C'est une bien sombre histoire qui fut colportée dans le Bief, peu au nord d'Hautjardin. Une dame de haut parage, délaissant escorte et fils -héritier-, pourtant en âge de prendre la relève de son grand-père, mort dans les batailles de l'Orage. Lady Milha avait congédié sur le chemin de Corcolline tout ce petit monde, alors qu'elle déclarait garder les effets de son père, Lord Enael. Ses fontes étaient plus que remplies, alors, d'armures et de bijoux comme la chevalière du Lord de la maison, sans parler la très rénommée Corvenin, dont le fourreau dorsal cachait fort mal la nature de l'objet, dont la garde était finement ouvragée. Si le jeune Doméric avait encore à apprendre, tel n'était pas le cas du capitaine des hommes d'armes de la maison escortant la dépouille de Lord Enael, embaumée, vers le caveau familial. L'homme détacha plusieurs hommes à la surveillance lointaine de Lady Milha, son état requérant de toute évidence une surveillance accrue. Ce besoin de solitude et la façon dont il s'exprimait était parfaitement inconvenant dans un pays en guerre où règnent reîtres et dangers de toutes sortes. C'était ainsi ; les femmes de haut parage n'ont pas à voyager seules... A fortiori quand elles trimballent dans les fontes de leur monture une épée qui vaut plus que la moitié des fiefs du royaume, et un harnois avec lequel on pourrait s'acheter un bourg entier, sans parler des autres effets de feu Lord Enael... Cette fortune attirerait fortement les convoitises.

Les trois hommes n'étaient là que pour gérer tour débordement ou danger immédiat ; ils avaient ordre de ramener lady Milha si celle-ci se retrouvait en danger, ou si les raisons de sa solitude mettaient en danger la maisonnée et sa réputation. Jamais le capitaine n'aurait pris cette initiative sous le commandement de Lord Enael, mais le seigneur n'était plus, son fils serait bientôt intronisé nouveau seigneur et l'héritière transitoire se comportait avec erratisme, choisissant une solitude dangereuse, pourvoyeuse de rumeurs et de dangers.

La jeune femme fit halte dans une auberge, où elle se soûla dans la plus grande discrétion que sa condition de femme lui accordait ; ses vêtements trahissaient sa riche extrasse et sa présence attira bientôt les convoitises... D'autant que le rade choisit pour noyer ses souvenirs était rempli d'ivrognes patentés, trop impotents pour servir aux armées ou artisans essentiels pour la fabrication de denrées ou de matériel de guerre. Quoiqu'il en soit, un repaire d'hommes, où les rares femmes présentes étaient serveuses, ou putains. Dans un pays bigot comme le Bief, il n'y a bien souvent que les femmes de petite vertu à côtoyer ce genre de lieu de perdition... Bientôt côtoyé par des mercenaires de la Bannière de Fortune. La troupe, passée en nombre, avait justement vu des officiers dont des étrangers d'outre-Détroit s'installer à table. La soirée arrosée qui s'ensuivit généra beaucoup de confusion, et pour ne pas se trahir, les gardes du capitaine ne pouvaient entrer. Le fait était qu'au lendemain, ils virent Lady Milha sortir de la taverne bandée et sans la précieuse épée... Ils la récupérèrent au passage et soignèrent ses blessures. Pris d'un sentiment d'alarme extrêmement pressant, les hommes interrogèrent et remuèrent tout le village mais rien, c'était trop tard.

Les mercenaires étaient partis au lever du jour, avant le réveil de Lady Milha qui disait avoir été attaquée par des bandits qu'elle ne disait reconnaître. Mais l'investigation était rapide, et sans appel, il n'aurait même pas fallu être présent pour confirmer les doutes ; les mercenaires étaient derrière ce vilain coup, car il n'y eut nulle agression dans la salle commune et une femme brune, que les autres considéraient comme leur chef, avait payé toutes les chambres ! Deux hommes reconduisirent Lady Tarly à Corcolline à bride abattue, tandis que le dernier alla alerter le baillis le plus proche. Ensemble, avec les membres du guet local arborant blason Hightower puisque les environs de la capitale sont sous leur juridiction, tous interrogent la populace et les clients de la taverne. Tous se confient sans doute, de peur que dans la troupe se cachent la police du Roi Manfred. D'abord, leur surprise de voir une femme noble seule, et dans cet état de détresse. Les bagages qui furent montés à l'étage, notamment l'épée. Qui ne redescendit pas avec elle, et dont personne n'avait vu ce qu'il était advenu. Le tenancier confirma que toutes les chambres avaient été réglées par une personne unique, et si l'étendard de la Bannière de Fortune ainsi que les effectifs de la troupe confirmaient sa nature ; de nombreux clients avaient entendu les mercenaires évoquer leur compagnie, sans parler de natifs de contrées exotiques qui enfonçaient le clou. Le baillis prévint le prévôt, le prévôt les ministres du Roi et les commandants locaux de la milice. Une dépêche parvint à Des Essaims, et à tous les seigneurs du Nord du Royaume ; Rowan, Tyssier, Du Rouvre, Crane et d'autres...

Tous devaient arrêter les membres de la compagnie, pour que la justice puisse s'exercer au nom de la maison Tarly, afin de laver son honneur... Et celui du Bief, dont un artefact guerrier de grande valeur avait été honteusement dérobé. Le Roi et la Reine furent mis quelques jours plus tard au courant de la nouvelle par missive...

Dans l'intervalle, l'héritier de Lady Milha fut terriblement inquiets et furieux, et prévint son propre père. Leurs hommes n'avaient pu protéger la Dame de sa propre inconséquence et leur maison apparaissait sérieusement diminuée, déshonorée. Les gardes ne cachèrent rien de leurs interrogatoires ; que Lady Milha fut la seule extérieure au village, en dehors de la Bannière de Fortune, à pouvoir dormir dans l'auberge, et qu'elle avait eu des mots avec une mystérieuse cheffe brune à sa tête, dont les témoins avaient permis aux hommes du prévôt de dresser un portrait au fusain, qui fut recopié et distribué dans toutes les directions. Le futur seigneur des lieux laissa clairement entendre à sa mère et devant public que son âge lui permettait déjà de prétendre au titre de seigneur du fief, et qu'il n'attendrait que l'aval de son père et du Roi pour prendre les rênes de sa maison bien qu'il soit encore jeune, le comportement et la réputation de sa mère la disqualifiant par son imprudence pour régner sur ses terres. Bien sûr, Milha reçut de nombreux témoignages d'amitié et de bon rétablissement, mais la rumeur enflait sur les raisons qui auraient pu la pousser à se risquer avec de tels biens seule dans un foyer de perdition, et l'on se gaussait à la cour.

A la tête des sergents encore présents au domaine, et doté d'une troupe accordée par Lord des Essaims, chef de l'armée de réserve du Roi basée justement à Corcolline, le jeune Tarly partit droit vers le nord du pays à la tête de plusieurs centaines d'hommes bien décidés à venger l'honneur de sa maison, et par extension, leur propre fierté.

De son côté, Milha Tarly n'est évidemment pas insensible à ce vol et aux circonstances qui l'ont amené. La jeune femme brûle de se venger de cette infamie.