Les nuages s’amoncelaient depuis des mois sur l’Empire. La Constitution établissant ses fondations soulignait la liberté de culte au sein de chaque Royaume Fédéré et si l’édit était globalement bien accepté, les pratiquants les plus rigoristes de la religion des Sept avaient vu d’un mauvais œil cette complaisance envers les farouches dieux du Nord et l’ouverture vers d’autres divinités de l’étranger. Il y avait déjà eu des troubles dans l’Orage. Un mystérieux dévôt des Sept, ancien soldat du Roi Argilac, avait levé une troupe d’autres zélotes. Ces âmes, tiraillées par les horreurs des invasions par par le Bief et Harrenhal, ainsi que par les appels à la révolte du Grand Septon, s’étaient lancées sur une sanglante quête de rédemption. D’abord furent débusqués les agents et espions de la Reine Argella, qui furent pendus ou mis sur le bûcher. La Reine, déjà occupée par des tentatives de meurtre à Accalmie et par la guerre, ne pu envoyer d’autres moyens dans ses campagnes pour calmer l’agitation.

L’envoi de l’armée dans le Bief fut plus mal perçu encore que le divorce de la Reine et ses libertés prises avec les usages religieux. On considérait dès lors que la Biche poursuivait des chimères et continuait de mettre un peu plus le sang orageois à contribution des ambitions impériales. La chose était difficile à avaler pour ceux qui avaient déjà tout perdu des mains des païens fer-nés et des envahisseurs du Conflans Hoare, et qui avaient subi également les sévices et les pillages des armées du Bief, qui se considéraient comme seules garantes de la Foi sacrée des Sept. Beaucoup se retrouvaient sans bien ni demeure, et avec les hommes jeunes envoyés à la guerre, ils se sentaient abandonnés. Le discours d’agents bieffois et les rumeurs allaient bon train. On disait la Reine abandonnée à la luxure impériale, forniquant dans l’illégitimité la plus totale, avec des hommes aussi bien que des femmes. On disait qu’elle sacrifiait des soldats pour nourrir le dragon de l’Impératrice, ou encore qu’elle vendait des biens de la maison royale pour financer les guerres de l’Empire plutôt que la reconstruction des villages détruits. Des rumeurs toutes plus folles les unes que les autres. Mais elles prenaient parfois, auprès des désespérés. Quelle ne fut pas la surprise de Lord Stackhouse, qui commandait l’armée bieffoise envahissant le sud de l’Orage, de voir se rallier à lui des volontaires croisés, natifs de ce pays qu’il envahissait ! Les machinations du Roi du Bief et la facilité avec laquelle les rumeurs collaient avec l’éloignement de la Reine portaient des fruits doucereux pour les armées des puissances centrales…

Bien sûr, le mouvement restait marginal. La popularité d’Argella Durrandon restait très forte, auprès de son armée notamment. La guerre et sa poursuite difficile avait tendance à accentuer quelques divisions au sein de son peuple, et les germes de la dissension commençaient à grandir… Mais on restait loin de l’insurrection générale. Toutefois, la Reine subissait plus de pressions que jamais, entre une minorité de son peuple qui se détournait d’elle et le mécontentement de sa noblesse qui la pressait sans arrêt, malgré la campagne en cours, pour qu’elle reprenne un époux, consolide sa légitimité sur le trône et raffermisse l’Orage. La Biche avait bien besoin de ces responsabilités supplémentaires, et elle vivait désormais avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Si elle ne réagissait pas, elle prenait le risque que la Croisade ne fasse tâche d’huile sur ses propres terres.

Les choses étaient pires encore dans le Conflans. Les rumeurs se diffusaient à toute vitesse dans la capitale et de là, dans tout le Royaume. Le Roi avait été aperçu de nombreuses fois avec une Prêtresse Rouge, venue d’Essos. Une beauté à nulle autre pareille, et qui s’invitait seule sous sa tente, voire interrompait des conseils de guerre. La rumeur soulignait évidemment que les deux entretenaient une relation intime et ce, malgré le deuil récent du souverain… Et cela dressait les cheveux sur la tête des bonnes gens du Conflans, qui certes avaient déjà connu la furie sanglante de la Croisade sur leurs terres, mais qui pour certains commençaient à pointer du doigt les élites du Royaume, ralliées à l’Empire, qui se comportaient visiblement sans honneur ni vertu. La Reine Alysanne avait été fort aimée, déjà de son peuple de Vivesaigues mais de tout le Royaume, en ayant fondé un ordre qui prenait soin des nécéssiteux… Comment sa mémoire pouvait-elle être bafouée par les désirs d’un homme qui se complaisait dans l’hérésie avec une païenne ?

Des troubles civils éclatent un peu partout. A Haye Pierre, deux divisions nordiennes qui rattrapaient les armées en campagne doivent donner du baton contre la foule qui jetait bas les murs les fanions aux couleurs royales, tandis qu’à Salvemer et à Beaumarché, les sergents d’armes devaient disperser la foule. Plusieurs fois, les affrontements dégénérèrent. Et si les stigmates d’une Croisade sans pitié pour le peuple étaient encore bien présents, beaucoup questionnaient la légitimité du Roi à les mener. Très vite, les conseillers du Roi Lyham l’inclinèrent à la prudence, au strict respect de sa période de deuil, et surtout à faire des gestes d’apaisement en direction du peuple.

Lyham dû en plus s’opposer à sa propre sœur Lysara qui voulut mettre au bûcher la Prêtresse Rouge avec quelques soldats, fanatisés eux aussi. Le Roi et Alester Vance parvinrent à sauver la thaumaturge, et la sœur du Roi fut envoyée au couvent, ses hommes au Mur. S’ils avaient été l’expression brute de la fronde populaire quant aux rumeurs de collusion avec cette envoyée d’un dieu étranger, l’avertissement suffit au Roi. Il choisit d’y répondre, dans les actes d’abord -il convenait d’être plus discret, et de remettre un peu de distance avec Shaera-, mais aussi dans les idées. Il fallait qu’il consolide son pouvoir au plus vite…

L’Empire était pressé de toutes parts par ses ennemis. Royaume du Bief, Principauté de Dorne, Royaume des Rivières et du Crépuscule, mais il était maintenant agité et secoué de troubles internes, sans parler des tensions qui pouvaient exister entre certains de ses souverains. Plus que jamais, l’équilibre précaire qui régnait entre toutes ses composantes menaçait de s’effondrer.