Les dernières semaines avaient été plus qu'éprouvantes. Perdre un père n'était évidemment pas une partie de plaisir ou une promenade de santé pour vos nerfs, votre sommeil et votre psyché, pour peu que ce père ait été de son vivant un géniteur aimant, attentionné, patient et protecteur. Ce qu'avait indéniablement été Loren. On pouvait bien l'accabler de mille reproches et lui conférer mille et un défauts, nul ne pouvait s'attaquer à lui sur le domaine de la paternité. Ou simplement les mauvais esprits qui auraient préféré qu'en tant que Roi, il se montre bien plus épris de sa couronne et de son pouvoir que de ses enfants. Megara était en deuil, et cela la remuait jusqu'au plus profond de ses entrailles. Depuis quelques jours, elle rendait régulièrement ce qu'elle ingurgitait, particulièrement une à deux heures après ses repas. Elle se sentait fatiguée, à fleur de peau, également, et pour ne rien simplifier, les jumeaux étaient dernièrement fort bougons et grognons. Le Mestre lui avait conseillé d'enfoncer l'un de ses doigts dans leur bouche et de leur tâter la gencive, et après avoir été fort dubitative face à une telle suggestion, la jeune femme s'était exécutée, pour croire sentir une légère boursoufflure. Cela signifiait que ses fils s'apprêtaient à connaître les joies des premières dents qui poussent. C'était un nouveau petit pas vers l'évolution constante et la croissance certaine, et en d'autres instants, Megara en aurait fait toute une petite fête, auprès de son époux, de son frère, de sa belle-sœur et même de ses fils et de ses neveux, même si ces trois derniers n'auraient rien compris à l'affaire. Mais présentement, il n'y avait rien à célébrer. Ou tout du moins la jeune femme n'avait-elle ni le cœur ni l'âme à le faire. Tybalt et Cadwyn ne lui en voudraient certainement pas, totalement ignorants de la réalité des choses et bien trop jeunes pour se rendre compte de cela. Même si elle les suspectait tout de même fortement de ressentir que quelque chose n'allait pas, n'était plus comme avant. Peut-être cela était-il facile à percevoir lorsqu'on ne faisait plus face à un visage lumineux et souriant, mais à un fasciés dont les joues se creusaient de repas manqués ou rendus au-dessus d'une bassine.

Megara avait tout de même dû se faire violence, parce que ses enfants avaient besoin d'elle, en dépit de tout, et parce que son frère était désormais le nouveau Monarque des Terres de l'Ouest, et qu'en tant que Princesse, et encore plus en tant que sa sœur, il avait besoin d'elle. Alors elle avait troqué le noir de ses atours pour un rouge pourpre des plus profonds, façon comme une autre de ne pas pouvoir entièrement tourner la page mais de refuser de se laisser entièrement submergée. Et ce même si elle avait passé des journées cloitrées dans ses appartements, à l'image de ce qu'elle avait fait suite au trépas de sa sœur. Son monde n'avait pas cessé de tourner au prétexte que le soleil s'en était allé. Un soleil qui avait pendant si longtemps eu le visage de Loren, son rire, ses yeux pétillants de malice et sa voix si chaleureuse et charmeuse. Le futur n'avait pas choisi de retarder son arrivée, et il était en marche, cavalant et galopant presque. Gareth avait tout de même quelque peu dû la secouer, non sans presque l'enguirlander pour qu'elle ne s'oublie pas et ne cherche pas à uniquement se réfugier dans son rôle de mère. Pas parce qu'il la trouvait fort peu attrayante dans ce rôle, bien au contraire, mais parce qu'il ne voulait que le meilleur pour elle, et qu'il se refusait visiblement à la voir reculer devant la douleur et laisser des brèches s'ouvrir pour permettre aux courtisans de laisser leurs langues se délier sur son compte. Alors elle l'avait pris au mot. À sa façon. Et l'une de ses premières décisions depuis qu'elle émergeait progressivement du deuil avait été de convier Tybolt Kenning à la rencontrer. Elle s'était bien gardée d'en parler à son époux, car elle ne souhaitait pas lui laisser à penser qu'elle s’immisçait dans les affaires privées des deux frères. Et puis cela pourrait permettre à ce dernier de se dédouaner si son aîné venait à soupçonner quelque manipulation en coulisses. Le choix du cadre avait donc également eu de l'importance, raison pour laquelle la Princesse avait fait le choix d'un espace ouvert, et non d'un bureau des plus officiels. Au moins, si les choses en venaient à être compliqué, même s'il n'y avait pas de raison que cela soit le cas, ils auraient une excuse pour parler de la météo ou encore des charmes naturels du Roc. Toutefois, elle était sans doute quelque peu en retard, même si dans les avantages du titre princier figurait celui de ne jamais pouvoir se le faire remarquer, sauf de la part de rares personnes. À sa décharge, sa brosse à cheveux ayant atterri dans les mains d'un des jumeaux qui semblait vouloir s'y faire les dents. Dès lors, les ondulations de cette longue chevelure qu'elle ne s'était plus coupée depuis son mariage étaient un peu moins parfaites qu'à l'accoutumée.

Elle avait bien essayé de négocier la restitution de sa brosse à cheveux, mais cela avait été sans succès, et elle avait donc dû s'en aller ainsi à la rencontre de Lord Kenning, sans courir, mais en avançant d'un pas décidé. En clignant des yeux, cependant, elle revoyait ls petites bouilles rougeaudes de ses garçons, leurs yeux gonflés de larmes de désagrément et de gêne, leurs petits poings serrés d'obstination et leurs regards comme embués et enneigés d'un voile de larmes menaçant à tout instant de glisser le long de leurs petites joues. Finalement, elle eut plutôt tôt fait de retrouver Lord Tybolt là où elle lui avait donné rendez-vous, sans hésiter à l'interpeller pour qu'il ne se montre point surpris de son arrivée ou gêné de ne l'avoir remarquée qu'au dernier moment. ❧ Bonjour Lord Tybolt. Je vous remercie d'avoir accepté mon invitation ... ❧ La politesse eut l'effet escompté, car son destinataire lui présenta ses hommages, révérence comprise, alors qu'elle se stoppa face à lui, dans sa grande robe d'un rouge pourpre et profond, et moins bien coiffée qu'elle n'aurait pu l'être, la faute à ses fils. Sans toutefois rien lui en dire, elle lui fut infiniment reconnaissante de ne point entamer d'emblée la discussion en lui parlant de son père, du deuil qu'elle vivait ou de la grande perte que cela représentait. De cela, elle soupait, encore et encore, depuis tous ces jours qui la séparait du trépas de son père ... Alors un petit sourire brisa le masque princier et protocolaire, à l'évocation des jumeaux. ❧ Je ne vous cache point qu'ils ne sont pas sans rencontrés certains désagréments, ces jours-ci. D'où le fait que vous voilà arrivé avant moi. ❧ Elle n'évoqua point le terme de retard, même s'il aurait été parfaitement approprié, mais il lui semblait qu'ainsi, cela semblait moins réel. ❧ Si j'en crois notre Maestre royal, mes fils sont sur le point d'avoir leur première dent. ❧ Sans doute son vis-à-vis savait-il parfaitement de quoi elle parlait, pour être parent, lui aussi. Cet enfant était né en dehors des liens du mariage, et de ses amours avec une autre femme que son épouse, mais la bâtardise d'un enfant ne le privait pas, aux dernières nouvelles, de connaître les affres de la croissance et des premières étapes de la vie. ❧ Vos neveux étant des enfants se refusant à rester inertes lorsque cela ne va pas bien, cela me cause quelque fatigue supplémentaire, dont je me serais bien passée. Vous me voyez donc bien navrée de ne point vous présenter mon meilleur visage, mais je vous promets de ne point chercher à vous imposer de mauvaise compagnie. ❧ Elle inclina légèrement la tête, non sans tenter de lui sourire de nouveau. Et non sans se féliciter intérieurement d'avoir discrètement rappelé les faits : Tybalt et Cadwyn étaient les neveux du Lord de Kayce, et elle comptait bien qu'il s'en souvienne, de sorte à ne point se sentir mis à distance au prétexte qu'ils étaient princes et Lannister et lui non point.

Certaines choses transcendaient les frontières tout autant que les classes sociales et la richesse. Il était de ces aléas de la vie et de ces évènements sinueux du quotidien auxquels rien, ou presque, ne pouvait vous faire échapper. Et d'une certaine façon, sans doute était-il appréciable qu'il en soit ainsi, car cela offrait l'opportunité de redescendre les pieds sur terre, pour peu qu'on est laissé la tête vous tourner et que l'on accepte d'observer les choses telles qu'elles étaient. De façon terre à terre, pure et sincère, il y avait les enfants et leurs premiers instants. Leurs premières dents, leurs premiers pas, leurs premiers mots, leurs premières nuits entières sans se réveiller, et toutes ces autres choses qui survenaient forcément à un moment ou à un autre de leur existence, pas forcément en respectant cet ordre chronologique là. Megara n'y avait pas encore été confronté dans leur entièreté, ce qui la laissait tout à la fois dans un état de trépidation et d'impatience, de doute et d'anxiété. Bien entendu, si les premières dents des jumeaux n'étaient pas sans lui causer quelques tracas, elle aurait pu, de par son rang et tous les avantages qui y étaient fermement associés, s'esquiver face à tout ceci, laisser les nourrices entièrement tout gérer, mais elle n'était pas ainsi. Pas plus en tant que femme qu'en tant que mère. Preuve en était, elle s'était presque battue bec et ongles, ou plutôt crocs et griffes léonins, pour qu'on la laisse allaiter. Bien qu'elle ait dû passer le relais à celles dont c'était la profession et qui étaient là pour cela. Parce que son rang de Princesse s'associait à des responsabilités faisant de ses journées des instants bien remplis, ce qui nécessitait qu'elle puisse, le plus possible, bénéficier de bonnes nuits de sommeil. Et parce que Tybalt et Cadwyn étaient deux, et qu'ils savaient déjà se mettre d'accord pour prendre le relais l'un de l'autre, étirant encore plus les instants où on devait s'occuper d'eux, et pouvant laisser la sensation que cela était sans fin. Pourtant, on lui avait bien dit, ses deux grands-mères tout autant que sa mère et toutes les femmes à son service ayant déjà eu des enfants, qu'elle n'était pas encore au bout de ses surprises et de ses peines ! Cela promettait, donc !

Quoi qu'il en était, dans le regard de son beau-frère, Megara crut lire une forte compréhension tout autant que de la compassion, et elle se sentit soulagée de ne point le voir l'observer avec une certaine neutralité ou du questionnement quant à se demander pourquoi elle se préoccupait de choses aussi basiques et communes. Certes, elle se doutait déjà fortement qu'il n'était pas de ce bois là, mais parfois, les apparences et les réputations antérieures pouvaient être trompeuses. Pas cette fois, donc, ce dont elle était bien aise. ❧ Je vous remercie de votre sollicitude, Lord Tybolt. Il est toujours agréable de savoir que l'on n'est pas seule à être déjà passée par là, et qu'il est tout à fait naturel de ne pas en ressortir à peine décoiffée ou éprouvée. ❧ Toutefois, elle ne s'aventurait pas à lui demander comment il avait vécu cela, lui, en tant que père célibataire, et alors même que cet enfant qui lui avait fait connaître pareil évènement étant né d'un adultère, et qu'il était élevé en un lieu où vivait celle-là même qui se trouvait être l'épouse cocufiée. Ce n'était jamais un sujet agréable, encore plus quand il se trouvait que la dite épouse n'était pas encore parvenue, elle, à enfanter ... Observant alors avec une certaine curiosité le mouvement des mains de son beau-frère en direction de sa sacoche, ses yeux s'écarquillèrent quelque peu de surprise tout autant que de joie en le voyant manœuvrer. Telle une enfant devant un jouet convoité, son visage s'étira en un sourire ravi et épanoui. ❧ Il est vrai que ces deux plantes sont en effet connu pour posséder ces propriétés. ❧ Loin d'être experte en la matière, Megara connaissait tout de même certaines connaissances, recueillies et emmagasinées depuis des années, de par son intérêt pour le sujet. ❧ Merci beaucoup, sincèrement ! Tant de prévoyance à l'égard des jumeaux me va droit au cœur, vraiment ... ❧ Attrapant de ses doigts fins et agiles les sachets qu'il lui offrait, elle les porta un instant à son nez, pour mieux les sentir, ce qui ne faisait qu'épanouir encore plus son sourire. ❧ Reste à voir si ces deux petits lionceaux, comme vous dîtes, accepteront l'aide que la nature souhaitera leur procurer via votre concours. ❧ Dans tous les cas, cela ne ferait point de mal, alors cela valait la peine d'essayer, puisqu'il n'y avait rien à y perdre.

Bien que Megara connaissait encore fort peu son beau-frère, elle se disait tout de même qu'elle était fort peu dépaysée en sa présence lorsqu'il s'agissait de se sentir flattée et honorée. Ou de la faire rougir. Cela en venait presque à lui piquer le bout du nez, non sans qu'elle ne se demande si, finalement, Gareth n'était pas dans les parages pour influencer son aîné, à moins que ce genre de qualité ne se trouve tout simplement à couler dans les veines des fils Kenning ! Mais point de Gareth. Fort heureusement, peut-être car, après tout, elle ne savait trop comment il prendrait la chose, et si une quelconque rivalité ne pourrait pas naître quant au fait qu'il veuille reprendre la main sur la propension à savoir la faire rougir, lui et lui seul. Et puis, plus largement, cela les déliait, Tybolt et elle, de tout cadre trop rigide quant à la nature des relations qui liaient les deux natifs de Kayce. Posant brièvement une main sur l'une de ses joues, comme pour y dissimuler le rosissement qui y prenait place, elle inclina délicatement le chef. ❧ Prenez garde Lord Kenning, je vais finir par croire que vous cherchez à me tarir de toute déclinaison quant aux remerciements que je pourrais vous adresser ! ... J'apprécie tout de même fort votre compliment, bien qu'il m'aurait tout de même bien sied d'être bien plus à mon avantage en votre présence. ❧ Une question de fierté tout autant qu'une volonté de ne point lui laisser à penser qu'elle manquait d'efforts et d'envies en sa présence. C'était bien le contraire, d'une certaine façon, car s'il avait s'agit d'un autre que lui, sans doute aurait-elle choisi de rester dans ses appartements, en reportant l'entrevue, en estimait que cette dernière n'était pas plus signifiante que cela. Mais son beau-frère valait la peine d'avoir un certain degré d'importance à ses yeux. Prenant place afin d'être effectivement plus à son aise, elle ne manqua pas de reconnaître la vivacité d'esprit des natifs de Kayce. Une qualité qu'elle avait déjà noté parmi la fratrie de Kenning. De quoi la pousser à ne pas trop chercher à le mener sur des chemins et des détours en cherchant à noyer le poisson dans l'eau ou à le brosser dans le sens du poil. ❧ En toute honnêteté, il me tenait à cœur que nous puissions nous entretenir, vous et moi. Mon mariage avec Gareth fait de vous mon beau-frère, mais nous nous connaissons finalement fort peu. Et il me peinerait fort que cela déteigne justement sur mes enfants et que, finalement, les liens du sang qui existent entre vous ne soient que factuels. Vous êtes leur oncle, ainsi que le frère aîné de mon époux, et non point un énième membre de la Noblesse de l'Ouest. ❧ Prudente, elle s'était livrée non sans observer avec attention la moindre des réactions de son interlocuteur. Sans doute avait-elle plus à dire, mais y aller par petites touches pouvaient être plus adéquates. Peut-être.

Si l'on se focalisait uniquement sur l'instant présent, Megara était désormais la seule Princesse de l'Ouest, sans égale ni consœur. Il y avait bien eu Nymeria, mais elle n'était plus, fauchée dans la pleine primeur et fraîcheur de sa jeunesse. Jeyne, également, avait porté ce titre, mais elle l'avait laissé derrière elle en devenant Reine des Terres de l'Ouest, en tant que consort et épouse de Lyman. Cela libérait donc du poids de la comparaison, et cela empêchait quiconque de vouloir créer une quelconque rivalité afin de mieux pouvoir l'entretenir. Tout comme cela lui permettait sans doute d'avoir un peu plus les coudées franches quant à la façon dont elle choisissait de faire certaines choses. Notamment lorsque cela était relatif aux jumeaux. Concernant le moule au sein duquel ils étaient tous deux, en tant que Princes de l'Ouest, Megara ne souhaitait en rien que, dès les instants initiaux, celui-ci en vienne à être transformé par trop d'apports éducatifs extérieurs. Tout autant pour ne pas se sentir dépossédée de son rôle de mère que par instinct primaire de pouvoir les marquer et imprégner de sa propre patte, telle une Lionne. ❧ Il faut dire que j'ai toutes les peines du monde à me séparer d'eux ... Ils sont encore si jeunes, si innocents et si fragiles ... Ils ont besoin de moi, mais sans doute la réciproque s'avère-t-elle être également vraie. ❧ Elle se surprenait à se sentir si apaisée en leur présence, et rien qu'en respirant l'odeur qui leur était caractéristique, celle de la peau de bébé, si douce et ci lisse. Alors, oui, sans doute cela puisait-il quelque peu dans des forces que le decorum s'attendrait à voir placer ailleurs, mais elle se disait qu'elle n'agissait pas mal, et que l'avenir lui donnerait raison de se comporter ainsi. Car c'était de cela dont ses fils étaient le symboles, entre autres, d'un avenir qui s'écrivait dès aujourd'hui pour peu qu'on y consacre du temps et des efforts. À sa façon, Tybolt agissait lui aussi en ce sens, en apportant son concours via ces herbes qu'il leur offrait, par l'intermédiaire de Megara.

De la même façon, son beau-frère semblait également vouloir prendre soin d'elle, l'engageant à savoir se ménager et ne manquant pas de la complimenter. Il posait des yeux sur elle qui se voulaient compréhensifs et bienveillants, et non point des yeux qui jugeaient et dépréciaient sous prétexte qu'elle ne correspondait actuellement pas forcément aux standards dont on attendait qu'elle épouse les moindres critères. Alors, en réponse à la précision qu'il lui apportait, elle inclina doucement du chef, non sans lui sourire, une façon comme une autre de le remercier et de lui faire comprendre que le message était parfaitement passé. De quoi veiller à ce qu'un climat de sérénité et de compréhension mutuelle s'instaure entre eux, car certains sujets plus périlleux pouvaient tout à fait être à même de tendre quelque peu les choses, ou de rappeler à chacun qu'en dehors de cette pièce, tout n'était pas aussi doux et réconfortant. Là où cela la poussait alors à se caler un peu mieux contre le dossier de son assise, afin que tout inconfort physique soit banni. Et après lui avoir répondu et avoir quelque peu distillé ses mots, elle lui laissait la parole, se montrant attentive et à l'écoute, comme pour capter le moindre mot et le moindre geste qui viendraient en dire beaucoup sur les ressentis et opinions du Lord de Kayce. Et d'une certaine façon, elle les comprenait. Après tout, si jamais sa propre fratrie n'avait été tenue séparée lors de leur enfance, à quelques minces et brèves exceptions prêts, elle devait bien reconnaître que son frère avait tout de même dû arpenter un chemin parallèle à celui que Nymeria et elle avaient elles-même parcouru. Comme des enfances côte à côte mais avec une sorte de mur entre eux. Le temps faisait son œuvre pour affaiblir les écarts et rapprocher les parcours, là où l'âge faisait aussi beaucoup, puisque les heures d'éducation les tenant séparées avaient disparu lorsqu'elles avaient fini par perdre de leur nécessité.

Malgré tout, il n'était guère plaisant de se voir confirmer qu'il existait bel et bien une distance entre les deux frères Kenning. Bien évidemment, Megara ne s'était pas non plus attendue à se voir contredite, mais il n'empêchait pas que de voir ses craintes être verbalement confirmées n'était pas plaisant. Mais cela valait mieux que d'entendre qu'on lui mentait, juste pour lui plaire et endormir ses doutes afin que rien ne lui soit désagréable. Franchise et honnêteté étaient des qualités se faisant rares parmi la Noblesse dès lors qu'ils se trouvaient Courtisans et vous Princesse, et lorsqu'elles étaient présentes, il arrivait que des desseins peu pertinents les fassent se tarir. Visiblement, Tybolt Kenning demeurait de ces Lord suzerain qui n'avait pas encore laissé les jeux de Cour et d'influence prendre le pas sur sa nature profonde. Ce dont Megara se sentait bien aise. ❧ Ce ne serait ni trahir mon époux ni tenter de vous duper que de vous dire que je n'ai jamais entendu Gareth médire à votre sujet. ❧ Ainsi, s'ils avaient visiblement grandi tels des inconnus, en quelque sorte, cela n'avait jamais entaché la pertinence du regard de Gareth sur son frère aîné. Toutefois, Megara savait que, sans doute, elle avait sa part de responsabilités dans le fait que l'âge adulte n'avait pas permis au benjamin des frères de se rapprocher de ses deux aînés. Après tout, sans son mariage avec elle, peut-être Gareth aurait-il vu sa destinée le ramener à Kayce, auprès des siens ... Surtout suite au trépas de ses parents, et ce afin d'apporter support et soutien à Tybolt qui devenait ainsi le nouveau jeune Suzerain de la Maison Kenning et des Terres de Kayce. Sans qu'elle ne saisisse sans doute toute l'amplitude des éléments qui pouvaient eux aussi contribuer, à leur manière, à entretenir les distances. ❧ Je vous remercie, Lord Tybolt, vos paroles et les promesses qu'elles contiennent me vont droit au cœur. Et je n'ai nul doute que si vos neveux avaient l'âge de les comprendre, ils penseraient de même. ❧ Elle n'avait pas réellement douté de se voir opposer une fin de non-recevoir, mais se le voir confirmer était autre chose. ❧ Vous n'êtes sans doute pas sans ignorer qu'avant d'épouser mon père, Jordane Lannister portait le patronyme des Crakehall. Elle n'a jamais voulu que mon frère, ma sœur et moi ne l'oublions. Là où nos deux grands-mères ont aussi toujours veiller à rappeler à nos beaux souvenirs leurs ascendances Farman et Marpheux ... Je veux agir comme elles, faire en sorte que leur titre ne tourne jamais trop la tête de mes fils, et qu'ils aient pleine conscience que le sang des Lions n'est pas le seul à couler dans leurs veines. ❧ Aucune vile manœuvre, donc, mais juste le sens du devoir et de l'humilité. Et le sens de la famille, aussi. Et si cela pouvait bénéficier à tendre des ponts moins périlleux entre Castral Roc et Kayce, ce serait faire d'une pierre deux coups bien avisés.