L’homme avait très peu dormi, c’était souvent le cas après une bataille. Le retombée des émotions et de la sur-stimulation des muscles et de réflexes provoqués par l’afflux d’adrénaline produite par la mise en danger. Il avait passé une partie de la nuit à aller prendre des nouvelles de ses hommes blessés et qui ne pourraient pas continuer l’aventure sans recevoir des soins corrects. Il avait été voir les dépouilles de certains de ses camarades tombés au combat, que leur famille ne reverrait jamais. Tomber trop tôt, mais au chant d’honneur. Il eut quelques mots pour les corps sans vie, leur combat ici terminé, qu’ils puissent jouir de l’existence éternelle dans l’autre monde pour avoir participé et aidé à remporter ce valeureux combat. En tant qu’officier, il se devait d’être là pour ceux qui étaient ou qui avaient été sous son commandement, c’était pour lui une tâche indissociable à ses fonctions. Il dut également faire le point sur les capacités de la cavalerie, les montures blessés, les effectifs valides disponibles, l’équipement perdu ou endommagé. Tout cela prenait du temps, heureusement il avait des aides de camp pour l’épauler.

Il avait rechassé longuement l’affrontement de la veille. Déçu, il l’était assurément. De ne pas avoir pu participer plus activement à la bataille, relayer à la prise de la ville et à couper le retraite ennemi par le pont au Nord de la ville. Qu’aurait-il faire de plus ? Il y réfléchissait, la ville était un terrain inadéquate pour un déploiement de cavalerie, mais il avait fallu profiter de l’effet de surprise, démonter ses troupes dans une ville en flammes aurait été très coûteux en temps et cela aurait pu s’avérer fort dangereux. C’était lui qui avait proposé le plan initial et son absence aurait pu coûter l’échec de l’Empire, ainsi que la perte de l’Empereur. Il s’en voulait donc, mais c’était là le fardeau du commandement. Gagner ou perdre. Assumer. Et il assumerait, quelque soit ce qui serait décidé.

Il s’était levé au petit matin et avait reçu une missive de l’Empereur. Il mit en branle ses officiers pour que le cavalerie légère pourchasse les fer-nés en fuite et que les cavaliers valides se tiennent prêts à de nouveaux ordres. Son visage était encore crasseux et recouvert par de la suie. Il s’était débarbouillé très brièvement, mais il devrait faire une toilette intensive pour faire partir le dépôt noir qui était venu se coller sur sa peau. Avec les incendies et l’inhalation des fumées, il toussait assez fortement, il faisait en sorte de bien s’hydrater, il pensait que cela partirait avec le temps. Il avait manger avec ses hommes et fit le point avec les différents officiers de sa troupe avant de rejoindre l’Empereur. Il se mit en route vers la tente de commandement et confia sa monture à un écuyer pour pénétrer dans la tente après avoir été annoncé. Il fit son entrée et ploya le genou devant l’Empereur afin de la saluer. « Sire. » Il se releva lorsqu’il avait été autorisé. Il porta son poing devant sa bouche et toussa à plusieurs reprises. Sa gorge était irritée comme il faut.

On lui demanda de faire un rapport de la situation, il attendit que son interlocuteur ait terminé pour lui emboîter le pas : « Les incendies ont été circonscris, des soins sont apportés aux civils et militaires qui auraient été blessés par les flammes ou assimilé. Les civils n’ayant plus de toit ont été recueillis dans le camp et des vivres leur ont été distribués. Des gardes ont été placés sur les tours et chemins de ronde encore en état et des éclaireurs ont été envoyé le long de la rive Sud et sur ses routes pour prévenir d’une possible avancée ennemie. »Il enchaîna sur l’état de la cavalerie : « Le moral est bon, Sire. Les blessés et les morts sont à dénombrer par centaines, la ville est sûrement le terrain de déploiement le plus défavorable pour la cavalerie. J’ai déjà mis en action la cavalerie conformément à vos directives, nous attendons vos ordres.»

Il déglutit, toussa de nouveau, entre gêne et honte, il prononça ces quelques mots :« Je n’ai pas pu être présent à vos côtés sur le champ de bataille, Sire et je m’en voudrai probablement jusqu’à mon dernier souffle. Cela aurait pu s’avérer particulièrement désastreux, j’en suis conscients. J’ai proposé ce déploiement et cela a été un échec, j’assumerai ce dernier et je prendrai mes responsabilités, Sire. »

La ville était loin d’être un terrain appropriée pour un déploiement de cavalerie. Entre l’étroitesse des rues et le fait que l’ennemi pouvait facilement y dresser des barricades, ainsi qu’y adopter des formations serrées. Toute manœuvre dans ce genre d’environnement était donc extrêmement dangereux et on pouvait être certain que les pertes seraient lourdes si l’ennemi vous y attendait de pied ferme. C’était ce qui était arrivé à Herpivoie. Jamais Garlan ne s’y serait aventuré si ce n’était afin de profiter pleinement de l’effet surprise produit par l’attaque du dragon de l’Impératrice sur les murs et contre la porte Ouest de la ville et afin de mener le plus rapidement possible la force de cavalerie au Nord du pont afin de soutenir l’armée de l’Empereur. Mais ce n’était guère le stratégie initiale. Aucun plan ne survit au contact de l’ennemi, cela n’avait jamais été aussi vrai qu’au cours de cette journée et cette réalité avait un goût amer pour le jeune homme.

L’Empereur est un homme juste, du moins le bieffois se faisait cette idée de l’homme, il le servait avec fierté et conviction. Il lui avait donné sa chance en sortant de l’ombre de l’échec de Kevan Garderner. Et lui présenter ainsi son échec, c’était une déception pour lui, il espérait que sa confiance ne serait pas trop ébranlée pour autant, il était prêt à prendre toute la responsabilité de l’échec du plan initial, c’était aussi cela que le commandement. Le Nordien reconnaît ses fautes, le commandant est prêt à les entendre, c’était de son fait. Droit comme un piquet, les mains derrière le dos, il ne bronche pas et accuse le coup. Il ne détourne le regard, seulement pour diriger sa tête vers le bas et toussoter à plusieurs reprises lorsque l’irritation de ses bronches ne devient trop insupportable.

Mais il reconnaît certains bénéfices de son action, ils sont rares, mais ils les mentionnent quand même, le bieffois lui en est reconnaissant. Lui-même n’y avait pas forcément pensé, trop concentré sur ce qu’il aurait pu faire pour que la situation soit différente et à se remettre en cause. Dans les faits, la seule chose pour laquelle il était fier pour le coup fut d’avoir pu préserver une bonne partie de la ville et surtout de sa population. Ses hommes avaient bien agis, c’est eux qui devraient en être félicités. Un officier n’était rien sans son unité et des différents membres qui la composent. Il se demandait. Il s’interrogea sur la situation, il espérait se tromper, mais il souhaitait partager ses doutes à l’Empereur pour qu’il les rassure. « Si le Bief s’est enfuit vers le Nord-Ouest, n’y-a-t’il pas un risque pour l’armée nordienne du Roi du Nord présente à Vivesaigues, Sire ? Les effectifs de Lord Rollingford ont été largement amputés, mais ils pourraient être suffisants pour venir en renfort à nos ennemis des Terres de l’Ouest. »

L’Empereur aurait probablement un autre avis de la situation, Garlan n’avait pas toutes les cartes en main, pas toutes les données. Ce n’était qu’un pion des plus classiques et innombrables sur le jeu de Cyvosse qui avait pris place. Il fut soulagé du fait d’apprendre qu’il n’était pas rétrogradé et que son commandement ne lui était pas retiré pour le moment. Même si tout ne s’était pas passé comme il l’aurait souhaité, loin de là même, il avait apprécié mener une telle troupe jusqu’à destination et à la bataille, il se sentait à l’aise avec cette tâche. L’heure était à la poursuite, il fallait planter définitivement le clou, cette occasion leur tendait les bras. Le Bieffois hocha vivement la tête. »La cavalerie est prête, Sire et je suis certain de partager la pensée de tous les membres de ce corps en affirmant qu’ils souhaiteront en découdre. Ils n’attendent que vos ordres pour se mettre en mouvement.» Il marqua une pause, sur un registre plus personnel, il questionna l’Empereur. « Les nouvelles vont bon train au sein du camp, j’ai appris que sa majesté impériale avait été blessée lors de la bataille. Puis-je m’enquérir de son état, Sire ? Comment se porte-t-elle ? »