Je lui souris, alors que je plaisante avec elle. Je n’ai pas oublié son fameux « soupirant », et je n’ai pas oublié non plus que j’étais sensé danser avec un peu tout le monde, ce soir. Le temps filait vite et les réserves d’alcools comme de viandes et d’autres mets étaient largement entamées. L’ivresse était plus rapide que d’ordinaire, où en mangeant je pouvais engloutir d’énormes quantités de bières corsées du Nord sans en ressentir de picotements… Mais aujourd’hui ce n’était pas le cas. C’était beaucoup plus rapide. J’étais plus léger qu’un an plus tôt. Difficile de mesurer les livres perdues en une année mais mes anciennes tenues militaires étaient trop larges, je devais serrer mes ceinturons de deux crans de plus. Mes joues s’étaient re-creusées et la barbe paraissait plus fournie. Mais plus blanche, comme mes cheveux. Les rares fils d’argent ressemblaient plutôt aux branches givrées d’un sapin. J’emplis mes poumons de l’odeur des cheveux de mon épouse, et je glisse un sourire vers elle alors que la danse se termine.


| Retrouvons-nous dans notre future chambre. Si tu t’en sens les reins ce soir, impératrice. |


J’étais ivre mais j’étais vivant. Ca valait bien toutes les célébrations. Je savais que j’avais promis des danses à quantité de dames, de majestés, mais avant cela je devais obéir à l’un des plus anciens préceptes de mon existence. Quand j’en ressens le besoin, je dois aller honorer mes dieux. Il y a l’arrivée de l’armée impériale aussi, à surveiller dans sa prise de cantonnements. Sourire d’excuse pour ma Dame, pour mon aimée. Je m’éclipse en boitant légèrement, mais l’ivresse me donne la force de surmonter ce léger handicap. Je m’avance en faisant un crochet vers mon fils. Il est avec Lysara Tully, que je salue d’un hochement de tête.


| Nous devons parler, fils. |


j’avais su pas mal de choses pendant mon absence. Et sa femme m’avait officiellement annoncé sa grossesse. Je croise le jeune Gardener, que je salue d’un signe de tête et d’un sourire.


| Sire, il me tarde de boire une corne avec vous. Vous devez avoir de sacrées aventures à conter. |


Et je m’éloigne, sortant de la salle mais que provisoirement, allant prier, puis patrouiller l’installation des troupes, avant de revenir. Trop d’enfermement pesait toujours sur le loup que j’étais, qui avait sans arrêt besoin de sortir, de s’aérer. Je n’allais pas tarder à revenir.

Je fixe longuement l’Impératrice, touché par ces mots, avant de m’incliner brièvement devant elle, alors qu’elle s’éloigne déjà, comme si elle n’avait pas besoin de m’entendre confirmer ou non ce qu’elle vient de dire. Elle a su me cerner dès le départ ou presque et j’avoue que c’est à la fois surprenant et rassurant. Même si je sais qu’elle a raison, ma situation reste des plus délicates et compliquée à appréhender. Mon regard se perd un instant dans le vide et j’inspire longuement, bien décidé à suivre ce conseil d’une façon ou d’une autre, quoi qu’il puisse arriver par la suite. Et je finis par prendre ma place, avisant ma voisine de table, un rien surpris d’être à ses côtés.

J’arque un sourcil devant la sécheresse de la Reine de l’Orage, quand bien même je m’y étais préparé. Après tout, je sais que rien n’est facile ou acquis, encore moins quand la politique se mêle aux intérêts personnels. Mais, quand elle reprend, j’arrive à esquisser un sourire à son attention. « Le courage et la force de caractère dont vous avez fait preuve sont tout aussi marquants Majesté. Ce serait un honneur que de dîner avec vous et je sais que mon épouse partagera cet avis. » Je note donc de l’inviter plus officiellement dès que possible, avant de finir par m’excuser pour rejoindre mon épouse.

Et, pour la première fois depuis longtemps, j’ai le sentiment que chacune des personnes présentes prend une certaine forme de plaisir à être là. Que ce soit parce que les batailles nous laissent un bref répit, que la mort d’Harren commence à nous faire entrevoir une issue à ce conflit que nous connaitrons peut-être de notre vivant. Difficile à dire et, pour une fois, j’essaie ne pas m’inquiéter plus que de raison et de profiter de ce qui semble être une parenthèse dans nos vies pour le moins agitées. Profiter de cette impression d’union et de paix alors que je danse avec ma femme, heureux de pouvoir la serrer dans mes bras.

Demain, je réfléchirais à la meilleure façon de mettre en pratique les conseils de l’Impératrice. Peut-être en allant lui parler par exemple. Et demain, je sentirais de nouveau le poids de tout ce qui s’est passé peser sur mes épaules. Mais pour l’heure, je profite d’avoir Alysanne dans mes bras et du reste de la soirée, qui promet d’être tout aussi riche en alcool, en mets et en danse jusqu’au petit matin.

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