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 Tour 8 – Le Léopard, la Panthère, et la Main d’Or - Année 1 - Mois 11 - Semaine 2

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MessageSujet: Tour 8 – Le Léopard, la Panthère, et la Main d’Or - Année 1 - Mois 11 - Semaine 2   Tour 8 – Le Léopard, la Panthère, et la Main d’Or - Année 1 - Mois 11 - Semaine 2 EmptyMar 7 Juil - 22:06

Le Léopard, la Panthère, et la Main d’Or
Orage



L’armée dornienne avait franchi la frontière orageoise depuis plusieurs semaines. La Princesse Deria, pieds et poings liés par la Foi et les Puissance Centrales, envisageait alors sérieusement de remplir sa part du traité de Boycitre en portant la guerre chez ses anciens alliés. Lord Sared Santagar, le général en chef de l’armée de la Principauté, avait encore près de douze mille hommes sous ses ordres. Les troupes avaient été décimées pendant la guerre précédemment perdue, mais il avait pu renflouer ses rangs avec quantité d’hommes levés à la hâte parmi les réfugiés du nord du pays. L’armée allait fort mal ; elle manquait de tout. Les hommes n’avaient pas été payés depuis près d’un an pour certains, le trésor étant vide. Leur devoir était à Dorne… Mais voilà que leurs généraux les faisaient partir à nouveau en guerre, contre l’Empire. La rumeur se répandit comme une traînée de poudre. Si quelques revanchards prenaient la chose au sérieux, beaucoup se sentaient sacrifiés dans un conflit qui n’était pas le leur. Le moral était très bas, et les désertions furent nombreuses en route. L’armée se délitait, et son général en chef, dû rétablir des châtiments très durs pour maintenir un semblant de discipline dans une armée défaite, qui se sentait maintenant condamnée.

Alors que la Princesse masquait son jeu contre l’Empire, pointant du doigt d’atroces -et authentiques- actes de piraterie menés contre son pays, les espions orageois eurent tôt fait de repérer ses troupes près d’Havrenoir, puis vers Grigibets, où elles rencontrèrent l’armée du Bief de Lord Stackhouse. Ainsi unifiées, les deux armées faisaient naître une terrible menace dans le flanc sud de l’Empire. Alors que l’armée principale des Braenaryon marchait vers Grassy Vale et l’est du Bief, celui-ci venait d’attaquer par la mer, puis menaçait dès à présent d’attaquer par le sud. Bien sûr, l’endroit était défendu. Mais Torrhen et Rhaenys Braenaryon avaient une autre carte à jouer. A Accalmie, ils avaient trouvé non seulement une armée pour renforcer leur campagne à venir, mais aussi une jeune femme récemment libérée des galères bieffoises. Cette dornienne n'était autre que Mahée Allyrion, dame de haut parage et veuve de son époux, tombé à Hautjardin lors des incidents du banquet royal, un an et demi auparavant. La jeune femme vouait rancune tenace à sa princesse, qui avait à ses yeux vendu la Principauté à ses ennemis qui en usaient comme d’une putain bonne à jeter après utilisation. Ayant rejoint secrètement l’Empire, la demoiselle fut envoyée par le quartier général impérial au sud, pour tenter d’empêcher la guerre ou en tout cas la confrontation directe entre l’armée dornienne et les forces impériales.

La jeune dornienne était envoyée convaincre ses compatriotes, accompagnée de l’épée de Ser Garlan Goldwyne, capitaine impérial renommé.

Ils partirent tous deux avec l’espoir d’empêcher l’Empire de faire face à un ennemi de plus, et de protéger Dorne d’un nouveau conflit destructeur. Mûe par sa haine du Bief dont elle avait subi les invasions, Mahée souhaitait également ouvrir un nouveau chapitre de l’histoire de Dorne, sans être inféodée à un quelconque royaume qui lui imposerait de force sa politique. Elle se rendait bien compte que beaucoup parmi ses compatriotes ne risquaient pas de voir la fédération impériale sous le même regard qu’elle…

La route des deux plénipotentiaires fut semée d’embûches ; le maillage de patrouilles du Bief était très dense, mais ils réussirent, en n’étant que deux, à se faufiler dans les lignes ennemies. En chemin, ils virent nombre de civils orageois pendus. L’ennemi luttait avec brutalité contre la guérilla organisée par la Reine Argella. Pis, ils virent au loin des groupes de cavaliers dorniens qui pillaient plusieurs petites communautés. Visiblement, les compatriotes de la Dame de la Grâcedieu se payaient sur le terrain, et faisaient regretter à leurs anciens alliés leurs mois de souffrances et de privations. La cruauté marquait partout bâtiments et survivants de stigmates que le temps ne saurait effacer. Espérant qu’il restait malgré tout vaillance et esprit de revanche contre les anciens envahisseurs bieffois, les deux envoyés continuèrent leur route jusqu’à tomber sur le camp des deux armées réunifiées.

Comptant l’un sur l’autre, ils essayèrent en fin d’après midi de se mêler au camp dornien, en tenue de voyageurs, pour proposer leurs services aux troupes en campagne. Mahée fut très précieuse pour se confronter aux autres dorniens, connaissant intonations et patois des lanciers qui les arrêtèrent. Plusieurs la prirent pour une prostituée, car rares étaient les femmes de bonne vertu à suivre les troupes en campagne, mais ils parvinrent tous deux au centre du camp. Discutant avec la troupe abordée, ils comprirent le dénuement quasi-total dans lequel se trouvaient les soldats de Dorne, dont le mauvais moral et la rancœur poussaient à assouvir leur frustration sur la population locale. Ils croisèrent ainsi des orageoises battues, prostituées de force et passant de mains en mains. Plus haut dans la bourgade, étendards et fanions des maisons nobles de Dorne et du Bief ; les chevaliers et officiers ne se mêlant que peu à la troupe.

Attristée et touchée du comportement sauvage de ses compatriotes, la jeune Allyrion prit sous son aile une orageoise ainsi battue. Questionnée pendant qu’elle recevait quelques soins, elle apprit aux deux impériaux ce qu’ils ignoraient encore sur l’armée, sur les états d’âme des soldats. Beaucoup détestaient l’Empire et le rendaient responsable de leurs pertes, quelques mois plus tôt. Tout le monde haïssait les bieffois, mais pas forcément au point de se soulever. Le mauvais traitement réservé aux orageois était malheureusement très répandu, selon les dires de la captive. Il faillit y avoir altercation entre des lanciers dorniens et les deux envoyés de l’Empire, mais la situation finit par se calmer. Pendant plusieurs jours, les deux travaillèrent aux tâches du camp pour se mêler à la masse du personnel accompagnant l’armée. Mahée subit encore plusieurs fois les apostrophes et les tentatives de ceux voulant abuser de sa nature, mais Garlan lui évita le pire. Mettant ces quelques journées à profit, ils apprirent où se situaient les différentes unités, les quartiers des nobles, les noms des officiers. Ils aperçurent plusieurs fois le Général Santagar passer des unités en revue au petit matin, et avec l’urgence de la rumeur d’un départ pour la guerre qui aurait lieu dans très peu de temps, Mahée Allyrion et Garlan Goldwyne décidèrent de tenter leurs chances.

Le général fut abordé au sortir de sa tente, avant sa revue matinale habituelle. Il semblait reconnaître la jeune femme, mais sans plus se souvenir d’où. En donnant son identité, le général était intrigué, mais méfiant. Il voulait bien discuter avec son invitée de noble naissance, notamment pour savoir ce qu’elle faisait ici, au milieu de nulle part en territoire voisin, mais insistait aussi sur la présence et l’identité de Garlan. Se contentant de savoir qu’il était chevalier et avait veillé à la sécurité de la jeune femme, il le laissa dehors sous surveillance de ses soldats, pendant qu’il conversait avec sa vis-à-vis. Mahée commença par lui raconter son périple, pour rassurer le général ; le siège de Ferboys, sa capture par l’armée bieffoise et le fait que Lyle Salfalaise, pirate au service impérial, l’ait récupérée. Elle aboutit par son arrivée à la cour d’Accalmie auprès de la Reine-Mère Rowenna Durrandon, qui l’a prise sous son aile. Pressée de questions par l’homme qui se montrait méfiant, elle lâcha qu’elle avait rencontré le couple impérial, qu’ils lui avaient fait une offre et qu’elle était venue jusqu’à lui pour la lui soumettre.

Se rendant compte que sa compatriote était peut être l’envoyée d’une puissance étrangère, Dared Santagar insista pour savoir si son garde du corps est impérial, ce qui lui fut confirmé et plus encore, la dornienne insista sur le fait que Goldwyne était bien bieffois, mais avait fui le régime du nouveau Roi, Manfred Hightower, pour rejoindre l’Empire. Puis Santagar demanda la nature de cette offre, sachant qu’il ne manque pas de souligner son honneur et sa loyauté envers Dorne. La conversation s’orienta bien vite sur la véritable raison de la venue de Mahée Allyrion…

L’entretien dura des heures. Dehors, Garlan Goldwyne, toujours encadré de soldats du Bief, ne pouvait que tendre l’oreille. Il savait ce qu’il était sensé faire en cas d’échec, il savait ce qu’on attendait de lui. Il était prêt à se battre s’il le fallait, malgré son isolement au milieu d’une armée ennemie.

Pendant des heures, la jeune Allyrion fit grand débat avec le général. Ils défendaient tous deux la même idée, au fond. L’indépendance de Dorne, sa gloire, sa prospérité. Tous deux haïssaient le Bief, et si Mahée était très incisive envers la politique de la Princesse, qu’elle considérait responsable de la défaite face aux envahisseurs et leur rôle d’esclaves des guerres de leurs anciens ennemis, Santagar ne souhaitait pas entrer en rebéllion, et ne voulait pas entendre parler de sédition. La verve de sa jeunesse rappela au général ses propres idéaux, noyés dans la politique et la misère de ses troupes depuis des mois. Ils débattirent d’histoire, des responsabilités de chacun de leurs voisins, des alternatives pour Dorne. Ils échangèrent avec passion autour des notions d’honneur, de fidélité, de la valeur de leurs serments, de l’avenir de la Principauté. Il était clair que Santagar n’était pas insensible à la logique et au charisme de la jeune femme, déterminée. Il était plus sensible encore au fait qu’il avait bien conscience que la présence de son armée ne rajoutait que de la chair fraîche en ligne de bataille pour épargner du sang bieffois. Elle l’appela, le raisonna, le conjura. Il restait droit dans ses bottes ; il ne pouvait pas trahir, même s’il ne croyait plus en ce qu’il faisait. L’homme prit la nuit pour réfléchir.

Au petit matin, les deux envoyés firent comme si de rien n’était en attendant impatiemment des nouvelles du général. Mais une grande confusion saisit le camp de l’armée. Des cris vinrent du village servant de cœur au campement. Des cavaliers passaient au galop en tous sens. Certains criaient trahison, d'autres appelaient aux armes. On disait que Santagar était mort. Que des impériaux avaient infiltré le camp, que des troupes se mutinaient. Il y eut des bruits de combats, même.

Mahée et Garlan prirent la décision de courir vers les colonnes de mutins, qui filaient vers le nord. De loin, ils aperçurent échauffourées et confrontations armées entre dorniens,qui alertaient le camp du Bief. Mais des unités des maisons Allyrion, Qorgyle, Toland, Poulet, et quelques groupes épars Santagar et Dalt, étaient déjà en train de quitter les rangs de l’armée. Il se hurlait partout que le général a voulu trahir. Ou bien que d’autres généraux l’avaient assassiné en plein conseil car il ne voulait finalement pas changer de camp.

En réalité, il avait laissé le choix aux officiers qui le suivaient, avait relayé la proposition de Mahée Allyrion et plusieurs alternatives. Il soutint qu’il continuerait lui-même de commander les hommes d’honneur qui resteraient avec leurs troupes, mais ne voulait pas de dissensions à quelques jours d’engager l’ennemi. De son avis, mieux valait que les récalcitrants affrontent la justice de la Princesse que de mettre en péril l’armée toute entière par la désunion devant leur mission contre l'Empire. Aussitôt, des hommes Allyrion ont voulu partir, puis d’autres, parmi les maisons qui ne payaient déjà plus leurs impôts à la Princesse pour protester contre sa politique. Des loyalistes sont alors revenus, l’épée fut tirée, et Dared Santagar fut le premier à tomber. La violence s’est déchainée peu avant l’aube, quand Sarzir Santagar, la Panthère de Dorne, fit son arrivée à la tête d’une cinquantaine d’hommes en armes. Les rues du bourg de Grigibets dégoulinèrent de sang, et les mutins profitèrent de la vendetta en cours du frère du général pour mettre les voiles. Avant que le camp ne soit levé par l'armée entière, plusieurs centaines d’hommes quittaient précipitamment le camp avec armes et bagages, ne déclenchant que tardivement l’alerte des patrouilles.

Lord Stackhouse, le général du Bief non loin de là, fit sonner les trompes d’alarme et mettre son armée en position. D’abord orientées vers l’est d’où venait la menace impériale, les unités durent se redéployer dans la plus grande confusion.

La cohue ne se calma qu’au bout d’un long moment. Désorganisés par le chaos, de petites charges de patrouilles montées eurent lieu sur les arrières des mutins, tuant quelques soldats et en forçant plusieurs centaines d’entre eux à se rendre. Quelques combats eurent lieu, plus sérieux, et on se tira dessus avec abondance de flèches et de balles de fronde. A la nuit tombée, l’armée dornienne décapitée et amputée d’une petite portion de ses forces se réorganisait dans la douleur, tandis que Lord Stackhouse fit mettre le camp dornien sous protection. Il imposa la désignation d’un nouveau commandant en chef.

Tard dans la soirée, Sarzir Santagar, ivre de rage contre ceux qui avaient assassiné son frère et l’aveuglement de ses pairs, rencontra les responsables indirects de tout ce désordre. Des centaines de mutins et de déserteurs les avaient suivis ; bien assez pour peser mais trop peu pour handicaper sérieusement l’armée loyaliste. Il fallait maintenant décider quoi faire de leur exil et de leur rebéllion, qu’ils l’aient voulue ou non. De nombreux hommes parmi les Santagar n’avaient fait que suivre le frère de leur chef par loyauté, sans se soucier de leur destin. Volontaires ou contraints, tous devraient bientôt assumer leur choix… Mahée Allyrion avait réussi sa mission. Elle n’avait pas emmené autant d’hommes avec elle qu’elle l’espérait, mais c’était mieux que ce à quoi on aurait pu la vouer. L’histoire de Dorne continuait d’être tâchée de sang, mais elle se trouvait désormais à un carrefour.

Le lendemain, Stackhouse accueillit en frère son nouvel homologue de Dorne, Lord Boisleau.

Ensemble, ils assistèrent à l’exécution par pendaison de plus de deux cent mutins rattrapés la veille. Les corps se tordirent de longs instants au bout de leurs cordes, passées sur les branches basses sur la route d’Havrenoir.

Stackhouse annonça alors aux deux armées rassemblées qu’il n’y avait plus de place pour la dissension ; que les conflits entre Dorne et Bief appartenaient au passé, que toujours les cousins du Sud pourraient compter sur leurs voisins pour les aider à protéger leur indépendance vis-à-vis de l’Empire. L’homme annonça payer, au nom du Roi Manfred Hightower, les arriérés de solde que devait la Principauté. Il assura aussi que le butin de la victoire sera également réparti, et continua d’énumérer tout ce qu’il pouvait faire pour améliorer le sort de ses alliés récalcitrants.

Et si cela ne suffisait pas, Lord Boisleau promit aux traîtres l’exil et la mort, pour eux et leur famille.

Il était clair pour tous les camps que Dorne était désormais en état de guerre contre l’Empire, sans déclaration et malgré les plaintes officielles de la Princesse Deria. Depuis plusieurs semaines, celle-ci faisait état de casus belli entre l’Empire et la Principauté, mais il était clair qu’elle préparait la guerre de son côté depuis plus longtemps que cela. Ce jeu de dupes avait permis au moins aux bélligérants d’abattre leurs cartes ; Dorne avait une raison vitale désormais de se battre contre l’Empire et celui-ci avait utilisé ses renseignements pour s'en prendre en premier à son adversaire.

La Principauté avait désormais des sympathisants déclarés aux Braenaryon dans ses rangs. Peu nombreux, mais la Princesse Deria craignait plus que tout le cancer de la sédition qui pouvait, si elle laissait le temps aux rebelles de s’organiser, remettre en question le redressement de Dorne toute entière.


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