Il n’avait pas échappé à l’Empire que Fort-Darion était très proche du Val, qui pouvait facilement faire son blocus par ses ports sur le nord de la Baie des Crabes. C’est dans cet esprit que l’Empereur ordonna un formidable redéploiement des forces des royaumes fédérés pour contrer cette nouvelle menace. Pendant des semaines, les valois n’avaient pas bougé, et avaient laissé les impériaux libres de leurs mouvements. L’attentisme des gouvernants fit beaucoup jaser, en particulier chez les marins du Val qui ne demandaient qu’à en découdre pour prouver leur valeur ; le Val n’était unanimement pas considéré comme une puissance maritime alors qu’en parallèle, c’était de son immense flotte commerciale que le royaume tirait l’essentiel de sa prospérité.

La flotte du Val venait d’être mise à l’épreuve par rien de moi que le souffle du Dragon. Des dizaines de navires avaient été endommagés et perdus, dans une nuit d’horreur en plein Goeville. Mais la flotte valoise, chanceuse, avait survécu. Et disposait toujours de sa capacité d’action. Le Roi Ronnel, décrié ces derniers mois en son royaume pour ses indécisions et les imprécisions de sa stratégie avait décidé de passer à l’action. Des cavaliers furent envoyés au-delà des Portes Sanglantes, pour attaquer et piller des convois commerciaux du Conflans à Fort-Darion sur la route longeant le Trident. La Flotte sortit de sa rade, et se présenta au-devant de l’ennemi. Il ne fallut pas plus de deux jours pour qu’un premier incident n’amène presque à la bataille rangée entre escadres ; une flotte battant pavillon Stark fut aperçue au loin, mais les patrouilles valoises, dispersées pour s’en prendre aux navires de commerce impériaux trop imprudents pour avoir évité le secteur, mirent du temps à se rassembler. Les nordiens auraient pu engager le combat, mais filèrent plein sud, précisément là où le dragon qui avait attaqué Goeville s’était enfui en pleine nuit… Par sécurité, les valois ne poursuivirent pas.

Jon Stark mit pied à terre à Fort-Darion dès le lendemain, ne se doutant pas que sa flotte aurait bien pu être détruite si le dragon n’avait pas poussé les valois à une plus grande prudence.

Malgré cette esquive impériale, plusieurs navires commerciaux furent arraisonnés, notamment sur la route Fort-Darion Peyredragon Blancport, nordiens et impériaux principalement. Des cargaisons de bois, d’ambre, de poisson salé à destination des armées ou du fourrage furent prises par les valois. Qui s’empressèrent aussitôt d’envoyer navires et agents pour tenter de destabiliser la capitale impériale… Malheureusement pour eux, les nombreuses tentatives de destabilisation qu’avait subi l’Empire depuis sa création avaient contribué à lourdement renforcer les moyens attribués au guet, aux troupes et à la police secrète des Braenaryon. Ceux-ci avaient subi nombre de tentatives d’assassinat, et avaient déjà perdu des places fortes, dont brièvement leur propre capitale. Ils étaient rôdés, désormais, et les combats étant encore fort loin de Fort-Darion, tout le monde était à son poste. De plus, la sortie valoise n’était pas passée inaperçue des guêteurs, des centaines de navires civils et militaires transitant par la Baie des Crabes. Le guet était sur le qui-vive, et les agents du Val furent promptement démasqués. Le port de Fort-Darion se para de quelques corps pendus à des gibets, comme de coutume quand des espions étaient découverts en temps de guerre. Il n’en restait pas moins que les prises de guerre valoises dans le nord de la Baie des Crabes obligeaient tous les navires partant du Nord ou le rejoignant de faire un crochet par Peyredragon et de longer ensuite la côte sud de la Baie où les valois ne semblaient pas se perdre. Cela fit accroître les coûts des armateurs, les risques pris par les navires par des trajets plus longs, sans parler des pertes sèches des navires déjà arraisonnés. Cela fit en sus peser des contraintes logistiques plus fortes sur la capitale impériale d’où accouraient population pour la bâtir, troupes et flottes pour s’y regrouper. La situation n’était pas encore difficile, mais elle pouvait vite le devenir, ce qui ne manqua pas d’alerter les intendants impériaux.

Difficile objectif valois de perturber le commerce impérial sans bloquer toute la Baie des Crabes, mais c’était un début. Les deux camps se jaugeaient, drapeaux au Faucon contre ceux plus bariolés d’une fédération de Royaumes.

Bientôt, ils en viendraient aux mains.

Dans le ciel, les nuages noirs s’amoncelaient, et la pluie sur les montagnes annonçait un printemps de tempêtes.