La Purge de Lancehélion laissait les Valtigar sans peuple ni ressources ; les vivres pour la plupart pillés ou disparus dans les flammes, de même que l’essentiel des biens des exilés. Le peuple se répandait dans tous les domaines alentours, priant les châtelains pour leur aide et leur secours. Après la conquête, vinrent bien vite les problèmes logistique ; comment soigner et nourrir autant de monde dans des régions déjà ravagées par la guerre depuis deux ans ?

Plus encore, la brutalité de la répression fit peser d’autres menaces à court terme sur le pouvoir Valtigar. Plusieurs maisons, déjà éprouvées, n’osèrent faire de vagues mais d’autres, bouillonnant de rage à l’idée de l’épuration en cours et devant l’afflux de réfugiés, se rebéllèrent aussitôt. Maisons mineures mais importantes, situées entre Grâcedieu et Lancehélion, les Carène et les Holt incendièrent avec l’arrivée des exilés de Lancehélion les bannières du dragon, et pendirent les marchands et personnels Valtigar, pillant les convois de vivres des légions opérant plus haut sur la Sang-Vert. Ils s’affichèrent ouvertement pour la cause Allyrion, rejettant l’envahisseur étranger avec force. Les Gargalen, dont Lady Ellaria avait disparu suite aux troubles en cours à la capitale, étaient démunis. L’armée du Prince Roward fondait sur la ville de Salrivage. Plus encore, les capitaines voulurent se rendre pour éviter un bain de sang tout autant que les représailles qui attendraient la cité suite à l’attentat orchestré selon la rumeur par Lady Nymeria, à l’origine de tous ces troubles. L’ennemi de mon ennemi est mon ami, selon un vieil adage dornien… Aussi la place forte Gargalen ouvrit ses portes –et son port- à l’armée Martell, ralliant de ce fait la Principauté Fédérée de Dorne portée par Mahée Allyrion. D’autres maisons, comme les Brook, les Dalt, Lacq, Montbrun et Roncier, restèrent dernière féales des Valtigar, certaines y croyant encore, d’autres simplement parce qu’elles y étaient forcées par la proximité des troupes d’occupation…

Et il y avait les Toland. Ou plutôt, les Garland, car Lord Moran déclara son indépendance en même temps que les troubles se répandaient. Il rallia à lui une petite coterie de jeunes chevaliers épris d’indépendance et de récits de bravoure, mais l’homme était face à quantité de difficultés. La première était qu’il n’avait pas de troupes en dehors de cette force de cavalerie ; ses conscrits étaient comme toutes les autres levées dorniennes, rassemblées sous les drapeaux de l’armée valyrienne dans les environs de La Grâcedieu. Ensuite, il proposait la guerre contre les deux factions les plus puissantes de Dorne, Allyrion et Valtigar, qu’il renvoyait dos à dos. Avec peu de ressources, pas d’armée digne de ce nom et aucun soutien décidé sous la cape avant sa prise de position, Lord Moran fonda une maison princière en renonçant à son propre nom… Ce qui lui valu les quolibets de tous ses voisins. La maison Desdunes qu’il souhaitait fonder sur les ruines de la maison Santagar, exilée, à Bois-Moucheté, fit long feu. Les miliciens locaux appuyèrent le prévôt Valtigar pour adresser une lettre de fin de non-recevoir au Garland lui indiquant que pour placer quelqu’un à Bois-Moucheté, encore fallait-il la prendre.

Des environs ne vinrent aucune réponse, ou seulement des quolibets. L’homme avait ni armée ni richesses, sis entre deux puissances qui alignaient encore des milliers ou dizaines de milliers d’hommes, et dont chacune pouvait compter sur des flottes entières et des dragons. Plus encore, personne n’avait été prévenu ou approché, a priori, et l’arrogance de la déclaration, du renoncement à son titre et à son origine pour fonder une maison ex-nihilo pour diriger un ensemble de bourgades mineurs ne faisait naître chez quiconque l’espoir d’une victoire. Si à la limite des alliés ou soutiens avaient été trouvés avant la manœuvre… Le choix du nom même de la maison, Garland, empreintait aux Gargalen et aux Toland, or les Gargalen étaient désormais responsables du déclenchement des purges valyriennes, en plus d’avoir ouvert la porte aux Valtigar des mois plus tôt. Sa propre position personnelle, à fonder une maison sur un territoire non acquis pour y installer selon la rumeur bâtards partageant sa couche ou affiliés à sa maison, sans parler de la revendication d’un territoire inféodé aux Jordayne pro-Allyrion pour créer de rien une nouvelle capitale qui se nommerait Vaillance, achevèrent de créer une réputation de folie des grandeurs du jeune souverain. Mais du poids des rêves ne sont faits les gloires réelles et passées du monde ? Moran continua sur sa voie, et devrait bien faire avec les moyens du bord, se déclarant Prince avec le soutien de quelques proches et entamant aussitôt une abondante correspondance avec les puissances étrangères. Un appel aux volontaires fut aussi lancé, mais compte tenu que l’essentiel des hommes en âge de se battre avait déjà rejoint les armées en campagne ou protégeait son foyer des troubles en cours, il faudrait du temps pour que quelqu’un y réponde.

La tension monte aussi, fatalement, dans les armées en campagne. Chez les Allyrion, tous les volontaires des maisons de l’Est, Martell notamment, apprennent avec dégoût et une haine brûlante les excès dont leur famille a été victime. La discipline déjà approximative d’une troupe aussi disparate fut plus encore mise à mal par l’impétuosité des natifs des provinces orientales qui ne rêvaient que de se battre. Dans l’armée Valtigar, la situation était pire. Car bien vite les rumeurs se répandirent et si les généraux Maegor et Pausanias prirent des mesures pour éviter les tensions et désertions, chaque halte et chaque pose voyait des poignées de conscrits locaux disparaître pour ne jamais être retrouvés. Des bagarres émaillèrent la marche de l’armée et la tension était palpable ; les dorniens semblaient plus rétifs que jamais et l’insurrection pas si loin. Pourquoi se battre au nom de l’Empire-Dragon, qui massacre leurs familles pendant qu’eux se perdent dans le maquis à la recherche d’insaisissables rebelles. Sans compter évidemment les légionnaires, qui se sentaient plus que jamais isolés en territoire insoumis. L’anabase du Tigre, encerclé et détruit en Westeros, allait-elle se répéter ?