Ysilia était pratiquement sûre que si les choses continuaient ainsi, elle allait sans doute voir sa tête exploser. Pourtant, elle avait toujours eu l'habitude de ce genre d'informations à assimiler, des noms des différentes familles que comptaient le royaume du Val et de la Montagne, des membres importants qui pouvaient la composer, les liens qu'elles avaient réussi à nouer les unes avec les autres, et comme dans toutes sociétés, de certains points de divergences politiques ou religieuses qui pouvaient les diviser. Cela faisait parti de l'éducation que son père avait absolument tenu à ce qu'elle ait au cours de sa jeunesse, mettant l'art de la diplomatie et les connaissances au centre de son enseignement pour pouvoir mieux analyser ce qui se passait tout autour de soi. La question qui avait longtemps était celle de la jeune fille était de savoir si elle aurait pu bénéficier de la même chose si un fils était né avant elle. Il était certain qu'elle n'avait pas la réponse à cette question-là, et qu'il ne servait à rien d'y songer, elle restait reconnaissante de ce qui lui avait été transmis, car bien nombre de damoiselles de la noblesse ne pouvaient faire preuve d'une culture aussi développée. Néanmoins, l'intelligence était une arme qu'on venait parfois à sous-estimer, surtout quand on l'associait à l'idée qu'une femme puisse l'être, il semblait presque impossible que ces deux éléments soient compatibles, et bien qu'elle venait parfois à faire part de son savoir lors de certaines conversations, elle le gardait généralement pour elle. La jeune femme avait eu des exemples forts entre sa mère, et celle qu'elle viendrait peut-être à appeler sa belle-mère si les Dieux et les Hommes le voulaient, mais elle faisait preuve d'une timidité dont l'une et l'autre ne semblaient pas être la victime. Mais elle devait être à la hauteur pour ce qui allait bientôt être le plus grand rôle de sa vie.

Quoi que, la dernière fois aussi elle s'était imaginée bientôt marier à un roi ou plutôt à un futur roi à l'époque. Une relation qui avait été tuée dans l’œuf, si on pouvait même parler de relation. Quelques échanges de lettres et puis très vite, l'alliance avait été bouleversé et ils s'étaient dit au revoir, en sachant pertinemment qu'ils ne se reverraient sans doute plus jamais. Aujourd'hui encore, c'était finalement toujours cette même guerre qui venait à menacer la nouvelle union qu'on lui avait promise. Si le rôle était le même, le contexte politique, le contexte religieux et le royaume était complètement différent. Ce qui nécessitait donc une remise à niveau essentiel avant qu'elle ne vienne à lier de manière officielle son destin à celui de Ronnel. Elle aurait aimé pouvoir continuer à résider sur les terres natales de la maison Royce, auprès de sa mère et de son petit frère également, les deux lui manquaient terriblement, mais son père l'avait fait venir jusqu'ici, et il n'était pas question de le décevoir. Alors qu'elle tentait de survivre à la leçon qu'on était en train de lui donner, et que sa tête lui faisait de plus en plus mal, une de ses suivantes vint à lui rappeler le reste du programme de la journée et notamment le fait que son père l'attendait. Elle s'excusa donc auprès de la personne qui l'accompagnait et elle regagna ses appartements pour pouvoir se changer avant de retrouver son père au lieu de rendez-vous. Elle prit soin à bien choisir sa toilette, sachant pertinemment que les personnes qu'elle croiserait dans les couloirs viendraient à observer le moindre détail, et une fois devant son père elle s'inclina doucement devant lui. « Je suis heureuse de pouvoir vous voir avant votre départ. »

L'amour dans la famille Royce était une chose qui n'était clairement pas la panache des hommes, ou en tout cas, pas celle de son père. L'affection qu'il lui portait, puisqu'elle estimait ou aimait à penser qu'il puisse en avoir pour elle, était présentée d'une façon toute particulière mais cela avait toujours été ainsi. Heureusement pour elle, elle avait pu compter sur sa mère pour avoir de la tendresse et de la douceur au cours de ses jeunes années, car il aurait été certain que sans elle, Ysilia n'aurait pas manqué d'être une femme beaucoup plus dure et sans doute bien plus semblable à son paternel que ce qu'elle était aujourd'hui. Sur certains points, ils réussissaient à se retrouver mais cela ne durait qu'un temps, et bien qu'elle était consciente de la chance qu'elle avait pu avoir de bénéficier d'une excellente éducation pendant son enfance, elle n'en restait pas moins une femme, et une femme qui n'allait pas hériter du domaine familial. Bien que cela aurait pu être envisagé avant la naissance de Donnel, son petit frère avait changé la donne mais elle n'en restait pas fille d'une grande maison du Val, proche du pouvoir royal et donc, elle avait la possibilité de jouer un grand rôle, un rôle qui pourrait ravir son père et développer son influence sur le royaume. Alors elle ne se plaignait pas et répondait à la demande, ou l'exigence de son père quand il désirait la rencontrer.

Elle se redressa face à lui pour pouvoir écouter alors qu'il se lançait dans l'énonciation des différentes nouvelles qu'il lui était parvenu par voie directe du souverain ou par des chemins plus diversifiés, ou tout simplement les suppositions qu'il pouvait faire grâce à sa longue pratique de la politique. Ysilia était tout aussi prête à écouter une leçon de morale dont il avait le secret ou les dernières recommandations ou instructions qu'il désirait lui transmettre avant le moment fatidique. Pour autant, elle n'avait pas imaginé un seul instant qu'il viendrait à lui demander ce qu'elle pouvait ressentir au sujet de ce mariage. « La possibilité d'une union avec le prince du Nord à l'époque ne me faisait pas du tout le même effet. J'étais naïve, et je me suis sans doute laissée berner d'une certaine façon. Les missives que nous avions échangé me faisaient espérer que les choses se passeraient bien, voir même que cela était acquis pour moi. Rien ne s'est passé comme on avait pu le prévoir pour autant. Je n'aspire plus à rêver ce nouveau mariage, tout ce que je crains c'est de devoir affronter le souvenir d'une morte ou l'impérieuse présence de Sharra pour pouvoir m'imposer comme la nouvelle souveraine, pas forcément auprès des gens du peuple, mais plus auprès du roi en lui-même. Je ne connais pas plus l'homme que je suis censée épouser dans quelques semaines, pas plus que je ne connaissais Jon Stark finalement. Mais n'ayez pas de crainte, je ferai mon devoir comme vous faites le vôtre. J'ai reçu l'éducation qu'il fallait, maintenant je dois me rappeler les leçons du passé pour parvenir à la mettre en pratique. »

Bien sûr qu'elle avait analysé la situation, et on ne pouvait pas réellement dire que cette dernière la faisait rêver, mais ce n'était en aucune façon ce qu'on attendait d'elle et ce qu'elle était en droit d'espérer. Se percer d'illusions, s'imaginer sa vie future, aurait été clairement une erreur, la chute n'aurait été que plus rude encore et elle ne voulait pas commencer sa nouvelle vie de femme mariée en se plongeant dans une dépression possible mais une déception certaine. Son père, sa mère, son entourage au complet avait fait en sorte qu'elle ne soit pas sotte et qu'elle puisse parvenir à une certaine conclusion. Elle avait pleinement conscience de ce que sa vie pourrait être, car après tout, on n'était jamais à l'abri des surprises qu'elles soient bonnes ou mauvaises, il fallait juste continuer à avancer sur le chemin et voir vers quoi cela allait finalement amener, qu'elle serait l'issue dans un temps plus ou moins long. Pour toute réponse au compliment que son père lui adressa, ou en tout cas ce qu'elle prit comme tel, elle lui fit un léger sourire avant d'écouter ses paroles, laisser parler son expérience et donc la propre analyse qu'il avait pu établir. « Je n'ai jamais été une tête brûlée Père, il serait bien idiot de ma part de commencer à l'être aujourd'hui dans un tel moment. J'espère sincèrement parvenir un jour où l'autre à gagner ma place. Je ne suis Sharra, ni Nymeria, mais ce n'est pas pour autant que je ne pourrai pas amener des choses de mon côté pour le royaume du Val et de la Montagne. » Pour autant, elle ne savait pas qui sera la place la plus difficile à prendre, celle de la mère en position de force d'un point de vue politique ou celle de la défunte épouse en position de force du côté des sentiments.

Elle se retint de soupirer face à ce constat et son esprit se dissipa un instant pendant qu'elle voyait le vin couler dans le premier verre. Elle fut étonnée de le voir finalement lui tendre le second, chose qui ne s'était sans doute jamais produite avant. Elle le remercia d'un signe de tête assez discret mais pour autant, elle ne porta pas ce dernier à ses lèvres. Il fallait dire que les mots qu'il avait à son égard venait quelque peu à la perturber alors qu'il n'avait jamais été aussi démonstratif avec elle ou alors cela remontait à une époque dont elle ne se souvenait plus. Elle se mit à rougir quelques instants face à cette marque de tendresse. « Même en étant Reine, je resterai toujours votre petite fille d'une certaine façon. » Et elle ne voulait pas que cela change une fois qu'elle porterait le nom de Arryn. Le sérieux du Lord revint rapidement et elle se cala donc sur l'attitude de son père pour ne pas risquer de se montrer trop sensible vis-à-vis de lui. « Comment ma timidité pourrait être un atout ? Sharra Arryn et Nymeria Lannister ont toujours été d'une telle flamboyance, de ces femmes que l'on n'oublie pas. La première impose un respect immédiat et est d'une si forte personnalité. Quand à la seconde, elle était une Lannister, et nous connaissons le caractère des gens de l'Ouest. Ici, tout le monde me connaît depuis toujours, Ronnel me connaît depuis toujours, nous avons partagé nos jeux d'enfants, il sait comment je fonctionne ou en tout cas, il l'a su … Est-ce que cela ne va pas plutôt jouer en ma défaveur ? »

Lord Asher Royce avait sa propre vision de l'amour d'un père pour sa fille, avait sa propre vision de l'éducation mais il avait surtout sa vision de ce qu'il attendait que l'on devienne un jour ou l'autre. Ce n'était pas parce qu'elle était une fille qu'elle ne pouvait pas avoir un intérêt quelconque, qu'elle ne pourrait pas avoir un rôle important à jouer pour rendre service à sa famille. Et dans cette optique-là, il l'avait traité, éduqué, comme si elle avait été un garçon, les entraînements à l'épée et à la tactique militaire en moins, l'art de la danse et de la couture en plus. Pour cela, Ysilia était pleinement consciente de la chance qui avait été la sienne et elle lui en était sincèrement reconnaissante, mais cela n'empêchait pas que parfois, elle aurait aimé avoir un autre genre de contact avec son paternel. Elle avait fait de très grands progrès au cours des derniers mois, des dernières années, mais elle n'en restait pas moins une personnalité sensible pour qui la main de fer ne convenait pas toujours. S'endurcir encore plus était une chose essentielle pour le rôle qui allait être le sien d'ici peu, mais elle ne pouvait se transformer totalement, être le reflet même de son père, avoir sa propre façon d'agir, de penser, de s'exprimer était importante, et elle espérait que malgré tout, en restant elle-même, elle avait les armes nécessaires pour les enjeux qui se dressaient devant elle.

Finalement, aujourd'hui, il se montrait plus conciliant et plus tendre qu'elle ne l'avait sans doute jamais été avec elle ou ses souvenirs lui jouaient des tours. Elle hocha la tête concernant Sharra Arryn, elle n'était pas morte, elle n'était plus dans le Val, mais elle serait confrontée à elle d'une façon ou d'une autre. « Sharra Arryn reviendra un jour ou l'autre, il faudra juste que je m'assure qu'elle n'ait pas encore la même emprise sur son fils que par le passé. C'est une femme redoutable et même si nous avons toujours eu de bons contacts l'une avec l'autre, mon statut et le sien ne seront plus les mêmes qu'auparavant quand elle reviendra. Et il faudra que je me prépare à cela aussi si je veux devenir une grande Reine. » Elle se mit à rire en l'entendant parler de ne plus la faire sauter sur ses genoux. « Je crois que cela serait profondément indécent père, néanmoins je compte sur vous pour le faire avec vos petits-enfants le moment venu. » Dit-elle en concluant ses quelques mots par un clin d'œil complice.

Ysilia finit néanmoins par détourner le regard de son père, prenant la coupe de vin pour la porter à ses lèvres et tenter de trouver du réconfort dans une légère gorgée, mais surtout tenter de camoufler les sentiments qui étaient les siens à ce moment-là. « Vous me voyez, je le crains, bien plus forte que je ne le suis véritablement. Vos paroles et vos conseils sont pleins de sagesse et d'expérience, et je les prends tous avec un immense sentiment de remerciements envers vous pour tout ce que vous m'avez donné. J'espère sincèrement en être digne, mais le Val va mal, j'en suis toute aussi consciente, et je me demande si je suis véritablement la mieux placée pour jouer le rôle de Reine. »