La troisième campagne de l’Orage venait de commencer. Bief et Impériaux faisaient bouger leurs pièces avec minutie mais vigueur ; les deux camps avaient compris que c’était en créant des décalages qu’ils arriveraient à en finir avec l’ennemi. Les hommes du Roi Manfred avaient vu rapidement leurs peurs se confirmer ; l’Empire avait redéployé ses troupes vers l’Orage et le dragon survolait les avant-gardes. Cela modifia instantanément les plans du Bief, car la bataille rangée devenait dangereuse avec un terrifiant cracheur de feu comme l’était Meraxès. Alors que les deux camps étaient en phase d’approche et que les unités de cavalerie commençaient à identifier les axes d’approche des armées de l’ennemi, l’Impératrice survola Lestival. La chose commençait à peser sur le commandant local, Lord Tarly. Le vieux seigneur avait conscience de la possibilité de faire face seul à la fine fleur de l’armée impériale, dont la Garde Demalion, les cohortes Braenaryon et les unités expérimentées des Royaumes Fédérées. En sus du dragon qui, seul, posait déjà quantité de problèmes.
Le général Tarly pressentait aussi que l’avancée impériale sur lui était trop franche, trop directe. Il avait étudié les récits et rapports faits sur la campagne impériale dans le Conflans. Craignant d’être débordé, il prit alors la décision de suivre à la lettre le plan de secours du Roi Manfred.
Son armée quitta Lestival, non sans d’abord passer à la torche la totalité de ses bâtiments et abattre portes et poternes, incendier tours et corps de garde. La population, elle, fut abandonnée à son sort. On ne recensa pas d’actes de violence à son encontre ; la localité était déjà occupée depuis des mois et il n’y avait plus rien à piller. Toutefois, laisser la population sur place, sans vivres ni richesses et sans abri n’était pas moins cruel que si les gens de la ville avaient été occis, car réduits à la misère les gens n’avaient plus de chez eux, plus rien pour vivre. Ils partirent vers l’est, vers Accalmie.
L’armée elle, se replia en bon ordre de la ville. Allégée par le fait que l’endroit avait déjà été pillé en règle et qu’elle n’avait plus que des vivres à transbahuter, elle prit la direction du nord-ouest, vers le Bief. La ville brûla deux jours durant. L’Impératrice était furieuse que l’ennemi se débina, mais l’armée impériale était encore loin ; elle ne pouvait recoller à l’arrière-garde bieffoise.
C’est à ce moment-là que la Grande Chasse commença.
Dès la seconde nuit, les soldats du Bief entendirent des hurlements vers l’arrière. Une colline boisée laissait échapper des hurlements, là où devaient camper une troupe de lanciers de Corcolline. Les hurlements montèrent crescendo, couverts par moments de rugissements terribles, à vous en faire vibrer le diaphragme. Le vacarme dura, et Ser Fels dû menacer ses hommes pour pousser vers le campement. Quand il arriva enfin, tout bruit avait cessé. Pas de feu. Pas de lumière en dehors de celle de la lune, dont les rayons se reflétaient sur les armures des corps déchiquetés qui jonchaient la clairière. La troupe poussa d’unisson un cri de panique quand un coup de vent violent leur cingla le visage. L’Ombre noire, grande comme un moulin, venait de reprendre son envol. Désormais, chaque sentinelle sursautait au moindre bruissement.
Le lendemain, tout un piquet de gardes disparu à l’est du campement, sans que l’on sache si les soldats avaient déserté ou avaient été emmenés…
Le surlendemain, une trentaine de chevaux en flammes mit le plus grand désordre dans le camp des croisés de l’armée. La peur se répandait, et Lord Tarly savait qu’une course pour la mort venait de s’engager. Il devait jouer son rôle, et son armée avec lui. Mais il renforça les cadences ; il fallait vite se tirer de ce guêpier.
Et l'armée impériale, elle, ne trouverait ni abri ni ressources à Lestival, ce qui lui ferait gagner du temps.