Le coucher. Dans mon Nord natal, il s’agit d’une cérémonie d’importance. Il s’agit pour tous de montrer leur proximité avec leur suzerain, avec leur frère, leur ami, avec leur camarade. Il s’agit aussi de donner une visibilité au public sur ce qu’il se passera vraiment pendant la nuit de noces. Mais ce n’est pas une manière de traiter une impératrice. Rhaenys Targaryen, devenue Braenaryon, ne sera pas la châtelaine de Winterfell. Elle ne recevra pas des seigneurs à souper, les réchauffant à son foyer pour leur offre quelque assistance pendant un hiver difficile. Elle n’était pas seulement l’épouse du suzerain de tous, elle serait leur mère. Leur impératrice. Commandante sur la ligne de front, combattante à dos de dragon. J’avais déjà réfléchi à tout ceci, avant le mariage, et ça avait été épineux pour moi de trancher. Coucher ou pas coucher. J’avais choisi qu’il n’y en aurait pas. On ne déshabille pas sa mère. On n’avilit pas sa génitrice, sa protectrice, de viles caresses, de plaisanteries graveleuses. Il y aurait un fossé qui se creuserait par l’abandon de cette pratique, pour cette fois. Mais il ne pouvait en être autrement. Pour être véritablement empereur et impératrice, nous devions nous placer au-dessus de la mêlée. Partager les souffrances du peuple et des soldats par une rude vie de campagne, mais ne pas tout partager pour autant. Chefs de guerre et protecteurs, mais pas égaux. C’était la base de tout commandement.


Lorsque le moment fut venu, lorsque les « au coucher ! » furent criés, je fis signe d’arrêter la musique. Tout le monde se tut. Je m’avançais vers Rhaenys et lui proposais mon bras. Elle le saisit, comprenant parfaitement la situation. Mais une fois près l’un de l’autre, je la fais basculer en comptant sur la surprise et la prends dans mes bras. Je la porte, en personne, et la tiens contre moi. Les nordiens beuglent malgré tout leurs grivoiseries. Les peyredragoniens aussi. Tout le monde. Mais c’est clair dans tous les esprits ; je me saisis de ce que je désire, de ce dont j’ai besoin, et personne ne peut rester sur mon chemin. Le message n’est pas tant de la possessivité que cette marque de différenciation ; Rhaenys est leur impératrice, pas l’aubergiste du coin, ou la jeunesse boutonneuse qui va épouser un vieil homme pour lui engendrer quelques fils. Elle est mienne, je suis sien, et nous sommes leurs commandants.


Rhaenys est comme une plume dans mes bras, malgré le poids de sa robe et de tous ses atours. J’ai l’habitude de porter Glace au combat, parfois pendant des heures, et de mouliner de ce terrible espadon. Elle est petite, et svelte. Je lui souris au travers de ma barbe, alors que je gravis la pente qui mène à la colline avoisinante, où j’ai fait dresser le pavillon impérial. Je trébuche une fois, mes bottes se prenant dans une motte de terre masquée par l’obscurité. Nous rions aux éclats alors que je dois rattraper mon équilibre de justesse ; le soulagement, la fatigue et le bonheur transparaissent de nos rires. Derrière nous, la fête continue de battre son plein et plus loin, dans le camp, les soldats crient et hurlent des chants guerriers, des chansons paillardes, et beaucoup s’évaporent dans les environs aux bras des catins et des filles d’Herpivoie. Je me glisse, Rhaenys toujours dans mes bras, sous les lourds battants de toile de jute de la grande tente.


J’y repose Rhaenys sur ses pieds.



| Ne le dis à personne… Mais je pense que je viens de perdre mes lombaires. Ce n’est pas chose aisée que de porter un dragon ! | la taquinais-je


Je la laisse découvrir mes aménagements. Dans le fond de l’immense tente, un énorme baquet réquisitionné chez un tanneur du bourg, qui servait à bouillir les cuirs. Une contenance énorme ; l’eau a été bouillie pendant toute la soirée par des aides de camp et versée au fur et à mesure dedans. L’eau est bouillante, et des volutes de vapeur s’en dégagent, odorantes car à sa surface flottent quantité de fleurs de nénuphars. Sur la droite, une tablette avec des mets simples, au cas où la fête nous ayant trop accaparés, nous aurions faim. Et sur la gauche du baquet, un lit improvisé. En campagne, il n’y a ni sommier ni rien de mieux que des lits de camp. J’ai utilisé les protections de mes hommes du train, dûment lavées et rincées. Peaux d’ours, de loups, le tout sur une épaisseurs de peaux de mouton, douces et duveteuses, chaudes car pour évacuer l’humidité de l’énorme baquet, la tente est en partie ouverte sur son dessus. Il y a tant de choses de préparées, je laisse découvrir Rhaenys. Et me rapproche d’elle, embrassant sa clavicule, humant l’odeur de ses cheveux.


| Je ne savais pas dans quel état nous terminerions cette soirée, Rhaenys. Si tu veux manger, te délasser ou te coucher, tout est prévu. |


J’embrasse son cou, remonte sur le côté de ses oreilles.


| Alors, qu’est ce que cela te fait d’être mariée à un vieil homme ? |


Nous n’avions finalement que peu parlé, lors de nos noces…

Je sais que nous n’en sommes qu’aux balbutiements d’un rêve, aux prémices de quelque chose, s’il devait survivre aux épreuves qui nous attendaient, pouvait être merveilleux pour tout le monde. Je rêvais depuis toujours de ne plus voir les nordiens seuls et isolés, agrippés à leur guisarme en priant les Anciens Dieux face aux hordes que le Véritable Nord nous envoyait à intervalles réguliers. La jeune femme rit lorsque je la repose, et suis fourbu. Elle n’est pas lourde, mais il y avait une certaine distance à parcourir. Et sa robe comme tout le reste rajoutent au poids général et ce n’est pas une mince affaire. Les plus belles étoffes et fourrures rajoutent beaucoup, surtout à un petit gabarit. Rhaenys prend un air blessé et me tance, mais je cueille ses réprobations comme une invitation à continuer mes plaisanteries. Je prends moi-même l’air supérieur, paternel et directif dont j’usais jadis sur mes enfants lorsque je voulais me faire obéir.


| Il faut dire, je le crains, qu’on ne m’ait vendu une jouvencelle. Probe et jolie, disaient les rumeurs. Belle et charismatique, ajoutaient les autres. Mais j’ai finalement porté ce soir, jusqu’au lit nuptial, une reine-guerrière qui sans armure, reste des plus… Solides ! |


Je la taquinais ouvertement, mais peu importait, je savais que nous n’avions jamais été limités par quoi que ce soit entre nous en terme de discussion, de sujets délicats. Même son frère, même ma femme, tout avait été épluché, décortiqué, analysé. Bien sûr, des détails échappaient à l’autre, car on ne pouvait rattraper une existence en si peu de temps. Mais nous partagions autant que possible. Parce qu’au-delà du plaisir éphémère et personnel du mariage, nous étions en train de jouer notre vie. Ensemble. Pour le meilleur et pour le pire. Sauf qu’au moindre faux pas, notre tête ornera la pointe d’une pique sur les remparts d’Harrenhal. Rhaenys semble apprécier les préparatifs ; et elle n’a pas encore tout vu. Mais elle vient m’embrasser quand j’exagère mon âge, mais elle rompt bien vite l’étreinte pour m’indiquer de la suivre. Je lui emboîte le pas, sourire aux lèvres, épuisé mais content que les choses se soient bien passées. Nous sortons. Pourquoi ? L’alcool qui émousse mes sens m’empêche de saisir pendant quelques longues secondes, puis je comprends. La brise se lève et m’ébouriffe la tignasse. Meraxès est là. Haute comme un moulin, ombre qui obscurcit plus encore la nuit. Rhaenys lui parle, la caresse. Elle salue Ebrion à sa manière. D’un formidable élan et d’un dernier regard dont je me demande s’il est vindicatif tant il me fait trembler intérieurement, Meraxès prend son envol et le premier battement de ses ailes souffle les feux de camp les plus proches et m’ébouriffe plus encore les cheveux. Nous retournons à la tente, et je ne sais pas trop à cet instant ce que je ressens. De la peur, comme à chaque fois que je croise la terrible Meraxès. Mais aussi, un fort sentiment de puissance. De victoire. Comme après une victoire que je viens de remporter, et mon sang bout littéralement. Rhaenys me tente… Dangereusement. Elle m’invite à la dessaper, pour aller nous baigner. Et la voilà qui me donne un baiser à vous faire chavirer n’importe quel homme. J’y réponds avec ardeur, avec fougue. J’ai vingt ans, dans un corps de quarante. Je m’éloigne doucement et détache ma ceinture et la jette de côté, avec mon épée et tout le toutim.


| Moi, fatigué devant la bataille ? Jamais ! |


Parce qu’au sens littéral, s’en serait une. Rhaenys est beaucoup plus jeune. Très svelte, endurante, elle n’a pas toutes les années de campagne que j’ai subies pour ruiner son corps, ses articulations, son souffle. Je l’embrasse à mon tour, l’attirant contre moi d’une main large et calleuse passée contre son bassin, qui le colle contre le mien. Je l’embrasse à en perdre haleine, même si je manque de souffle avant elle ce n’est pas grave. Je la bascule en me détachant d’elle, pour qu’elle me tourne le dos. Elle est magnifique ; la robe souligne ses formes, les renforce, et elle est divine.


| Feu, Sang et Hiver, Votre grâce. Je n’abandonne jamais une bataille. |


Mes mains passent sur son corps. Remontent ses cuisses, épousent son bassin, remontent sur son ventre, modèlent sa poitrine, frôlent son cou. Et souris.


| Vous apprendrez, petite jouvencelle, qu’un vétéran est toujours habile de ses mains… |


Je tire ma dague de la ceinture à mes pieds et passe la lame sous les lacets ; geste dangereux, je pourrais l’égratigner, mais je manie le coutelas depuis plus jeune encore que je n’use de ma virilité. Je tranche les lacets de son corsage d’un geste entraîné. Et de quelques gestes, j’achève de la révéler.


| Vous êtes maintenant désarmée, impératrice. Et je vous trouve bien présomptueuse ; qui me dit que vous-même, par votre jeune âge et votre inexpérience, vous sauriez combler votre époux ? |


Je ne la touche ni ne l’embrasse, même si elle est nue, offerte, magnifique. Je la défie, avant cela.

Après la cérémonie et le banquet, je me retrouvais maintenant lessivé. Je n’avais plus l’impression d’avoir la plus petite parcelle d’énergie dans ce corps qui vieillissait, et plus encore depuis les dernières batailles. Je me sentais terriblement fatigué, comme après une bataille, justement. C’en était bien une, il ne fallait pas s’y tromper. Mais elle n’avait pas lieu sur le champ de bataille, mais dans les salons, les grandes salles, les cours de Westeros. La guerre du prestige. Le conflit du pouvoir, à l’état brut. Je ne me sentais pas en capacité physique et mentale de profiter à fond de ces noces ; ces dernières semaines et les blessures reçues à Paege avaient contribué à m’épuiser. Il y avait tant eu à faire pour préparer, et il restait tant de choses encore à organiser. Pourtant, je ne boudais pas mon plaisir de retrouver de l’intimité avec celle qui était dès à présent mon épouse. La jeune femme rit, et ce son me revigore. Je n’ai plus l’habitude au fil du temps que des rires de flagorneurs, ou des rires gras de mes amis et généraux ; le rire franc d’une femme m’était devenu étranger, au fil des années qui passaient. C’était normal, du fait de ma position, et c’était ce que j’appréciais chez Rhaenys ; nous n’avions pas besoin de nous forcer à quoi que ce soit, l’un avec l’autre. Et je la tance avec grivoiserie, lorsqu’elle me dit que je vais trouver un dragon dans mon lit.


| Les dragons sont pourtant imposants, et vous, ma dame, me semblez bien fluette. Pas de quoi soutenir les assauts d’un vieux loup, habitué au corps-à-corps. |


Je savais déjà qu’elle était solide, déjà bien avant de s’endurcir pour de bon, chevaucher un dragon ne devait rien avoir de facile vu comment la créature se mouvait. Nous venions encore d’en avoir la démonstration, une démonstration qui comme d’habitude m’avait glacé le sang. Oui, moi, le Roi de Glace, qui savait tant rester impassible… Même lorsque j’étais tétanisé comme à cet instant, où les reptiles volants prenaient leur envol. Rhaenys sait chasser la peur de mon cœur, et ravive la flamme qui brûlait jadis en son sein, par ses attentions.