La guerre était une garce. Cruelle. Impitoyable. Sans merci. Elle n’était l’amie de personne, peu importe le camp auquel on appartenait. Elle ne pardonnait aucune erreur, vous châtiant avec la grande fermeté. Elle ne comprenait clairement pas en compte votre vie de droiture et de dure labeur à faire le bien. Elle était injuste. Son ami en avait payé les frais. Il n’avait pas sous-estimé son ennemi, il n’avait pas baissé sa garde. Il avait juste péri sous les traits de son ennemi, cela aurait pu tout aussi bien arrivé à Garlan sous les murs de Sortonne. Il le savait, c’était un événement presque aléatoire. Fauchant la vie d’un homme d’armes sorti de sa campagne, arrêtant en un instant la vie d’un chevalier ayant toute sa vie fait preuve d’une conduite exemplaire… Quiconque pouvait en faire les frais.

Il prétendait plutôt bien connaître Lord Glover, du moins il le pensait. Il avait fait sa connaissance peu après sa première arrivée à Fort-Darion lorsqu’il avait été nommé conseiller au collège impérial. Ils partageaient un certain nombre de points communs et étaient tombés d’accord sur bien du sujet. On pouvait donc dire qu’ils se ressemblaient. Ils avaient échangé longuement à travers des missives et le bieffois l’avait revu à différentes reprises. Il était un peu comme un ami pour lui. Une personne en qui il pouvait compter, le début d’une amitié agréable après sa désertion des forces bieffoises. Le commandant avait heureux et satisfait d’apprendre qu’il commanderait l’assaut des Trois Sœurs à ses côtés. Parti trop tôt, comme trop de ses proches et amis ces derniers temps.

Garlan savait que ce n’était clairement pas le moment de se lamenter à cause de cette perte. En apprenant la nouvelle, il avait adressé une missive à l’Empereur et au Roi du Nord afin de les prévenir, il connaissait le lien entre Bowen et ces personnes. Un lien fort, il savait que cela les affecterait forcément. En temps de guerre, ce n’était pas son intention, mais ils devaient être prévenus. Le bieffois était présent dans sa tête en compagnie des différents officiers du détachement impérial. Il faisait le point sur les rapports du jour, prenant le soin d’apporter de nouvelles dispositions au dispositif selon les informations qu’il recevait. Écoutant attentivement les informations de ses capitaines, il donna ses nouvelles consignes. Alors que la réunion du jour était presque terminée, on annonçait le Prince Stark.

Le commandant savait qu’il était sur le retour, il ne l’attendait certes pas aussi tôt, surtout avec les informations qu’il avait sur sa personne. Il congédia ses officiers, ils reprendraient plus tard, ils pourraient mettre en exécution ce qui avait été décidé. Le Prince du Nord rentra, la table centrale était dressé, on pouvait apercevoir une carte du Royaume du Val et de la Montagne, ainsi qu’une cartographie plus détaillée des trois sœurs. Les forces locales en présence étaient symbolisées par des pions. Il avança de quelques pas vers le jeune homme et s’inclina légèrement : « Salutations, votre altesse. Bien entendu. On m’a dit que les escarmouches sur l’île voisine ne vous ont pas laissé , comment va votre blessure ?» avait-il dis en désignant son bras.

Il marqua une courte pause et prit un ton plus solennel : « Je vous présente mes condoléances pour la mort de Lord Glover, sa perte est tragique. Il ne sera pas mort en vain, nous prendrons les îles en sa mémoire. »

Après toutes ces années à combattre sous différentes bannières, Garlan avait connu maintes blessures. Il y avait échappé belle plus d’une fois et chacune de ses cicatrices lui avait rappelé ses fautes, les actions qui avait menées à ses déboires. Elles étaient là pour lui rappeler au bon souvenir de ne plus jamais se faire avoir ainsi. On ne rit pas au visage de la Mort et on ne la provoque pas, il fallait savoir apprendre de ses erreurs pour s’améliorer et que ça ne reproduise pas. On n’était jamais à l’abri de se prendre une flèche perdue ou autre en pleine bataille. Les accidents pouvaient être multiples, rares étaient les guerriers expérimentés qui n’avaient jamais soufferts d’une blessure au cours de leur existence. En tout cas, Garlan n’en avait jamais croisé. Le jeune homme ne souffrait d’une blessure au bras due à un carreau d’arbalète, cela aurait pu être bien plus grave. Beaucoup s’en étaient tirés à moins bon compte dans la prise des îles.

« Ravi de l’entendre, votre Altesse. Rien que le temps et un peu de repos ne pourraient guérir dans ce cas ! S’agit-il de votre première bataille ?» Ainsi qu’une reprise progressive de l’entrainement. Dans ce genre de situations, trop forcer pouvait s’avérer contre-productif et vous pouviez perdre tous les bienfaits du rétablissement. Le bieffois ne connaissait pas du tout le jeune fils de l’Empereur, seulement ce qu’on avait pu lui en dire. Il ignorait alors tout des liens qui l’unissaient à Lord Bowen Glover. Mais à l’annonce de ses condoléances, il pressentit un malaise qui lui fit penser qu’ils devaient être proches. La nature du lien ne le concernait pas et cela serait malvenu de l’interroger là-dessus. Il laissa le temps qu’il fallait au Prince pour s’exprimer. Ses mots confirmèrent sa pensée. Il tint un regard compatissant sur le jeune Loup.

Sortant peu à peu d’une période de deuil terriblement éprouvante, il savait bien ce que l’on ressentait à la perte d’un être cher et quand tout se bousculait dans sa tête. Le commandant laissa quelques secondes passer pour ne pas trop bousculer le prince : « En effet, c’était un homme de bien et d’honneur. Nous avions eu l’occasion de nous côtoyer à plusieurs reprises et nous entretenions une correspondance sporadique. Je le considérais comme un ami… J’aurai souhaité qu’il soit encore parmi nous pour voir naître le monde qu’il aidait à bâtir… » L’Empire… C’était une œuvre commune, tout le monde apportait une pierre à l’édifice à son niveau. Mais tout œuvre ne se bâtit pas sans son lot de sacrifices et il regrettait que Bowen en ait fait parti. Ils entrèrent dans ce qui semblait le vif de la conversation quand le Prince s’interrogeait à la tenue du siège. Il n’avait pas perdu de temps… Cela fit naître un léger sourire au coin de ses lèvres, il désigna la table et l’invita à l’y rejoindre.

« Je vous en prie. »Sur la table était déployée différentes cartes, une de la cité de Sortonne, une de l’île de Dolcesoeur et une des Trois sœurs. Il leur servit deux bock deux vins et le présenta devant le Nordien s’il voulait se désaltérer. « Lord Sunderland est un homme fier et tenace. Il a refusé toute offre de reddition qui lui a été présentée. Dès notre arrivée, nous avons donc construit le camp de siège autour de la cité, pendant que la flotte établissait le blocus naval. Un bombardement intensif de la cité a eu lieu et au vu des incendies, j’estime qu’une bonne partie de la basse ville a dû être ravagée par les flammes… » avait-il commenté en désignant la zone sur le plan de la cité. « Sortonne ne possède aucun moyen de ravitaillement, mais étant une ville majeure, j’imagine qu’elle devait posséder des réserves importantes, surtout si elle avait anticipé cette démarche lors de la déclaration de guerre contre l’Empire. Un assaut frontal serait extrêmement coûteux en hommes et matériel de notre côté et je ne pense pas que Lord Sunderland puisse tenter une sortie avec sa milice, mais sait-on jamais… Peut-être attend-t-il une intervention de la flotte Valoise, mais le temps qu’elle remonte du Sud, il sera trop tard pour la cité. J’ose espérer que Lord Sunderland sera raisonnable et à l’écoute de ses souffrances de ses gens et qu’il fera le bon choix. De notre côté, je n’aime pas dire ça, mais l’attente est probablement le choix tactique le plus judicieux, je me risquerai à une autre stratégie seulement si l’Empereur a besoin de ses cohortes et des divisions nordiennes.»

Tout guerrier, qui avait survécu assez longtemps pour cela, avait connu son baptême du Feu. Son premier combat. Son premier sang versé. Le moment où il avait dû donner toute son énergie pour préserver sa vie en arrachant celle d’autrui. Le combattant devait alors puiser dans tout ce qu’il avait appris alors pour défendre chèrement sa vie. Et lorsque l’adrénaline était redescendue, que le sang coulait encore de ses mains et que le visage était couvert de crasse, c’est là qu’on se rendait compte ce que l’on avait fait. Un tueur. Un assassin. Briseur de destin. Il semblait ainsi si aisé de faucher une vie qui avait connue tant d’années déjà. Où seront donc passé tous Ses souvenirs ? Qui ira couver le chagrin des proches du disparu ? Est-ce que son sacrifice aurait au moins servi à quelque chose ? Il était compliqué après ce premier tué de garder les idées claires.

D’un point de vue extérieur, ça semblait beaucoup plus simple pour des guerriers chevronnés comme Garlan. Cependant, il ne prenait jamais plaisir à tuer. Il le faisait par nécessité, parce qu’il n’avait pas d’autres choix. Parce que c’était lui ou son adversaire. Le Bieffois s’était longtemps accroché à des valeurs et principes comme pour se pardonner ses actes. Les justifier, se persuader qu’il avait fait ça pour participer à un but plus grand qui le dépasser. Mais en soit, sur un champ de bataille, on tuait surtout pour survivre à l’instant présent. On lui avait narré d’un impressionnant champ de bataille. Celui que le prince nordien mentionnait. Celui de la Bataille de « La Mort-aux-loups ». Il avait entendu son récit être narré par plusieurs bardes dans le Sud et il en avait longuement discuté avec Bowen lorsqu’il était à Fort-Darion. Une bataille comme Westeros n’en avait peut-être jamais connu alors. Un tel nombre de combattants. Une telle barbarie, de violence brute. Tant de cadavres décharnés…

Le Bieffois l’écouta également lorsqu’il déclara avoir participer également à la bataille d’Aubray. Une autre bataille décisive. Peu d’individus de son âge pouvait se vanter d’avoir participer à autant de combats de cette importance. En soit y avait-il de quoi s’en vanter ? Des massacres d’une telle intensité n’étaient jamais sans conséquence. Ils marquaient les corps, mais également les esprits. Garlan hocha fébrilement du chef et répondit :« On a pu me conter plusieurs récits de cette bataille en effet, votre altesse. C’est sans nul doute une des batailles les plus sanglantes et massives en termes d’effectifs engagés, qu’a pu compter ce continent jusqu’ici. Les sauvageons semblaient prêts à tout pour se tailler un lopin de terre dans le Nord… » Le Prince n’était pas en reste de combats, cela rassurait quelque peu le jeune homme. Il savait qu’il pouvait se défendre de lui-même et qu’il n’allait pas devoir surveiller tous ses faits et gestes. Walton Stark restait un Prince, le fils de l’Empereur. Il ferait en sorte d’avoir toujours un œil qui traîne sur lui pendant qu’ils étaient affectés à la même tâche. S’il lui arrivait quelque chose de malencontreux, on le lui reprocherait à n’en pas douter.

Des blessures, des cicatrices. Garlan en avait déjà eu un sacré paquet. Certaines d’entre elles avaient marqués un sillon indélébile dans sa chair. Chacune d’entre elles était porteuse d’une histoire et également porteuse d’enseignements. :« Vos blessures sont le témoignage des conflits endurés. Mais elles sont également source d’enseignements, afin de ne plus commettre les mêmes erreurs. »Sur un ton moins sérieux, il enchaîna : « Puis vous aurez bien des histoires à raconter auprès de la gente féminine, votre altesse. » Il avait terminé dans un léger rictus. Cela lui avait déjà valu de bien belles rencontres, il ne pouvait souhaiter que la même chose au jeune prince. Le chevalier écouta ce que le nordien avait à dire, ses yeux se perdirent un moment sur la carte et les différents objets sur la carte. Sur un tel plan, tout paraissait si simple, presque comme un jeu. Son Altesse Stark ne semblait pas manqué de jugeote, en effet une attaque frontale serait très coûteuse en hommes, sans aucune certitude de succès et une sortie des défenseurs pourrait leur être alors fatale.

« En ce qui concerne la détermination des défenseurs, nous ne manquerons pas d’imagination pour l’éprouver, soyez-en sûr… » La guerre est cruelle et il fallait savoir s’adapter à cette dernière pour survivre et aller de l’avant, Garlan l’avait appris à ses dépens. « Mais oui le siège risque de durer… Cependant si l’Empereur a besoin de ses forces, nous ferons en sorte de les briser rapidement en usant de techniques plus… Audacieuses dirons-nous. » La piraterie, la contrebande, l’île de La Treille avait due apprendre à faire face à ces problématiques depuis bien longtemps. Ses côtes étaient peut-être moins enclines à faire face à des incursions par ses défenses et sa proximité avec Villevieille, mais ses navires étaient souvent la cible de scélérats en tout genre. Le commandant prenait bonne note de la réflexion de Walton Stark et commenta : « En effet, vous avez raison, une tentative de ravitaillement n’est pas à exclure. Les Trois Sœurs sont apparemment connues pour être une terre de contrebande. En connaissant notre destination, je me suis renseigné assidûment sur les Soeurois et sur leurs terres. La flotte est disposée de sorte qu’aucune sortie ne soit possible et doit empêcher toute intervention extérieure. Cependant, même si un navire venait à s’engouffrer dans le dispositif, cela sera bien insuffisant pour ravitaille comme il se doit une cité comme Sortonne, cela ne leur donnera qu’un piètre répit, rien de plus. »

Il dégusta deux gorgées de sa coupe. Se renseigner sur son ennemi, c’était la clé du succès, de toute opération. La préparation était essentielle, cela lui avait permis d’anticiper le phare et de prendre des dispositions avec Bowen Glover pour que les soeurois ne les utilisent pas à mauvais escient. Il reprit : « Le Royaume du Nord et les soeurois ont une animosité ancestrale et une histoire riche en conflit de ce que j’en ai lu. Afin d’éviter que trop de rancœurs s’expriment et éviter un soulèvement local dans les villages des îles, je me suis permis de suggérer que ce soit des soldats de l’Empire qui patrouillent les divers villages et patelins alentours. Le siège mobilise la majeure partie de nos effectifs, nous n’en avons guère à en affecter pour lutter contre des actions de guérilla des locaux. J’espère que vous comprendrez cette initiative, votre altesse. »