Il y avait eu échanges et palabres, mais aussi promesses de se revoir. La jeune Lady Swann était le genre de personne gracieuse, polie et loyale comme le palais n’en comptait sans aucun doute que trop peu. Elle était belle et avenante ; elle ne semblait pas repoussée ni par mon physique, ni ma réputation, ni mon nom de famille. Par rien. Nous avions passé un bon moment et je n’étais pas passé à côté de l’opportunité de l’inviter ce soir à dîner ; elle était ouverte à l’idée et j’avais donc sauté sans vergogne sur l’opportunité. Les occasions de dîners avec des jeunes femmes n’étaient pas franchement si régulières que cela, car je traînais toujours comme des casseroles les histoires qui courraient sur moi et mon premier mariage ; on pardonnait rarement aux veufs et aux veuves de le devenir trop jeunes. C’était parfaitement injuste, inique, mais on ne pouvait malheureusement pas toujours lutter contre les idées reçues comme quoi tout un chacun cache systématiquement les plus sombres desseins qui soit.


Compte tenu de ma situation personnelle et de la santé qui était la mienne, je ne pouvais pas dire en être le meilleur exemple, loin de là.


Je m’affairais donc auprès de mes serviteurs, ceux qui étaient venus avec moi de Villevieille, afin de tout préparer. Je ne savais pas vraiment ce que je souhaitais vraiment de ce repas partagé mais ce qui était certain c’était que je ne pouvais pas laisser libre cours aux démons qui, déjà, étaient en train de me posséder petit à petit. Je les tenais à l’écart. A la cour je ne pouvais pas laisser libre cours à ces choses qui me taraudaient sans arrêt à l’intérieur, alors j’essayais de me discipliner, de me montrer le plus sage possible. Il n’en restait pas moins que c’était un exerce difficile, et Mina Goldwyne était une femme qui était très belle en plus d’être intelligente et espiègle. J’aimais les partenaires de jeu qui n’aient pas l’esprit aussi vide que celui d’une écrevisse, encore que ces cibles-là avaient au moins pour elle l’avantage de ne pas faire beaucoup de remous autour d’elle quand venait l’heure du baisser de rideaux. J’avais donc fait aménager les balcons qui étaient déjà très beaux au naturel ; marbre strié de nuances bleues et vertes, table et mobilier de chêne sur lesquels napperons et effets rappelaient la maison Hightower. La vigne qui poussait autour des colonnes et sur l’arche qui abritait le balcon sentait bon ; les chandelles furent déposées et l’argenterie sortie. Ne restaient que quelques musiciens que j’avais payés pour jouer depuis le parc des jardins royaux ; trop loin pour les voir mais assez près pour qu’on les entende. Le genre d’événement qui détournerait les badauds des alentours, d’autant que quelques uns de mes hommes restaient aussi dans les environs juste au cas où. Il y avait des privilèges à être beau-frère de Roi.


Coiffé et rasé de prêt, j’arborais le plus beau tissu, sombre certes mais riche malgré tout, et fit la révérence lorsque vint la jeune femme blonde. Main sur le cœur, et l’autre bras passé dans le bas du dos.


| Lady Goldwyne… Il me plaît de déjà vous revoir. Vous êtes magnifique. |


Je la guidais jusque son siège, que je repoussais derrière elle.


| Une coupe de pétillant de Villevieille, pour commencer la soirée ? |

Mina avait été particulièrement surprise de cette rencontre fortuite dans les jardins dans la belle cité du Bief. Elle était en colère, elle s'était retrouvée profondément vexée par les paroles de ses amis et elle avait cogné sans ménagement l'homme, tout de noir vêtu, qui arpentait lui-même les lieux. Manfred Hightower avait une certaine réputation et surtout de nombreux racontars qui venaient à le suivre, comme une cape qu'il était difficile de retirer. Chaque personne évoluant dans la Cour de Hautjardin se voyait doter d'un certain nombre de murmures, certains étaient sans doute véridiques, ne disait-on pas d'ailleurs que toute chose avait une base de vérité ? Mais certaines personnes venaient à souffrir plus que d'autres des choses qu'on pouvait raconter. Il était évident que la jeune fille de la Treille avait entendu des histoires le concernant mais il devait savoir également des éléments à son propos, bien que Mina faisait en sorte d'être la plus discrète possible, se permettant à certaines occasions, de se montrer quelque peu plus piquante dans ses mots quand une situation venait à l'agacer, comme cela avait été le cas au cours de l'après-midi. En y réfléchissant bien, elle se rendait compte qu'elle avait été bien audacieuse dans les mots qu'elle avait prononcé, les pensées qui avaient pu traverser son esprit et enfin d'avoir fini par accepter une invitation à dîner. Aleyna n'était pas venue s'excuser des mots qu'elle avait prononcé à son égard, elle était restée là à l'observer quelque peu muette que la fille du petit Lord Goldwyne ait pu être cinglante avec elle.

Puis, au bout de longues minutes, elle était venue à lui demander qu'elle lui fasse la lecture le soir-même après le dîner. Mina avait un sourire quelque peu narquois aux lèvres, lui avait répondu avec une grande fierté, qu'elle avait un dîner un jeune homme et qu'elle prenait donc congé de sa personne jusqu'au lendemain matin. C'est bouche-bée, qu'elle l'avait quitté avant de se rendre dans sa chambre pour pouvoir se préparer. Mina avait des toilettes correctes, de belles étoffes qui avaient été délicatement brodées les unes aux autres avec goût, mais il n'était guère question de brocards d'or et d'argent sur chaque centimètre de tissu, de pierreries précieuses sur ses longues robes, mais la jeune fille pouvait au moins se prévaloir d'avoir une beauté naturelle qu'il fallait mettre en valeur pour une telle soirée. Une des autres jeunes filles de la cour était venue l'aider à la coiffer, en un chignon classique, d'où sortait quelques mèches, une rose planté au milieu de l'ouvrage. Mina avait rêvetu une robe d'un bleu azur, avec quelques broderies argentés au niveau du col, de la taille et des bras. Elle demanda l'avis à son amie, qui le lui donna bien qu'elle était mécontente de ne pouvoir connaître l'identité du galant qui l'avait invité. Mina aurait bien eu l'envie de lui promettre qu'elle lui raconterait tout une fois qu'elle serait de retour, mais tout compte fait, elle avait le désir de garder pour elle cette rencontre et ce dîner.

Quelque peu tremblante, elle se dirigea dans la direction des balcons et elle s'arrêta alors, quelques instants devant la beauté des lieux qui avaient été magnifiés pour l'occasion. Mina était touchée de ce qui avait été fait pour elle et elle s'inclina lentement devant lui, un large sourire aux lèvres, tout en observant le seigneur. « Je suis tout aussi ravie d'être à vos côtés ce soir … Ce que vous avez fait … C'est vraiment très agréable et je suis heureuse de pouvoir passer ce moment avec vous. » Elle se laissa guider jusqu'à son siège et s'installa alors à l'aide de Manfred, continuant à sourire légèrement. « J'accepterai volontiers une coupe. »

Tenue de Mina:

Mettre les bouchées doubles, toujours, pour le plus petit avantage. C’était comme ça que l’on s’en sortait, comme ça qu’on pouvait dire de progresser. Je devais continuer de développer mon réseau de contacts ; c’était une obligation sous peine de voir toutes mes ambitions péricliter et se retrouver à un niveau extrêmement négligé de l’échelle sociale. Hautjardin était ainsi faite ; il fallait constamment se porter vers l’avant pour que nos actions puissent donner quelque chose, n’importe quoi. Il fallait aussi savoir jouer des coudes ; c’était une obligation tout en sachant par avance comment essayer de manipuler tout ceci avec doigté, dans un numéro d’équilibriste qui n’avait pas grand-chose à envier aux plus grands ballets de la diplomatie du royaume. Quoiqu’il en soit, j’avais sauté sur l’occasion de retrouver Mina Goldwyne ce soir, de lui en mettre plein la vue. Il n’était jamais inutile d’affirmer sa puissance et sa force devant des représentants de maisons plus modestes ; cela servait toujours, en réalité. Car cela leur rappelait aussi bien leur position actuelle que cela permettait aussi de distinguer la teneur de leurs ambitions, et ce qu’ils étaient prêts à faire et à vivre pour connaître leur réalisation.


Dans tous les cas, j’allais jauger la jeune femme et essayer de discerner auprès de quelles autres grandes maisons sa famille peut être impliquée. Bien connaître les différentes alliances et savoir comment les réseauter était l’une des clefs de mon succès jusqu’à maintenant. Je m’apprétais donc, pas tant dans la posture du séducteur que du mentor, de l’initiateur. J’étais plus âgé, mais pas tant. Il était clair que j’en remontrais à la jeune femme que j’avais invité à dîner mais je ne voulais pas pousser cet avantage par trop de dorures et de faste, pour ne pas non plus aller jusqu’à l’intimider. Forcément quand elle arrive et qu’elle fait la révérence, je lui baise obligeamment la main tout en profitant de pouvoir la jauger par-dessous, ce qui me permet d’apprécier la richesse des étoffes et la féminité que souligne cette robe. Je me redresse, tout sourire, alors que la dame de Goldwyne me complimente sur ce que j’ai préparé.


| Ce n’était qu’à votre intention dame, croyez-moi. Votre beauté comme votre gentillesse ne méritaient pas moins que de se retrouver soulignées par le cadre de notre dîner de ce soir. |


Je l’invite à prendre place, donc, et d’apprécier la vue car d’ici nous pouvions regarder le parc sans être pour autant très visibles car le balcon végétalisé nous masquait à la vue de plusieurs directions. Je fais signe à un échanson qui vient nous tendre deux coupes de vin pétillant, mais viens d’abord me rasseoir face à elle.


| A vous, Mina, et à la jalousie de vos amies comme des miens. |


Elle car j’étais riche et puissant, à défaut d’être héroïque ou beau, et moi car bien des nobles m’envieraient cette beauté.


| Je n’ai point demandé d’autorisation à un frère ou un père pour vous avoir ce soir à mes côtés ; cela ne serait pas un souci ? Certaines familles sont très à cheval sur les repas avec leurs jeunes dames. |

Mina s'était préparée avec une grande attention pour cet instant hors du temps, presque un événement pour la dernière des filles de Lord Goldwyne. Sur l'instant, elle s'était même laissée aller à partager quelques murmures amusés avec quelques amies, sans pour autant prononcer une seule fois le nom du galant qui l'avait invité. Elles avaient tenté le jeu des devinettes mais la jeune fille avait eu le désir de jouer sa mystérieuse, pour se donner un peu de valeur. Cependant, quand il avait été l'heure pour elle de venir à rejoindre l'homme qui l'avait invité à dîner, elle s'était sentie quelque peu troubler par tout cela, ne sachant pas alors comment il faudrait se comporter. Mina n'était pas habituée à ce qu'on vienne la mettre sur le devant de la scène et qu'on l'invite à un dîner en tête à tête, dans un décor des plus appréciables et qui en plus avait été aménagé avec un très bon goût pour l'occasion. La jeune demoiselle avait du mal à ne pas rougir de toute l'attention qui lui avait été portée pour cette soirée dont l'invitation avait été soudaine et totalement inattendue, surtout qu'elle n'avait finalement que peu échanger avec Manfred Hightower. Elle avait fait attention à sa tenue, prenant la plus riche qu'elle possédait pour pouvoir se vêtir, tout autant qu'elle avait fait attention à sa coiffure, ou à la parure de quelques bijoux qu'une de ses amies lui avait prêtée pour cette rencontre sur l'un des balcons de Hautjardin qui offrait une vue magnifique sur les alentours.

Mina devait bien avouer que Manfred possédait un petit côté intimidant. Là où Kevan Gardener, le frère du roi, semblait être la lumière incarnée, avec cette petite fossette au menton, ce sourire séducteur qu'il décochait à la volée, ses cheveux attirant la lumière sur lui, il avait un côté rayonnant qui allait parfaitement avec Hautjardin et la beauté exigée et exigeante des lieux. A l'inverse, le frère de la reine, Manfred, était beaucoup plus sombre, toujours de noir vêtu, il semblait être parfois un oiseau de mauvais augure qui parcourait la flamboyante cour de Hautjardin. Il était un peu plus vieux qu'elle, et il était déjà veuf, elle était donc forcément un peu intimidée par sa personne et même si elle avait rapidement dis oui à son invitation, elle se questionnait sur le fait de savoir si elle ne s'était pas emballée trop vite. Pour autant, il était clairement hors de question de montrer quoi que ce soit et elle faisait en sorte de sourire doucement à l'homme, tout en le remerciant pour tout ce qu'il avait préparé pour elle « Pour autant, c'est votre bonté et votre gentillesse à mon égard qui est à louer ici. Je ne peux qu'avouer que toutes ses attentions me touchent profondément. » Elle leva doucement son verre dans sa direction avant de porter la coupe à ses lèvres et d'y tremper délicatement sa bouche pour en prendre une gorgée. « Je dois bien vous avouez qu'elles n'ont eu de cesse de me poser des questions, quand j'ai commencé à me préparer, sur l'identité de la personne qui avait pu m'inviter à dîner … Je n'ai rien dis, je voulais garder cela pour moi, et je pourrai presque dire que pour une fois je suis heureuse de savoir que je serai au cœur de leurs discussions. » Mina se mit à rire légèrement avant de poser la coupe et de plonger son regard dans celui de Manfred. « Non je ne pense pas que cela posera un quelconque soucis … Bien sûr, ils s'intéressent assez à moi pour espérer garder mon honneur sauf, mais j'ose croire qu'ils ont assez confiance en moi pour que cela ne devienne pas un problème. Et nous savons tous deux que l'existence est fait de relations, et de contacts, mon père ne pourra être que ravi que le frère de la reine puisse s'intéresser à la seconde de ses filles ... » Mina n'aimait pas les détours et elle préférait être franche avec lui.

Il n’avait pas fallu bien longtemps pour que je n’en vienne à sortir le grand jeu. Mina Goldwyne était une jeune perle et sa compagnie me permettait de rester vif et alerte, dans le coup, malgré la jeunesse de mon propre veuvage. J’aimais les potins, et j’appréciais aussi de pouvoir savoir quelle personnalité se cachait derrière tel ou tel joli minois de l’entourage royal. Goldwyne en était l’une des représentantes sans nul doute, mais elle m’intéressait malgré tout environ moitié moins que ce qu’elle était capable de dire et de révéler sur les autres, car son esprit acéré avait déjà fait le tour de nombreuses personnalités qu’il m’était bien plus compliqué d’approcher, de par ma nature et la leur. J’avais profité de cette occasion, comme de tant d’autres. Les raisons même de mon implication étaient sans nul doute plus diverses qu’il n’y paraissait. Passer un bon moment figurait en bonne position de mes propres intérêts et il était assez clair aussi que je n’allais pas me priver d’un peu de bon temps avec une femme comme l’était la jeune blondinette.


Pour le moment, il n’était toutefois pas question de tout ceci. Je restais discret au milieu de tout ce faste que j’avais orchestré en l’honneur de mon invitée et même si tout cela avait un coût j’avais largement de quoi faire entre mes propres affaires et la rente qui m’était allouée depuis ma prime jeunesse par mon père, qui n’était sans nul doute que trop heureux de voir son fils se tirer de ses pattes. J’avais en sus toujours droit à mes émoluments, rattachés à mes fonctions dans la flotte tant des Hightower que de celle du Roi. Dans tous les cas, je n’avais que des besoins onéreux et il avait fallu que je trouve rapidement de quoi vivre, me débrouiller à la cour n’avait pas été seulement un plaisir et une échappatoire mais l’émanation d’un réel besoin. Mon matériel de laboratoire, tout de verre, de cuivre et de produits aux prix aussi délicats que l’était leur disponibilité, je ne pouvais que mettre la main à la poche.


Quant à trouver une catin qui ne manquerait à personne pour mes expériences, ça n’était en général pas très compliqué. Mais il n’en restait pas moins que la faire totalement disparaître demandait les bons efforts et les bonnes complicités. Mon regard s’aiguisa quand la belle me confia que mes petites attentions l’avaient touchée. Ah oui, vraiment ? A quel point ? J’inclinais un rien la tête pour accepter ses compliments.


| J’en suis heureux, alors, car c’est votre beauté et votre gentillesse qui m’ont inspiré tout ceci. |


La coupe de vin pétillant n’est pas de trop pour faire une pause et lui permettre, à son tour, de se refaire une contenance. Je la voyais vraiment touchée. Sans doute pas émue, mais quand même. Je ne peux que sourire à la gorgée prise, quand la jeune Goldwyne nous explique qu’elle se gourmandait déjà d’être au centre de l’attention de tous quand elle pourra raconter cette soirée. Son joli regard capte bien vite le mien. Je comprenais aussi qu’elle n’était pas totalement dupe à l’étrangeté de la situation et à ce que l’on pourrait mettre derrière. Même si les démons s’entortillaient autour de ma poitrine et enserraient déjà mon cœur, je savais bien que je pouvais les garder sous contrôle.


| Je vois. Pensez donc à tous les cancans quand ces gens sauront avec qui vous avez passé la soirée. On vous pressera sans doute de questions pour savoir si l’étrange Manfred Hightower a été correct avec vous, s’il ne vous a point trop pressée d’obtenir ce qu’il voulait. |


On nous rapporte alors des plateaux d’amuse-bouches de produits des coteaux ou du fleuve, et j’en picore un premier avec élégance et retenue.


| Quant à mon intérêt, je vous le confirme. Bien que je sois sans doute trop vieux pour vous, et point assez beau. Il n’en reste que j’apprécie votre compagnie, et votre beauté. Votre esprit est neuf, et dans un palais comme celui-ci, c’est sans doute cela qui a le moins de prix. |

Mina aurait peut-être du se méfier des intentions que Manfred pouvait avoir à son égard. Il était bien trop rare que la jeune fille soit invitée à un dîner pour que cela soit réellement spontané. Elle ne remettait nullement en cause le fait qu'il puisse l'avoir fait, mais il fallait qu'elle soit honnête avec elle-même, elle doutait que ces quelques remarques sur les tendances sexuelles des jeunes dames de la Cour puisse avoir à ce point faire mouche pour pouvoir attirer l'attention du frère de la Reine. Sa beauté était une chose, sa dot elle en serait toute une autre, elle en avait bien peur … Mais elle ne pouvait pas se permettre de refuser. Tout d'abord, car elle n'avait pas la possibilité de le faire, son père commençait à lui écrire pour lui parler de mariage, de bons partis, que sa présence à Hautjardin était essentielle et qu'elle devait tout faire pour se montrer avenante, pour pouvoir donner provoquer assez d'intérêt pour imaginer une quelconque alliance. Il avait été assez claire pour lui faire comprendre qu'elle était déjà vieille et qu'elle aurait dû et pu déjà être mariée à l'heure qu'il était et aussi avoir pu enfanter. En gros, elle aurait pu jouer le rôle de la parfaite épouse, mais elle était encore présente ici, auprès d'Aleyna Tyrell. Pour autant, il aurait été bien mal vu par la bonne société si sa sœur aînée avait réussi à trouver un mari après sa sœur cadette, on aurait alors imaginé qu'il puisse y avoir un quelconque problème avec elle, et la maison Goldwyne n'avait pas besoin de cela. Elle ne voulait pas non plus refuser, car cela lui faisait tout simplement plaisir, et elle n'allait pas se priver d'une bonne soirée, parce qu'elle n'avait pas demandé l'autorisation officielle d'un père ou d'un frère, dans tous les cas, elle ne doute pas, vu sa relation avec son père que son manque d'intérêt serait mal venu, et que de risquer l'honneur de sa fille le serait tout autant. Au moins essayait-elle de représenter dignement la maison Goldwyne.

Mina lança un regard malicieux à son interlocuteur, prenant un peu plus confiance que quelques instants auparavant, elle n'était pas du genre à minauder bêtement, elle aimait la conversation et il semblait qu'il n'était pas réfractaire à la plaisanterie. Elle mordilla doucement sa lèvre inférieure avant de faire un léger sourire à son attention. « Je suis ravie que ma beauté et ma gentillesse vous ont inspiré autant de délicatesse et de charme pour créer cette ambiance délicieuse … Venez vous à prétendre que si j'avais été belle mais infecte, ou moche et adorable je n'aurais pas eu autant de succès. » Elle se mit à rire avant de porter la coupe à ses lèvres, elle n'avait en aucune façon envie de cacher sa véritable nature, elle venait à supposer que pour l'homme en face d'elle, il n'y aurait sans doute rien de plus agaçant que de jouer à être une autre. Elle hocha doucement la tête à ses paroles, reprenant un peu son calme et une plus gracieuse posture, même si son sourire ne la quittait pas. « Car c'est ce que vous comptez faire … Me presser pour obtenir ce que vous voulez ? Et que voudriez-vous ? Je ne suis pas femme à me coucher dans le foin et à retrousser mes jupons ... » Elle faisait référence à la petite confidence de l'après-midi. « Vous avez ma promesse que je ne dirais rien que nous n'aurons convenu ensemble, nous avons tous les deux des réputations à tenir … Ne manquez pas néanmoins de me raccompagner à la fin du dîner, au moins ainsi elles seront toutes certaines que je n'ai en rien inventé cette invitation. » Elle laissa le silence s'installer, prenant alors le temps de manger une des délicates préparations mises à leur disposition. « La beauté, l'âge … Je ne dis pas que cela ne compte pas … Même si nous savons tout aussi bien l'un que l'autre, que dans le monde dans lequel nous vivons, nos familles pensent alliances, avant de savoir si les futurs époux se plaisent ou non … Ce qui m'intéresse, c'est l'esprit. Sinon on s'ennuie ... »

Il est bon parfois de ne pas forcément se trouver dans le plus pur calcul politique, dans l’abomination de relations uniquement dictées par les relations de cause à effet et de pions à avancer. Le calcul n’était jamais loin, même maintenant. Mais la beauté de Mina comme sa naissance n’étaient que des données que je négligeais et que je mettais de côté, ne souhaitant pas mêler ambitions et plaisir, du moins pas encore. La situation était complexe quoiqu’il arrive et cela faisait du bien de s’accorder quelques moments de ce genre de récréation bienvenue. Ce n’était pas pour autant quelque chose que je puisse poursuivre à loisir, car Mina Goldwyne était en recherche d’un parti que je n’incarnerais jamais et me lier plus fortement à une femme de si basse extrasse ne serait sans aucun doute une mésalliance. Cela n’empêchait pas quelque amitié que ce soit de naître. De son sens à elle, ou du miens. Qu’importe aussi, au final. La cour est propice aux liens, qu’importe leur sens et leur force, il ne tenait qu’à nous de les faire fructifier de quelque façon que ce soit.


Je notais que la jeune femme gagnait en assurance à chaque instant qui passait, et il était assez clair qu’elle se sentait à l’aise. Je ne savais si c’était parce que je me montrais avenant ou si c’était le cadre enchanteur de la soirée qui nous allait à tous deux, mais l’échange était courtois, et initiateur d’une certaine proximité. Ses regards étaient équivoques à propos des bons sentiments et de l’amusement que tout ceci faisait naître chez elle. J’étais content de la tournure que prenaient les choses, quoiqu’il en soit. La belle blonde plaisante et boit le pétillant.


| C’est un fait madame… Quoiqu’il y a un intérêt à chaque situation, sans aucun doute. Regardez-moi. Je ne suis pas beau, mais je suis riche. Et je serais puissant, de par mon nom, si je ne gâche pas tout en jouant les imbéciles. Alors, aurais-je besoin de beaucoup d’artifices pour inspirer le beau et le délicat ? |


Non, sans aucun doute, car les vénalités de cour étaient toutes plus mal avisées les unes que les autres. On passait tout aux riches et aux puissants. Et j’étais bien placé pour dire qu’on les cachait de leurs immondices en égale mesure ; c’était aussi mon cas sur ce sujet. Que dirait-on s’il se savait publiquement que j’avais un goût immodéré pour des choses qui rebuteraient même le plus déluré des septons ? Il n’était de toute façon pas question de laisser qui que ce soit le découvrir. Je hochais la tête quand elle parlait d’esprit, après avoir poliment refusé -et avec habileté- tout risque de compromission.


| Vous pressez ? Non, dame. Et je serais bien en mal d’attendre quoi que ce soit de vous quand la réciproque ne saurait être vrai… |


Car un gouffre social nous séparait, quoiqu’en dise notre connivence de la soirée.


| Je vous raccompagnerais, si tel et votre souhait. Et plus encore, si vous y consentez. Mais il n’est pas tellement question ici d’alliances, ne pensez-vous pas ? Je suis veuf depuis trop de temps pour me remarier. Et une femme comme vous mérite plus qu’un noir corbeau, que l’union soit de bon gré ou de mauvais, ne pensez-vous pas ? |


On nous rapporte encore à manger, et d’autres vins pour accompagner poissons et légumineuses, précédant la traditionnelle venaison.


| Vos parents n’ont pas encore cherché à vous placer, Lady Mina ? N’importe quel homme de noble ascendance serait sans nul doute honoré de vous voir ainsi proposée. |

Sans doute que si elle venait à être trop bavarde, cela ne manquerait pas d'être désapprouvé par certaines personnes bien pensantes, qui exigeaient toujours la perfection, sans jamais penser à se regarder avant et devoir qu'ils pouvaient être eux-mêmes très loin de ce qu'on pouvait définir être la perfection. Mina gardait souvent ces petites piques acerbes et ces commentaires vrais mais pourtant audacieux pour elle. On n'attendait en aucun cas d'elle qu'elle puisse penser, qu'elle puisse exprimer ce qu'elle pensait, non on désirait simplement d'elle qu'elle fasse ce pourquoi elle était présente ici, rien de plus rien de moins. Mais en cette soirée qu'elle trouvait parfaitement agréable, même si elle pouvait accorder que cela avait quelque chose de surréaliste néanmoins. Mina avait la volonté de profiter de cette invitation et passer un bon moment tout simplement, en compagnie d'une personne qu'elle avait envie de découvrir. Elle savait pertinemment que cela ne se représenterait pas mais qui sait, peut-être qu'elle pourrait assez l'impressionner pour qu'il n'oublie pas son nom dès qu'il l'aurait raccompagné jusqu'à sa chambre. Juste rêver tout simplement pendant quelques heures, autour d'un bon repas, avec du vin pétillant et un homme galant à ses côtés qui ne vienne pas à s'offusquer de son impertinence ni de son humour. Elle écouta les mots de Manfred avec un sourire plein de malice aux lèvres et elle posa à nouveau sa coupe sur la table, récupérant quelque chose à grignoter avant de prendre le temps de lui répondre. « Jouer les imbéciles ? On dit beaucoup de choses sur vous, bien que j'aime me fier à mon propre jugement, et une des choses qui revient, c'est que vous êtes quelqu'un d'intelligent. Sur ce point, je suis certaine que les gens ont raison. Personne n'est infaillible, il advint toujours un moment où tout ne peut pas nous réussir, mais quoiqu'il en soit, je suis presque sûre que vous réussirez à trouver une parade pour pouvoir vous sortir des situations les plus délicates. » Elle baissa quelques instants les yeux. « Certes, l'argent et la renommée facilitent de nombreuses choses, surtout quand il s'agit de faire une cour à une jeune femme, et surtout au père de cette dernière. »

Il n'y avait pas de jeu de dupes ce soir, les cartes avaient été abattus sur la table et elle savait autant que lui, qu'elle ne pouvait rien espérer de plus. Ce n'était pas grave, elle n'avait jamais eu la vanité de viser si haut dans le panier aristocratique du Bief, et elle se conterait sans doute du second ou du troisième fils d'un noble seigneur du royaume. « Et plus encore si je le souhaite ? … Et qu'avez-vous donc à me proposer de plus que ce dîner extraordinaire ? » Elle le fixa quelques instants droit dans les yeux, avant de détourner le regard pour pouvoir remercier les serviteurs qui se pressaient autour de la table pour leur servir de nouveaux plats. « Est-ce véritablement votre veuvage qui vous empêche de vous remarier ? Généralement, après autant, vous êtes libres de pouvoir apprécier une nouvelle compagne à votre bras … Personne ne vous donnera tord, il serait bien mal venu de le faire. » Elle mangea un peu de ce que l'on avait apporté avant que tout cela ne refroidisse, cherchant par la même occasion à répondre le plus simplement du monde à la question. « Comme vous l'avez dit, il n'est pas ici question d'alliance … Mais le corbeau n'est pas toujours un oiseau de mauvaise augure ... » Elle reposa délicatement sa fourchette et elle noua ses doigts sur ses genoux. « Nous sommes en tout cinq enfants chez les Goldwyne, je suis leur quatrième enfant … Les aînés ont toujours plus importances que les cadets … J'ai également une sœur, plus âgée que moi, ce qui veut dire qu'il fallait la marier elle, avant de me trouver un parti pour moi … Mais je ne doute pas qu'à présent, les choses ne finissent par s'accélérer pour moi … »

Je réfléchissais à tous les tenants et les aboutissants de notre conversation. Loin de moi l’arrogance de prétendre qu’il serait possible de tout prévoir, tout comprendre et tout anticiper. Mais il y avait quand même de l’enjeu à ce repas. Déjà et surtout parce que Mina Swann n’était pas une cruche ; elle avait prouvé être intelligente. Innocente, peut être encore, au vu de son avis à propos des autres dames de la cour et de ce qu’elles pouvaient faire pour passer le temps ou vivre leurs amours… Mais cela mériterait sans aucun doute approfondissement. Pas moyen d’être sûr en avance, et certainement pas moyen non plus de le demander trop frontalement. C’était le genre de choses qui ne se demandait pas, sauf s’il était question de se marier. Et je ne connaissais pas plus que ça ma vis-à-vis ; nos naissances toutefois, suffiraient à écarter la question tant il était si peu probable que l’on en arrive à ces entremises. L’endroit reste beau, en tout cas, le vin est bon tout comme les mets que mes gens nous ont préparés. La femme est belle. C’est bien tout ce qui compte pour une vie simple et saine. Surtout la dernière partie…


J’écoutais avec plus d’attention, même avec l’air de celui qui n’y touche pas, quand la jolie blonde parlait de ma réputation. Intelligent ? Je l’espérais, le contraire serait décidément trop triste, quoiqu’utile. Heureux les imbéciles, car personne ne se méfiait jamais d’eux. Heureux les imbéciles… Le monde finirait par leur appartenir. La jeune beauté flattait ma capacité à me sortir des situations délicates, et je ne pouvais que porter un toast avec le nouveau vin que l’on nous servait pour accompagner le premier plat, car la jeune femme ne savait vraiment pas à quel point elle pouvait avoir raison…


| Espérons que je me montre capable de tenir toutes les situations à l’avenir, Lady Mina… | Ce qu’elle ne pouvait comprendre autrement que pour le bien de ma maison. | L’argent, ce serait surtout à votre famille de l’avancer et charge au mari pour la renommée. Mais qu’importe ; ce soir il n’est pas vraiment question de compter les pièces d’or, croyez-moi, je voulais simplement avoir une excuse renouvelée de pouvoir admirer votre beauté comme votre verbe, sans fard. Et j’avoue que piquer la jalousie de vos amies n’est pas pour me déplaire. |


Je commence à déguster les mets avec retenue et avec tact, ne me précipitant pas ; je n’avais rien d’un goret et jamais eu envie non plus de me baffrer, pour ressembler à mon grand-oncle ou à tous ces pourceaux de la cour qui n’avaient de cesse que de vouloir engloutir tout ce qui passait à leur portée comme pour prouver à tous qu’ils étaient aussi larges dedans que dehors. Je ne réponds pas à sa première question, savourant le repas comme le vin -et sa distraction- d’un air entendu que je ne comptais surtout pas briser par des pensées transverses mais mal avisées. Je laisse la jeune Mina dérouler le fil de ses pensées. Et finis par m’essuyer proprement et discrètement la bouche


| Corbeau malgré tout, douce Mina. Mais vous avez raison sur tout. Votre naissance, famille, fortune et ordre d’arrivée, font de vous un choix qui n’aura sans doute jamais la priorité de votre père, encore que cela dépend quel jeune godelureau fortuné vous pourriez intéressé avec votre beauté comme votre intelligence. |


Je fais signe aux serviteurs de ramener à nouveau du vin.


| J’ai déjà ce qu’il me faut pour mon propre bonheur… |


Dont une catin du marché ligotée dans un endroit connu de moi seul, sans doute en larmes et souillée depuis le temps que je la faisais attendre, mais dessert que je me réservais pour quand je le souhaiterais.


| Je suis plus attiré par l’intelligence ou je la trouve, Dame. Comme chez vous. Ce qui ne retire rien au charme de vos attraits… Cela reste quoiqu’il en soit un scandale que votre père ne vous ai point trouvé époux. Personne n’a donc votre crédit à la cour ? |

Mina avait toujours été une jeune fille simple, car elle était née dans une grande simplicité il fallait le dire, elle n'était pas homme à devoir choisir sa place, à être l'illustre guerrier de la maison ou l'homme qui viendrait un jour à s'attacher au service de la Foi et du Grand Septon. Elle n'était pas la première née des filles de la maison Goldwyne ce qui faisait qu'elle n'était pas la priorité pour une quelconque union qui viendrait à amener un peu de prestige à la maison. Même si elle pouvait se flatter d'être plus jolie que sa sœur et qu'il était certain que son père en avait assez conscience pour sauter sur l'occasion dès qu'il aurait trouvé un bon parti pour la demoiselle, il serait dommage de gâcher une chance avec un joli minois comme il le lui avait déjà dit. Mina était parfaitement consciente que ce qui posait problème était le caractère sous-jacent qu'elle avait et qu'elle tentait de masquer, ce qui était une certaine réussite pour le moment. Et si elle devait faire le point sur la vie qu'elle menait depuis des années à Hautjardin, c'était sans doute la première fois qu'elle venait à converser avec autant d'aplomb et de franchise avec quelqu'un ici. Il n'était pas possible de parler de confiance, mais elle pouvait aisément estimer qu'il y avait une certaine connivence entre le frère de la reine du Bief et la petite dame de la Treille, et cela s'était fait d'une façon si naturelle que Mina en était surprise, mais agréablement surprise et c'était sans doute pour cela que quand Manfred lui avait proposé un dîner en sa compagnie, elle n'avait pas pu refuser, se disant que la rencontre serait sans doute dès plus agréable. Et pour le moment, elle devait bien reconnaître qu'il l'avait gâté au cours de ce début de soirée, alors qu'en réalité, il n'y avait pas véritablement d'enjeu ni pour lui, ni pour elle. C'était peut-être pour cela, finalement, que le moment pouvait s'apprécier à sa juste valeur. « Je ne doute pas que vous saurez trouver parade … Et puis si échec, il y a, ne dit-on pas que cela est toujours une leçon à apprendre pour mieux savoir appréhender les choses si une même action venait à se reproduire … Moi par exemple, d'une certaine façon, on peut prendre en compte que ce dîner est un échec, puisqu'il ne mènera pas à une demande empressée de votre part à mon père pour lui demander de nous unir … Néanmoins, je sais à présent que je ne dois aucunement refusée de dîner en votre compagnie car cela est fort plaisant de converser avec vous. » La jeune femme se mit à rire doucement en le regardant, espérant sincèrement qu'elle ne l'avait pas vexé.

Pour autant, Mina devait s'avouer que de se retrouver ici, en la présence d'un homme qui se montrait galant et courtois à son égard, dans un lieu préparé pour elle avec une vue des plus magnifiques à observer, avec des vins et des mets de choix, elle se surprenait à rêver un instant de ce qu'aurait pu être sa vie si par un coup du sort, elle était venue à l'épouser. Bien évidemment, toute cette préparation, toute cette organisation était sans doute calculée d'une façon ou d'une autre, et chaque soirée ne pouvait être aussi douce que celle qu'elle était en train de vivre, mais si elle se devait d'affronter la réalité et d'en avoir pleinement conscience, il ne lui était nullement interdit de croire quelques instants que tout cela aurait pu être son futur. Sans doute que son époux serait bien moins fortuné, qu'ils auraient une petite demeure, une petite seigneurie à gérer, et qu'elle serait là à devoir juste s'occuper des nombreux marmots qu'elle viendrait à mettre au monde, nés des assauts d'un époux qui viendrait peut-être à se fatiguer d'elle pour une quelconque jeune femme, plus belle et moins bouffie par une succession de grossesse … Soudainement, le futur devenait beaucoup moins plaisant à imaginer, mais elle se gardait bien de le dire à haute voix, cela ne le concernant nullement. Mina l'observa attentivement, toujours un sourire amusée sur les lèvres. « Je ne peux que vous remercier pour les compliments que vous faites de ma personne, cela est vraiment appréciable … Pour ce qui est d'une quelconque inclinaison pour un homme de la cour … Il faut croire que je vise bien trop haut pour que cela puisse aboutir à quelque chose … » Elle cacha un faible sourire triste derrière la coupe de vin qu'elle porta à ses lèvres. « Je suis dans l'ombre d'Aleyna Tyrell et elle apprécie à avoir tous les regards tournés vers elle … Elle est plutôt mignonne, elle est riche et elle porte un nom, qui fait qu'elle m'éclipse forcément. Et je dois avouer que je suis bien moins encline à être approchée quand on me fait comprendre que je ne suis qu'un second choix … Dans tous les cas, je n'ai pas voix au chapitre donc cela ne changera rien … Mais parlons un peu de vous, à quoi occupez-vous vos journées ? »

Je commençais à m’aventurer en eaux bien troubles et il n’était pas question de lâcher ici et maintenant à mes démons ; ce serait littéralement inconcevable. Dans ces circonstances plus que jamais je me devais de tenir bon et de faire en sorte que la fin de soirée tourne à mon avantage d’une façon ou d’une autre. Je n’étais pas là totalement gratuitement même s’il fallait avouer que l’esprit de la jeune femme m’amusait et que les ragots qu’elle contribuait à colporter m’allaient bien également. Je devais progresser dans ma quête et dans ma voie sans jamais en dévier, autrement les choses pourraient devenir rapidement compliquées et problématiques. Je savais très bien comment j’étais quand je succombais à mes plus vils instincts et cela devait m’alerter. Vivre avec cette véritable épée de Damoclès au dessus de la tête n’était pas quelque chose que j’appréciais tout particulièrement mais je n’avais pas le choix que de m’y conformer. Si ce n’était pas le genre de fin en soi à envisager avec la jeune femme, il faudrait sans doute que je trouve un expédient… Ou plutôt que je prévois de faire monter celui qui m’attendait déjà.


J’encaissais ses mots avec un hochement de tête. Esprit vraiment affûté ; ce serait sans nul doute une erreur que de la considérer comme la dernière des blondes. Les beautés n’étaient pas souvent intelligentes. Cela n’avait sans doute rien à voir avec la nature mais les parents de ces beautés misaient tout sur leur physique avenant pour les faire marier, et en général c’était sensé suffire. Mais pas avec tout le monde. Mina Goldwyne était mal née, et être jolie n’était pas suffisant. Elle savait faire preuve d’esprit…


Je peux lui offrir un de mes rares sourires francs et honnêtes quand elle parle des conséquences de la soirée.


| Auriez-vous préféré avoir cette chance que vos charmes et votre esprit, si fin, si aiguisé, m’empresse de faire une demande en mariage à votre père ? Si on partait bien sûr du principe que lui aurait une dot conséquente pour ces épousailles, et que vous seriez déjà empressée d’avoir à porter la marmaille du corbeau de Villevieille ? |


Etait-elle aussi ambitieuse qu’elle le semblait, ou n’était-ce qu’une boutade ? Je ne savais pas encore, pour ne pas assez bien la connaître. Quoiqu’il en soit la rencontre était agréable et la discussion intéressante ; je me faisais un peu mieux à ce qu’elle me racontait et ce qu’on échangeait mais je savais aussi que je pouvais incliner la conversation vers les sujets qui m’intéressaient le plus, c’est-à-dire les plus croustillants. Notamment la raison qui faisait qu’elle était encore célibataire à son âge. La jeune femme ne se laisse pas démonter et fait encore une fois preuve du même désir d’ascension sociale qui pouvait être stimulé en effet par un repas en ma compagnie…


| Je vois oui. Le comportement des gens en matière de mariage est purement pécuniaire, j’en ai bien peur. Et je ne puis prétendre déroger à la règle. Cela ne retire toutefois rien à vous attraits, Lady Mina. |


je trinquais une nouvelle fois dans sa direction tandis qu’elle parlait de mes occupations de journée.


| J’étudie, essentiellement. J’essaie d’aider mon fief de naissance ici, dans la mesure de mes moyens… Et j’apprends constamment ; je suis un vrai rat de bibliothèque. Mais plus que mes journées, je puis vous montrer à quoi j’occupe mes nuits, si cela vous agrée. |


Je me penche vers Mina avec un air de conspirateur.


| Et vous montrer de quoi rabattre le caquet de Lady Aleyna une bonne fois pour toutes. |

Il n'y avait aucune issue à cette soirée, à part celle de se séparer d'un commun accord, avec la sensation agréable que ce moment était satisfaisant mais sans pour autant qu'il y ait un quelconque but à la fin. C'était sans doute le mieux qu'elle pouvait retirer de cette soirée, et pour autant, d'une certaine façon, il y avait en elle une certaine frustration à ce que cela ne mène à rien d'autre qu'un tendre souvenir qu'elle pourrait apprécier dans les semaines et les mois à venir. Après cette soirée, chacun viendrait à reprendre sa vie, lui frère de la reine, haut placé dans la société de Hautjardin et du Bief tout simplement, et quant à elle, elle ferait sensation quelques jours auprès de Aleyna et de ses amies, avant qu'elle ne retourne à sa discrète place, et qu'elle continue à paraître aussi fade que ce qu'on attendait d'elle. Cependant, il n'était nullement question qu'elle se plaigne à cet instant, le plus important était qu'elle profite du moment jusqu'au bout, elle aurait sans doute tout le temps qu'elle voudrait ensuite pour pouvoir faire le point sur le fait que ça soit une réussite ou un échec. Qui sait, peut-être que Manfred avait un ami ou une connaissance à qui il pourrait vanter les charmes et l'esprit de la jeune Goldwyne et que son père finirait enfin par être soulagé de pouvoir se débarrasser d'une autre de ses filles, même si le fait qu'elle soit à Hautjardin, faisait d'elle une charge moins lourde à porter que si elle était présente à la Treille.

Elle avait donc caché ce trouble de quelques instants en profitant des nombreux mets qui étaient présents sur la table, sans pour autant en abuser, elle ne devait pas se montrer trop gourmande dans tous les sens du terme. Et puis d'une certaine façon, elle avait tellement été gâtée ce soir, qu'elle n'allait pas non plus se priver des mets délicats qu'elle pouvait déguster sur l'instant. Manfred Hightower continuait à lui sourire et elle se prêta au jeu une nouvelle fois de sa franchise. « Je dirais que la noirceur et la lumière s'attirent … Nous aurions sans doute pu  former un duo intéressant … Quant à mon père, il n'aurait sans doute pas manqué de faire un malaise en vous voyant faire sa demande … Quant à porter des enfants, c'est mon rôle que je le joue avec vous ou avec un autre … Et puis avec quatre autres frères et sœur, il semblerait que nous soyons fertiles dans la famille. » Il fallait mettre les arguments en avant après tout, même si dans ce cas, cela n'allait pas servir à grand chose. Elle hocha la tête sans pour autant perdre son sourire. « Ne vous en faites pas, je ne vous en veux nullement pour ça, si déjà vous savez apprécier mon charme, cela me convient parfaitement. » Elle resta néanmoins interdite quand elle entendit parler de ses activités nocturnes sans pour autant vraiment mettre de véritables mots sur ce que cela pouvait désigner. Mina eut une étrange sensation à cet instant, elle était à la fois troubler par la proposition, comme-ci il y avait quelque chose d'étrange derrière et d'une certaine façon également, de dangereuse et d'interdit … Et en même temps sa curiosité la poussait à accepter. Mais à vrai dire, sur l'instant, elle ne savait plus quoi répondre. Elle détourna quelques instants le regard, avant de prendre une nouvelle gorgée de vin qu'elle reposa délicatement. Elle vint à se relever doucement à son tour et elle s'approcha à quelques centimètres du visage de Manfred, plongeant son regard dans le sien. « Vous avez toute mon attention … Je vous écoute, expliquez moi un peu en quoi cela consiste ? »

La jeune femme faisait l’expérience, comme des milliers d’autres avant elle, des limites de sa naissance et de notre système social. Elle ne se plaignait pas vraiment mais on la sentait touchée par l’affaire. Il fallait dire que se contenter des seconds choix en termes de partis était quelque chose qui devait s’avérer frustrant, surtout quand on faisait partie d’un cercle qui se connaissait et dont toutes les jeunes femmes finissaient rapidement par se marier à de grands et beaux chevaliers bien nés. Forcément, cela devait faire naître quelque jalousie dans le cœur même de la femme la plus gentille qui soit. Mina n’était peut être pas la femme la plus gentille du monde, de surcroît. Son ressentiment était évident. Elle ne semblait pas être le genre de personne à exploser à la moindre anicroche mais il paraissait aussi clair que la jeune femme était plutôt à s’inquiéter et à ronger son frein qu’à faire un scandale.


Forcément, une partie de moi se demandait quoi faire de cette frustration.


Je comprenais en tout cas le souci d’être une jeune femme par les temps qui couraient, cela ne devait rien avoir d’évident, loin de là. La jeune femme continuait de manger avec délicatesse et moi aussi. Il y aurait sans doute beaucoup de restes à ce bon repas mais qu’importe, au fond. Il était toujours de commune mesure de faire distribuer les restes des grands repas aux pauvres de la ville, à la sortie des septuaires. De quoi provoquer un enthousiasme des indigents pour la glorieuse maison Hightower… Mais j’étais contre le gaspillage des ressources, de toute façon, donc je l’aurais forcément redonné d’une façon ou d’une autre. La moindre petite parcelle de pouvoir et d’ascendant sur les autres était toujours quelque chose de louable. Mina Goldwyne me dit alors qu’elle était intéressée par un duo, tout en plaisantant au sujet de son père, mais c’était trop tard pour le reste. Mes démons, eux, se réveillaient, et il était trop tard maintenant pour commencer à faire semblant. Mon regard se fait plus acéré, et mon sourire dévoile désormais toutes mes dents.


| Vous commencez sérieusement à aiguiser ma curiosité et mon intérêt, Mina. |


Forcément, mon regard se promène sur elle, plus intéressé, plus franchement que les fois précédentes. Devais-je lire une invitation dans tous ses beaux discours ? Je commençais à fantasmer de la rondeur de sa poitrine, de la courbe de son ventre, de son si joli visage.


Oui, il y avait de quoi s’amuser. De quoi calmer les démons avant qu’ils ne s’agitent trop. Le stupre pour elle, la mort pour l’autre. Il ne fallait pas que j’en vienne à confondre les deux dans l’ivresse de l’instant, que je puisse provoquer un drame de ce genre était en réalité tout à fait exclu. La belle prend son temps pour répondre, et se rapproche, air de comploteuse, de connivence, qui m’excite au plus haut point.


Je me relève. Contourne la table. Passe derrirèe elle pour poser un châle sur ses épaules, aux couleurs de ma maison.


| Je puis partager avec vous, ma chère, plus que ce que j’ai partagé avec ces rivales. Je puis vous faire connaître l’amour et la fièvre d’un soir, l’étreinte et la jouissance de l’absolu. Sans pour autant, si vous l’avez encore, cueillir votre fleur. |


Je souffle sur sa nuque.


| Je vous désire, Mina. |

La soirée prenait une tournure que la jeune femme n'était pas certaine de maîtriser pleinement l'instant, même pas du tout. L'homme n'était sans doute pas à son premier repas en tête à tête, il n'était sans doute pas à sa première expérience dans le domaine de la conversation douce et agréable, à la fois pertinente et charmeuse, pleine de vérité et pour autant de sous-entendus qui laissaient planer un certain doute sur les intentions de l'homme. Il avait clairement plus d'expérience, là où la jeune demoiselle de la Treille se gardait bien souvent d'ouvrir la bouche pour ne pas être désagréable, ou ne pas être désagréablement sotte comme on se plaisait à dire parfois, n'ayant pas toutes les marques de la haute noblesse, tous leurs codes ni tous les mots qu'il fallait dire en chaque situation. Elle apprenait, et ce soir encore c'est ce qu'elle était en train de faire, mais la question qui commençait à s'imposer à son esprit était de savoir jusqu'où son apprentissage allait se faire au cours de cette soirée. Elle pouvait sentir au creux de son ventre une certaine appréhension en train de naître, même si c'était différents sentiments qui se bousculaient petit à petit, force était sans doute de constater que le vin avait également fait son œuvre, même si elle le consommait avec une certaine modération. Peut-être que tout cela était trop pour elle, le jeu était forcément dangereux mais la dangerosité provoquait également une certaine excitation pour la jeune femme. Et ça elle ne pouvait que reconnaître que c'était agréable.

Je sentais d’un coup la rage de ma bête grandir en moi, enfler, brûler. Elle incendiait tout sur son passage, jusqu’aux entrailles qui me pesaient maintenant plus le moins du monde. Je profitais, sans plus, parce que je ne savais pas encore si la jeune femme irait au bout des choses. Je venais en tout cas de lui faire une proposition terrible, qui sentait le stupre et la perversion, tout le contraire de ce qu’on apprenait aux jeunes hommes qui devaient charmer leur future épouse, sans parler des méthodes que l’on enseignait aux donzelles pour être avenantes en toutes choses et en toutes situations. Je venais de renverser la table de tous nos beaux principes de vie, de tout ce qui avait fait ce « nous » social au sein du Bief. Je ne pouvais pas dire que je sois l’homme le plus prude et respectueux, mais ça me choquait presque d’avoir eu le cran de proposer ces choses de but en blanc, sans y réfléchir plus avant.


C’était le genre d’opportunité que l’on saisissait sans vergogne, sinon la chance passait vite. Mina Goldwyne n’était qu’une fille de maison secondaire, et elle avait un avenir limité. Cela rendait son pucelage et sa vertu plus importants que tout le reste ; sans certains gages de pureté elle risquait de louper les quelques occasions de trouver un époux convenable.


Souiller ce genre de personne faisait gronder la bête qui enroulait ses bras autour de mon cœur, l’enserrant jusqu’à me coller une migraine qui ne pouvait tourner que d’une seule façon.


J’allais en profiter autant que possible. Je clignais des yeux de contentement quand la jeune femme parlait de cette soirée agréable et de son aspect étonnant. Tu m’étonnes, jolie jeune fille… Ce soir, tu nourriras le démon. Avant qu’il n’ai son sacrifice finalement en dessert, cette fille qui croupissait bien à l’abris des regards indiscrets…


Mais la belle se laisse conquérir, happer par le jeu et le désir qu’elle avait elle-même largement instillés au cours des dernières heures. Plus encore, elle passe une main dans mon cou et scelle son accord d’un baiser, encore bien sage, mais qui parole de Manfred Hightower, ne manquerait pas de se débrider. J’incline ensuite la tête d’un regard entendu, et embrasse le revers de sa main bien galamment.


| Vos désirs sont des ordres, ma dame… |


Je l’emmène bras-dessus bras-dessous vers mes appartements, faisant signe à mes gens d’achever de tout débarrasser et de tout remporter dans l’aile qui est allouée à la Maison de la Reine. Rires, regards de connivence et plaisanteries pleines de sous entendus jusqu’à pousser l’huis de mes appartements ; grand bureau au fond, face aux grandes fenêtres et au balcon, grand lit à baldaquin… Et nombreux objets de ma maison. Là, je regarde intensément la jeune Mina.


| Puis-je ? |

Était-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Mina ne le savait pas encore. Soudainement, elle eut peur de tout ce que cela pouvait dire pour elle, pour sa réputation, et pour sa famille également. Était-elle en train de perdre la raison ? Sans doute qu'une partie d'elle-même continuait à tenter de la remettre sur le droit chemin, celui de la vertu, celui où personne ne pourrait jamais avoir à l'attaquer. Elle n'avait ni un nom important, ni la richesse pour pouvoir prétendre à passer outre cette folie et pouvoir ensuite faire comme si de rien n'était jusqu'au jour de ses noces. Mais ce n'était pas le cas, en s'offrant à lui ce soir, elle risquait de tout remettre en cause, et de voir disparaître le peu de chance qu'elle pouvait avoir de réussir un mariage honnête, avec un gentilhomme, qui aurait assez de fortune pour pouvoir les faire vivre convenablement, à l'abris la plus part du temps du besoin, sauf peut-être quand les récoltes viendraient à être moins bonne … Pour autant, on ne cessait pour certaines choses de garder une innocente naïveté sur les plaisirs que la vie pouvait bien lui offrir. Elle était sans doute bien trop sérieuse pour les gens de la cour, même si elle savait être pertinente et qu'elle pouvait avoir l'esprit vif. Elle ne voulait pas qu'on puisse lui reprocher la moindre erreur, le moindre faux pas, ou plutôt elle ne voulait pas que son père puisse penser le contraire. Mais le jeu, ce soir emportait tout le reste, ils l'avaient initié ensemble et n'avaient eu de cesse ensuite de raviver chacun de son côté la flamme du désir, qui s'était insinué au cours de ce dîner et elle y avait participé de façon active, sans un moment choisir de s'arrêter. Elle n'était pas assez naïve pour ne pas savoir que cela pourrait faire de l'effet, mais pour autant elle ne pensait pas qu'elle l'intéresserait à ce point et qu'il voudrait aller plus loin avec elle.