Le bruit du verrou de la porte m’indique que j’ai bien fermé à clé, je tourne alors la tête vers elle tandis qu’elle se dirige lentement en direction du lit. Je reste bloqué quelques instants en la regardant. Sa longue chevelure blonde ondule gracieusement sur son dos dont les formes se dévoilent au fur et à mesure que les habits de la belle glissent à ses pieds. Elle se retourne finalement pour me dévoiler le reste de son corps, son visage se fend d’un large sourire tandis qu’elle m’invite à approcher d’un geste aguicheur.
« Si j’avais su plus tôt que la cité de Tour de la Joie tirait son nom de ses prostituées, je serais venu bien des années auparavant. »Je lâche l’un de mes plus beaux sourires tandis que son léger rire parvient à mes oreilles.
« Et d’où viens-tu donc, beau chevalier ? » me demande-elle d’une voix sensuel.
C’est à mon tour de rire, un rire rauque qui a dû résonner dans tout le bordel. Je me décide enfin à bouger, mais c’est pour aller m’installer dans un fauteuil de la pièce. Le sourire de la jeune femme a subitement disparu, mon attitude doit lui faire penser qu’elle vient juste de faire une gaffe mais un simple clin d’œil de ma part, tandis que mon postérieur s’enfonce un peu plus dans mon fauteuil moelleux, suffi à lui redonner le sourire. D’un geste de la main je l’invite à s’installer sur le lit avant de lui répondre.
« Pour comprendre d’où je viens il faut connaître mon histoire, elle est longue mais… on a plusieurs heures devant nous. Veux-tu connaitre mon histoire ? »
« J’adorerais. »
Sa voix semble encore plus mielleuse qu’auparavant, je la vois bouger pour se positionner sur le ventre, le regard pointé dans ma direction, les yeux et les oreilles grandes ouvertes et le visage délicatement posé sur ses mains. Je sais que les prostitués font souvent office d’espionnes pour récolter des informations mais mon histoire, je sais qu’elle ne la racontera jamais.
« Et bien tu peux commencer par m’appeler Sand, Varn Sand, c’est ainsi que l’on m’appelait il y a quelques années encore… »
« Oh… ! Un bâtard… »
Je marque un temps d’arrêt, ce terme-là… voilà bien longtemps que je l’entends, je m’y suis habitué et je le porte avec fierté, c’est mon titre de noblesse à moi, un élément qui me distingue de la majeure partie de la noblesse.
« Oui, un bâtard. Le seul de la famille au demeurant et troisième enfant de mon père après une sœur de quatre ans mon aînée et un frère qui a deux ans de plus que moi, tous deux enfants légitimes contrairement à moi. »
Je la vois faire une moue moqueuse avec un air faussement compatissant, son attitude me fait sourire.
« Mais ne vas pas t’imaginer que mes origines bâtardes nous mettent sur un pied d’égalité, je reste chevalier et tu n’es qu’une putain. »
Elle joue à nouveau la comédie, paraissant faussement vexée. Nous savons tous les deux lequel de nous est vraiment là de son plein gré. J’affiche un léger sourire de supériorité, bien content de mon effet, avant de continuer.
« Mon père m’a souvent dit que je suis né à Pentos lors d’un de ses déplacements d’affaire, il m’a raconté que ma mère était une beauté sans égale, de longs cheveux noirs, tout comme sa peau, des yeux bleus… Elle est morte en couche et mon père m’a donc ramené avec lui à Dorne. »
La jolie blonde me tend une coupe de vin qu’elle est allé remplir pendant que je parlais. Je tends la coupe à mes lèvres mais je n’en bois qu’une gorgée, me rappelant à quel point le vin peut être facturé dans ce genre d’établissement.
« Mon père m’aimais mais ce n’était pas vraiment le cas de ma belle-mère… Elle me détestait, à chaque fois qu’elle me voyait je lui rappelais, bien qu’involontairement, l’infidélité de son époux et elle me haïssait pour cela. Elle m’interdisait de me montrer lors des cérémonies officielles, ça aurait été une insulte aux invités. C’est à cause de sa colère que mon père dû faire le choix de m’envoyer comme pupille chez l’un de ses proches voisins et amis, Lord Poulet de Touche-au-Ciel. J’avais cinq ans à l’époque. »
Ses yeux noisette ne me quittent pas d’une semelle tandis qu’elle boit elle aussi une coupe de vin qu’elle s’est préalablement servi.
« Tu connais donc le Gardien de la Passe-du-Prince !? Mais de quelle famille es-tu donc ? »
Je ricane doucement, si elle savait pourquoi je suis venu…
« Chaque chose en son temps… Lord Poulet je le connais bien en effet, j’ai toujours trouvé ce titre de ‘’Gardien de la Passe-du-Prince’’ un peu trop… théâtral. Comme je l’ai dit, j’avais cinq ans lorsque l’on m’a confié à lui. Dès mon premier jour à Touche-Au-Ciel, je reçu mes premières insultes… »
« Il faut bien un début à tout… Le monde peut être cruel parfois… »
« Oh, tu ne crois pas si bien dire. Lorsque je suis allé les rapporter à Lord Poulet, tu sais ce qu’il m’a dit… ? »
Elle s’est assise sur le lit, écoutant attentivement mon récit comme un enfant pourrait le faire d’un conte fantaisiste. Ses yeux écarquillés attendent impatiemment la suite de mon histoire… je me délecte de cette attente, prolongeant le suspens de quelques secondes avant de reprendre.
« Il m’a regardé fixement dans les yeux tandis que j’étais en pleurs, un regard dur et sévère, et m’a répondu : ‘’Et alors, n’est-ce pas ce que tu es ? Un Sand ? Regardes-toi, tu pleures comme une fillette. Il est grand temps que tu apprennes qu’elle est ta vraie place… les bâtards ne sont rien, ils ne valent pas plus que des chiens.’’ J’ai passé les trois nuits suivantes dans l’enclos des chiens, au milieu de bêtes affamées, écoutant leurs aboiements incessants, j’y suis resté trois nuits, jusqu’à ce que les chiens arrêtent d'aboyer et m'acceptent comme un des leurs pour dormir la nuit. »
Je retrempe mes lèvres dans ma coupe de vin, Lord Poulet était quelqu’un de très dur mais s’il a été quelqu’un comme ça avec moi c’était pour me préparer au futur d’un bâtard. Il en avait lui-même eu un qu’il avait trop choyé et qui était mort très jeune. C’est pour cette raison qu’il a été si dur avec moi, m’obligeant à me construire une carapace mentale.
« Il m’a quand même permis d’avoir un très bon enseignement auprès du mestre, du septon et du maître d’armes de la citadelle, j’ai appris certaines choses que tu ne sauras jamais, qu’elles soient intellectuelles ou physiques. »
Elle a un petit rire moqueur et vient s’asseoir sur mes genoux.
« Moi aussi j’ai appris certaines choses physiques. »
Ses mains se perdent en caresses dans mes cheveux avant de redescendre progressivement. D’une poigne ferme, je stoppe son élan au niveau de mon torse.
« L’histoire est loin d’être finie. »
La jeune blonde s’exécute et retourne timidement s’asseoir sur le lit.
« Ma belle-mère mourut quelques mois après mon 16è anniversaire et mon père me fit revenir auprès de lui avant de demander ma légitimation. Le décret Princier me déclara légitime le jour de mon 17è anniversaire, j’étais donc troisième dans l’ordre d’héritage. Beaucoup de maisons voisines se sont insurgées contre ce décret, un bâtard reste un bâtard. Par les Sept, je n’ai jamais été pus content de recevoir des insultes ! »
Je bois d’un grand coup le fond de vin qu’il me reste dans ma coupe avant de continuer. Un masque sombre a remplacé l’excitation joviale sur mon visage.
« J’ai toujours aimé ma demi-sœur, Eyla Forrest, elle était l’héritière de la maison et… sa mort me fit beaucoup de peine. »
Elle a un mouvement de recul, la peur se lit dans ses yeux tandis qu’elle peine à articuler.
« Tu es un… un Forrest… »
Elle mit quelques secondes pour retrouver un peu son calme.
« Comment c’est arrivé… ? »
« J’avais 23 ans quand elle nous quitta, foudroyée par une maladie aussi étrange que brutale. Après cette perte je me suis engagé dans l’armée prenant place parmi la cavalerie Dornienne. »
Elle s’éponge rapidement le front pour essuyer les quelques gouttes de sueur qui commençaient à y couler. Je fais mine de n’avoir rien remarqué.
« J’ai participé à de nombreuses batailles notamment contre le Bief. J’ai tué bon nombre d’entre-eux mais je n’ai malheureusement pas réussi à reproduire le glorieux geste de mon aïeul, fondateur de Tombe-du-Roy, qui avait pourfendu un roi du Bief. J’en ai pourtant eu l’occasion une fois, je me suis retrouvé face au frère du roi, Kevan Gardener, mais j’ai perdu… »
« Et pourtant il ne t’a pas tué… »
Je lâche un sourire plein d’ironie.
« C’est que tu es d’une perspicacité redoutable… En effet, je suis bien vivant. J’ai failli y laisser un œil, d’où ma vilaine cicatrice sur l’œil gauche. Mais l’intervention du prince Roward m’a sauvé la vie. »
« Tu connais donc le prince de Dorne ! »
« Je l’ai rencontré en effet, tout comme son frère. J’avais d’ailleurs rencontré Anders bien des années auparavant, j’étais intervenu dans une bagarre d’enfants pour aider un bâtard comme moi mais à cette époque je ne savais pas qu’il s’agissait du bâtard princier. Ce n’est que lorsque l’on s’est revu à l’armée que j’ai réalisé qui il était. »
Je l’ai d’ailleurs toujours soupçonné de m’avoir discrètement pistonné pour monter en grade plus vite dans la cavalerie jusqu’à ce poste de capitaine avec une bonne centaine d’hommes à mes ordres que j'occupe actuellement mais je ne lui ai jamais posé la question.
« Ca fait maintenant deux mois que je n’ai pas quitté les frontières, je n’ai pas pu assister au tournoi de Goeville heureusement pour les autres participants mais bien malheureusement pour toutes les jolies demoiselles de la région. »
« Me voilà donc une privilégiée ? »
Je lui souris tout en lui faisant signe d’approcher.
« Voilà plusieurs minutes que je te raconte mon histoire, tu as bien mérité mon plus grand secret… »
Je me lève enfin de mon siège, posant mon verre qui est resté vide depuis un petit moment déjà sur la table la plus proche avant de m’approcher de la jolie blonde. Passant mon bras dans son dos, je ramène son corps contre le mien. Je hume d’une longue inspiration l’enivrant parfum dont elle s’est enduite le cou avant de coller mes lèvres au coin de son oreille droite et de lui chuchoter quelques mots.
« Ma demi-sœur n’est pas morte d’une maladie… »
Elle a un mouvement de recul mais mon bras l’empêche de s’échapper de mon emprise. Les battements de son cœur se sont accélérés, un frissonnement parcours son corps tandis que sa peau secrète d’un seul coup une grande quantité de transpiration. La putain respire la peur. Ma bouche toujours collée contre son oreille, j’élève désormais la voix à la limite du cri.
« … Elle a été empoisonnée ! »
Je relâche désormais mon emprise, la jeune femme se précipite alors vers la porte qu’elle trouve bien évidemment fermée. Je m’approche lentement vers elle, son corps nu collé à la porte elle est faite comme un rat. Je continu mon récit sur le même ton que ma dernière phrase.
« J’ai juré à mon père, j’ai juré devant les Sept de découvrir son meurtrier ! Je me suis juré de ne plus jamais remettre les pieds à Tombe-du-Roy tant que je n’aurais pas trouvé son meurtrier et que je ne lui aurais pas fait subir les pires des châtiments ! Ça fait trois ans qu’elle est morte, ça fait trois ans que je cherche ! »
Je la vois commencer à pleurer mais je n’en ai cure. D’une main ferme je l’attrape par le cou avant de la soulever du sol.
« Devine ma surprise quand j’ai appris qu’une simple putain avait fourni le poison qui l’avait tué ! Tu comprends maintenant !? Tu comprends pourquoi je t’ai choisi, pourquoi je t’ai raconté tout ça !? Alors maintenant dis-moi qui t’a payé pour ça, qui t’a engagé ! Parle ! »
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Une silhouette sort discrètement par une des fenêtres d’un bordel de Tour de la Joie, quelques gouttes de sang tombent depuis ses mains sur le sol. Cet homme n’est autre que Varn Forrest. Un coup de sifflet du bâtard légitimé et un autre homme surgit de l’ombre depuis un bosquet non loin du fils Forrest. Varn s’approche du nouvel arrivant avant de lui adresser la parole.
« J’ai les informations dont j’avais besoin, il faut que je parte d’urgence pour Tombe-du-Roy. J’ai besoin que tu me maquille ça en suicide, tu peux le faire ? »
L’homme acquiesce, Varn lui tape alors amicalement l’épaule.
« Parfait, tu as préparé mon cheval comme je te l’avais ordonné ? »
L’homme pointe du doigt les bosquets par lesquels il a surgit et dans lesquels on peut apercevoir un magnifique cheval noir avec une unique tâche blanche en plein milieu du chanfrein.
D’un signe de tête les deux hommes se séparent, Varn s’approche du cheval pour le détacher avant de monter dessus et de partir au galop dans les rues de Tour de la Joie.
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Assis autour d’une grande table, nombreux sont les vassaux et amis de Lord Forrest qui ont été invités à cette grande fête pour célébrer le retour du fils de ce dernier, Varn, absent de la cité familiale depuis presque trois longues années. Plats copieux, bouffons de renoms et alcool coulant à flot sont au menu de ses retrouvailles. On y parle également de politique, de diplomatie et de mariage. Darrock Forrest, le Lord de la maison, cherche d’ailleurs à marier son fils aîné Olivar à une autre famille puissante de Dorne et a entamé des négociations avec bon nombre de seigneurs présents lorsque le dernier plat arrive enfin sur la table. Chacun se fait servir, certains plus que d’autres mais tout le monde fini par croquer à pleines dents dans ce plat typique Dornien.
Varn Forrest, le fils enfin revenu observe la scène depuis sa place privilégiée. Sa sœur a été tué lors d’une de ces mêmes soirées où la nourriture et l’alcool étaient en abondance… Le second fils de Lord Darrock Forrest se lève alors soudainement avant de faire tinter son verre pour prendre la parole.
« Chers seigneurs, Père, Frère. Je suis heureux d’être enfin de retour parmi vous et je me réjouis de voir une telle fête en mon honneur. Aussi, je me dois de vous révéler la véritable raison de ma présence parmi vous ce soir. Après trois années de recherche, j’ai finalement trouvé le nom du meurtrier de ma sœur. Aussi, j’ai pris l’initiative de verser du poison dans son vin. »
Varn se tourne alors vers son père pour lui donner un long parchemin, énumérant une longue liste de plantes mortelles et de poisons dont la signature, datant de trois ans auparavant, n’est autre que celle de l’assassin d’Eyla, et lancer en sa direction.
« Père, l’assassin d’Eyla… je n’ai aucun doute à ce sujet… il s’agit d’Olivar. »
L’héritier de la maison Forrest commence au même moment à tousser, se tord de douleur et s’écroule sur la table devant le regard perplexe de toute l’assemblée.
Varn continu son discours, s’adressant désormais à Olivar en brandissant une minuscule fiole dans sa main gauche.
« J’ai ici le seul antidote possible. Confesse tes crimes et tu pourras vivre. »
Olivar peine à se remettre debout et lance un regard noir envers son demi-frère.
« Que m’as-tu fais bâtard !? Donnes-moi l’antidote, c’est un ordre ! »
Varn ne bronche pas et soutient le regard de son frère.
« Avoue ! »
Le regard d’Olivar parcourt l’assemblée en quête de visages prêts à l’aider mais il ne rencontre que la colère des seigneurs présents. Il s’arrête longuement sur le visage de Lord Forrest qui ne montre aucun signe de tendresse.
« Père… » Parvient-il à articuler non sans peine.
« Tu n’es plus mon fils, tu n’es pas digne d’être mon héritier. Je t’accuse de parricide et te banni de mes terres. »
La sentence tombée, Olivar est soudainement seul, abandonné par ses plus proches alliés. Le jeune homme se met à pleurer et cri en direction de Varn.
« Oui ! J’ai tué Eyla ! C’est ça que tu veux, hein !? Je l’ai tué parce que c’est moi qui dois hériter de Tombe-du-Roy, je suis le seul qui ne conduirait pas cette maison à la ruine mais vers la gloire et la renommée qu’elle mérite ! Je devrais hériter ! Tu n’en es pas digne, tout comme Eyla ne l’était pas ! Maintenant donnes-moi l’antidote ! »
Varn regarde celui qui était, il y a quelques instants à peine, l’héritier de la maison Forrest. La fiole dans sa main, il n’éprouve que du dégout envers son demi-frère. Il lui lance cependant le précieux flacon, qu’Olivar s’empresse d’absorber, avant de lui lancer :
« Ce n’était pas du poison, simplement une potion qui retournait les boyaux. Le vrai poison était dans cette seconde fiole. »
Le regard de l’empoisonné se remplit de haine tandis que dans un ultime effort il parvient à articuler ses derniers mots.
« Bâtard ! Tu n’es qu’un bâtard. »
Avant de s’effondrer au sol, des larmes de sang lui coulant des yeux. C’en est fini d’Olivar Forrest, des trois enfant de Lord Darrock Forrest un seul respire encore, le bâtard légitimé Varn qui vient de devenir l’héritier en titre de la maison Forrest. C’est d’ailleurs dans un murmure inaudible aux autres membres de l’assemblée, perplexes face à la scène dont ils venaient d’être témoin, que Varn répondit à son demi-frère mort.
« Je sais, c’est ce qui fait ma force. »