Les yeux fermées, Meraxès enroulée tout autour de moi, la tête d'Ebryon posée sur mes genoux, je me sentais apaisée, revigorée. J'en appelais à mes dieux. Pas pour ma survis et ma victoire non. Pour celle de mes enfants, pour leur avenir. Puis pour Torrhen et Orys. Et enfin pour tous ses hommes qui seront sous notre commandement. J'appelais à leur bienveillance, protection, mais aussi brutalité, et vivacité. Nous avions besoin de tout cela pour emporter la bataille que nous allions livrée. Une heure, une seconde, une troisième. Mes membres étaient désormais engourdis. Je ne voudrais qu'une fois les premiers rayons de soleil vinrent caresser mon visage.

Feu et sang.

Je pris grand soin de me laver dans la rivière. Je nouais ensuite mes cheveux en une multitude de tresses. Je frottais mon armure, pièce par pièce, la faisant briller comme au premier jour avant me revêtir mes habits de vol. J'enfilais mes chaussures puis noire soeur à ma taille. Il était temps de rejoindre cette cavalerie comme le désirait Torrhen. Le message porté par Ebryon la veille était clair et je savais ce qu'il attendait de moi. Mes affaires rassemblées, ma sœur me laissa la chevaucher pour rejoindre, plus tôt que prévu la compagnie de Garlan. Je n'étais pas attendu et mon arrivée. Des chuchotements, d’abord une rumeur puis une clameur de plus en plus forte. Certains tapèrent sur leur bouclier avec le pommeau de leur épée.  Le camp finissait de se réveiller dans un chahut bruyant qui m'ouvrir naturellement le chemin lorsque je quittais le giron de Meraxès. Ebryon grognait, mais les hommes savaient qu'ils ne devraient pas s'approcher. Je laissais à l'un de mes peyredragonniens mon paquetage, le chargeant de le ramener sous la tente de Goldwyne. Je les saluais autant que possible jusqu'à arriver à la tente de commandement dans laquelle j'entrais sans demander la moindre autorisation.  Un silence puis du soulagement sur de nombreux visages. Le mien était neutre, concentré. Messires. Je suis là pour vous aider. Faites lever le camp au plus vite. Nous devons nous mettre en route dès que possible. Vous restez sous le commandement de Goldwyne. Voyez moi comme un bonus. Les dieux m'ont permis d'arriver à temps pour vous prêter main forte dans cette bataille. Lord Goldwyne, pourriez faire venir un de vos écuyers de confiance dans votre tente afin qu'il m'aide à revêtir mon armure ? Ce n'était pas vraiment une question mais nous devions afficher une unité solide et je me devais de mettre les formes. Avisant un pichet de vin et des verres, je nous servais tous une coupe avant de lever la mienne Que nos ennemis baignent dans le feu, le sang et l'hiver. J'avalais la mienne d'une traite et quittais les lieux pour aller me préparer.

Les chevaux comme les hommes étaient fébriles, impatients. Nous attendons au sud d'Herpivoie. En armure, l'étendard en guise de cape, je m'avançais vers Garlan, juché sur son cheval. Il venait de galvaniser les troupes par son discours. Je sortais Noire-Sœur de son étaux et la brandissait en haut avant de hurler la devise de l’empire Feu, sang et hiver.  Je laissais les troupes reprendre mes mots avant de rejoindre Meraxès. Ou du moins étais-je mes premières intensions. De la fumée noire attira immédiatement mon attention. Je me tournais vers Garlan et lui déclarais L’empereur est en danger. Changement de plan. Je vais vous ouvrir la voie à l’Ouest. Le reste est entre vos mains. Chevauchez rapidement et rejoignez le champ de bataille au plus vite Lord Goldwyne, ou il n’y aura plus d’Empire à sauver. Je lui fis un signe de tête avant de courir vers ma sœur. Je sifflais Ebryon pour qu’il rapplique et dès que je fus sur son dos, j’ordonnais à Meraxès de s’envoler. Je ne jetais aucun regard en arrière. J’avais donné mes indications à celui qui avait déjà trahi ma confiance par le passé. Il n’avait pas intérêt à me décevoir. Je m’élançais à toute vitesse vers l’entrée de la ville que je lui avais désignée. Des cris s’élevèrent des remparts à la vue de ma sœur et mon frère. DRACARYS leur hurlais-je.

Ils ne se doutent de rien. Je suis à Dorne après tout.  Les échos de la bataille dans le nord résonnent et c'est par là qu'est attiré leur attention. Cela me rend furieuse. Nous avions fondé l'empire ici et cette ville était tombée entre les mains de nos ennemis. N’avaient-ils aucune fidélité ? N’avaient-ils aucun honneur ? Ils auraient dû prendre les armes et chasser les envahisseurs. Un peyredragonnien se battrait jusqu'à la mort pour que ses villes ne me deviennent pas hostiles. Ils ne méritent pas que je le libère. Non.

Aucune pitié.

Aucun quartier.

Les soldats n'ont pas le temps de réagir que, déjà, mon feu les dévore. Ils hurlent de douleur, ils s'enfuient. Les lâches. Ils ne s'en sortiront pas aussi facilement non. Je n'essaie même pas de retenir la fougue de ma Soeur et de mon Frère. Ils déversent ma colère, ma rage. La porte tombe bien vite ouvrant le passage aux cavaliers de l'empire. Leur chevauchée ne sera pas facile. Ils ne sont pas faits pour combattre et avancer en ville mais nous n'avions pas le choix. A Goldwyne de les mener dans une charge foncée pour rejoindre au plus tôt l'Empereur. S'il voulait garder la vie sauve, il n'avait pas le droit à l'erreur.  Je ne le permettrais pas. Je ne le permettrais plus.

Meraxès nous guide, Ebryon et moi. Je n'ai pas besoin de lui demander de laisser son feu brûler nos ennemis. Elle commence à prendre l'habitude de combattre désormais et sait ce que j'attends d'elle. Mes yeux se perdent dans ce feu ravageur, dévastateur. J'adresse une prière à mes dieux, leur dédie toutes ses morts. Feu. Sang. Hiver.

Les échos de la bataille me tirent de mes pensées.  Et cette fumée noire qui continue de l'élever encore et encore. Les cavaliers sont trop lents. Beaucoup trop lents. Je peste. On ne peut décidément pas compter sur ce palefrenier. Je réfrène Meraxès et crie à Ebryon de ne pas poursuivre ses assauts. Je les guide vers le front plus au nord.


Torrhen. J'arrive.

Je ne sais pas par où commencer. Les fumées noires me guident mais les combats sont engagés sur plus d’un front. J’hésite, un court instant j’hésite. Cela suffit à Meraxès pour se diriger vers ce qui lui semble la meilleure cible. Son choix est judicieux et je ne l’arrête pas. Cette troupe de cavalerie ne résistera pas bien longtemps. Et elle n’apportera aucun renfort aux hommes en face d’elle. Elle ne se doute de rien et quand nous fonçons sur elle, c’est déjà trop tard. Ils crient mais l’échos de leur voix se perd dans le fracas de la bataille qui se joue plus loin. Ils sont trop peu pour nous faire face. Mon Frère est le premier à cracher son feu avant de prendre entre ses griffes un corps pour le laisser retomber plus loin. Le cavalier et son cheval se fracasse au sol. Ils étaient morts avant même de toucher le sol. Méraxès y a veillé en les brûlant à son tour. Je les laisse agir comme ils l’entendent. Je ne réfrène pas cette frénésie mortelle qui s’est emparée d’eux. Plus tard, je serai obligée de le faire. Ils ne risquent rien. Nous ne risquons rien. Les hurlements de douleur et de peur se taisent bien rapidement. Si faibles. Si peu nombreux. Nous n’avons fait d’eux qu’une seule bouchée. Enfin trois pour être plus exacte. Ebryon s’accorde le luxe de se poser pour se reprête d’un homme à l’agonie. Son sang vient maculer un peu plus ses écailles. On ne peut pas voir la couleur du liquide si ce n’est lorsqu’elle dégouline jusqu’au sol, un sol qui prend feu petit à petit.

Feu. Sang.

Il ne reste que l’hiver de cendre à déverser sur cette plaine. Cela ne saurait tarder. Alors qu’ils s’amusaient, j’avais pris le temps d’analyser ce qui m’entourait. Je savais ce que je devais faire. Je savais où nous devions aller. J’appelle Ebryon à moi et ensembles, nous volons jusqu’à nos prochaines proies.

L’Hiver vient.

Je le vois, le dragon de Peyredragon, à côté de celui de l’empire. La fumée noire vient de plus loin, mais je ne peux pas la rejoindre, pas tout de suite en tout cas.

Torrhen j’arrive…

Mais d’abord, je dois aider notre armée plus bas. Elle a besoin de moi. Je la vois, cette ligne qui s’avance vers eux. Je dois l’éliminer. Pour sauver Orys. Pour sauver le flanc de mon époux. Je n’ai aucune hésitation quant à quoi faire. Mon objectif est clair et j’y mène Meraxès. Ebryon nous suit sans se dérober. Le feu, le sang, la chair le stimulent autant qu’ils stimulent celle qui lui montre le chemin. Je n’ai pas besoin d’ordonner à ma Sœur de déverser son feu. Dès qu’elle comprend là où je la mène, elle agit immédiatement. Nous sommes une même âme. Elle sait ce que j’attends d’elle et elle ne me déçoit pas. Le Roi de la Nuit intensifie notre attaque dévastratrice. L’ennemi crie. L’ennemi brule. L’ennemi est mort de peur. Monstre. Dragons. Impératrice. Gloire à l’empire. Au-dessus des échos de la bataille je peux les entendre. Ma soif de vengeance se nourrit de tout cela, des cris de nos adversaires comme de nos alliés.

Pas de pitié.

Pas de quartier.

Je n’accepterai aucune réddition. Ils mourront tous sous mon feu dévastateur. Je ne peux pas encore sortir mon épée. Noire-Sœur attend de se gorger de leur sang elle aussi. Elle aussi veut connaitre son heure de gloire. Cela viendra sous peu. J’en ai la certitude. Mais en attendant, c’est à Méraxès et Ebryon de le faire. Ils ouvrent la voix. Ils redonnent de l’espoir autant qu’ils inspirent le désespoir. Dragons. Ce ne sont pas des mythes. Ce ne sont pas des animaux dociles.

Il est temps.

Il est temps que tout le monde s’en souvienne, que ces Bieffois et ces chiens de Vallois le rapportent à leur maître. Toute résistance est inutile. Rien ne peut leur résister, rien. Une flèche n’est qu’un grain de sable pour eux. Meraxès n’en a que faire. Elle guérira. Elle se soignera. Et ses ennemis ne seront pas là pour le constater. Elle nous enterrera tous. Même Moi. Aujourd’hui si tel est le désir de mes dieux. Sur mon lit de mort s’ils en décident ainsi. L’avenir nous le dira. Cette réponse, je ne la connaitrais jamais. Alors je me bats aujourd’hui comme si demain n’existait pas. Et si je devais tomber, soit, je l’accepterai. Mais avant de tous les avoir brûlés.

Feu. Sang. Hiver de cendres.

SANG.

C’est perçant. La douleur est vive. Je hurle. De rage. De souffrance. Tout cela se confond désormais. M’arrêter est impossible. Pas maintenant. Pas alors que le combat est sur le point d’être gagné.

FEU.

Torrhen. Je t’ai promis d’être un atout dans cette bataille. Je l’ai vu, ta fumée noire. Elle nous a guidé, même si nous n’avons pas pu venir immédiatement. J’ai ouvert la voie au Palefrenier. J’ai terrassé une cavalerie pour ne pas qu’elle arrive en renfort. J’ai aidé les hommes qui soutenait ton flanc pour que tu ne sois pas totalement encerclé. J’ai brûlé des ennemis qui allaient ébranler ton centre.

Je ne vais pas faillir alors même que j’ai enfin pu te porter secours. Meraxès et Ebryon ont très bien combattu. Ils ont fait ce que j’attendais d’eux. Ils m’ont laissé les mener jusqu’à toi, jusqu’à prendre à revers ses vallois qui pensaient t’anéantir. Nous les avons brulés. Nous nous sommes approchés d’assez près pour que je puisse tirer Noire-Sœur de son fourreau et la baigner du sang de ce peuple aussi fourbe que sa Reine Mère. Traitre. Baiseurs de chèvres. Qu’ils brûlent tous, jusqu’au dernier. Ce n’est pas un putain de carreau d’arbalète qui va m’arrêter. Je refuse. Je ne lâche rien. Je sers mon épée plus fort que jamais et j’ordonne à Ebryon de tous les anéantir lorsqu’il veut me rejoindre. Ma Sœur ne se rend pas compte que je suis blessée, mais mon Frère le sait. Il grogne de rage avant de fondre sur celui qui a osé faire couler mon sang. En quelques instants, il n’est plus, contrairement à ce morceau de bois qui reste niché dans mon épaule. Les mouvements de mon Dragon me font horriblement mal, mais je sers les dents. Je dois encore tenir.

HIVER.

Torrhen. Torrhen. Je ne te laisserai pas tomber. Et si mon heure est venue, je l’accepte. Je mourrais au combat, en préservant la tienne. Ma tenue s’imbibe de plus en plus et je manque de lâcher Noire-Sœur. Ebryon est de retour, plus furieux que jamais. Il se dresse devant notre Sœur et crache de rage. Elle ne peut pas sentir l’odeur de mon sang sinon elle se serait stoppée. C’est ce que cherche le Roi de la Nuit, à l’arrêter, pour me mettre à l’abris. Je vacille. La douleur est de plus en plus intense. Meraxès s’élève et je vois la cavalerie de Torrhen charger. Je pense l’apercevoir un instant, un court instant avant que je ne perde pied avec la réalité. Je crois entendre les miens hurler, mais je n’en suis pas certaine. Je m’éveille un court instant lorsqu’on arrache de mon corps ce carreau qui m’a atteinte. Orys. Il ne peut s’agir que de lui. Son regard pénètre le mien alors que l’ombre de Meraxès et d’Ebryon nous survolent et que le mien se referme. Je suis fatiguée à bout de force.

Torrhen. J’espère avoir rempli mon rôle.

Feu, sang, et Hiver.