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Elle était née sur les bords de la mer de Dorne, dans la jolie bourgade portuaire de Le Tor, où se dressait l’élégant château de la Maison Jordayne. Ainée légitime dans une demeure qui comptait déjà un frère bâtard, Aliandra fut tout de suite l’objet de beaucoup d’attentions.
Confiée à des nourrices dans les appartements dévolus aux enfants, la petite fille grandit à l’écart du monde, très choyée par la domesticité et par sa mère qui eurent longtemps peur pour sa vie. Car elle était alors d’une fragilité extrême – malgré le temps clément de la région, pourtant souverain et favorable aux enfançons – et tombait sans cesse malade. A tel point que son père abandonna presque l’idée de la voir survivre jusqu’à l’âge adulte, jusqu’à ce que, à la mort de leur médecin, déjà passablement sénile depuis de nombreuses années, il n’en fasse venir un nouveau.
Sans doute l’âge de ce dernier et ses toutes nouvelles compétences y furent pour quelque chose, à moins que l’enfant, trop couvée, ne recouvrit la santé qu’au grand air où l’entrainait son médecin. Toujours fut-il qu’Aliandra sembla aller mieux, et que chacun reprit espoir.

On l’initia au cheval aussitôt qu’elle fut capable de le supporter. Ainsi, très fière de parader devant sa grand-mère, ainsi que devant Roward et sa propre grand-mère, la Princesse Meria Martell, l’enfant ne se sentait plus de joie. Pour faire plaisir particulièrement à ses deux grands-mères – peu lui importait que la dernière ne fût point de son sang, tant la petite fille l’aimait – elle surmonta même sa grande timidité pour accepter de jouer de la harpe en public, devant quelques dames de la Cour de Lancehélion, terrifiée à l’idée de faire des fausses notes.
Il était vrai que, malgré un caractère extraverti et gai, l’enfant ne fréquentait guère d’enfants de son âge – rang oblige – et qu’elle se trouvait contrainte à une grande solitude. Ainsi s’était-elle jetée à corps perdu dans ses études, pour qui elle entretenait une grande passion. Rien ne l’intéressait tant que les calculs difficiles, que l’étude de la généalogie et de l’histoire ; aussi devint-elle une petite fille cultivée et toujours curieuse, fouinant souvent dans les bibliothèques de la demeure à la recherche de nouvelles lectures et de nouvelles connaissances.
Sa vie était calme, douce et paisible dans sa monotonie. Peu important à Aliandra que son ainé soit illégitime : elle l’aimait de tout son cœur, car il s’introduisait souvent dans ses appartements pour lui offrir des petits cadeaux – parfois une nouvelle robe, un livre ou un colifichet, souvent des nouvelles du monde extérieur. Bien qu’elle aimât également ses frères et sœurs cadets, ils n’étaient encore que d’adorables poupons, ce qui n’était guère intéressant aux yeux d’une fillette égocentrique.

L’annonce de l’assassinat de la Princesse Meria Martell et de son fils laissa la jeune fille de quinze ans stupéfaite, secouée par un raz-de-marée de tristesse. Comment étais-ce seulement possible ? Pendant longtemps, son sommeil en fut perturbé. Des cauchemars émergèrent, effrayée, terrifiée à l’idée de perdre ceux qu’elle aimait le plus. Des nuits durant, elle parcourut les livre d’histoire, cherchant parmi les souverains étrangers qui auraient bien pu avoir la folie de concevoir pareil crime ; et ce fut le cœur déchiré qu’elle se laissa trainer, avec ses parents, au couronnement de Deria Martell. Loin d’être une fête amusante, Aliandra n’en conserva que des souvenirs brumeux et une forte fièvre qui se poursuivit plusieurs jours.

La vie reprit son cours à la demeure Jordayne. Le Grand Tournoi de Goëville fut pour elle un enchantement. Après un voyage où elle s’amusa comme une enfant avec Roward Martell, elle assista, les yeux remplis d’une naïve candeur, aux exploits des chevaliers du nord et du Sud. Son cœur battit aux fiançailles de son ami, et elle revint, des rêves plein son cœur romantique, au bercail, où elle ne parvint pas à parler d’autre chose durant des semaines ! Mais, docile, la jeune fille revint à ses leçons et à ses livres de compte, car il était désormais grand temps qu’elle apprenne à tenir une maison, en s’intéressant de près à l’intendance, et à la gestion des hommes d’armes. Très occupée, elle parvenait cependant à trouver un peu de temps pour s’occuper de « ses » pauvres. Une habitude qu’elle avait pris depuis plusieurs années, car son cœur émotif s’était ému de ces enfants sans le sou trainant dans les rues. C’était ainsi qu’elle venait leur distribuer nourriture et quelques piécettes régulièrement, sans pouvoir véritablement faire plus.

L’annonce de festivités organisées à Hautjardin, dans le Bief, comme main tendue, la réjouit tout d’abord. Elle envia les invités quelques jours – dont sa chère grand-mère, avant de se retrouver presque tétanisée par la nouvelle : Les Martell et tous les nobles dorniens étaient retenus à Hautjardin.
Son grand-père et son père quittèrent le domaine en toute hâte, laissant épouse et enfants se débrouiller. Il fallut, pour Aliandra, assister sa génitrice dans la gestion de la maisonnée, domaine dans lequel elle était évidemment à l’aise, durant l’attente de retrouver leur parenté. Ce fut une période angoissante, emplie d’incertitudes et d’attente, au cours duquel la jeune fille se plongea dans son devoir pour oublier. Gérer les comptes, s’occuper des enfants et de le Tor : voilà où était sa mission, ce qu’on attendait d’elle. Et elle était déterminée à faire de son mieux.  

Deux longs mois s’écoulèrent, et avec elle, son cortège de nouvelles. Bien que la famille Martell ait pu revenir à Lancehélion, la guerre était désormais inévitable, et la nouvelle de la perte de la bataille des Hautes-Terres ne fit que renforcer son anxiété désormais courante. Heureusement, son père revint vivant – c’était tout ce qui importait au fond, bien que sa fierté dornienne en ait pris un coup.
L’attaque de Lancehélion par les navires Fer-nés la prit par surprise. La ville de le Tor se calfeutra après que ses guerriers en soient tous partis, et elle résolut d’apprendre à se battre, à son tour, bien qu’elle ne fût guère adroite avec une dague, car elle ne pouvait se résoudre à se trouver totalement vulnérable, si le domaine se trouvait menacé.

A nouveau, ce fut la guerre avec Dorne. Il semblait évident que la Principauté devait se défendre, mais à quel prix ? La jeune fille, sans avoir tous les détails de la politique westerosi, n’y comprenait, hélas, pas tout ; mais il semblait évident qu’on leur avait tendu un piège dans le Bief.
Heureusement, le mariage de la Princesse Meria Martell était une bonne nouvelle, ainsi que celui de Roward, qui avait changé de fiancée. La jeune fille y oublia ses soucis, qui, cependant, ne tardèrent pas à ressurgir.
Son père devait repartir se battre. La jeune fille cacha sa peur sous le masque de l’enthousiasme, continuant ses entrainements martiaux avec régularité et entêtement. Car elle était désespérément maladroite – mais comment ne pas tenter de se prémunir, alors que ce « Grand Septon » nordois leur proclamait la guerre – encore un ?!
La nouvelle de la mort de son père l’anéantit. Cela la consola un peu de savoir qu’il était mort aux côtés de Roward Martell, comme le grand soldat et héros qu’il était, mais elle se retrouvait désormais privée de sa chaude et douce présence, à jamais. Dans son cœur aimant, elle n’avait encore jamais haï quelqu’un comme les bieffois ; cependant, la jeune noble savait qu’elle était parfaitement impuissante. Que pouvait une jeune fille maladroite contre toutes ces armées ?

La vie devait continuer son cours. Il fallait protéger la Maison Jordayne, les Martell, mais aussi et surtout la population de Le Tor, dont ils avaient la charge. Comme à son ordinaire, elle s’occupait des enfants démunis et des veuves de guerre, lorsque le murmure d’une femme à son oreille la fit soudain trembler. Dégoûtée, elle glissa une piécette supplémentaire dans la main de la pauvre femme, avant de rentrer directement au château, s’invitant dans le bureau de son grand-père sans frapper à la porte.
En quelques mots, elle résuma la situation. Des septons se cachaient parmi la population pour la suborner. C’étaient des espions du Bief, elle le savait bien, et chacun savait bien ce qu’ils cherchaient !

Sans plus attendre, sur la demande de son grand-père, la jeune fille prévint les gardes, qui allèrent s’acquitter de leur devoir. Et bien qu’elle ne tirât aucune satisfaction de leur mort, Aliandra se sentit un peu plus en sécurité ce soir-là.

La guerre. Encore une fois, toujours la guerre ! A seize ans, il lui semblait qu’il n’y aurait pas de fin, que Dorne, malgré sa richesse, malgré sa gloire, allait finir par succomber. Les réfugiés, désormais, affluaient des provinces occupées éhontément par l’ennemi, par ces hommes en armes qui dévastaient tout ; et avec sa mère, la demoiselle Jordayne, accompagnés par ses frères et sœurs, alla s’en occuper. Il fallait à ces pauvres hères qui avaient tout perdu le minimum pour survivre : aussi fit-elle monter de larges tentes afin de leur épargner la dureté des nuits dorniennes, puis organisa-t-elle des soupes populaires afin que chacun, et surtout les enfants, puissent avoir un repas chaud au moins une fois par jour. Dans un pareil contexte, il était difficile de faire plus, mais elle était sûre que tout allait bientôt s’arranger : après tout, les mariages royaux n’étaient-ils pas supposés assurer la sécurité de tous ?

Mais hélas, cela ne dura pas. Les deux mariages, à peine entamés, se brisèrent – ce qui se trouvait bien étonnant aux yeux d’une enfant encore naïve – et un traité aux conditions honteuses fut signé en désespoir de cause, qui l'emplit d'horreur et d'appréhension pour l'avenir.

Alors la noble retourna à ses devoirs. Cette fois, les réfugiés cherchaient à profiter de l’arrêt des combats pour rentrer chez eux, et cette fois encore, elle ne pouvait les laisser à leur sort. Au nom de sa maison, elle leur fit don des tentes qui leur avait servi d’abri, puis, après avoir vendu deux de ses robes et quelques-uns de ses bijoux, leur donna des vivres et quelques pièces, avant de profiter de l’organisation d’une caravane pour leur offrir l’occasion de voyager en sécurité.

Désormais tout à fait associée aux affaires d’intendance de la Maison, Aliandra se remit à ses chères études. Mais souvent, son esprit revenait aux évènements récents, à l’idée que l’Ouest de Dorne soit occupé par les troupes bieffoises ; et seul son frère illégitime parvenait alors, dans ces moments-là, à la dérider, à la refaire sourire. De plus, elle commençait à s’inquiéter. Resterait-elle vieille fille à jamais ? N’aurait-elle pas d’enfants, à jamais stérile, sans époux pour l’épauler, pour lui offrir son toit ? Pourquoi aucun parti ne se déclarait, pour demander sa main ? Elle avait dû rester enfermée trop longtemps, pas assez briller au Tournoi de Goëville. Et bien que l’ainée de la dernière génération de la Maison Jordayne tâchât de ne point trop y penser, l’anxiété semblait la ronger peu à peu.
Elle savait qu’il fallait s’aérer l’esprit, s’occuper au plus vite. Elle s’abima dans la musique, dans l’administration de leurs terres, cherchant le moyen de développer leur capacité commerciale pour enrichir le Tor.

Mais un nouveau mariage se préparait au sein de la noblesse dornienne. C’était l’occasion de réjouissances inespérées, et peut-être de futures rencontres ? Elle se joignit avec plaisir à sa mère, savourant la fête comme un nectar. Un peu de joie ne faisait pas de mal et elle s’ingénia à sourire, et à profiter de la vie, en buvant un peu de vin dornien épicé, gorgé de soleil et de saveurs. Elle faillit à parler à tous avec animation, en tâchant d’éviter, ainsi que lui avait seriné sa mère en voyage, les sujets délicats, exercice diplomatique dans lequel la demoiselle mit toute son attention.

Le retour fut plus joyeux qu’il ne l’avait jamais été depuis la mort de son père. Il fallait bien aller de l’avant, se ressaisir pour faire face aux nouveaux défis que leur imposerait le futur. Avec un mari ou sans, peu importait, finalement !  

Et ce fut armée de courage que la jeune fille insista pour porter secours immédiatement aux petits villages côtiers attaqués par les pirates. Accompagnée de son grand-père et de sa mère pour constater les dégâts, Aliandra fut saisie de stupeur devant la détresse des villageois. Dans chacun des villages, elle prit l’initiative de faire dresser des tentes pour les blessés, indiquant que les dispensaires et les structures vivrières devraient être reconstruites en premier, afin de permettre à la population de continuer à pouvoir se nourrir. Folle de rage contre les pirates et la malchance qui s’abattait sur leur magnifique principauté, la jeune fille se noya à nouveau, à peine rentrée, dans le travail. Elle avait cette fois en tête d’étudier les bases de la médecine, afin de mieux porter secours aux populations en danger.
Dûment prévenus par corbeaux de la défaite du Prince Roward Martell à la bataille de la Gracedieu contre la rébellion Allyrion, la Maison Jordayne décida de renouveler publiquement son allégeance à la Maison Martell, dans l’espoir d’inciter les autres Maisons à faire de même. L'indignation soulevait la famille toute entière, qui, bien que consciente des arguments de Lady Mahée, ne pouvait accepter qu'elle affaiblisse encore la Principauté toute entière dans son sillage. Son grand-père invita donc, pour faire bonne mesure, le Prince Roward à venir se reposer, ainsi que ses troupes, dans leur château, avant de regagner Lancehélion.

Aliandra se réjouit de le revoir. Après tout, c’était son prince et son ami d’enfance, bien qu’elle ne l’eût guère revu ces dernières années. Il fallait que tout soit prêt pour le recevoir : ainsi, chacun comprendrait que la Maison Jordayne incarnerait toujours l’honneur et la loyauté. N’étais-ce pas des vertus cardinales, et plus encore en cette période troublée ?