Il fallait bien sourire, en dépit les idées qui l’habitaient, Jonos connaissait sa place et son rang et savait quel devoir lui incombait. Malgré tout, la frustration était belle et bien là car une fois de plus, on ne l’avait en rien consulté sur les affaires du royaume. Son royaume, aussi, semblaient-ils tous oublier parfois, un royaume qu’il serait amené à gouverner des fois que son frère soit frappé de quelques malheur et si son âge avait jusqu’ici servit de justification pour l’éloigner du conseil du Faucon Jonos comptait bien faire valoir son droit de regard, fut-ce justifié par la nécessité de se former à la politique, ou à la stratégie.

Personnellement, il estimait n’avoir ni besoin de l’un, ni de l’autre. Il lisait beaucoup, de nombreux traités militaires et des épopées et il ne perdait presque aucune de ses parties de jeu de société, devenu très vite imbattable au cyvosse. Mais cela tout le monde s’en fichait, et même Ronnel qui ne jouait presque jamais avec lui. Sa mère également s'était faite plus distantes depuis plusieurs années, juqu'à quitter le Val, et la frustration que cela faisait naître chez le jeune prince entachait leurs proches, à commencer par sa cousine, Ysilia Royce.

Jonos avait ses raisons pour lui en vouloir, à elle en particulier. Déjà, il estimait qu’elle aurait pu lui écrire, pour l’informer de ses intentions de marier à son frère, et non pas le laisser comme les autres découvrir les choses actées, signées et négociées sans qu’il ait eu son mot à dire. Au regard des bons sentiments qu’il vouait jusque-là à la jeune femme, la trahison était d’autant plus amère qu’elle s’ajoutait à toutes les autres qui rendaient Jonos aigri.

Par ailleurs, et c’était d’autant plus grave aux yeux du garçon, c’était à elle que Ronnel avait décidé d’offrir l’un de ses deux lynx de fumée, oubliant Jonos une fois de plus. Il était pourtant prince du Val, de sang Arryn, un seigneur des montagnes, mais on le privait encore de ses droits au profit d’une étrangère. Eh quoi ? Les Royce pouvaient prétendre à une vieille lignée, mais il vivaient sur la côte, comme des poissonniers, alors que les Eryé dominaient les cimes. Il aurait dû recevoir l’animal… il s’en serait bien occupé…

Aux sourires, aux félicitations qu’il reçut par procuration, Jonos répondit du même masque pâle et fermé, ses grands yeux bleus fixant l’imprudent qui pensait s’attirer ses faveurs par quelques enfantillages et que le prince remerciait de quelques mots polis non sans l’avoir au préalable gratifié d’un visage sans émotion. Il ne pouvait laisser transparaître son hostilité ou sa frustration, les sentiments ne faisaient pas bon ménage avec un rang aussi élevé que le sien, mais tout de même, alors que le septuaire de Chênes-en-Fer retentissait de l’homélie sacrant Ronnel et Ysilia mari et femme, le regard de Jonos s’était depuis longtemps perdu ailleurs, dans ses batailles imaginaires, ses cartes et ses plateaux de jeu.

Il y eut ensuite des festivités ou, comme attendu, il fut placé à la table d’honneur – c’était au moins ça – à la gauche de sa cousine, elle-même à la gauche de son frère. Une fois de plus, on ne lui accorda guère d’attention et sa mère n’étant pas là, Jonos se fit servir une pleine coupe de vin. L’échanson hésita un instant mais comme s’il avait perçu une fraction de la tempête intérieure qui animait le jeune homme, il s’exécuta quand le prince lui désigna son verre. Il n’allait pas en plus se faire emmerder par un valet, si ??

Il en avait descendu une mi-coupe quand son attention revint aux festivités. Mutique jusqu’alors, il profita de ce que Ronnel avait engagé la conversation avec un officier pour se tourner vers Ysilia.

- Vous êtes ma sœur maintenant.

Cela aurait pu être chaleureux, mais ce ne l’était pas. Ni hostile. Ni rien du tout en fait. Un constat.

- Et ma reine.

Dans la bouche d’un enfant, le procédurier avait quelque chose d’aussi noble que dérangeant. Les mestres saluaient la maturité de Jonos, son sens du devoir et du travail, sa fine connaissance des manières. Au point que chaque mot fut pesé et lourd. Ici, le vouvoiement tranchait quelque chose entre eux. Lui et Ysilia s’étaient jusqu’alors toujours tutoyés.

- Je vais devoir vous laisser gagner au cyvosse, j’imagine…

Il y eut une ombre de sourire, mais trop furtive pour qu’on sache si elle était dû à la joie, au vin, ou à quelque chose d’autre, comme une plaisanterie que lui seul aurait comprise.

Les choses n'avaient pas été simples pour Ronnel, il n'était pas bon de ressasser le passée, mais pour autant, il fallait bien reconnaître que les épreuves qu'il avait pu traverser, avaient été des moments douloureux. Ysilia avait apprécié Nymeria, elle l'avait même aimé, d'un amour bien plus fraternel entre deux jeunes filles qui avaient le même âge. Elle ne pouvait totalement envisager ce que cela pouvait être de perdre l'amour de sa vie, car c'était cela que Nymeria représentait pour son cousin, et en plus de la jeune Lannister, c'était l'enfant qu'elle portait qui avait fini par l'emmener tout droit vers la tombe. Le cœur d'Ysilia s'était brisé quand elle avait appris la fin tragique de la lionne devenue faucon tout récemment. Elle avait été sa dame de compagnie et son amie. Elle avait fait en sorte de l'aider à s'intégrer au mieux au sein du royaume du Val et de la Montagne, et encore plus au sein de la Cour des Eyrié, qui attendait de voir ce que cette Reine venue de l'Ouest allait donner une fois sur le trône. La réputation de Jordane Lannister n'était plus à faire, et tout le monde se demandait si sa seconde fille marchait ou pas dans les pas de sa mère. Et de ce que Ysilia avait compris, elle était un esprit libre, bien qu'elle faisait tout pour combler les attentes du nouveau couple royale ou les attentes de son époux. Ronnel s'était enfermé à la mort de sa jeune épouse, disparue en quelques heures. De son côté, Ysilia avait demandé à Sharra si elle pouvait l'accompagner dans les Terres de l'Ouest, jusqu'à Castral Roc pour rendre le cœur de l'ancienne princesse à sa famille. Et espérer ainsi, à commencer à faire le deuil de son amie.

Les mois qui avaient suivi, avaient été des mois de doutes pour tout le monde. Le Roi était devenu un fantôme, la Cour était dans l'attente et la méfiance, Sharra reprenait un rôle qui ne lui incombait normalement plus et des tensions apparaissaient de plus en plus. Ysilia, de son côté, était retournée à Roche-aux-Runes, elle ne savait pas ce que son destin serait. Ses fiançailles avec le Roi du Nord n'étaient plus qu'un lointain souvenir et maintenant elle attendait de savoir qu'elle serait le prochain prétendant que son père choisirait pour elle. Car, il était certain qu'il ne donnerait pas sa main à tout le monde. Alors quand le projet avait commencé à mûrir, que de marier les deux cousins éloignés, on lui avait fait promettre de garder le secret, il était essentiel que le temps du deuil soit respecté. Un an devait séparer tout nouveau mariage du souverain et bien que dès le début de l'année, elle avait été officieusement fiancée à Ronnel, elle n'était devenue la future épouse que quelques semaines avant son mariage et jusque là, même si le doute était permis, on ne pouvait être pleinement certain que l'union se ferait. Un mariage qui s'était organisée à Chênes-en-Fer, sur les terres de sa mère, de façon un peu précipité, en pleine campagne militaire. Le faste aurait pu être plus impressionnant, les invités bien plus nombreux pour participer à la cérémonie mais il y avait des urgences et des obligations auxquelles on ne pouvait se soustraire. Néanmoins, son destin était maintenant en marche, elle était depuis quelques heures, épouse et reine. Elle ne savait pas trop encore dans quel ordre elle devait se présenter.

Pour autant, malgré cette timidité en public qu'elle n'arrivait pas totalement à combattre, elle essayait de saluer et remercier toutes les personnes présentes, qui avaient fait le déplacement pour ce jour si important à ses yeux. Peut-être même plus important pour elle que pour celui avec qui son destin avait été noué. Elle faisait en sorte en tout cas, de se détendre, de profiter du repas et de la musique. Elle avait même fait quelques pas de danse avec son grand-père, un moment qui lui avait fait venir un sourire tout naturel et nullement surjoué, sur ses lèvres. Elle revint alors s'asseoir, regardant les personnes présentes et son sourire était toujours présent quand elle entendit la voix de son beau-frère s'élever jusqu'à côté d'elle. « Je suis peut-être la Reine à présent Jonos, mais cela ne changera rien sur l'affection que je te porte depuis toujours. Tu es un peu le petit frère que je n'ai pas eu. D'une certaine façon, nous avons grandi ensemble et bien que je n'imaginais pas que cela puisse se faire un jour, je suis contente que nous fassions partie de la même famille, en dehors d'être la descendante d'une Arryn de mon côté également. Ce nouveau rôle que le destin m'a donné en me liant avec Ronnel, ne doit pas nous séparer. » Elle vint doucement à serrer sa main pendant quelques instants. « Oh non, je crois que concernant le Cyvosse, tu as bien plus de pratique que moi à ce jeu-là, et je n'aimerai pas que tu me laisses gagner juste parce que je suis la Reine, je n'ai jamais aimé l’hypocrisie et je serai blessée que tu finisses par le devenir avec moi. »

De la pointe de sa fourchette, comme souvent lorsqu’il était embêté, Jonos jouait avec un morceau de nourriture froide, à force d’être laissée de côté. Il n’avait pas très faim aujourd’hui, quoique la journée fut à la fête, et des plats aux desserts, avaient picoré maussade ce qu’on lui fourrait sous le nez. Il n’avait pas dansé non plus, n’ayant jamais montré grand appétence pour cet art, ni trouvé de partenaire à sa taille.

Avec le temps venaient les mauvaises pensées, comme un orage qui gronde au loin, et si généralement Jonos trouvait moyen de s’isoler de la foule pour évacuer ses ruminations dans des rêveries plus plaisantes, il était aujourd’hui pour ainsi dire bloqué à table. S’éclipser pendant le mariage de son frère aurait fait mauvais genre, il ne l’ignorait pas.

Sans doute cette disposition d’esprit expliquait-elle le ton vaguement sec avec lequel il s’était adressé à Ysilia, de qui il avait pourtant toujours été assez proche par ailleurs. Jonos ne boudait pas, mais il savait exprimer son mécontentement, fut-il mal défini, par d’autres moyens.

S’il avait aimé Ysilia, à une époque, il semblait désormais que c’était une étrangère qui se tenait à ses côtés, ceint de sa couronne, quoique ses paroles l’assurent du contraire. Il en faudrait plus pour le convaincre, et même cette petite main posée avec tendresse sur la sienne, tout cela semblait froid et lointain à cet son esprit chagrin.

- Il n’empêche, répondit-il un peu tranchant. La couronne et la famille ne vont pas ensemble.

Était-ce vraiment cela qu’il lui reprochait ? Anticiper un éloignement ? Cela revenait à prêter à Ysilia les vices de Ronnel qui dès lors qu’il était devenu roi n’avait eu de cesse de le mettre à l’écart. Ou était-ce autre chose ? Jonos ne s’était jamais montré très clair sur ses sentiments, préférant les ruminations secrètes aux démonstrations d’émotions.

- Tu n’as pas idée de ce que c’est, les Eryé. Ronnel va se servir de votre mariage pour se réaffirmer devant le conseil du Faucon, la famille, ce sont juste des mots.

Bien qu'il ait retrouvé le tutoiement, son air était devenu de plus en plus amer, à présent, bien qu’il continuât de s’exprimer avec une certaine douceur, à mi-chemin entre un constat résigné et une colère froide. Peut-être aussi était-ce le fond de vin qu’il avait lampé pour l’occasion qui lui échauffait un peu l’analyse.

- Je ferai mieux de continuer à te battre au cyvosse, oui, la vie va être dure maintenant, ce serait cruel de laisser penser qu’on gagne trop facilement.  

Ysilia était peut-être submergée par la vague d'émotions et de sentiments divers et variés que lui provoquait ses noces avec son ami d'enfance et cousin, Ronnel, ce n'était pas pour autant qu'elle était totalement aveugle ou indifférente à ce qui était en train de se jouer à côté d'elle. Elle était même bien plus vive que ce qu'il paraissait derrière son regard encore timide et se pommettes rosées. Aujourd'hui, elle était au centre de l'attention, car elle était la jeune mariée, mais qu'elle prenait également la place de nouvelle souveraine auprès de son royal époux, venant à succéder à la femme de tête et presque indétrônable Sharra Arryn et passant après Nymeria Lannister, qui n'avait été qu'une étoile filante dans le ciel de la politique du royaume du Val et de la Montagne, et qui n'avait pas eu l'occasion de laisser de trace durable d'un point de vue stratégique ou diplomatique, mais qui avait marqué au fer rouge, le cœur du jeune roi, et qui devait sans doute continuer à penser à elle, encore et toujours. Pour autant, elle parvenait à voir qu'aujourd'hui, il faisait de sincère effort, autant pour elle que pour donner le change auprès du public qui était là pour les épingler. Il y avait eu trop d'erreurs, et il y avait trop d'attentes de leur part pour ne pas être immédiatement dans le jugement. Et prompt était ceux qui désiraient juger. Pour autant, ils n'avaient pas eu à vivre les mêmes expériences, les mêmes douleurs ou les mêmes pressions. Il était si simple de critiquer, sans jamais avoir véritablement fait quelque chose de sa propre existence. C'est pourquoi, la jeune femme surveillait tout ce qu'il se passait, avec une certaine appréhension que quelque chose vienne à tourner mal. D'une certaine façon, c'était une question de survie au sein de cette Cour qui ne manquerait pas de jouer le rôle de chasseur face à la toute nouvelle proie qu'elle représentait à présent.

Et même si elle essayait d'être polie et agréable à tout le monde, et qu'elle préférait parfois le silence à des longs discours, elle sentait bien que le jeune garçon à ses côtés, n'était pas des plus ravis de se trouver ici. Il avait à peine touché au repas qui avait été proposé à l'assistance, jouant parfois plus avec la nourriture du bout de son couteau qu'à chercher à vraiment la déguster. Quant au reste, il se tenait à l'écart. Même si la guerre était partout, même s'il fallait faire avec l'absence de personnes qui nous étaient chers, qui étaient bien loin ou qui n'étaient malheureusement plus de ce monde, elle désirait néanmoins qu'il en profite. Il n'y aurait pas d'autre fête, pas d'autre festin avant bien longtemps sans doute. Mais il n'était pas question qu'elle soit impolie envers lui, pas aujourd'hui, pas au cours du repas de son mariage, même si lui se montrait distant et d'une certaine façon, quelque peu brutal dans sa manière de lui répondre. « La couronne et la famille ne vont pas ensemble ? » Souffla-t-elle incrédule. « C'est sans doute vrai dans d'autres royaumes, mais je ne pense pas que la situation soit si horrible au sein du Val et de la Montagne, si ? » Elle eut un sourire triste en le regardant. « Vous avez vécu des épisodes difficiles, j'en conviens parfaitement, et je n'ai pas besoin de refaire le triste liste. Mais je ne vois pas pourquoi il faudrait différencier les deux. Votre mère a toujours eu beaucoup d'affection à votre égard, même si elle n'a pas toujours eu la possibilité de vous l'exprimer directement. Ton frère pense autant à l'avenir de son royaume qu'à ton avenir à toi. Quant à moi … Je suis peut-être la nouvelle épouse, la nouvelle reine, mais je n'en reste pas moins ta cousine et cette amie d'enfance que j'ai été pour toi ou pour Ronnel avant toute chose. Ma porte te restera toujours ouverte si tu désires te confier à moi … » Elle porta son verre à sa bouche et prit une gorgée de vin. « Ce mariage est un mariage politique, je ne me fais nullement d'illusion Jonos. Et s'il ne servait pas à permettre de renforcer le pouvoir de Ronnel sur le Val, alors il n'aurait pas eu lieu. Quand je t'entends parler, cela donne l'impression que tu es déçu par cette union et pas seulement par cela. » Elle eut envie de lui dire qu'elle n'était pas si idiote que cela, et qu'elle n'était pas à son coup d'essai sur les expériences de la vie, comme si cette dernière était insupportable pour un enfant de douze ans, que tout le monde avait toujours cherché à protéger.

Ysilia semblait un peu tomber des nues à ses paroles. « Elle est trop naïve » pensa Jonos, « pas étonnant que je la batte aux jeux de stratégie ». Il n’était de toute façon pas ici pour refaire le match. Jonos était lassé qu’on s’adresse à lui comme à un enfant, tout le monde se piquait de lui expliquer les choses, la vie, la politique, mais lui n’avait pas besoin qu’on le prenne par la main : il avait besoin qu’on le prenne au sérieux. Pas comme un gosse idiot incapable de comprendre ce qui se tramait autour de lui. Car il voyait. Il comprenait. Oh, il comprenait trop bien, trop finement de son propre avis, les choses étaient limpides et c’était avec impuissance et rage qu’il voyait s’écouler sous ses yeux les intrigues de cour et les erreurs politiques. C’en était rageant.

Le ton qu’employait Ysilia avec lui l’agaça d’avantage, le sang sans doute légèrement fouetté par le vin et la fatigue de la journée. Maintenant qu’elle était reine, elle aussi s’adressait à lui comme au dernier des crétins. Fallait-il leur rappeler qu’il était prince du Val ? Le fils de Jehan Arryn et que dans son sang coulait celui des Andals et des guerriers faucons ? Et qu’en dernière instance, c’était lui, Jonos Arryn, qui hériterait du royaume si d’aventure il arrivait malheur à son frère. Or avec ses désirs de guerre insensée, un événement tragique lui pendait au nez, et ce ne serait certainement pas son mariage avec les Royce de Roche-aux-runes qui le sauverait du feu des dragons. Alliance minable, soit dit en passant, passer des Lannister à ça…

- Si je désir me confier… répéta-t-il maussade et non sans un brin d'ironie. Ce n’était pas de confidence qu’il avait soif mais de reconnaissance. Comme s’il allait partager ses états d’âmes comme on prête un bout de chiffon. « Et toi ? A qui vas-tu te confier ? »

A Ronnel, sans doute, sauf si celui-ci s’avérait aussi piètre mari que souverain.

Sur la question de sa déception, il ne trouva rien à répondre. Ce n’était pas vraiment ce sentiment qui l’habitait, non, comme si au fond toute épouse aurait été la mauvaise. Il regrettait avant tout qu’à aucun moment on ne lui ait touché un mot pour lui demander son avis, dans tout ce processus de décision, et d’avoir été mis devant le fait accompli, une fois la décision prise.

- Mon frère fait cavalier seul depuis des années, c’est très bien que tu l’accompagnes en route.

A défaut de Jonos, probablement. Il était amer, difficile de nier, et peinait à masquer cela, malgré l’habitude prise de dissimuler ses pensées et sentiments derrière un masque placide. L’occasion de laisser entrevoir un peu de son aigreur était trop belle, et à défaut d’être estimé pour ses qualités de stratège ou de conseiller, un instinct chez lui cherchait à être reconnu par son agacement.

- Moi je dis : oublie ton ancienne vie. Aux Eryé il n’y aura plus de place pour tout ça maintenant, tout est à refaire si tu crois que tu peux continuer les choses comme avant c’est toi qui risques d’être déçue.

Ysilia se garda bien pendant un temps de faire une quelconque réflexion en réaction aux paroles de Jonos, et elle continua à le regarder avec la bienveillance qu'elle avait toujours eu à l'égard de son cousin. Il était plus jeune qu'elle de quelques années, et sans doute avait-elle eu plus d'envie de le protéger, de prendre soin de lui, que ce qu'elle avait pu faire avec Ronnel qui était du même âge qu'elle. Elle avait vécu des expériences et des situations différentes avec l'un et l'autre, et en se mariant à l'aîné des deux frères Arryn, elle allait vivre encore d'autres choses avec ce dernier, des choses qu'on ne partageait qu'avec un époux, qu'avec le père de ses enfants. Même si sa vie était en train de changer, même si elle était elle-même en train d'évoluer, qu'elle était obligée d'évoluer pour devenir la Reine que méritait le royaume du Val et de la Montagne, ce n'était pas pour autant qu'elle allait changer si radicalement, qu'il serait impossible de la reconnaître et qu'elle deviendrait insupportable, ou pire encore, superficielle. Elle devenait juste une femme, avec tout ce que cela voulait dire comme complexité, et avec son nouveau statut elle ne pouvait pas uniquement penser à elle. Elle ne l'avait jamais fait et elle n'allait pas commencer maintenant. Mais à entendre Jonos, elle avait l'impression d'avoir déjà vendu son âme à un monstre qui n'allait que se jouer d'elle. Il semblait à la fois se prendre pour un adulte, pleinement amer de ne pas disposer de toutes les cartes, mais bien qu'il était le prince héritier, il n'en restait pas moins un suppléant. Et à la fois, il restait ce petit garçon, en tout cas, il agissait plus ou moins comme tel à cet instant, boudeur et capricieux.

En tout cas, son ton, les mots choisis ou encore son expression corporel, ne montraient à cet instant aucune félicité, aucune véritable joie. Il était clair que le mariage ne l'enchantait pas outre mesure, et cela avait quelque chose de blessant. Comment aurait-il réagi si elle avait finalement épousé le Roi du Nord comme c'était prévu au début. Il ne servait à rien de faire des suppositions, mais il n'en restait pas moins qu'elle voulait comprendre pourquoi il était si affable à cet instant. « Oui, si tu désires te confier, ce ne sont pas des paroles en l'air. Après, j'espère toujours avoir ton affection et ta confiance, encore plus qu'avant, nous faisons parti de la même famille. » Ysilia haussa les épaules pour répondre à la question de son cousin. « Je pense qu'avec mon nouveau statut, beaucoup de monde voudra entendre ce que j'aurai envie de dire, mais qui m'écoutera vraiment, qui cherchera véritablement à savoir comment je vais, comment je me sens, c'est une autre discussion. Ce n'est pas mon genre de parler si négativement, mais j'ai pu voir comment cela se passait avec Nymeria. » A la différence, c'est que Nymeria l'avait elle, mais elle qui avait-elle pour partager ses confidences aussi intimes ? Et même si elle adorait Jonos, il y avait des choses qu'on ne confiait qu'à une autre femme, ou à son époux. Mais pour le moment, sa relation maritale était encore à construire. « Je ferai au mieux pour soutenir ton frère, c'est important, autant comme femme, que comme Reine. » Elle lui adressa un sourire délicat qui disparut avec les paroles acides de Jonos. « Et pourquoi je ne pourrai pas continuer comme avant, maintenant que je suis mariée ? »

Les paroles en l’air, Jonos connaissait bien. Il lui semblait que depuis qu’il avait eu assez de conscience pour se figurer son rôle et ses devoirs, son quotidien n’avait été fait que de cela. Paroles. Paroles en l’air, paroles rassurantes, paternalistes, doucereuses. Des paroles pour le rassurer, pour le faire dormir, pour lui dire de se taire, de se tenir à l’écart. Il en avait soupé des paroles, à dire vrai, confidences ou non, ce qu’il voulait, lui, c’était agir, qu’on le prenne enfin au sérieux, pas comme un gamin dont on recueillerait les hésitations pour lui assurer que tout irait bien. De toute façon, on ne pouvait jamais vraiment se fier aux gens et à Ysilia Royce pas plus qu’à un autre. Envolés les jeux d’enfants semblait-il, l’heure était à la guerre à présent, une autre sorte de jeu, d’adulte cette fois.

De fait, il eut envie de la repousser encore, pourquoi pas avec méchanceté, le vin parlait, mais il su retenir sa langue. Ça n’avait pas de sens de se laisser aller. Et puis ce n’était pas à Ysilia qu’il en voulait en vérité. Bien en peine de dire à qui.

- C’est le lot des têtes couronnées, répondit-il d’un ton qui oscillait entre agacement et une sorte de compassion amère.

Qu’Ysilia se sente seule, oui très certainement, d’autant plus si son mari partait bientôt à la guerre, pour on ne savait combien de temps. Elle aurait des amies, peut-être, des confidents aussi, ou même des amants, qui pouvait le dire ? Ce n’était pas Jonos qui la blâmerait pour ça, de toute façon il entrevoyait l’idée de manière assez caricaturale. N’empêche qu’Ysilia serait seule, elle avait signée pour cela.

Lui, la solitude, il connaissait. Grandir aux Eyriés n’avait rien d’une partie de plaisir, on s’y faisait peu d’amis. Quant à son frère, sa mère, ils avaient eu bien tôt vite fait de le laisser de côté pour gérer les affaires du Val, et de lui fermer la porte au nez. Allez là-dessus vous trouver des confidents… Jonos avait puisé dans les livres et dans son imagination la matière à ne pas souffrir de l’isolement, et donné à ses études un poids revanchard.
Alors les craintes d’Ysilia, ba, aucune empathie là-dessus. Enterré tout ça.

- Il te suffit d’emporter des dames pour ta cour, répondit-il d’un haussement d’épaules. Et des livres aussi.

La hauteur du château limitait les possibilités de jeux, bien que Jonos ait en son temps – et parfois encore maintenant, il l’avouait – passé quelques après-midi à explorer certains passages interdits, quitte à braver un peu le vide. Ce-dernier le fascinait.

- On ne peut ni faire de cheval, ni de ballades, les chanteurs montent rarement, ah et aussi il n’y aura ni tournois ni fête populaire. Et pour le reste, tintin, que des devoirs, c'est un petit château on ne peut pas s'y cacher.

Un bien sombre tableau en vérité. Malgré cela, Jonos aimait les Eyriés, de tout son cœur. Simplement il avait l’âge et la morgue pour considérer cela comme un plaisir d’esthète.

Son verre de vin lui faisait de l’œil. Avait-il trop bu déjà ? Difficile à dire, faute d’avoir l’habitude. De toute façon ce n’était pas tous les jours que son frère se mariait, n’est-ce pas ? et personne ne le surveillait vraiment.
Il se pencha un peu sur la table et récupéra la coupe avec un plaisir mutin.

Ysilia n'aimait en aucune façon les sensations, les émotions et les sentiments que Jonos semblait prendre un malin plaisir à lui faire ressentir à cette instant. Certes, elle avait à présent parfaitement compris qu'il n'arrivait visiblement pas à se réjouir, et même cela au nom de la bienséance, de ce nouveau mariage pour son frère, et d'un mariage unissant en plus ce dernier à une fille du Val, une noble jeune femme appartenant à la maison Royce et qui se retrouvait lier aux Arryn par le sang. Ysilia ne pouvait pas remplacer Nymeria sur de nombreux points, et si on retirait l'aspect plus personnel de la chose qui ne regardait que Ronnel et elle à présent, elle savait que son union ne pouvait que renforcer l'unité du Royaume mais ne pouvait pas forcément être un atout pour l'ensemble de Westeros. Cela ne venait pas à sceller un peu plus les différents alliés des Arryn avec ces derniers. Mais cela ne voulait pas dire pour autant qu'elle ne pouvait pas amener quelque chose à la maison de son époux ou pour le peuple sous la protection du couple royal. Derrière cette timidité qu'elle affichait bien souvent, et son air parfois candide, elle était loin d'être une idiote, même si elle était consciente de la place qu'elle se devait d'occuper. Et Jonos était actuellement en train de réveiller un côté d'elle, bien plus révoltée, bien qu'elle gardait pour le moment les remarques qui commençaient à se former dans son esprit pour ne pas voir des problèmes se cristalliser juste devant ses yeux le jour même de ses noces. Il y avait déjà un certain nombre de choses qui la préoccupaient comme ça, pour ne pas chercher à rajouter de l'huile sur le feu.

Mais plus encore que les sentiments visiblement négatifs qu'elle avait l'impression de percevoir à son égard de la part de son beau-frère, il était surtout clair que le château des Eyrié semblait bien trop petit pour lui, empêchant de pouvoir célébrer quoi que ce soit là-bas, d'un ennui mortel tout simplement, ou d'une certaine façon, d'une prison en haut d'une montagne dont on ne pouvait pas véritablement s'échapper. Il était vrai qu'Ysilia avait toujours eu un peu de mal à s'acclimater à la forteresse royale. Quand la brume venait à s'engouffrer tout autour du lieu, elle avait presque l'impression que c'était une île à la dérive. Mais elle avait plus le sentiment que le vide allait facilement l'avaler sans aucune forme de cérémonie. Elle qui était habituée à la beauté de la mer qui scintillait sous la splendeur du soleil haut dans le ciel au-dessus de Roche-aux-Runes, le contraste était là, mais ce n'était pas pour autant qu'elle était prête à condamner l'endroit. « Il y a des solutions à tous les problèmes. Les chanteurs seront conviés à la Cour et ne pourront pas refuser de venir. Les tournois ne peuvent guère se faire sur le site même du château mais rien ne nous empêchent d'en organiser dans la vallée. Quand à se cacher, notre position ne nous l'autorise pas de toute façon, mais on peut envisager des compromis. Visiter les seigneurs du Royaume par exemple et profiter d'autres activités en dehors de son domaine tout en faisant cela sous ce que tu nommes devoirs. Tu vois sans doute l'ensemble plus noir qu'il ne l'est véritablement. Si tu as des idées à me proposer, je serai ravie de les écouter et de les mettre en œuvre. Aujourd'hui, la guerre continue de peser sur la population et sur les nobles du Royaume, mais il y a un jour où nous retrouverons la paix et nous pourrons voir autre chose que du fer, du sang et des larmes. »

En décrivant par le menu l’austérité de la forteresse des Eyriés, Jonos faisait autant preuve d’honnêteté franche que d’une sorte de cruauté adolescente et revancharde, satisfait à l’idée d’apprendre à sa cousine ce que lui savait déjà depuis plusieurs années. Il n’y avait guère de joie et de distractions si haut dans les montagnes, occuper le nid des faucons vous apprenait l’ascétisme, vous guindait de devoir et de fermeté, sans quoi l’abîme et l’ennui rendait fou. En cela, Jonos faisait preuve de charité : si Ysilia se présentait aux Eyriés mal préparée, elle ne pourrait s’en vouloir qu’à elle-même.

Sans doute aussi devait-on à sa coupe de vin le ton maussade du garçon. Un si petit corps tenait mal l’alcool.

Malgré tout, Ysilia s’obstinait à faire preuve de positivité. A l’en croire, sa venue serait toute auréolée de distractions, de jeux et de fêtes, comme si soudain devaient s’étendre sur le marbre froid des Eyriés des tentures chaudes et confortables, comme si le vent allait cesser de souffler là-haut entre les tours, ou bien serait dissimulé par les chants des rhapsodes, et les rires des occupants en mesure de faire oublier leur petit nombre désespérant.

Jonos trempa ses lèvres à sa coupe encore, le liquide chaud et épicé lui brûlant assez agréablement l’intérieur de la gorge. Il en tira du courage, et de la méchanceté.

- Tu te figures peut-être être la première dame d'en bas à t’installer là-haut… ?

Un sourire mauvais le trahit, à moitié dissimulé derrière son verre.

- Dame ma mère habite les Eyriés depuis vingt ans et cela n’a pas fait monter les chanteurs.

On disait pourtant Sharra fort belle – qui était-il, lui, pour en juger ? elle était sa mère – et avait tenu la régence du Val depuis la mort de son père, elle aurait eu tout loisir de transformer la cour en quelque chose de plaisant pour les femmes, mais il fallait se rendre à l’évidence : trop escarpés, trop petits, trop froids, les Eyriés n’étaient pas facile à vivres.

- Les Eyriés sont demeure de rois et de reines, pas de fol ou de baladin, ni une étape de promenade.

Son ton était passé de moqueur à aigre, presque rageur soudain et abandonnant sa coupe de vin il reporta son regard sur Ysaia.

- Mon idée la-voilà : caparaçonne toi, Ysaia, il faut monter avec le cœur bien accroché, si tu t'attends à trouver là-haut des jours agréables et doux, tu seras fort déçue.

Et de revenir à son vin.

- Il n’y a que le vent qui hurle et l’abîme. Tournois et chansons c'est bon pour les chevaliers et les petits enfants mais si tu dois être reine du Val il te faudra gouverner et cela ne sera jamais, jamais plaisant. Mon frère part en campagne, il n'a que faire de laisser derrière-lui une gamine.

Jonos était à cet instant, aussi sombre que Ysilia pouvait être lumineuse. Et même si elle faisait preuve d'un certain optimisme et qu'elle n'avait pas envie de se laisser contaminer par la mauvaise humeur de ce dernier, il fallait bien avouer que son air renfrogné, les choix de ses mots et le ton de ses paroles n'arrangeaient rien à l'affaire. Il aurait été plus simple de faire comme si de rien n'était, mais à chaque fois qu'elle essayait de faire un pas vers lui, de lui faire comprendre qu'elle ferait en sorte que les choses changent, même s'il était certain que cela pouvait se faire sur un certain, il assénait que rien ne bougerait véritablement, même si c'était elle qui prenait ses décisions. Le tableau semblait bien noir, et il devait avoir oublié qu'elle avait quand même fait de nombreux voyages à la Cour des Eyrié, qu'elle avait notamment été là-bas pour jouer les dames de compagnie de la première épouse de Ronnel avant de venir la succéder auprès du Roi. Elle n'avait pas eu autant l'impression que cela, que les lieux étaient si misérables et ainsi privé d'une quelconque distraction. Certes, elle ne serait jamais aussi heureuse que chez elle, car il était difficile de quitter son foyer, de quitter les siens et parce que la vue de la mer, l'odeur des embruns avaient sur elle, un effet apaisant non négligeable, mais ce n'était pas non plus un calvaire sans nom, comme il semblait vouloir le décrire. Il était terriblement amer, comme si en ce jour de noces, tout ce qu'il avait enfoui venait à s'exposer au grand jour, sans aucun filtre, sans aucune retenue et sans aucune considération pour la personne qui se trouvait face à lui et qu'il aurait dû soutenir. Il la traitait presque comme de la vermine, en lui disant qu'elle venait « d'en bas », comme si c'était un rat des champs, un nuisible. Où était parti le petit garçon pour qui elle avait tant de tendresse et d'affection et qui avait toujours su le lui rendre ? Elle n'en savait rien, mais le mot déception était bien léger pour exprimer ce qu'elle ressentait à cet instant.

Pendant un long moment, elle garda le silence, se demandant qu'elle était la meilleure façon de répondre ou de ne pas répondre. Cependant, il semblait avoir oublié les leçons de savoir vivre, et même si elle n'était en aucun cas friande de ce genre de choses, que c'était même contraire à sa nature profonde, elle décida qu'elle ne pouvait pas se laisser parler ainsi, même par son beau-frère. Certes, pendant des années, elle avait été simplement une cousine, mais aujourd'hui elle devenait la Reine et il était hors de question qu'on vienne à la rabaisser d'une telle façon, alors qu'elle, elle ne cherchait qu'à apporter un peu de réconfort auprès de ce dernier. « Je suis déjà fort déçu mon cousin … Pas par les Eyrié mais par toi. Je ne doute pas que tu cherches à me mettre en garde, mais au lieu d'afficher un certain soutien à ma personne, tu sembles trouver cela amusant que je me heurte à un mur en prenant place à l'année aux Eyrié. Je peux chercher à t'apporter tout le soutien dont je peux faire preuve, et tout l'amour aussi d'une cousine mais depuis tout à l'heure, tu ne fais que de me rejeter ma compassion en plein visage. Je ne sais pas d'où te vient cette amertume tenace et cette rancœur que je ne te connaissais pas. Il semblerait que je sois bien obligée en effet de me créer une carapace, car il n'y aura pas que le château que je devrais gérer. » Elle but une gorgée de vin, qui sembla la piquer encore un peu plus au vif. « Aujourd'hui, c'est le jour de mes noces, et je ne laisserais personne gâcher cet événement, pas même toi. » Souffla-t-elle quelque peu irritée avant de se tourner vers Ronnel, essayant de retrouver un semblant de calme et lui proposant alors d'aller danser. Il accepta, et le contact de sa main réussit à l'apaiser un peu, elle lança un dernier regard à moitié énervée et à moitié triste à Jonos avant de se rendre sur la piste de danse avec son époux.

L’accuser de gâcher le mariage ? Pff, c’était ridicule, alors qu’il n’avait fait que la conseiller, et plus justement sans aucun doute que tous ceux qui se prétendaient ses amis et n’avaient pas eu le bon sens de lui dire la vérité en face : la couronne n’apporterait à Ysilia que des responsabilités éprouvantes, autant le concevoir dès à présent.

Jonos avala le fond de son vin avec une espèce de satisfaction mauvaise. C’était sa combientième coupe ? Il n’avait pas compté, deux ou trois, déjà trop pour un si petit corps, mais l’ivresse lui faisait du bien. Il se sentait fort, fier, et lucide. C’était dommage qu’on ne le laisse pas boire plus souvent que ça et qu’il faille attendre que personne ne fasse attention à lui pour tremper ses lèvres dans le délicieux nectar.

Pour le reste, il balaya les paroles de sa cousine d’un geste alors qu’elle s’éloignait de la table. Parole de femme, de petite fille, à cet instant il se sentait bien plus adulte que Ronnel et elle réunis, tout ce petit monde se berçait de sacrées illusions… ça ne présageait rien de bon pour l’avenir, mais il saurait, lui, comment éviter les catastrophes. Et qui sait, peut-être Ysilia les aurait, finalement, ses bals, ses chansons et ses joutes ? Quand il aurait fait du Val la première puissance du continent, et qui sait, plus encore ? Oui, cette idée lui arracha un nouveau sourire et il constata que son verre était vide. Aucun échanson ne le remplirait pour lui et il hésita à s’en resservir encore avant de renoncer à l’idée, il avalait mieux ne pas rompre cette délicieuse lucidité par un excès de boisson.

Il jeta un coup d’œil autour de lui. La table d’honneur était passablement désertée, n’y avait-il pas dans le panel des invités de plus basses naissances quelques amis avec qui tailler un brin de causette ? il se sentait plus en forme tout d’un coup, comme si cette conversation l’avait mis de bonne humeur. Il était bon, parfois, d’exprimer ce qu’on avait sur le cœur.