Les choses changeaient rapidement et il fallait donc que je m'adapte au plus vite. Et le plus tôt sera le mieux. Faire le deuil de ce que j'avais perdu avais été plus long et plus difficile que je ne l'aurais cru, mais c'était maintenant chose faite. Grand-père disait toujours qu'il ne fallait pas regarder trop longtemps vers le passé, sous peine d'y rester piéger à tout jamais. De sages paroles que je mettais en application, même si je doute qu'il n'aimera sans doute pas ce que je fais, mais devant la nécessité des choses, j'avais dû prendre des décisions qui allaient impacter le reste de ma famille. Pour survivre, il fallait faire des choix et j'avais choisi de rallier l'Empire. Yoren n'aurait jamais accepté une telle décision mais il n'est plus de ce monde et désormais, je manie ma barque toute seule. Eren ne m'avait pas été d'un très grand secours et je n'avais de toutes façons pas de nouvelles de sa part. Peut-être que c'est pour le mieux. Toujours est-il que les choses se précipitaient et que j'allais devoir me mêler à tout cela et faire au mieux pour limiter les pertes dans le Conflans. Un enjeu de taille.

Toujours est-il que même si j'avais rallié l'Empire de façon officielle, je restais toujours l'ancienne Reine du Conflans, mais surtout la veuve de Yoren. Ce qui impliquait beaucoup trop de choses et de ce fait, je ne pouvais jamais me déplacer toute seule, même au sein des murs de la forteresse. Les Hoare étaient craints, hais et je pouvais le comprendre, mon défunt époux n'ayant pas fait dans la finesse, mais je n'étais pas responsable pour autant. Alors que je me déplaçais pour me rendre dans mes appartements, une voix s'élève et par réflexe, je me retourne, tout en continuant de marcher. Je n'étais pas sûre que ce soit à moi qu'on s'adresse et il n'y avait guère que l'Empereur et quelques personnes pour continuer de m'appeler ainsi. Il y avait une jeune femme que je n'avais jamais vue, du moins pas que je m'en souvienne, mais alors que je continuais sur ma lancée, j'entends sa question et je m'arrête totalement afin de me retourner vers elle cette fois. Je ne sais pas de quoi elle est en train de me parler, c'est assez confus et je fronce légèrement les sourcils, essayant de me rappeler ce que j'aurais pu entendre à propos de Salvemer, mais ça m'échappe totalement sur l'instant. Elle enchaîne, s'excusant de m'aborder de la sorte, mais me faisant comprendre que je devais forcément être au courant de quelque chose au vu de mon lien avec Eren.

" Je ne suis plus en contact avec Eren depuis longtemps." Je sens dans ces mots tout le poids de la tristesse, de l'incompréhension et je suis douce dans le ton de ma voix. J'inspire légèrement et fais signe à mes deux gardes de partir, cette jeune femme ne représente pas une menace pour moi et auquel cas, je sais me défendre, je ne suis pas une demoiselle sans défense ni ressource. Au bout de plusieurs secondes, je suis seule avec elle." Quel est votre nom ? Et dites moi ce qui c'est passé à Salvemer, j'ai bien peur de ne pas être au courant." Entre la mort de Yoren, mon rétablissement, le choix d'un nouveau roi, tout est allé si vite que je n'ai pas toutes les cartes en main pour comprendre ce qui s'est passé dans mon royaume. Je ne la brusque pas pour autant, mais savoir à qui je parle m'éclairera sans doute un peu plus. Même si j'ai bien quelques doutes sur la famille à qui elle appartenait.

Prononcé le prénom d'Eren me laissait un goût assez amer en bouche. Je ne pouvais pas la blâmer ce qui s'était passé, bien évidemment, mais tout de même, il y a des choses qui auraient dû être faites et qui ne l'ont pas été. Des regrets ? Non pas tellement, mais après tout, c'était comme ça et sans doute pour une bonne raison. Pourtant, alors que je congédie les hommes autour de moi, je sens sa douleur, elle est presque palpable. Et je la comprends, plus que je ne saurais le dire en réalité. Tout perdre est difficile, mais perdre ceux que l'on aime encore plus et c'est visiblement son cas aussi. Elle se présente et j'eus un léger sourire aux lèvres. Je connaissais cette famille de nom et il me semble avoir croisé son père à quelques reprises. Mais Yoren me tenait éloigné des affaires militaires, estimant que je n'avais pas mon mot à dire sur ce sujet. Bien que je sois une bonne archère, que je sache monter à cheval, je n'avais pas protesté. C'était son domaine, pas le mien. " Il me semble avoir déjà croisé votre père, en effet." Elle s'avance d'un pas, puis d'un second, mais loin de prendre ça pour une menace quelconque, je ne bouge pas et attends la suite. Parce que je me doute bien qu'elle ne m'est pas interpellée pour me donner des bonnes nouvelles.

Et la suite me donne raison. " Elle a fait quoi ?" Totalement surprise, abasourdie même par cette nouvelle. Je ne comprenais même pas un tel geste, surtout qu'il était fidèle aux Hoare. Je ne savais pas vraiment quoi lui répondre sur le coup, mais je me reprends et hoche légèrement la tête. " Je suis désolée, je n'étais pas au courant... Je..." Il s'en était passé des choses durant cette convalescence. Bien plus que je ne l'aurais cru et bien plus grave aussi. Cela ne pouvait pas rester sans conséquences. Elle reprend la parole et je sens cette douleur, cette incompréhension, cette envie de comprendre aussi. Mais y avait-il seulement quelque chose à comprendre ? " Vous avez bien fait, je ne suis plus reine, mais je refuse de rester sourde à la douleur des miens." La vérité, c'est que je ne savais pas comment l'aider, mais je pouvais toujours l'écouter. Parfois, c'est juste ce dont on a besoin.

Mais tout devient plus clair alors qu'elle m'apprend que son père avait finalement décidé de rallier l'Empire. Grave erreur s'il en est. Eren, ainsi que son époux tenaient l'Empire en horreur, a tort ou à raison, je ne suis plus sûre de rien désormais. Mais il est vrai que la maison Bracken et celle des Mallister avaient toujours eu de bonnes relations, du moins, de ce que j'en savais." Venez avec moi, allons marcher un peu plus loin." De mémoire, il y avait une petite cour intérieur un peu plus loin, nous y serions tranquille. " Pour tout vous dire, je n'ai jamais vraiment compris Eren. L'entente était cordiale, mais sans plus." Tout ça pour dire que je n'y comprenais pas plus non plus. Mais j'avais eu le mérite d'aimé son frère et qu'il m'aime en retour, malgré ses frasques. Finalement j'avais raison, il y avait bien une petite cour intérieure et je m'assois sur un banc en pierre et l'invite d'un geste de la main à prendre place à mes côtés. " Je sais ce que vous ressentez. Je sais à quel point ça fait mal de tout perdre. Je pourrais vous dire que la douleur va disparaître avec le temps, mais en réalité, on apprend juste à vivre avec." Je souris, me voulant rassurante malgré tout. " Mais ça ira, vous verrez. Un jour on se réveille et on se rend compte que tout n'est pas perdu pour autant." La vengeance n'apporte rien, même si c'est tentant. Et pourtant, je suis quelqu'un de fortement rancunière, mais là, j'ai dû mettre mon orgueil et mon ego de côté pour me rendre compte que c'était une chance au final. Je peux aider mon peuple malgré tout et ça, c'est tout ce que je demande.

Elle semblait perdue, complètement désemparée face à ce drame qui la touche de près. Je ne pouvais pas parler au nom d'Eren et je ne m'y risquerais pas, mais vraiment, je ne comprenais pas. Mais si l'homme avait décidé de tourner le dos aux Hoare, alors effectivement tout devenait clair comme de l'eau de roche. Cette idée avait elle été soufflée par son époux ? Sans doute pas, Eren était capable de grande cruauté quand elle le désirait. Ce qui ne me rassurait absolument pas sur mon propre sort si d'aventure je devais tomber entre ses mains. Mais je chasse ses pensées de mon esprit et me concentre sur la jeune demoiselle. Elle ne doit pas avoir plus de quelques années de moins et pourtant, je me sens vieille. J'ai vu et vécut beaucoup trop de choses au fil des derniers mois, de ces dernières années. Je lui fais donc signe de me suivre et je ne peux m'empêcher de sourire quand j'entends ses propos. La haine est un sentiment tenace, puissant et surtout violent. Qui ne mène souvent à rien, si ce n'est faire exactement la même chose que la personne qu'on déteste. Mais je comprends aussi son point de vue parce que moi aussi je lui en veux. Pour tout un tat de choses qui semblent puériles en comparaison. " C'est normal, vous avez perdu tout ce que vous aviez à cause de son action. C'est humain comme réflexe." Je ne sais même pas si je suis la mieux placé pour lui tenir un tel discours. J'avais détesté et hais l'Empire parce qu'on me l'avait apprit, pas parce qu'ils m'avaient enlever ma famille. Même si par la suite, c'est arrivé.

Elle vient me rejoindre et me pose une question intéressante. Est-ce que je vais bien ? Je n'en savais rien en réalité. J'avais tellement été occupée depuis mon arrivée ici que je n'avais pas pris le temps d'y songer plus que ça, bien que paradoxalement, j'aie réussi à faire le deuil de tout le reste. " Je ne sais pas si je vais bien pour tout vous dire. Depuis mon arrivée ici, je me suis juste contentée de m'occuper l'esprit du mieux possible pour faire taire la douleur." Franche et honnête pour le coup. " Il ne tient qu'a vous de savoir ce que vous voulez vraiment faire. La douleur, la colère et la haine sont de puissants sentiments qui peuvent tous aussi bien vous menez à votre perte." Je tourne la tête vers elle et l'observe. J'étais dans le même état après la mort de Yoren et la perte de mon enfant, parce que je ne savais pas ce qu'on attendait de moi exactement. Doucement, je prends sa main dans la mienne et la serre légèrement. " Personne ne vous en voudras si vous vous sentez perdue et désemparée. Je l'ai été moi aussi à mon arrivée ici et très franchement il m'arrive encore de l'être." J'ai un fort caractère, mais des fois la peine est trop lourde a portée. Je lui lâche la main et soupire brièvement avant d'observer les alentours.

Je réfléchis un moment à ce qu'elle venait de dire. À cause de ce statut qui était le mien pendant plusieurs mois, j'ai presque tout perdu. Les jeux politiques sont sans pitié et il faut être prêt à tout pour survivre et se faire une place. Yoren y était parvenu par la force, moi j'avais réussi à me faire aimer d'une majeure partie de mon peuple et pourtant, ça n'avait pas été suffisant. " Les jeux de pouvoirs sont ainsi fait malheureusement. Il ne faut rien prendre pour acquis. Mais il faut être prêt a tout perdre." Ce qu'elle n'avait pas eu le choix d'accepter. De même pour moi. " L'Empereur est un homme bon, malgré toutes les horreurs que vous ayez pu entendre sur lui. Je suis sûr qu'il pourra vous aidez d'une manière ou d'une autre. Comme il l'a fait avec moi." Mais cela n'est pas sans conséquences non plus.

Je ne pouvais que comprendre son ressenti, cette colère qui naissait en elle. Parce que c'est sa famille qu'on lui avait arrachée, tous ses repères. Ces personnes qu'elle aimait plus que tout et aujourd'hui il ne restait plus que du vent. Et des souvenirs qui seront dans un premiers temps douloureux. Mais la douleur s'estompe avec le temps, du moins en général, mais je ne pouvais pas m'avancer sur son cas. " Je ne peux pas vous dire comment gérer la perte de vos proches, mais si vous avez besoin d'en parler, sachez que je suis là." Je ne savais pas vraiment pourquoi je me proposais à dire vrai, mais je sentais que ça pouvait être utile. Et puis, nous étions toutes les deux originaires du même royaume, il fallait bien s'aider un peu. Et pour elle, j'avais visiblement encore le statut de reine. Pour combien de temps encore ? Je serre sa main dans la mienne pendant plusieurs secondes en silence. Tentant de lui donner un peu d'apaisement dans cette terrible épreuve.

Je souris doucement à ses dires. Le silence était pire que tout, elle avait entièrement raison." Oui tôt ou tard il faut y faire face, mais rien ne vous oblige à le faire tout de suite." Je pose les yeux sur elle quand elle me demande si j'étais au courant des plans de l'Empire pour moi et je hoche la tête doucement. J'avais eu l'occasion de parler avec l'Empereur et ce dernier m'avait prédit un avenir que je pouvais embrasser si je le décidais. " Un retour au Conflans est envisageable, mais du côté de l'Empire cette fois." Revoir mes terres natales, même si c'était assez loin de chez moi, c'était mieux que rien. J'aimais le Conflans dans son ensemble et avait aimé apprendre à y voyager au fil des années. Et lorsqu'elle s'excuse, j'eus un regard surpris, mais un sourire doux se dessina sur mes lèvres. Elle était sincère, je le sentais bien. " Merci beaucoup." Ce n'est qu'un souffle, mais suffisant pour qu'elle l'entende. Je ne m'attendais pas vraiment à ce que des gens soient vraiment désolés de ma situation. Pour beaucoup, je l'avais chercher. Mais je n'avais pas de temps à perdre pour les faire changer d'avis. Aujourd'hui j'étais là et bien décidée à défendre mon royaume comme il se doit. Envers et contre tout.

Et lorsque je lui parle de l'Empereur, j'écoute sa réponse. J'entendis son rire sans joie et je savais ce que cela voulait dire. On avait raconté bien des horreurs sur l'Empire et le Nord, des histoires parfois terrifiantes, je devais bien l'admettre. La peur est une arme comme une autre quand on est en guerre. Elle ajoute que son père avait soutenu Harren, avant de se tourner vers l'Empire après la mort de ses fils, ce qui était compréhensible. Et sur bien des points, elle était plus à plaindre que moi. Bien qu'une partie de ma famille soit en captivité, je savais qu'ils étaient en vie. Ce qui n'était pas son cas. " Il est intimidant c'est un fait, mais si vous le demandez il vous aidera." Je ne savais pas ce qui l'attendait concrètement et une idée me vient à l'esprit. " Nous ne sommes pas des victimes, mais cela nous rendra plus fortes pour les prochaines épreuves qui nous attendent." Mais cela n'enlève rien à la difficulté des choses. " Si vous le souhaitez, quand vous irez mieux, vous pourriez vous joindre à moi pour retourner au Conflans. J'aurais bien besoin d'aide et votre famille est illustre dans notre royaume. Vous pourriez m'épauler sur beaucoup de choses. Mais c'était à elle de voir, je ne la forçais à rien et elle avait peut-être d'autres objectifs que ceux que je m'étais fixés. Mais la proposition était sincère.

A dire vrai, je n'avais aucune idée de ce qui m'attendait dans un avenir proche, ni même ce qui l'attendait elle, mais avoir une oreille attentive pouvait toujours être bénéfique. Si elle en avait envie, bien entendue. Je sais bien ce que je représente, je sais le poids de porter un nom de famille haï de tous ou presque, mais je m'en accommode pour l'instant. Je ne suis pas vouée à rester la veuve de Yoren Hoare bien longtemps au vu de ce que j'ai compris et je l'accepte. " Je m'en souviendrais également." Si cela pouvait lui faire du bien et la débarrasser un peu de toute cette colère ou incompréhension qui est la sienne, alors ça ne pouvait être qu'une bonne chose. La situation était compliquée, mais j'avais bien compris que rien n'était insurmontable dans la vie, quand bien même c'est parfois douloureux.

Le monde qui nous entoure ne nous veut pas que du bien, c'est une réalité qu'elle venait d'apprendre de la pire des manières et j'en étais désolée pour elle. Elle me faisait penser à ma soeur dans une certaine mesure, il y avait en elle une part de naïveté que j'avais souvent vue chez ma cadette et sur laquelle je l'avais si souvent embêtée. Elle me manquait, tout comme ma mère, mais je les savais en sécurité et c'est tout ce qui m'importait. Mon frère et mon grand-père était dans une autre configuration parce qu'ils étaient prisonniers, mais j'avais eu la parole de l'Empereur qu'ils seraient bien traités. Moi j'avais de la chance de pouvoir avoir la chance de les revoir un jour ou l'autre, ce qui n'était plus le cas de la jeune demoiselle. " Ce monde est cruel sur bien des aspects, je ne vous apprends rien, mais il nous offre parfois des moments de calme qu'il faut apprendre à savourer avant qu'il ne passe." Je parle comme si j'avais le double de son âge, mais nous avons toutes les deux nos propres croix à porter désormais. Nos peines et nos souffrances qui ne peuvent que nous rendre plus fortes sur la durée. Mais j'étais confiante, après l'orage vient toujours le beau temps.

Je souris nostalgique à la simple pensée de nos terres. " Plus que je ne pourrais le dire en effet." Je suis attachée au Conflans, de tout mon être. J'aime ce royaume, les gens qui le compose et je ferais absolument tout pour que nous ne perdions pas au change, quoi qu'il se passe. " Je n'y retourne pas en tant que reine, mais en tant que fille du Conflans. J'ai hête d'y être, même si je sais que la guerre ravage tout." Inutile de se voiler la face après tout. Puis il me vient une idée, que je lui soumets aussitôt. Je ne la force à rien, mais il est vrai que son aide pourrait être appréciable et avoir quelqu'un qui aime notre royaume autant que moi peut faire une grande différence. Il n'y a pas d'urgence, mais autant prévoir un retour possible dans les meilleures conditions. " Prenez le temps de vous remettre de vos pertes, rien ne presse. Et si vous le souhaitez, je serais ravie de vous avoir à mes côtés par la suite." Sauf si l'Empereur avait des projets pour elle, ce qui ne semble pas idiot quand on y pense, mais chaque chose en son temps. Il fallait déjà qu'elle fasse le deuil des siens, et je savais que ça pouvait être compliqué et long. " Prenez du temps pour vous également, c'est important." J'en savais quelque chose. La douleur est une chose, mais elle s'atténue avec le temps.