La situation était grave, sur la route de Noblecoeur. Pressé de toutes parts, le Roi Yoren Hoare avait dû rétrograder sur sa formidable avancée en terre riveraine. Sa modeste armée, considérablement renforcée de mercenaires, avait emporté sur sa route de nombreuses places fortes. Mais arrivée à Haye Pierre, sa cavalerie passant le fleuve découvrit bien vite que l’Ost Royal du Nord déboulait de Beaumarché. En sus, les forces Tully étaient massées non loin à Vivesaigues. On savait le Maréchal Omble et Orys Baratheon sur ses arrières sur Noblecoeur… Et voilà que l’on signalait l’arrivée de renforts ennemis sur la route de Fort-Darion ! Cette folle chevauchée en territoire ennemi risquait de se conclure de fort funeste manière, alors Yoren Hoare fonça droit sur l’armée qui menaçait ses lignes de communication ; celle du Maréchal de l’Empire. Cette armée se déroba, et ne manqua pas d’aller à son aide toutes les forces de la région pour écraser une fois pour toutes le Roi Bâtard.
La supériorité en cavalerie du jeune Yoren lui permis enfin de coincer l’ennemi ; ses avant-gardes accrochaient les arrières des impériaux et la bataille allait se livrer sous peu, probablement dès le lendemain matin. Le soir venu, alors que les avant-postes des deux armées ne se trouvaient qu’à quelques centaines de mètres les uns des autres, un dernier conseil de guerre fut réuni pour planifier les opérations du lendemain.
On fit passer des cornes d’hydromel, des coupes de vin et quelques plats. Des vœux de victoire et des promesses de butin furent lancés à la cantonade. Après ses victoires depuis le début du Printemps, Yoren avait ses hommes derrière lui pour la bataille. On but plus encore, et on continua à échanger sur la disposition des troupes à mesure de leur arrivée sur le champ de bataille et c’est dans cette ambiance festive mais fiévreuse que passa la soirée que l’avenir du royaume se jouait. Chaque commandant de corps d’armée vint jurer sur la lame du Roi, tenue dégainée par lui, qu’il se battrait jusqu’à la mort. En clôture de la réunion, ce fut la reine Helena, enceinte jusqu’au cou, qui s’avança vers le Roi et embrassa le fil de son épée pour porter chance à son royal époux le lendemain.
La nuit fut déchirée par les hurlements, moins d’une heure plus tard.
Ce fut d’abord la reine, qui se tortillait sur son lit en se cassant la voix, mains serrées sur son ventre. Ses cuisses rouges de sang. Son bébé, un mâle, fut extirpé de son corps brisé par la douleur et la fatigue. La Reine dû être endormie au vinsonge pour la calmer. Le Roi, ivre de rage, réclama des explications à son mestre, mais déjà deux de ses officiers, le chef de sa Chevalerie et celui d’une troupe de fantassins fer-nés furent tous deux pris de convulsions et moururent en quelques minutes. On rapporta bien vite que d’autres officiers étaient touchés par un mal mystérieux, fiévreux et agités, mais moins atteints toutefois.
Au milieu de ce cauchemar au plus noir de la nuit, le Roi Yoren et son mestre comprirent que tout ceci était l’œuvre du poison. Il y avait déjà eu des alertes ; deux goûteurs du Roi étaient morts des semaines plus tôt mais depuis, plus rien. L’enquête menée n’avait rien donné et le fer-né était resté sur ses gardes.
Des Chevaucheurs du Crépuscule, la garde royale des Hoare, tirèrent du sommeil les hommes et les femmes préposés au repas. Tous furent brusqués, malmenés, soumis à la question devant le camp tout entier. Les interrogatoires ne donnèrent rien.
Le Roi et ses hommes mirent la main sur les aides de camp du Roi, mais l’un d’eux avait disparu. Gueulant sa rage, le né-bâtard donna ses ordres et le traître fut débusqué à l’un des postes de garde entourant le camp, prêt à fuir mais arrêté par des lanciers du Conflans.
Il était déjà tard. La bataille ne manquerait pas de commencer sous peu. Mais Yoren devait savoir. Qui était ce lâche et pour qui travaillait-il ? Le pourquoi il s’en fichait. Ses ennemis étaient légion. Ils étaient déterminés à sa fin… Mais pourquoi ? L’assassin ne tint pas plus d’une heure. Plaies à vif, paupières arrachées, fer rouge sur ses côtes, jambes épluchées… Il dit tout ce qu’il savait. Fer-né lui-même, il avait été recruté l’hiver précédent à Pierremoutiers, par un homme riche, un insulaire lui aussi. Un homme qui clamait qu’on ne pouvait faire confiance à un bâtard pour ceindre la couronne du Noir. Il avait empoché l’argent, et avait cru s’en tirer à bon compte sans accomplir sa mission, jusqu’à ce qu’un autre soldat fer-né ne vienne lui apporter la main de sa femme, qui l’avait rejointe à la capitale mais qui y était restée quand l’armée était partie en campagne. Menacé d’autres exactions sur sa famille, son commanditaire tenait à ce que la mission soit accomplie et la mission menée à terme… Il avait donc persévéré.
Yoren n’avait pas le temps d’aller plus avant dans son enquête. Le jour se levait déjà à l’horizon. S’il ne se battait pas, son royaume mourrait avec lui avant la prochaine lune. L’homme promit devant tout son état-major de traquer les conspirateurs et de les offrir au Dieu Noyé de ses propres mains. Hommes ou femmes, fer-nés, riverains ou étrangers. Nul ne serait à l’abri de son courroux. Le Roi avait cru avoir châtié tous les traîtres après le coup d’Etat manqué de son neveu Beron et de sa conseillère Heda Volmark, mais il s’était visiblement trompé. D’autres sujets voulaient sa mort. Pis encore, des fer-nés, ceux-là même qu’il pensait qu’ils ne le trahiraient jamais. Des factieux voulaient sa couronne… Et venaient de tuer son fils, et peut être sa femme.
Un instant, il comprit l’extrême abnégation de ses ennemis Braenaryon. Eux aussi avaient manqué de perdre leurs enfants, par deux fois. Ennemis pour toujours, il conçut néanmoins la haine qu’ils nourrissaient à l’encontre de ceux qui s’en étaient pris à leur famille, car lui-même allait noyer dans le sang des maisons entières s’il le fallait ; personne ne remettrait plus jamais en question son autorité.
Il retourna voir sa femme et l’embrassa sur le front dans son sommeil, avant de se saisir d’une autre arme, d’enfiler son casque, et de chevaucher vers l’avant-garde.