Ta première bataille [Tour VIII - terminé]

23:03:48Gué Cabot 3e semaine du mois 10 de l'An 1

Ta première bataille

J’observais autour de moi le champ de bataille. Par les dieux… Ma première bataille… Je m’en souviendrais jusqu’à ma mort, qui arriverait sûrement trop tôt à mon goût. J’avais écopé d’une longue estafilade sur le bras droit, mais comparer à d’autres, rien de grave. J’avais encore dans les oreilles le bourdonnement de l’attaque, le fracas du fer, sentir mon épée s’enfoncer dans la chair et l’os. Je n’avais pas vu de regard ans les fentes des casques. Juste des gouffres obscures qui auraient pu m’avaler sans douceur. Je caressais doucement l’encolure de Danseur qui s’ébroua, il était couvert de sang, de boue et je ne voulais même pas savoir de quoi d’autres. J’attrapais une gourde d’eau pour boire longuement après avoir enlevé mon casque. Je bus un peu avant de nettoyer mes mains. Je ne savais pas comment je me sentais. Un mélange d’émotions, de sensations…

Je posais mon front contre l’encolure de mon cheval avec un lourd soupir. J’avais besoin de calme… Véritablement. Autant que je m’occupe de lui, il l’avait bien mérité. Je me mis à m’occuper de lui avec vigueur en essayant de calmer mon esprit sur tout ce qui c’était passé. Je ne savais pas quoi penser, comment je me sentais. Embrouillé sûrement. C’était tellement étrange, est-ce que je me sentais coupable d’avoir prit la vie de gens ? C’était la guerre… Je savais que c’était la première bataille d’une longue série. Étais-je prêt à y retourner ? Avais-je d’autres solution ? Nous luttions pour notre vie, pour notre royaume… Je soupirais en frottant vigoureusement les membres de Danseur pour le détendre. Il était encore très nerveux et tirait sur sa longe. Je soupirai un peu avant d’observer le camp. C’était calme après tout cela… Étrangement calme. Je tapotai l’encolure en essayant de l’apaiser un peu.

« C’est étrange cette situation… Hein Danseur… »

Il n’avait pas l’habitude d’autant de violence. Il s’ébroua à nouveau et je ne dis rien, observant un instant mes mains. J’avais ôté la vie… Je n’en tirais aucun plaisir, pas la moindre once de fierté, j’avais juste survécu et j’allais devoir recommencer. Je ne savais pas comment ordonner mes pensées, C’était compliqué, je m’appuyai contre mon cheval en inspirant profondément. Je ne me sentais pas malade, c'était déjà ça.

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Je grimace alors que je regarde autour de moi, à la recherche de mon écuyer pour me défaire de mon armure. Aucune trace du jeune Racin. Je sens une inquiétude certaine m’envahir avant que l’un de mes hommes ne me rassure en disant qu’il a juste eu besoin de s’éloigner un peu du camp, qu’il semblait juste un peu perdu.

Juste un peu … doux euphémisme pour parler du choc qui ne manque pas de suivre une première bataille. D’autant que celle-là a été particulièrement sanglante. J’ai un soupir alors que le soldat m’aide à me débarrasser des pièces d’armure qu’il dépose une à une au sol, aussi délicatement que possible. Elles sont maculées de sang, tout comme mon visage. Et si j’ai été sauvé à plus d’une reprise grâce à ses protections, j’ai manqué de me noyer. Sentiment fort peu agréable au demeurant.

J’agite mes bras et mes jambes pour me défaire de la sensation toujours étrange d’être enfermé dans une boite quand je porte mon armure et je finis par adresse un mince sourire à mes hommes. « Reposez-vous. Prenez quelques heures pour souffler. Pour enterrer les morts. Et pour boire à leur santé. Je vous rejoindrais autour du feu. Nous repartirons demain. » Il faudra que je m’occupe d’organiser notre départ et aussi ceux qui resteront ici pour surveiller les yeux. Sans risquer non plus de les laisser se faire massacrer. Mais il faut que je coupe un instant, sinon je n’aurais pas les idées au clair.

Je sors de ma tente et mon regard s’attarde un instant en direction de Shaera qui, comme toujours, a comme une espèce de zone de sécurité autour d’elle. Beaucoup ont peur de l’approcher, ce qui n’est pas mon cas. Et j’avoue qu’une part de moi est particulièrement tentée d’aller lui parler, sans bien savoir pourquoi. Mais je secoue la tête, chassant cette pensée alors que je cherche le jeune Racin des yeux. Pour le voir au loin, affairé avec son cheval. Sans trop réfléchir, j’attrape un seau et une brosse, avant de me rapprocher de lui d’un pas tranquille.

Et sans un mot, je remplis le seau, non sans une grimace en voyant que la rivière est encore rougie du sang versé, que le courant n’a pas encore réussi à tout emporter. Mais l’eau que j’arrive à tirer est encore suffisamment claire pour ne pas aggraver les choses. Je m’approche alors de lui alors qu’il est en train de fixer ses mains et je fronce légèrement les sourcils. Avant de commencer à brosser le cheval pour le débarrasser du sang. Au bout de longues minutes, je finis par souffler, à mi-voix. « La journée a été difficile, n’est-ce pas ? » Oui, j’ai le sens de l’euphémisme parfois.

Ta première bataille

Je ne savais plus quoi penser. La violence de l’attaque… tout cela. Je sentis mon cœur battre avec violence, tout cela… Je fermais les yeux en m’appuyant contre Danseur qui vient réclamer de l’attention. Je le laissai faire en regardant toujours mes mains. J’avais tué… Bien sûre, c’était eux ou nous, mais cela me perturbait quand même un peu. Je m’étais battu avant, mais c’était tellement différent maintenant, J’observais le bandage autour de mon bras droit sans rien dire pendant un instant alors que Danseur me poussait tout doucement du museau comme pour me chasser de mes réflexion et m’obliger à le nettoyer. Il fallait bien. Je sursautais en entendant du bruit derrière moi et pivotai avant de rougir jusqu’aux oreilles en voyant le roi. Je m’inclinais devant lui. Je l’avais perdu dans la bataille et après comme un idiot je n’étais même pas venu l’aider. Lui par contre… J’avais fonte de ne pas être venue l’aider. Je détournai les yeux avant de prendre une brosse et la tremper dans le sceau qu’il avait apporté. La couleur légèrement trouble me rappela les cadavres coulant au fond de la rivière. Je pris la brosse de la main gauche, heureusement que j’avais gaucher et pas droitier, mon bras me faisait mal.

Je me mis à frotter avec douceur Danseur pour le débarrasser de tout ce qu’il avait sur sa robe. Et comme d’habitude, encore plus même, il ne se tenait pas tranquille, s’agitant, secouant la tête, dansant sur place. Danseur, j’avais eu peur pour lui, mais visiblement il allait bien. Je caressai doucement son encolure en silence avant de lever les yeux vers le roi et de hocher la tête.

« Oui majesté… Et elle n’est pas finit. »

J’observai les blessés que je pouvais voir. Pour eux ce n’était pas finit. Le vent portait encore l’odeur du sang de la boue et des cadavres. Je m’accroupis pour regarder les membres de Danseur qui se laissa faire alors que je continuais de m’occuper de lui en douceur. Je relevai les yeux vers le roi, ainsi à genoux dans la boue :

« Je suis terriblement désolé de ne pas m’être présenté à vous dès que la bataille s’est finie, j’ai commis une faute pour un écuyer. »

En plus de le perdre pendant l’affrontement. Je parlais doucement, le fracas des armées encore dans ma tête. Je la secouais doucement avant de finir de vérifier si Danseur allait bien. Il s’ébroua avec violence et vient toucher mon épaule. Je nettoyai doucement son chanfrein à la brosse et l’eau avec douceur avant de reprendre sur son corps. Il recommençait à ressembler à quelque chose. Je levais les yeux vers le Roi.

« Vous n’êtes pas blessé majesté au moins ? Je suis plus que désolé de vous avoir perdu dans la bataille. Hey, Danseur, calme. »

L’hongre s’ébrouait et s’agitait à nouveau. Je viens lui prendre la tête par le licol pour le tenir alors qui s’agitait, je ne savais pas ce qu’il avait entendu, mais il n’aimait pas ça. Je passai ma main sur sa liste en observant sa robe alezane qui avait presque retrouvé son brun tendre. Je soupirais en essayant de l’apaiser.

« Pour lui aussi la journée est difficile. Chut… Chut Danseur… »

Je grimaçai quand il releva brutalement la tête tirant sur mon bras blessé. Il avait peur et était encore nerveux. Il fallait juste attendre un peu, il allait finir par se calmer.

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Je me souviens de mes premières batailles. Du premier jour à entendre le fracas des épées, à voir les morts s’écrouler autour de nous. Je me souviens aussi de la première fois où j’ai planté ma lame dans le corps d’un ennemi… qui est peut-être un proche de ceux qui combattent à mes côtés aujourd’hui. Je ne saurais dire si le destin est joueur ou cruel. Probablement les deux. Et je ne pourrais jamais oublier le goût métallique du sang qui n’a eu de cesse de me hanter les semaines, les mois qui ont suivi. Je sais aussi qu’il n’y a pas de mot assez fort pour retranscrire ce flot d’émotions contradictoires, cette peur qui s’entremêle avec l’adrénaline du combat. Ce sentiment d’avoir fait tout ce qu’on peut pour sauver les siens, pour les protéger, avant de se rappeler qu’on aura toujours le sang de quelqu’un sur les mains. D’un inconnu qui lui aussi était peut-être là pour ses proches.

Alors, je ne peux pas vraiment en tenir rigueur à Sacha de s’être éloigné. Je suis surtout soulagé qu’il aille bien. Et, alors que je cherche les mots impossible à trouver en de telles circonstances, je m’approche aussi doucement et calment que possible de mon jeune écuyer. Je ne saurais dire lequel de l’homme ou du cheval est le plus nerveux. Mais il faudra que les deux se calment, sans quoi un incident pourrait être malheureusement à déplorer. « Ces journées donnent l’impression de durer toute une vie. J’ai souvent eu cette sensation. Il restera encore à soigner les blessés, panser les plaies physiques et morales. Et ce soir, tout le monde boira pour se rappeler qu’il est en vie un jour de plus. » C’est quelque chose de précieux, surtout en ce moment.

Je flatte doucement l’encolure de Danseur alors que je laisse filer un silence à ses paroles. « Je vais bien. Et toi ? J’ai vu que tu avais du mal à bouger ton bras. Tu as été touché ? » J’attrape une deuxième brosse que j’avais apportée, m’occupant du cheval avec une habitude que trahissent mes gestes, avant de reprendre, d’une voix tranquille. « Ne t’excuse pas pour cela. Tu es resté bravement à ton poste, tout du long. Tu aurais pu fuir. Plus d’un l’a fait le jour de sa première bataille. J’aurais tout de même aimé te voir à la fin, mais plus pour me rassurer que pour me sortir de tout cet attirail. » J’ai un bref soupir alors que mon regard se perd à contempler l’eau trouble du seau. « On ne s’habitue jamais vraiment. Mais on apprend. A faire avec. A enterrer les morts. A célébrer les victoires, aussi petites soient-elles. Et à oublier que le sang sur nos mains ne s’effacera jamais totalement. »

J’observe Sacha et son cheval avant de jeter un coup d’oeil autour de moi et de continuer, toujours sur le même ton. « Il est nerveux parce que tu l’es Sacha. Tu sais qu’il n’y aura aucune… représailles parce que tu es venu ici au lieu d’être à mes côtés n’est-ce pas ? Je crois que nous avons tous les deux eu notre part pour la journée. » Et j’ai un sourire sans joie. « Danseur apprendra lui aussi. A être aux côtés d’un soldat. Mon propre cheval a tendance à se précipiter dans la mêlée sans même me laisser mon mot à dire parfois. Enfin, il a été élevé pour se tenir au milieu de la bataille. » Ce qui n’est peut-être pas forcément le cas de sa monture. Qui se tient tout de même admirablement bien malgré les circonstances. Tout comme son maître.

Ta première bataille

J’observais l’homme en face de moi sans rien dire, une journée qui dure une vie… C’était bien ce qu’il disait et que j’avais l’impression de vivre. Une journée sans fin… Je hochai la tête sans rien dire. Qu’est-ce que je pouvais rajouter avec mon expérience d’un gamin de douze ans ? Pas grand-chose, il devait connaître les sensations qu’on avait vécus aujourd’hui. Je préférais ne rien dire, simplement marquer que j’étais d’accord. C’était déjà ça, réussir à mettre des mots sur la sensation qu’on pouvait avoir à ce moment-là. Une journée qui durait une vie. C’était bien la sensation que j’avais, avoir pris une année en quelques heures… C’était fou… Mais cela devait être le propre de chaque guerrier d’une manière ou d’une autre. Je ne savais vraiment pas quoi dire de plus, alors je ne dis rien, continuant ma tâche. Je baissai les yeux sur mon bras droit alors que je tenais toujours la tête de Danseur.

« Le bras droit oui, majesté. Une estafilade seulement, rien de grave. »

Autant ne pas l’inquiéter pour si peu. Je continuais de caresser doucement Danseur qui était agité. Mon pauvre vieux… Il était plus que nerveux. Je le laissais, reprenant ma tâche de le brosser en le surveillant sans rien dire. Je relevais les yeux vers mon roi avant de sourire un peu.

« Je n’ai même pas pensé à m’enfuir, j’avais… Je… J’avais juste… Je sais pas… Juste je devais vous soutenir ? Je sais pas trop ? C’est un peu… prétentieux de ma part. Et à la fin de la bataille… c’était un peu… le chaos. »

Je me massais la nuque sans rien dire en continuant de brosser Danseur qui continuait de relever la tête et s’agiter au moindre son, au moindre hennissement. J’étais inquiet pour lui… Est-ce qu’il allait lui aussi s’en sortir ? Lucas m’avait raconté que certains chevaux devenaient fous avec les batailles. J’observais juste le roi et hochai la tête. J’imagine… que comme tous le reste j’allais oublier… Cette situation était normale pour un bon moment, alors… il fallait juste oublier…

« Je vois Majesté. »

Je baissai à nouveau les yeux sur ma tâche sans rien dire avant de relever la tête vers le roi. Je clignais des yeux à sa remarque. Bien sûr que je le savais ! Et pourtant je n’avais pas pu m’empêcher de me tendre en le voyant arriver, de croire… Je ne savais quoi, mais je m’étais tendu, est-ce que j’avais vraiment cru que ? Je me sentis rougir et je bégayai à toute vitesse.

« Je… je… Oui, je le sais n’y a pas de soucis avec cela ! Je le sais bien. C’est pas du tout un problème non ! »

Danseur s’ébroua comme une ponctuation, me trahit pas toi ! Je lui tapotais l’encolure sans rien dire d’autres. J’avais presque honte que je puisse avoir pensé ça… même sans le vouloir. Je me raclais la gorge sans rien dire. Je levais la tête vers mon cheval avec pitié. Je n’aimais pas le voir comme ça. Je levai le regard vers mon cheval avec une certaine douleur.

« Il n’est pas un cheval de guerre mon Danseur. C’était un cadeau de mon frère. Alors pour lui aussi c’est un grand jour. Mais je suis fier de lui, il ne s’est pas dérobé, et il ne m’a pas jeté au sol. »

Je glissai ma main le long du membre de Danseur qui le donna obligeamment et avec une petite grimace j’ôtais quelques lambeaux de chaire, ou des fragments d’os de sous son sabot. Déjà, s’il n’y avait plus cela, ça irait bien mieux. Je pris l’antérieur du côté du Roi.

« J’imagine qu’il lui faut aussi du temps pour se calmer. Et avec les batailles qui vont venir, j’imagine que cela ira mieux… Ou alors… Lucas, mon frère, m’a dit que certains chevaux deviennent fous… »

J’espérais que cela ne serais jamais le cas avec Danseur, je l’aimais mon cheval.

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Je me demande ce que pourra éprouver Sacha lorsqu’il repensera à cette journée. Est-ce qu’il sera horrifié ? Nostalgique ? Je sais, ça peut paraître étrange, mais certains le sont. Cette première bataille, celle où l’on découvre qui l’on est réellement. Beaucoup se targuent d’être courageux face à tout et tous mais, le jour venu, ils sont les premiers à faire demi-tour et à fuir pour sauver leur vie. Ce qui n’a pas été le cas de Sacha. Il a tenu bon, jusqu’au bout. Alors, forcément, difficile de lui tenir grief de ne pas s’être précipité pour m’aider à ôter mon armure une fois la pression retombée. Je dois plutôt être satisfait de savoir que mon écuyer est toujours là. En vie. Et prêt à y retourner, même s’il n’en a pas la moindre envie.

Mon regard s’attarde sur son bras blessé avant que je ne souffle, la mine songeuse. « Il faudra que tu ailles à la tente de soins Pour que l’on s’assure que ce n’est vraiment rien de grave et que tu ne risques pas l’infection. Je n’ai pas particulièrement envie de perdre un écuyer qui a su trouver le courage et la force d’être toujours sur ses jambes après une journée pareille. » La nervosité du cheval, probablement en reflet de celle du jeune homme, est presque palpable. Mais là encore, difficile d’en tenir rigueur à qui que ce soit. Alors, je rends son sourire à Sacha avant de souffler, un peu perdu dans mes pensées. « Lorsque ma première bataille s’est terminée, je crois que j’en avait oublié jusqu’à mon propre nom. J’ai été incapable de retrouver le chemin du campement avant plusieurs heures et il faisait nuit quand j’ai réussi à rentrer. Ils pensaient que j’étais mort. J’étais juste… perdu. Il y avait du sang sur mon épée et je ne me souvenais même pas si j’avais réussi à tuer quelqu’un ou pas. Je n’étais guère plus âgé que toi soit dit en passant. » Je me fais un brin plus sérieux avant de reprendre, fixant toujours le jeune garçon. « Bien sûr, si tu continues de m’oublier à chaque bataille, je vais finir par en prendre ombrage. Mais je gage que cela n’arrivera plus. » Je n’ai pas vraiment de doutes à ce sujet. « En quoi croyais-tu que c’était prétentieux de songer à me soutenir d’ailleurs ? »

Au reste, je le vois rougir et bégayer. Je ne sais pas vraiment si c’est parce que j’ai visé juste ou si c’est tout le contraire mais, au moins, les choses sont claires. Et je hoche la tête. « Nous sommes d’accord, ce n’est pas du tout un problème. » Surtout en comparaison des morts, des blessés et de cette sensation que chacune des batailles que nous allons vivre sera un peu plus douloureuse que la précédente. La route jusqu’à la disparition des Hoare sera longue, difficile et je me demande de plus en plus si je vais en voir le bout. « Danseur est un bon cheval. Déjà, comme tu le soulignes si bien, il ne s’est pas dérobé. Je ne suis pas un spécialiste en la matière, il faudrait que tu voies avec d’autres à quel point il serait possible de l’éduquer pour que, à défaut d’être un cheval de guerre, il ne risque pas de venir fou ou de te mettre à terre au début de la bataille. Je n’ai monté que des bêtes faites pour être au cœur de la mêlée et probablement encore plus têtes brûlées que moi. Difficile d’imaginer ce que ça a dû être pour lui pour être honnête. » Et je flatte de nouveau l’encolure de la monture avant de souffler, d’une voix plus douce. « Mais nous ferons en sorte que lui comme toi puissiez avancer de concert. Tu sembles vraiment y tenir. » Et puis, c’est une des dernières choses qui lui reste de sa famille, je peux comprendre un peu plus pourquoi il n’a pas envie qu’il arrive quoi que ce soit à Danseur.

Ta première bataille

J’avais encore l’impression d’entendre les cliquetis, les épées s’entrechoquant avec violences, les hennissements de terreur des chevaux, les cris et les hurlements, l’odeur du sang et la sensation de trancher la chair… Je crois que c’était le pire. Je ne me souvenais… de rien, j’avais juste l’ordre de rester près du roi et de le protéger graver dans mon esprit. C’était sans doute ce qui m’avait fait tenir. Le reste… c’était une tempête de sensations très étrange… Je n’étais même pas sûr de pouvoir affirmer quoi que ce soit. Tout ce que je savais c’était que j’avais frappé, que j’avais été un peu blessé et que j’étais restée sur la scelle de Danseur. Je fis une petite moue, peu convaincue d’avoir réellement besoin de soin, mais il était le roi, je n’allais pas chercher à me défiler. Ser Garlan m’avait dit la même chose. Je hochai la tête.

« J’irais un peu plus tard. D’autres ont bien plus besoin de soins que moi. Je n’ai pas à leur voler leur place. »

Ou les soins prioritaires qu’ils avaient besoin. J’avais déjà un bandage plus ou moins propre, je n’avais pas besoin de grand-chose d’autres. Je continuai de caresser Danseur pour faire redescendre la tension de ses muscles. Le pauvre… J’espérais qu’il finisse vite par se calmer. Peut-être que le mettre avec d’autres chevaux l’aiderait ? Je n’en savais rien… Je flattais doucement son encolure avant d’esquisser un sourire à la remarque du roi. Je tapotai l’encolure de mon cheval.

« Danseur a préféré rester avec ses compagnons équins. C’est grâce à lui que j’ai pu rentrer sans encombre. Et je crois que c’est un chevalier ou un soldat qui m’a parlé qui m’a fait souvenir de mon prénom. »

Je rougis à sa remarque et baissai les yeux avant de hocher la tête. Non : plus jamais je n’oublierais mon roi ! Le baptême du feu étant fait : je n’avais plus aucune excuse ! Et je ne le lâcherais plus du tout. Je me mangeais les joues un instant avant de soupirer.

« Ben… parce qu’il y a des chevaliers et des guerriers bien meilleurs que moi pour cette tâche ? »

Pas sûre qu’il ait réellement besoin d’un écuyer pour le défendre. Je préférais essayer de me détendre d’une manière ou d’une autre. Pourquoi au fond de moi j’avais toujours cette peur ? Cette inquiétude me pesait. Il fallait que je fasse plus attention pour réussir à m’en débarrasser d’une manière ou d’une autre. Je levai les yeux vers le roi pour l’écouter avec attention. Je hochais la tête en continuant de prendre soin de mon cheval. Oui j’allais devoir voir quelqu’un pour que Danseur aille bien. Je levai les yeux vers le roi et hochai la tête en reposant le dernier sabot de mon cheval par terre.

« Oui, j’y tiens beaucoup… C’est un cadeau de Lucas, avant qu’on ne quitte Herpivoie la dernière fois que j’en suis parti. »

Lucas c’était le seul être de ma famille, qui avait pris soin de moi, qui m’écoutait. Danseur s’ébroua et secoua la tête. Il semblait doucement retrouver un semblant de calme, c’était pas mal du tout.

« Je crois que je vais pouvoir le ramener avec les autres. Et m’occuper de votre armure Majesté. »

Il fallait que je joue mon rôle quand même.

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Parfois, je me demande si je serais capable d’une vie sans bataille. J’aimerais parler d’une existence paisible mais, au final, je finirais par devoir me lancer à pieds joints dans la vie politique qui m’attend forcément. Tout du moins, si nous finissons par l’emporter. Dans le cas contraire, la question ne se posera pas vraiment. Je réalise que je serais probablement bien incapable de porter cette couronne seul, ne l’ayant de toute façon pas portée à proprement parler jusque-là. Et que les choses vont finir par changer, se bousculer, encore plus vite que je ne l’aurais cru. Pour autant, je dois me concentrer sur le présent, sur tous ceux qui, comme Sacha, vivent une journée difficile. C’est mon cas aussi mais ce n’est ni la première, ni la dernière. Et je suis parfaitement conscient qu’elle me pèsera beaucoup moins que pour eux, quand bien même j’ai été quelque peu amoché dans l’histoire. Mais j’ai déjà vécu pire, bien pire.

J’ai un bref sourire quand il finit par hocher la tête. « Bien. Et sois assuré que je veillerais à ce que tu sois allé faire ce que je t’ai demandé. Mais oui, en effet, pour le moment, ils doivent être plus que débordés. » J’ai un bref froncement de sourcils, songeant aux hurlements que l’on a pu entendre jusque très récemment. La douleur et les blessures font certes partie de toute bataille. Pour autant, il n’est guère agréable d’entendre ces cris. Surtout accompagné de ce soulagement égoïste de ne pas être de ceux qui les poussent. Je lève tout de même un sourcil quand il continue, fixant le cheval puis le jeune homme avant de souffler, d’une voix douce. « C’est donc un excellent compagnon s’il t’a ramené à bon port. Et qu’est-ce qui a réussi à te faire oublier jusqu’à ton prénom ? Il y a eu quelque chose en particulier ou c’est… l’ensemble ? » Je désigne ce qui nous entoure d’un bref mouvement du bras. Il y en aurait assez pour toute une vie, nous le savons tous les deux. Mais parfois, il y a quelque chose qui pousse plus que le reste à avoir ce sentiment que tout s’effondre autour de nous.

Au reste de ses propos et à son soupir, j’ai un sourire amusé. « Il y a des chevaliers et des guerriers bien meilleurs que moi. Ce n’est pas pour autant que je ne me sens pas à ma place sur un champ de bataille. Si tu es mon écuyer, c’est que je t’estime à même de remplir toutes les missions qui s’y affèrent. Même si je sais que cette journée a été plus difficile pour toi que pour d’autres. » Mais ça passera, comme le reste. Je suis tout de même un peu inquiet quant à l’avenir de son cheval, sentant toute l’importance qu’il a pour lui. Et j’ai un bref hochement de tête à son attention. « Tu devrais alors aller voir les hommes en charge des chevaux. Leur expliquer ce que tu voudrais, pour savoir ce qu’il est possible de faire sans vous mettre tous les deux en danger. » Et je pose une nouvelle fois ma main sur le flanc du cheval, me faisant pensif. « Mon armure n’attend que toi. Tu es sûr que ça va aller ? » La réponse peut paraitre évidente, qu’elle soit sincère ou non. Pour autant, je sais que j’en lirais davantage dans ses yeux que ce qu’il pourra me dire.

Ta première bataille

J’eus un sourire amusé à sa remarque. J’imaginais presque qu’il me traînerait par le col si je n’y allais pas de moi-même. D’autres se seraient moqué de ce qu’il aurait pu arriver à leur écuyer. C’était toujours remplaçable… Et surtout quand on connaissait mon père. Il n’avait aucun compte à lui rendre ou quoi. Il restait mon frère Luca devenu seigneur, mais il n’oserait jamais lui faire une remarque. Je me demandais brusquement si l’un d’eux ne serait pas ici… Après tout Daenar et Oscar étaient eux aussi écuyers… Alors peut-être qu’ils étaient ici ? Je n’avais jamais pris la peine de retenir les noms de leur maître. Pour le peu qu’ils s’occupaient de moi… Je fronçais les sourcils en écoutant le roi e caressant doucement Danseur sans rien dire en essayant de rassembler mes souvenirs. Je finis par dire lentement :

« Le bruit. J’avais le bruit de la bataille dans la tête. J’étais un peu… sonné ? Je crois. »

Je n’avais pas meilleure explication. L’ensemble… Je regardais à nouveau autour de nous en continuant mes caresses à Danseur. On allait devoir s’habituer à ça tous les deux… Nous n’avions pas le choix. On allait vivre ce genre de situations assez souvent pour qu’elles deviennent normales… Habituelle. Est-ce qu’on pouvait vraiment s’y habituer ? Je ne savais pas. Je souris au roi et hochais la tête, touché par ses mots, sans rien dire de plus. À nouveau je hochais la tête en détachant la longe de mon cheval, il avait mérité aussi son repos Danseur.

« Oui, je crois que c’est le mieux pour lui. »

Est-ce que ça va aller ? Je ne savais pas. Il m’avait toujours demandé d’être honnête, alors je le serais. Je me frottais la joue.

« Je ne sais pas. Mais j’ai besoin de m’occuper les mains. Ça me remet les idées en place. Je vous rejoins au plus vite, majesté. »

Je souris au roi avant de tirer légèrement sur la longe de mon hongre qui me suivit aussitôt, d’un pas léger et souple. Il restait toujours gracieux, un vrai danseur… J’avançai dans le camp en regardant autour de moi. J’avais eu de la chance. Les autres chevaux, habitués à la guerre, étaient calmes. Danseur s’ébroua et je discutais des soucis avec Danseur avec les palefreniers. Visiblement il lui faudrait un peu de temps, mais rester avec d’autres chevaux, habitués, lui ferait du bien. Je le laissai après une dernière caresse et un pincement au fond du cœur. Je repris le chemin inverse pour me diriger vers la tente du roi avant de me figer brusquement. Daenar était en face de moi, immobile, il m’avait reconnu également. J’avalais ma salive avant de reprendre ma marche. Aucune idée avec qui il était venu, et je m’en moquais complètement. La gadoue collait à mes pieds, mais j’avançais, passant à côté de Daenar qui me suivit du regard, je refusais de lui rendre. Je me glissais dans la tente après m’être annoncé. J’étais furieux d’avoir croisé Daenar, mais je souris au roi avant de m’installer pour m’occuper de son armure, je levais les yeux vers lui après un moment de nettoyage sans rien oser dire avant de les baisser à nouveau sur ma tâche.

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Au moins, même si la bataille semble avoir pesé lourd sur son jeune esprit, Sacha semble avoir conservé toutes ses facultés de réflexion et s’il est blessé, il n’y a rien qui risque de lui porter préjudice sur le long terme. C’est le plus important, quand bien même je sais qu’il restera longtemps sonné par les évènements. Et cette journée restera gravée dans sa mémoire, comme ma première bataille le sera toujours dans mon esprit. De là à me demander à quoi ressemblera la dernière me concernant, il n’y a qu’un pas que j’hésite de moins en moins à franchir, surtout ces derniers jours. Probablement à cause des discussions que je peux avoir avec Shaera notamment et qui me font voir les choses sous un angle nouveau, inattendu.

J’attends en tout cas la réponse de Sacha avec attention, plissant les yeux quand il se décide à parler, comme pour mieux me concentrer. Si j’ai vécu bien des batailles, il est tout de même toujours difficile d’être aussi alerte que je le voudrais. Et j’entends complètement ce qu’il essaie de me dire, esquissant un sourire pensif alors que je regarde les alentours. « J’ai souvent le sentiment que le fracas de la bataille continue de résonner dans mon esprit bien après que les derniers coups aient été échangés. Je ne la revis pas vraiment mais il y a des sons que l’on n’oublie jamais. Ils en font partie. Le principal c’est que tu arrives à mettre des mots là-dessus. Le reste, le calme, viendra plus tard. » Ou il fera bien des nuits sans dormir durant les prochains jours. Les deux ne sont pas incompatibles évidemment. Et je hoche la tête quand il me confirme qu’il est d’accord avec moi pour Danseur.

Au reste, je lève un sourcil. « Au moins, c’est une réponse honnête. Et en effet, te concentrer sur une tâche sera une bonne idée. » J’incline brièvement la tête quand il s’éloigne avant de me diriger vers ma tente. Et j’attrape un parchemin avec un soupir, essayant tant bien que mal de mettre des mots sur cette journée avant que les principales sensations ou les détails ne finissent par m’échapper. J’avoue que j’aimerais de loin prendre un bain ou aller dormir, mais il semblerait que cette option ne soit pas au programme. Sacha finit par rentrer et j’ai un léger froncement de sourcils alors qu’il s’attèle en silence à sa tâche. Je le laisse faire, bien évidemment. Il a besoin de se concentrer sur quelque chose, de s’occuper les mains comme il a dit. Pour autant, je suis étonné qu’il ne souffle pas le moindre mot. Et, surtout, lorsque je finis par reporter mon attention pleine et entière sur le jeune homme, il semble vouloir s’attaquer à mon armure comme si c’était un nouvel ennemi à abattre. « Il y a un souci Sacha ? Autre que la journée que nous venons de passer s’entend. On dirait que tu veux polir à mort cette pauvre pièce d’armure qui n’a rien demandé. » J’ai du mal à voir ce qui a pu se passer en quelques instants mais, sait-on jamais.

Ta première bataille

Le roi comprenait bien mes dires. Je hochai la tête en l’écoutant, s’il était si sûr de lui je ne pouvais que le croire. Je ne savais pas jusqu’où je pourrais mettre des mots, mais en parler un peu, m’aidait déjà à y voir clair. Je préférais m’occuper de Danseur et le ramener au près des siens qu’il s’apaise tranquillement. Et bien sûr j’avais dû tomber sur Daenar. En dehors de Lucas, qui était son héritier, mon géniteur avait toujours préféré Daenar. Aucune idée pourquoi… Et avec Daenar c’était vraiment… La pire relation que je pouvais avoir après mon père avec ce petit cafteur. Lucas était aimant, Hoster aimable mais discret, sûrement le bras droit de Lucas il avait une intelligence vive, Daenar, qui était une teigne, et Oscar, qui rougissait pour tout dès qu’une dame lui souriait et qui jouait les gros bras. Ignorance cordiale avec ce dernier. Je m’assis presque avec soulagement devant le tas d’armure et entrepris de faire mon travail en silence.

Le visage de Daenar dansait devant mes yeux alors que je nettoyais, un peu trop brusquement sans doute, les pièces de l’armure. Je fronçais les sourcils, me concentrant sur le froid de l’armure et le fait de déloger la moindre tâche qui aurait pu la souiller. Et malgré moi… je m’acharnais sur cette pauvre armure pour la faire reluire de mille feux, la bouche pincée jusqu’à ce que la voix du roi me fasse lever la tête. Je cillais et regardais la pièce que je tenais visiblement depuis dix bonnes minutes sans que cela n’ait vraiment de sens. Je soupirais et la posais avant de faire craquer ma nuque.

« Quelque chose de stupide Majesté. J’ai croisé mon frère Daenar, celui qui a seize ans. Et qui était le préféré de mon géniteur, il lui ressemble aussi physiquement. Ça ne m’aide pas à l’apprécier. Et cela même si je ne l’ai pas vu depuis… sûrement avant même le départ des miens à Fort Darrion. Une rancune stupide. Ça passera quand j’aurais fini de polir votre armure. »

Je souris au roi pour le rassurer avant de prendre une autre pièce pour la polir à nouveau. Le feu de la bataille ne devait pas aider à ce que je me calme. J’attrapais le plastron pour le lustrer également, machinalement je passais mes doigts sur les marques de coups incrusté dans le métal avant de le lustrer, je levais les yeux à nouveau vers le roi.

« Souhaitez-vous que j’aille vous chercher une coupe de vin ? De l’eau ? Quoi que ce soit ? »

Il fallait bien que je veille à ses besoins. Je n’écoutais déjà pas les miens.

Codage par Libella sur Graphiorum

Je me rends compte qu’au lieu de rédiger un compte-rendu détaillé et précis de la bataille, je suis en train de griffonner. Mon esprit n’est pas aussi clair et vif que je le voudrais pour être parfaitement honnête mais, après une telle journée, difficile de faire mieux. J’ai même un sourire en voyant le plan grossier du champ de bataille que j’ai tenté de faire avant de secouer la tête en imaginant la tête des généraux s’ils en prenaient connaissance.

Et voir Sacha un rien nerveux, ou plutôt préoccupé, est une distraction presque salvatrice. Même si je me demande dans quelle état mon armure va finir s’il continue de s’acharner de la sorte. Je lève un sourcil à le voir agir de la sorte, avant qu’il ne se décide à parler. « Oh, je vois. » Et je laisse filer un silence, lui rendant son sourire par réflexe avant de souffler, d’un ton plus léger. « Il aurait été stupide de t’attaquer à lui ou de faire quelque chose dans le même genre. Au lieu de cela, tu as pris sur toi et tu as tenté de passer tes nerfs autrement. C’est louable, d’autant que je ne suis pas sûr de trouver grand-monde capable de réagir comme toi, homme fait ou non. Il a dit ou fait quelque chose ou c’est juste… son faciès qui ne te revient pas ? » Difficile pour lui de pouvoir faire une croix sur son passé quand il n’a de cesse de frapper à sa porte. Et visiblement, croiser un de ses proches ne lui manquait pas. Ce qui me conforte dans l’idée que j’ai bien fait de demander à ce qu’il soit mon écuyer, je l’ai probablement sorti d’un avenir bien noir le concernant.

Et je le laisse continuer à lustrer la pièce d’armure, soupirant longuement devant le parchemin qui continue de m’attendre sagement. Je tapote du bout des doigts sur la table, avant de grimacer en raturant une énième fois ce que je tente de faire. Quand Sacha reprend la parole, j’ai un bref hochement de tête. « Tu devrais nous ramener à manger et à boire pour tous les deux. Et on va voir si tu te souviens du terrain sur lequel nous avons combattu. J’essaie de … faire le point à ce propos, mais j’ai quelques blancs. » Je ne suis pas bien sur qu’il pourra vraiment m’aider mais, pour lui comme pour moi, ce sera une façon de se concentrer sur une chose où nous avons la main. Et, en ces temps troublés, c’est assez rare pour être signalé. Alors, j’attends qu’il file et revienne, laissant ces quelques instants à mon esprit pour faire un peu le point et tenter de combler les manques.

Il voyait… oui sans doute. Je haussai les épaules en regardant à nouveau les pièces d’armures. Je changeais et en repris une autre pour continuer de lustrer. Je préférais nettement m’occuper les mains comme ça que de frapper sur quelque chose. C’était pas du tout la bonne réaction, non c’était vraiment pas la peine. Je souris au roi sans rien dire. Stupide, à peine. Surtout que Daenar avait deux voir trois têtes de plus que moi et ressemblait plus à un bœuf qu’à un être humain. Oui j’étais purement méchant sans foi ni loi. Mouais, j’avouais. Je remuais le nez à sa remarque en réfléchissant un peu.

« Non, je ne lui ai pas laissé le temps de parler, on s’est retrouvé face à face et je suis passé rapidement. Mais je crois que seul son faciès m’agace. Et je ne vais pas rajouter de la violence, j’ai eu ma dose pour aujourd’hui. »

Et peut-être une vie. Mais je savais très bien que je n’avais pas le choix. C’était ma vie, c’était comme ça. Nous n’avions pas le choix de nous battre pour nous protéger. Et puis si en plus on se frappait mutuellement les uns les autres alors qu’on devait être alliés… Non, franchement c’était pas une bonne idée. Je continuai à briquer l’armure du roi avec soin et attention avant de lui poser la question s’il voulait boire ou manger quelque chose. Et en prime j’avais un exercice. Je souris au roi :

« Je crois que personne ne vous en tiendra rigueur si nous rassemblons les pièces du puzzle. Je cours, je vole vous quérir un repas ! »

Un peu d’humour ne ferait pas de mal à personne. Je m’élançai hors de la tente avant d’aller demander quelques vivres et du vin pour le roi. Et pour moi en passant. Viande, pain, fromage et des fruits sec. Sans oublier le vin. Je reviens rapidement vers la tente du roi et m’y glissai après avoir juste prévenu que c’était moi. J’avais l’impression d’être chargé comme une mule, mais ce n’était pas très grave, j’entrepris de disposer les mets pour qu’il puisse manger, je lui servis également une coupe de vin. Il faudrait que je passe à l’infirmerie pour mon bras… Quoi que au point où j’en étais cela pouvait attendre demain. Sauf si mon roi se le rappelait… Mais j’allais attendre un peu qu’il n’ait plus besoin de moi.

Sacha a un passif bien plus complexe et sombre que nombre de jeunes hommes de son âge que j’ai pu croiser. Mais, plus j’apprends à le connaître, plus je me dis qu’il est de taille à surmonter les épreuves qui se trouveront sur sa route, quand bien même je ne suis pas sûr d’avoir suffisamment de pièces d’armures pour l’aider. Et j’ai un bref regard dans sa direction avant que je ne décide d’en savoir un peu plus. Je lui rends un sourire pensif avant de reprendre, d’un ton léger, même si la discussion est des plus sérieuses. « Et si tu avais l’occasion de le frapper, tu le ferais ? Ou pire encore, si tu pouvais t’en débarrasser, nonobstant la violence dont nous avons eu notre compte aujourd’hui, tu passerais ton chemin sans rien faire ? »

Je note tout de même dans un coin de mon esprit de me renseigner à propos de son frère. Savoir quel seigneur il sert et quel est son comportement sera toujours utile, ne serait-ce que pour anticiper les difficultés qui ne manqueraient pas d’arriver à court terme. Je ne voudrais pas perdre mon écuyer parce qu’ils se seront entretués. J’ajoute tout de même, pensif. « Tu sais que… cela va recommencer. La violence. Les morts. Le sang. Que c’est ta première journée mais qu’ensuite, ce sera… habituel. » Si tant est qu’on s’habitue réellement à une chose pareille.

L’enthousiasme dont il fait part à ma proposition m’arrache un sourire plus franc et je hoche la tête à ses propos. « Voilà qui me convient parfaitement. Fais attention sur ta route. » Et j’attends sagement, alors que mon estomac gronde pour se rappeler à moi. La journée a été longue, difficile et elle est loin d’être terminée. Mais j’essaie de me concentrer sur les missions que j’ai encore à remplir alors que je n’ai qu’une envie en réalité, c’est de m’allonger et d’oublier tout ce qui s’est passé. Quand Sacha revient, j’ai tout de même un sourire à son attention, avant de désigner son bras. « Comment tu te sens ? » Tout en parlant, j’attrape ce qu’il a ramené pour manger et je désigne un morceau de parchemin vierge. « Alors, tu serais capable de dessiner le champ de bataille ? » Autant commencer quelque part non ? De mon côté, j’avais déjà fait des schémas et je n’ai plus que quelques détails à fignoler mais je me dis que de se focaliser sur ce genre de choses lui permettra d’oublier les horreurs de cette journée.

Je restais immobile et surpris de la question de mon maître un instant avant de secouer la tête :

« Non. Ça serait être comme mon père. Si je cède à ce genre de pulsion ou d'envie. Ça ne me ferait pas de bien, ça ne rachèterait pas ce que j'ai subis »

Dis-je avec une lenteur extrême. Je ne savais pas trop quoi dire de plus. Tout ce que je voulais c'était ne pas ressembler à mon père. C'était pour moi le plus important. Je froncai les sourcils davantage à la remarque de mon maître avant de secouer la tête :

« Non je ne l'oublie pas. »

La guerre venait de reprendre et ne se finirait pas avant un petit moment. Voir même je n'en verrais jamais la fin, seuls les dieux savaient. Je m'élançais trouver de quoi manger pour mon maître. J'irais plus tard me faire soigner. Je posais soigneusement le plateau à sa place. J'y baissai les yeux à nouveau quand le roi me demanda si j'allais bien, je lui souris tranquillement :

« Oui tout va bien majesté !»

Je posais le plateau près de lui avant de me pencher sur le parchemin vierge. Je me massai le front en rassemblant les souvenirs que j'avais du mieux que je pouvais. Redesciner le champ de bataille... Cela ne serait pas simple... Je me mordis les joues, perdu dans mes souvenirs avant de rendre la main pour prendre de quoi dessiner. C'était assez flous dans ma tête, mais je m'appliquai à rendre sur papier le peu que j'arrivais à me souvenir. J'avais des souvenirs de détails très précis. Une pierre en forme particulière, l'inclinaison du soleil. Parfois une bannière ! Je rendis compte de ce que j'avais avant de tourner le résultat vers le roi. J'avais à moitié dessiné à moitié écrit.

« Je n'ai pas beaucoup de souvenir. J'en ai avec des détails très précis. Mais j'ai du mal à avoir une vue d'ensemble... Je ne sais pas si cela pourra vraiment vous aider. »

Mais, l'encre n'avait pas bavé. J'étais gauché et parfois j'etalais avec ma main en écrivant, pas le cas cette fois heureusement.

Je me doute bien que ma question le prend au dépourvu. C’était un peu le but après tout. Et je ne suis pas entièrement sûr qu’il soit habitué à ce que l’on soit aussi franc avec lui. Je sais que sa relation avec son père et tout ce qu’il a pu subir va grandement impacter le reste de son existence. Mais je sais tout autant que c’est à lui de décider de la façon dont les choses se passeront. Il peut en faire une force ou une faiblesse, comme c’est le cas de bien des épreuves qu’il nous arrive de traverser.

Et, à sa réponse, j’ai un bref hochement de tête. Non pas particulièrement pour approuver ses dires, quand bien même je suis plutôt soulagé de l’entendre parler de la sorte, mais plutôt parce qu’il est sûr de lui. Il a choisi un chemin et semble vouloir s’y tenir. « La vengeance est pourtant l’apanage de bien des hommes Sacha. Et personne ne serait surpris si tu voulais te venger de ce que tu as vécu. Certains t’inciteront peut-être même à le faire s’ils l’apprennent et qu’ils peuvent en sus en tirer quelque chose. » J’ai un temps avant de reprendre, pensif. « L’envie de faire payer à certaines personnes ce qui a pu arriver aux miens m’anime aussi parfois. Ce n’est pas pour autant que cela fait de moi une mauvaise personne. Je crois. Il faut juste apprendre à faire avec. » Et ne pas se laisser dévorer par ce feu que rien ne semble pouvoir éteindre.

Je garde le silence au reste. C’était un rappel qui me semblait nécessaire. La guerre va occuper nos esprits longtemps, surtout que la campagne vient à peine de reprendre. Et je ne sais pas encore totalement comment le jeune garçon réagira par la suite, même si son attitude était prometteuse.

Et j’ai une ombre de sourire quand il m’assure que tout va bien. Ce n’est probablement pas le cas, mais c’était la meilleure réponse à avoir. Je commence à manger alors que je le vois concentré sur son ouvrage et j’avoue que c’est plus distrayant que je l’aurais cru. Il arrive, l’espace d’un instant, à me faire oublier tout ce qui me tracasse. J’attrape le parchemin qu’il finit par me tendre et je garde le silence longtemps, observant chacun des détails qu’il a retranscrit. « C’est intéressant de voir ce qui a marqué ta journée. » Et la façon dont il a de la mettre par écrit. « Il est important pour toi d’avoir un objectif en tête. Il ne sera pas pour demain ni même le jour d’après. Mais à terme, il te faudra apprendre à avoir une vue d’ensemble. Pour toi, pour ta survie, mais aussi pour celle des hommes que tu pourrais être amené à diriger un jour. » Il pourrait en être capable. Il a toute la volonté pour cela en tout cas.

Je finis par prendre une grande inspiration alors que je repose son parchemin parmi les autres. « La journée a été longue mon jeune ami. Et tu t’es rendu bien utile. Tu devrais aller à la tente de soins et prendre un peu de repos, tu l’as bien mérité. » Un sourire qui accentue mes propos. Il va me falloir travailler encore un peu mais j’avoue que j’ai pour ma part bien envie de m’effondrer sur ma couche. Tout le reste pourra bien attendre demain.

Sujet: Re: Ta première bataille [Tour VIII - terminé]