Le Vieux Palais semblait plus calme qu'à l'accoutumée sans que je ne sois réellement capable de m'expliquer cette drôle d'impression. Il fallait dire que je l'avais connu sous des dizaines de formes différentes depuis que suite à l'accession à mes éperons j'avais délaissé mon rang de futur héritier de mon domaine natal pour me concentrer sur les douceurs d'une carrière de courtisan tant par ambition que caractère fantasque. 

Tandis que mes bottes arpentaient les allées paisibles du cœur de la Principauté, je me remémorais les instants les plus incroyables passés en ces lieux si chargés de pouvoir et de symboles. La fois ou le prince héritier fils de la légendaire Meria m'avait complimenté sur ma maitrise du sabre suite à un duel amical avec un autre gentilhomme au milieu de la cour. Ou la fois ou j'avais tenté de séduire la princesse Deria peu avant mon mariage alors que j'étais à peine débarqué de Spectremont au triple galop. Quelle ridicule tentative ! Ou les fois ou les festivités les plus folles avaient transformé cette forteresse en une licencieuse compagnie vecteur de délices inimaginables.

Ma présence actuelle au sein de la capitale de la Principauté s'expliquait pour d'autres raisons car l'époque ou jeune fol ambitieux je cherchais à m'attirer les bonnes graces de ma maison suzeraine par bien des moyens était révolue. Désormais, j'étais un seigneur dans la fleur de l'age et si mes intérèts personnels m'importaient énormément je subbororais ces derniers au bien de toute notre contrée. Je ne passais plus autant de temps à Lancéhélion. Je déléguais bien moins qu'avant les affaires courantes de mon fief prenant personnellement mes responsabilités depuis la mort de dame mon épouse. Ellayna m'avait secondée avec une redoutable vigueur durant toutes ces années. 

Et si dame ma mère et mes frères étaient tout aussi capables de suppléer à mes manquements il s'avérait que j'avais finalement pris gout à la gestion de mon héritage. Prendre soin de ses gens, s'assurer que tout fonctionnait comme il se devait, rendre la justice de la manière la plus juste possible, superviser les travaux de la bourgade, rencontrer les notables et faire se former les soldats tout cela était aussi épuisant que passionnant. Et il arrivait que parfois tandis que je contemplais les vestiges érodés de ma jeunesse débridée je regrette d'avoir négligé les moments auprès de mon épouse pour lui préférer le faste et l'atmosphère de la cour. 

Le fait d'avoir profité de mes jeunes années comme un forcené condamné à la potence avait du bon car à présent davantage de sagesse que certains de mes pairs du mème age coulait en moi. Cependant, hélas les remords étaient tels que je fuyais désormais la capitale pour mon fief afin de passer le plus de temps possible sur mes terres que je n'avais jamais cessé d'aimer profondément malgré les apparences comme si je souhaitais me faire pardonner mes errances passées au spectre de mon épouse. Une autre romance m'éloignait de la capitale. Ma jeune amante Jasmyne des Météores une marchande de parfums et de poisons pour laquelle j'avais eu le coup de foudre peu après mon deuil. Sa profession la jetant sur les routes. Nous nous retrouvions autant que possible à travers la Principauté. 

Ces chevauchées dans la contrée m'éloignait du centre de gravité du pouvoir. Mais, je ne le regrettais pas le moins du monde. Ma dulcinée était le baume sur mes blessures émotionnelles. Sans elle, j'eus basculé dans la mélancolie la plus noire et les excès les plus dangereux. Je n'avais néanmoins pas manqué les fiancailles de ma princesse avec le Baratheon. Bien que j'avais déconseillé à Deria de nous lier ainsi à Peyredragon par méfiance envers cette maison Valyrienne et son appétit de conquète. 

La situation actuelle du pays n'était guère reluisante entre les défaites face aux Bieffois et les menaces des ennemis de Peyredragon... Nous allions devoir encore saigner et faire saigner des myriades avant que la paix ne revienne embellir les vies de nos compatriotes. Décidant d'aller prendre l'air dans les sublimes jardins du palais, je m'installais sur un banc de marbre afin de contempler le coucher du soleil dans l'espoir que des vers fameux viennent me titiller l'esprit. 

Le crépuscule flamboyant aux relents rougeoyants pouvait sembler particulièrement menaçant au regard du contexte plus que tendu de notre cher continent prompt à la belligérance la plus affirmée tant la trainée sanglante tenait davantage du pourpre que du paisible orangé. Je me focalisais sur ce spectacle éblouissant bien que coutumier afin de tenter de déverrouiller les portes de mon inspiration. Car bien que me trouvant actuellement en plein cœur du pouvoir politique Dornien, je souhaitais oblitérer les lourdes responsabilités sur mes épaules. Celles dont les prérogatives étaient celles de toute la haute noblesse de sang dans chaque contrée quelle qu'elle soit. Le conseil de nos élites dirigeantes par la pairie de la Principauté. Dorne se situait au carrefour de son histoire moderne, ayant plaidé en vain en faveur de l'isolationnisme le plus ferme et définitif je n'avais pu que contempler mes terres natales basculer dans le giron de l'alliance Peyredrago-Dornienne-Nordique à mon plus grand dam. En effet, si Harren le si bien nommé représentait un danger sans égal pour l'équilibre de tout Westeros ses assauts contre notre patrie ne pouvaient s'avérer rien de plus que des chatouilles en raison du caractère excentré de nos terres. Il eut mieux valu laisser ses ennemis directs traiter avec ce mal. Et en bon fils du soleil et des dunes, nous n'aurions eu qu'à envoyer une flotte ravager les Iles de Fer sans défense afin d'apprendre aux Hoare que les Dorniens comptaient parmi les plus rancuniers hommes de ce continent. Nous devions d'ores et déjà venger nos ainés princiers arrachés de ce monde par la perfidie du poison de nos ennemis Bieffois ou Orageois. Finalement, je me rendis compte que les vers me fuyaient bel et bien en cette chaude fin de journée et ce quand bien même j'invoquais encore et encore le portrait gracieux de ma lune adorée perdue à des centaines de lieues de ma position quelque part dans Westeros pour ses projets commerciaux. L'image bienveillante et sensuelle de ma Jasmyne disparut lorsque le consort de la princesse Deria se présenta à son tour dans les jardins. Aussitôt, je me levais et m'inclinais respectueusement devant le demi Valyrien qui dirigerait un jour prochain nos terres hostiles au coté de la princesse. "Bonsoir prince. Les jardins représentent l'oasis de ce palais. Souhaitez vous que je vous laisse seul ? Je cherchais à composer quelques vers mais je crains que l'inspiration ne soit guère au rendez vous. Je me présente lord Moran de la maison Toland." 

Le geste fort gracieux du prince de Peyredragon prochainement consort de notre dirigeante aussi jeune qu'idéaliste à mon encontre que fut son inclinaison du chef me procura un sentiment bien prégnant d'appréciation envers sa personne. En effet, selon toute vraisemblance j'étais de facto le seigneur d'une maison noble face à un prince du sang certes abâtardi par la vilenie d'une matrice populaire aussi j'eus du lui offrir ma plus savante révérence courtisane. Cette inversion rafraichissante des rôles me permit de me sentir plus à l'aise en présence de ce sang royal étranger contre lequel mes principes politiques plaidaient pourtant. Un fin sourire nimbé d'une certaine dose d'amitié parvint à s'imprimer sur mes lippes tandis que j'accueillais mon futur leader d'un mouvement ample des bras. La valeur martiale du demi dragon s'avérait reconnue de tous et de toutes aussi je me sentis profondément honoré de cette entrevue fusse t'elle involontaire et fort fortuite. "Oh, ne vous préoccupez guère de cela altesse. Les véritables poètes trouvent leur inspiration tant dans le trouble du mouvement que dans l'immobilisme de la tranquillité." Puis après un mouvement mécanique de la main me permettant de lisser ma barbe, je reprenais. "Et puis l'arrivée d'un tel héros ne saurait que produire davantage de souffle épique pour mes élans lyriques." Tirant une outre de vin de mon ceinturon, j'entrepris d'en avaler quelques rasades bienvenues avant de la tendre avec nonchalance à mon invité. "En effet altesse les jardins procurent l'impression de se trouver dans une autre dimension bien loin du tumulte épuisant de la capitale. Non, votre altesse. Cela ne fait que quelques jours que je suis de nouveau présent à la cour. Que pensez vous de Lancéhélion ? Appréciez vous les charmes de Dorne ?"