciter l’état de conscience altéré qu’il suscite à volonté. Pour cela, il n’y a pas 36 solutions, elle doit continuer à pratiquer, et, pour cela, elle doit rejoindre l’espace commun aux soldats et officiers dédié à cette activité. Son pas est assez lent, mais se veut assuré au moment de se joindre à la lice. « Bien le bonjour messieurs. Permettez que je me joigne à vous. » Elle se veut joviale, et enthousiaste, espérant créer le moins de malaise possible avec ses soldats, mais, au fond d’elle-même, Mahée se sent ridicule. Eux s’entraînent pour être des brutes, le moindre de ces hommes pourrait la briser en deux comme une brindille, et pourtant elle est là, à essayer non pas de se mesurer à eux, mais à essayer d’apprendre à ne pas mourir trop vite.

D’ordinaire, Sarzir a la gentillesse, et la prévenance, d’être son adversaire et donc de la sauver de l’humiliation. Seulement, aujourd’hui le Général doit préparer ses hommes pour l’assaut prochain qu’il devra mener, et Mahée est abandonnée à elle-même. N’importe. Si elle se sent intimidée, loin d’être à sa place et préférerait se réfugier dans un endroit où elle ne risquerait d’embarrasser personne, et surtout pas elle-même, la Princesse se force à demeurer en place, et à pratiquer. Après tout, au-delà de la pression des regards des hommes, la jeune femme le fait principalement pour elle-même. Après tout, son corps profite aussi des exercices réguliers qu’elle s’impose, aussi risibles soient-ils pour un œil extérieur, pour se renforcer, petit à petit. Après un an de cette routine, une bonne correction/leçon donnée par la reine Argella et les conseils de Sarzir, Mahée peut se féliciter de faire des progrès. Pas de quoi remporter un tournois, loin de là, mais elle a déjà développé quelques réflexes qui pourraient lui être salutaires, dans le futur. De quoi l’encourager à persévérer.

La voilà donc, sans aucun atour princier, sa longue cascade de cheveux d’encre nattés sur son épaule, à s’échauffer, répéter quelques parades, quelques attaques… Mais, indubitablement, elle a besoin d’un adversaire. Ses muscles prêts, la dornienne se met à parcourir la lice des yeux, à la recherche d’un partenaire, quelqu’un qui serait prêt à s’abaisser à son niveau pour lui permettre, à elle, de progresser. Hélas, tous les soldats semblent déjà groupés, et occupés. La princesse est sur le point de se décourager quand ses yeux finissent par croiser ceux d’une autre femme, également habillée comme si elle était prête à quelques passes d’armes. Immédiatement, Mahée s’égaie, ses yeux se mettent à pétiller et elle se précipite vers la jeune femme. « Bonjour ! Êtes-vous ici pour vous entraîner aussi ? Accepteriez-vous de faire quelques passes en ma compagnie ? » Elle demande, sans détours, sans avoir besoin de s’inquiéter de son identité, sans souci de hiérarchie ou de protocole, trop heureuse de, pour une fois, avoir l’occasion d’échanger avec un adversaire de son propre gabarit. Tout ce qu’il faut, c’est que la jeune femme dise oui !

De nouveau en deux jours de temps, Mahée fait sursauter son interlocutrice, l'une des rares femmes de cette armée. Comme la fois précédente avec la jeune cuisinière Yi-Tish, la princesse singe son miroir en sursautant à son tour, surprise de surprendre, encore. Il ne faudrait pas que cela devienne une habitude… Elle maugréé en elle-même, peu satisfaite de prendre les gens de son camp par surprise. Doit-elle engager un trompettiste pour souffler du crincrin à chaque fois qu'elle arrive quelque part? Ce serait affreusement égocentrique en plus d'être affreusement irritant, en plus d'être affreusement contraignant et d'affreusement manquer de discrétion. Pas de trompettiste, donc, mais peut-être un raclement de gorge, la prochaine fois? Remisant cette question, pour le moins triviale, à plus tard (jamais), Mahée se concentre plutôt sur la femme qui se remet rapidement de sa surprise (ouf), mais là où la princesse attendait une réponse où l'engouement ferait écho au sien, la réaction est beaucoup plus mitigée, frileuse. Et puis commence ce qui ressemble fort à des excuses pour refuser. La jeune dornienne ne parvient à cacher qu'en partie sa déception, visible dans l'éclat de ses yeux noirs comme la nuit, qui se ternit. Son sourire, lui, demeure. Elle se prépare donc à accepter le refus de la dame avec autant de grâce qu'elle le puisse, parce qu'il ne serait pas normal de se fâcher pour si peu, et il ne lui viendrait pas en tête de chercher à contraindre la dame à un exercice auquel elle se refuse. Contraindre des ennemis est une chose, contraindre son peuple, les gens qui comptent sur elle, en est une autre, et Mahée n'a pas en elle ce qu'il faut pour la seconde.

Une nouvelle excuse dans la bouche de la Perle de Dorne, et la princesse s'attend à ce que le non ferme tombe d'une seconde à l'autre. Raison pour laquelle sa surprise est plus que visible quand c'est précisément le contraire qui se produit. La surprise est bonne, le terne de son regard s'estompe comme une brume un matin d'été, et son sourire se fait radieux. « Merci à vous… D’avoir changé d’idée, et d’accepter. » Elle lui glisse, gentiment, s’écartant pour laisser à son miroir de prendre place dans l’arène. « C’est une bonne chose que vous ne soyez pas une combattante loyale… Je suis sûre que vous avez des moyens très efficaces de mettre à bas son adversaire. Or, je doute que ceux qui pourraient vouloir me tuer se montrent loyaux, et moi je n’entends pas me montrer loyale envers ceux qui voudraient ma mort. Je peux donc vous demander sans peur de m’apprendre tout ce que vous savez. » C’est hyperbolique, bien sûr que Mahée ne peut prétendre apprendre tout ce que sait faire sa comparse, mais viser l’excellence, c’est un moyen de finir plus avancé que de viser la médiocrité.

« Je n’ai pas l’habitude du corps à corps non plus, et je serai mal à l’aise de vous toucher ainsi, surtout sans préliminaire digne de ce nom. » Une plaisanterie libidineuse, tiens ! Il y a une éternité que Mahée n’en avait plus fait… Depuis… Avant la guerre ? Oui, c’est cela. Qui en dehors des dorniens aurait goûté son humour ? Jamais elle n’aurait osé avec un homme, en raison des sous-entendus qui parfois sont pris pour des invitations, mais ici, c’était sorti tout seul ! Alors elle glousse discrètement, avant de reprendre. « Voudriez-vous que nous commencions par ces bâtons ? Je tente de progresser à la lance, dont l’allonge me convient mieux, mais étant donné que c’est moi qui suis venue vous solliciter, j’aimerai vous laisser le choix des armes, cela me semble beaucoup plus juste. » Surtout qu’à la base, la jeune femme n’avait pas envie de croiser le bois avec elle ! C’est donc une fleur que la Perle dornienne a faite a Mahée, qui tient à s’en méritante, et à exprimer sa gratitude, et aussi incongru que ça soit, le choix des armes semble être la chose la plus indiquée dans ces circonstances. Ne reste plus qu’à voir si Perle sera de cet avis.

Qui pourrait suspecter la duplicité de la Perle de Dorne ? Tous ceux qui la connaissent un minimum, sans doute, ce qui n’est pas le cas de Mahée qui ignorait tout de la dame, de son visage à son nom, il y a encore deux minutes de cela. Non, la princesse n’a pas la moindre idée que celle qui vient d’accepter d’échanger des passes avec elle l’étudie de près, pour mieux pouvoir la frapper ensuite, mais l’aurait-elle su que… ça n’aurait strictement rien changé, à ses yeux. En acceptant la couronne que son armée lui a confiée dans un contexte aussi trouble, elle ne pouvait s’attendre à remporter l’adhésion de tous en un claquement de doigts, et ce n’est certainement pas du jour au lendemain que l’armée de Roward allait l’accepter comme Princesse. Elle n’oublie pas qu’ils sont les déçus de cette guerre et Mahée sait, pour être dornienne et partager ce trait également, que les âmes de son peuple sont rancuniers. Mahée sait aussi, sans le moindre doute possible, que tous ses faits et gestes seront scrutés à la loupe, que ça soit par le camp de Roward ou le sien, bien des personnes se voyant prendre sa place ou faire mieux qu’elle à cette fonction. C’est à eux tous que la jeune et nouvelle princesse doit montrer qu’ils ont tort. Elle ne leur donnera pas la satisfaction d’avoir du grain à moudre autre que celui qu’elle veut leur donner. Mahée se protège, férocement, depuis sa prise de position en tant que rebelle. Elle protège son honneur, sa réputation comme un fauve, sachant qu’on l’attaquerait sur le bris de son serment envers les Martell. C’est une tâche dans son honneur dont elle portera le poids toute sa vie, mais elle a toujours refusé que cet acte seul la définisse. La princesse a vu à quelle vitesse le pouvoir de Deria, reposant pourtant sur des décennies de paix sous le règne Martell, s’était effiloché. Elle pense, peut-être naïvement, avoir compris le pourquoi et le comment, et tente donc de se tenir loin des écueils qui ont fait couler l’embarcation des suzerains précédents.

En ce sens, toutes les manières de Mahée sont savamment étudiées, ses mots mesurés avec un soin tout particulier car la princesse doit pouvoir assumer à la face du monde tout ce qu’elle dit et tout ce qu’elle fait. Elle n’a pas le droit à l’erreur. Elle doit être tout et son contraire, féroce dans la guerre et complaisante, bienveillante, même envers ceux qui l’auraient écartelée vive il y a de cela encore quelques semaines. Elle doit diriger sans être méchante, sans écraser les idées des autres, doit mener sans qu’on lui accorde le droit de se montrer menaçante. Elle doit être ambitieuse pour sa patrie, et veiller sur elle en même temps. Elle doit se démarquer, mais être reconnaissante. Elle ne doit jamais se vanter, ne jamais être égoïste, ne jamais tomber, ne jamais échouer, ne jamais avoir peur, ne jamais sortir du rang qui est nouvellement le sien. Du moins, en théorie, et Mahée se donne un mal de chien pour coller à la théorie, mais elle s’est aussi rendu compte que ceux qui voudraient la haïr trouveraient toujours de quoi satisfaire leurs langues avides de ragots. Alors, sachant parfaitement qu’elle ne pourrait contrôler chaque détail de son image, elle choisit ses batailles, et assume sa personnalité. La seule constante dans ses prises de décision, c’est son abandon à sa patrie. Voilà plus d’un an que Mahée n’a rien fait pour elle, pris aucune décision dans son intérêt. Elle s’oublie, se désintéresse de sa personne. Aujourd’hui encore, son envie d’apprendre à préserver sa vie n’a rien à voir avec un désir de manier les armes… Non, ce qui la motive, c’est de ne pas abandonner face à l’adversité, face à ceux qui voudraient la détruire pour détruire ce qu’ils essaient de bâtir. Quand elle rêve, Mahée rêve de la beauté des nuits du désert de Dorne, de la chaleur de son soleil et du nectar de ses vins. Elle ne rêve ni de pouvoir, ni d’argent. L’individu qu’elle était a presque entièrement disparu sous son abnégation pour son pays.

En l’occurrence, ça ne la dérange pas qu’on voit qu’elle était une combattante médiocre. Au moins, elle essaie de progresser. Elle sait pourquoi elle le fait, et n’a pas à rougir de ses raisons, ces raisons qui la portent. Parce que, oui, se prendre des dérouillées n’a rien d’agréable, elle se passerait volontiers des bleus qui parsèment son corps comme les pâquerettes parsèment les pelouses à l’orée du printemps, preuve d’un entraînement vigoureux et régulier. Mahée fait de son mieux, dans tout ce qu’elle entreprend, c’est sa seule constante. « J’aimerai que nous nous entraînions comme si c’était le cas. » Elle répond donc, un peu timidement, aux propos de son miroir concernant le temps à disposition, non infini, pour l’entraînement. La jeune femme laisse ainsi percevoir un peu de son optimisme quant à la poursuite de leurs activités, seules ou ensemble.

La dame exsude une confiance en elle réservée, a une allure particulière sur laquelle la princesse peine à mettre des mots. Il lui est impossible de deviner qui est Perle. Elle peut dire que cette femme n’est pas une courtisane, qu’elle a déjà manié l’épée mais en Dorne, c’est un trait qui, s’il reste rare, demeure plus courant qu’ailleurs en Westeros, et un million de choses auraient pu la pousser à cette extrémité, en particulier dans le contexte récent. Mahée est donc sans le moindre indice concernant son adversaire du jour, mais ça ne la travaille absolument pas. Son armée compte des mercenaires, et l’armée de Roward, de laquelle elle ne connaît rien, vient juste de les rejoindre. Il est impossible à la jeune femme de connaître tout le monde, mais elle est volontaire quant à les découvrir petit à petit, et une passe d’arme semble être une parfaite occasion. « Ne vous souciez pas de cela, de grâce. » Elle répond donc, gentiment, aux craintes de la Perle de Dorne d’être inquiétée si elle devait blesser Mahée. « Ne me croyez pas duplice au point de vous vouloir du mal alors que je suis celle qui vous demande de m’enseigner. » Elle lui sourit gentiment, montrant qu’elle ne porte en son cœur aucune velléité de nuire à sa partenaire du jour qui a eu l’élégance de ne pas relever sa plaisanterie grivoise, même si la princesse jurerait avoir vu un bref éclat dans son regard en réponse.

Efficace, concentrée, la Perle se met en position, et Mahée s’empresse de l’imiter. Il est temps pour elle de mettre de côté sa timidité. Le but de l’exercice est moins de chercher à abattre Perle que de lui rendre la vie impossible pour la tuer, elle. Mahée doit maîtriser en priorité la défense et l’esquive, un petit peu de contre-attaque, l’attaque pure pouvant ne venir que bien plus tard. Du reste, la dornienne n’a pas en elle le feu qu’il lui faudrait pour combattre comme Rhaenys et Argella. Mahée est une cérébrale, elle est plus à l’aise devant des cartes à élaborer des stratégies et stratagèmes que sur le champ de bataille. Si ça l’a amusée, dans sa prime jeunesse, de s’essayer au maniement des armes au point de pratiquer de façon assidue pendant plusieurs années, sa vie de lady et les différentes épreuves qu’elle avait pu vivre jusqu’ici ont fait apparaître de façon limpide à quel point elle pouvait être risible dans ses ambitions de combat face à la barbarie dont certains sont capables. Et pourtant, de la barbarie, elle estime qu’elle en a montré à l’encontre de Tarbeck, et, en secret, déplore de ne pas avoir eu d’occasion de montrer d’avantage que, lorsque Mahée se résigne à verser dans la barbarie, elle n’a rien à envier aux pires salopards de ce monde. C’est dans cette hargne que puise la princesse pour se battre, car, sans elle, elle remettrait sa sécurité entièrement entre les mains des hommes sensés la protéger, mais ça ne lui suffit pas. Le fait est, la princesse refuse catégoriquement de mourir en femme en détresse. Si elle doit périr, elle veut emporter avec elle autant des bâtards qui auront sa peau qu’elle le pourra. « Je n’ai aucune prétention en la matière. J’essaie juste de vendre ma peau aussi chèrement que possible. » Elle précise, avec un sourire timide, parce que ça lui semble important qu’on sache que les ambitions de Mahée n’ont aucun lien avec un quelconque désir de mener les armées en combattant en première ligne. Pas pour l’instant en tous cas, et peut-être jamais, mais elle veut donner à son pays une princesse digne, capable de mourir en dornienne et en faisant honneur à sa patrie. C’est important pour elle que l’on comprenne ses intentions. Elle espère y parvenir.

Après avoir pris une profonde inspiration, la princesse fait ce qui est attendu d’elle, et commence à attaquer Perle. Ses premières tentatives sont timides, elles font office d’échauffement, de prise de température. Mahée se montre être une combattante avec peu de force, mais jouant d’agilité et d’esquive. Elle apprend, avec Sarzir, à compenser son manque de force brute pour accentuer son aisance de mouvement, dans l’idée d’épuiser un adversaire en armure plus vite qu’elle-même. Bien sûr, tout cela est caduque face à une Perle dornienne entraînée, sans doute bien plus endurante que Mahée ne le sera jamais. La différence de niveau se fait sentir dès que les passes gagnent en intensité. La princesse a eu bien raison de ne pas sous-estimer son adversaire du jour et se réjouit d’apprendre à son contact. Elle est curieuse d’apprendre auprès d’une femme qui lui ressemble d’avantage qu’Argella Durrandon, malgré la pertinence de ses remarques et de la joute qu’elles ont partagée.

[Hj : Je n’ai pas poursuivi pour ne pas jouer ton personnage, mais Perle peut parfaitement mettre Mahée à terre et lui filer des coups, hésite pas ;)

Ça fait mal à Mahée, un peu, d’entendre la belle dornienne lui refuser strictement toute once de confiance, et le revendiquer. La princesse est déçue, non pas de la Perle du désert, mais d’elle-même. Depuis que sa rébellion est actée, la dornienne a mis un point d’honneur à dire ce qu’elle faisait, et à faire ce qu’elle disait. Elle avait promis de libérer le nord de la Principauté du Bief ? C’est chose faite. Ça lui a pris un an, un an pour regagner les villes perdues, et écrasées par l’infâme traité de Boycitre, une par une. Morceau après morceau, place forte après place forte, elle a délogé les bieffois comme les croisés par la force des armes, et rendu aux Dayne liberté, ainsi qu’au Noirmont, au Forrest et à tant d’autres, abandonnés au Bief par une Martell beaucoup trop désireuse de sauver sa couronne, plus désireuse de sauver sa couronne que son peuple, et c’est bien pour cela que Mahée lui en veut tellement, qu’elle soit décédée ou pas. Pour la rebelle, la défunte princesse s’était préférée au peuple de Dorne, alors que ç’aurait dû être le contraire, et ça, elle ne pourra jamais le lui pardonner, dans la vie comme dans la mort. Aux yeux de Mahée, Deria s’est montrée indigne. C’est ce qui a rendu sa trahison supportable. Dans le cas contraire, se retourner contre les Martell lui aurait été totalement impensable. Si celle qui est maintenant princesse de Dorne a bafoué son serment d’allégeance, c’est parce que le respecter devenait inconciliable avec le premier de ses serments, celui qui l’engageait envers son peuple, et envers la Principauté. La Principauté n’est pas la famille qui la gouverne, ça, Mahée l’a très bien compris et ne l’oubliera jamais, qu’elle soit sur le trône ou non. La Principauté est un organisme à part entière, qui échappe au contrôle de son suzerain. Un suzerain éclairé parvient à anticiper la houle et les élans de la masse, un suzerain talentueux parviendra à canaliser l’énergie collective dans un but plus grand, mais aucun suzerain, tout mirifique qu’il puisse être, ne peut se vanter de totalement le plier à sa volonté. Mahée ne l’avait pas fait. On pourrait le croire, mais c’est faux. La nouvelle princesse n’a été qu’un vecteur de l’élan de ceux qui se sentaient lésés par l’emprise du Bief sur la Principauté. Elle n’a rien inventé, profité de rien. N’importe qui aurait pu le faire, Sarzir, Roward lui-même, pour le compte de la couronne… Il suffisait d’écouter, et d’oser. Aussi orgueilleux que cela puisse sembler, la nouvelle princesse se sent parfaitement légitime pour regarder l’ancien prince de Dorne dans les yeux, et le voir lui donner du « Princesse ». Elle se sent légitime, parce qu’elle ne prend pas pour elle-même ces marques de reconnaissance, mais pour la part de Dorne qui l’a portée là où elle est maintenant. Mahée n’oublie pas qu’elle n’est qu’une ambassadrice privilégiée, pas un maître. Le pouvoir pour le pouvoir ne l’a jamais intéressée, mais, quitte à occuper cette place, la nouvelle princesse est déterminée à faire tout ce qu’elle peut pour améliorer la vie de ses habitants, vite, avant que le vent ne tourne et qu’une autre tête soit couronnée après la sienne.

Elle est donc vexée, un peu, Mahée, que Perle lui refuse sa confiance, mais parvient à comprendre que, les temps étant ce qu’ils sont, elle ne peut décemment la lui demander sans avoir montré patte blanche. Les gens qui donnent leur confiance trop facilement se font dévorer plus vite que les autres, et la jeune femme qui lui fait face a l’air d’être le genre à refuser tout net de se faire dévorer toute crue, ce qui est l’une des raisons pour lesquelles la princesse se sent si stimulée par l’idée d’un entraînement avec elle. Sans doute aura-t-elle des astuces de survie que n’aurait pas Sarzir ?

Ah ! Un sourire fend, très brièvement, le visage de la Perle dornienne. Mahée le voit, et s’en réjouit. La Perle est décidément bien jolie quand elle sourit. La princesse ignore pourquoi la Perle semble réprimer ses expressions. Craint-elle que son adversaire extrapole ou ne le prenne comme une faiblesse ? Humble face à l’adversité, la suzeraine baisse doucement les yeux à ce sourire fuyant, respectant la réserve imposée par la Perle, souhaitant rester dans sa coquille.

Les deux femmes prêtes, la lutte s’engage. Mahée profite de l’occasion pour tenter quelques mouvements auxquels elle s’était contentée de penser jusqu’à présent. L’exercice est excellent. Il pousse la jeune princesse jusque dans ses retranchements et l’oblige à se montrer vive et inventive. Elle essaie de rendre la pareille à son adversaire, mais ignore si elle y parvient. Pédagogue, la Perle augmente progressivement la difficulté de ses attaques en modérant force et vitesse. Mahée encaisse aussi bien qu’elle le peut, son bâton vibrant entre ses mains, la vibration remontant jusqu’à ses coudes. Petit à petit, la Perle prend le dessus, ce qui frustre et décourage la princesse qui, à partir de ce moment-là, se sachant perdue, ne donne plus autant qu’avant. Elle esquive ce qu’elle pense être les derniers assauts avant une pause, avant de, butant sur une pierre à laquelle elle n’a pas fait attention, se retrouver durement le cul dans le sable de l’arène.

Son derrière rebondi amortit la chute, qui reste tout de même un peu douloureuse, mais, le souffle court et la transpiration perlant sur son front, Mahée décide de rester assise un moment. Elle sent ses muscles qui ont travaillé, ceux de ses cuisses, de ses mollets, ses abdominaux profonds et latéraux, les épaules et les biceps… Tout cela la brûle avec plus ou moins d’intensité selon l’ardeur avec laquelle elle est allée les chercher pendant l’échange. Elle finit par lever vers la Perle un regard embrumé par l’effort, certes, mais aussi un sourire rayonnant. Elève docile, elle écoute la rétrospective de celle qu’elle voit son maître, et rougit à son commentaire, tout en hochant la tête d’un signe entendu. « Ça se voit que je n’ai que peu de goût pour cela, n’est-ce pas ? » Elle demande, un sourire embarrassé aux lèvres. Plus jeune, elle avait demandé à apprendre à manier les armes, par curiosité d’abord, et aussi par envie de soumettre son corps au même exercice que les soldats, pour savoir ce qu’ils endurent, pour suivre le mantra de son père. Ne demande pas à un tiers de faire ce que toi-même tu ne ferais pas. Ce crédo, aussi simple semble-t-il, grandit en responsabilité avec le nombre de personnes sur les décisions et actes desquels on influe. En étant princesse, ce crédo pourrait facilement l’écraser, et pourtant, Mahée le porte toujours comme étendard, car il va de paire avec celui de respecter la parole donnée, tout aussi cher à son cœur.

Les yeux noirs comme la nuit de la princesse suivent la Perle venir s’asseoir à ses côtés, en guise de récupération après leur échange. Visiblement, elle ne s’est pas offusquée du tutoiement duquel elle a fait l’objet, elle semble même ne même pas l’avoir remarqué. « J’ai du mal à sentir les choses, j’ai peur de faire confiance à mes tripes et de me tromper… » Elle lui confesse. La peur, l’anxiété, les deux plus gros freins de Mahée, les deux traits de sa psyché qui la pèsent, comme des boulets, et la tirent vers le fond, contre lesquels elle lutte à chaque décision qu’elle doit prendre, c’est-à-dire en permanence. Mahée, c’est ce paradoxe ambulant entre la prudence de laquelle elle fait preuve à l’approche de Spectremont et la sauvage témérité de laquelle elle a pu faire preuve à la Tombe-des-Rois ou aux Météores. « Je t’ai trouvée impressionnante ! » Elle poursuit, grand sourire aux lèvres. « C’est tellement agréable pour moi de voir une femme combattre à notre façon, indépendamment de ce qui a pu la pousser à embrasser cette voie… C’est presque comme une danse. » Et la danse, ça, ça lui plaît, elle qui a voulu apprendre toutes les traditionnelles de la Principauté. Mais ça, la Perle ne peut pas le savoir. La voyant transpirer autant qu’elle, et, elle aussi, avoir besoin de retrouver son souffle, Mahée lance soudain « As-tu soif ? Je vais chercher une outre d’eau. » Joignant le geste à la parole, la jeune femme se lève, époussette rapidement son derrière du sable, et tend sa main à son maître de la matinée pour l’aider à se relever. « Viens-tu avec moi ? J’aimerai bien reprendre une manche après que nous nous soyons désaltérée, si tu es partante. » Elle est simple, Mahée. Tant qu’on ne la tutoie pas en plein conseil et qu’on ne lui donne pas du « ma couille » en public, ça lui convient.