On les attendait partout sauf ici. De tous temps, nous, gardiens du savoir de la Citadelle, avons pu observer la culture de la rapine et du vol chez le peuple appelé fer-né. Les natifs de ces Îles froides et désolées subsistent grâce à leur politique de pillage systématique de qui n'est pas assez fort pour se protéger de leurs déprédations. Souvent, leurs hardis capitaines ont su faire preuve d'audace et de fougue, mais jamais encore de témérité suffisante pour tenter de naviguer en haute mer sur de très longues distances. C'est ce qui a été accompli en ce milieu d'année, par une large flotte. Fait encore plus exceptionnel, fruit d'une chance et d'une témérité sans borne, les boutres fer-nés ont su passer bien au sud de La Treille sans être découverts par les navires commerciaux qui croisent par dizaines un peu plus au nord, dans le chenal Redwyne.
Il ne fait aucun doute que ce n'était pas une manoeuvre réalisée dans le seul appât du gain, bien qu'il joue un rôle moteur dans cette stratégie. Jamais les fer-nés n'étaient venus piller en si grand nombre, et encore moins de façon aussi sélective. Les cibles de la Flotte de Fer sont nombreuses, mais précises. Tout navire battant pavillon des Royaumes du Nord, de Peyredragon, des Terres de l'Orage ou de Dorne sont pris en chasse et le plus souvent, rattrapés et coulés. Leurs cargaisons viennent bien sûr emplir les cales des corsaires; ce que perdent ces différents royaumes en termes commerciaux remplit les caisses d'Harrenhal d'autant. La situation est bien sûr aggravée par l'absence apparente de navires de guerre dorniens tandis qu'Hautjardin a d'autres soucis à régler que des pirates hors de ses eaux, sachant que les galères de La Treille et de Villevieille ont déjà vaincu une armée pirate voici quelques semaines.
Les fer-nés écument donc pour le moment impunément les mers du sud. Leurs cales s'emplissent d'ambre et de minerais du Nord, de vins et d'épices de Dorne, de bois et d'outils de l'Orage, de chanvre et de matériaux de construction de Peyredragon. Plus encore, c'est d'espèces sonnantes et trébuchantes qu'ont soif les pillards, qui n'hésitent pas à couler les prises trop maigres, tout en offrant des dizaines de prisonniers au Dieu Noyé. Pour les plus chanceux. Les femmes et certains marins, eux, sont soumis à un tout autre destin, tout aussi funeste.
De très nombreux navires marchands ont déjà fait les frais de ces déprédations. Les conséquences directes d'un tel blocus naval sont nombreuses. Premièrement, cela peut créer des tensions entre les royaumes ennemis d'Harrenhal et ceux qui lui sont alliés ou neutres; car l'Ouest et le Bief par exemple, ne sont pas ciblés et retirent donc encore tous les fruits du commerce, ce qui n'est pas le cas de leurs partenaires dorniens. Deuxièmement, les caisses d'Harrenhal, vidées par le maintien et l'approvisionnement de dizaines de milliers de soldats, se remplissent à nouveau. Enfin, ce qui renforce Harren le Noir affaiblit en sus ses ennemis, creusant l'écart de puissance.
Dorne et Peyredragon sont durement touchés par ce blocus, et voient leurs recettes déjà lourdement sous pression du fait de la guerre, encore plus mises à mal. Le clou est enfoncé pour l'Orage, qui perd ses revenus extérieurs en plus de perdre une bonne partie de ses revenus internes du fait de l'invasion en cours du pays. Le Nord fait aussi les frais de la manoeuvre, mais n'avait encore que peu d'intérêts dans la région, hésitant à se déployer plus encore dans une région qui bascule non dans la guerre ouverte, mais dans une instabilité chronique.
Qui sait ce que va maintenant faire cette flotte aux côtes de Dorne, libre comme elle est de ses prédations? L'absence d'adversaires permet, selon tous les rapports, de carthographier récifs et baies, falaises et plages, en prenant le moins de risques possibles liés à la dangerosité des côtes de Dorne.