Les événements se précipitent à Dorne. Lancehélion semblant neutralisée par un mystérieux accord entre Mahée Allyrion et les Valtigar, la Principauté Pro-Empire semble alors avoir les coudées franches pour finir d'unifier le territoire. Reste tout un petit pan nord-est du pays aux mains d'autres rebelles qui se réclament d'un légitimisme forcené ; les Garland, une maison créée de toutes pièces par un seigneur local, Moran Toland. Celui-ci, sans troupes ni richesses, tire toutefois le meilleur d'un mariage avec une bâtard ayant fait fortune dans le commerce, tandis que ses propres discours enflammés trouvent un certain écho chez les survivants des déprédations violentes dans la région de Lancehélion. Il a repris Bois-Moucheté des mains Valtigar d'un coup de main audacieux, mais sans compter l'arrivée du véritable seigneur des lieux, Lord Sarzir Santagar en personne, la Panthère de Dorne, qui aura vu son aura grandir des conflits frontaliers, de la guerre contre le Bief et de la rebéllion pro-Empire, jusqu'à être aujourd'hui l'un des pairs de la Principauté Allyrion.
Lord Sarzir amenait avec lui plus de quatre mille hommes, tous aguerris ou mercenaires, des impériaux aussi, et de nombreux soldats qui l'avaient suivi lui ou son frère, et ce pendant des années.
Quatre-mille quatre cent hommes, contre trois cents pour moitié composés d'adolescents, de chevaliers venus par appât du gain ou de pillards. Leur moral est mauvais ; le frère du Prince Garland autoproclamé était aimé de la troupe, avant de trépasser à l'assaut du castel. Lord Santagar avance vite sur son objectif, aidé en cela par une troupe de cavalerie légère très nombreuse et de qualité. Pendant que Garland harangue ses hommes, les Allyrion, Martell et Santagar, les Braenaryon, marchent résolument vers le bourg côtier. Très tôt, les deux camps perçoivent la présence de l'autre, car le Garland a muni quelques patrouilles et la cavalerie légère de Dorne éclaire l'avance Santagar.
Se précipitant, le Garland est un homme de ressources. Stocks de bois, de poix, gardiennage des puits quitte à les empoisonner, funérailles de ses officiers et frère disparus, éclaireurs supplémentaires, discours, artifices d'herboristerie et autres ruses, révérences aux icônes des Sept trimballées par l'armée, promesses faites aux chevaliers errants ayant rejoint l'armée... La petite force tient, à près de un contre quinze. Mais tout juste. En revanche, pas assez d'hommes pour tenir une population rétive en respect, fermer les portes de justesse avant qu'elles ne soient saisies par l'armée loyaliste, et accomplir différentes ruses dans le même temps...
Personne ne se leurre sur l'issue.
Le Prince a toutefois une carte dans sa manche ; lui aussi a reçu des nouvelles de Lancehélion. Et lui attend des renforts substantiels des seigneurs et troupes de la côte Est qui ne se satisfont pas, contrairement aux Allyrion, du cessez-le-feu qui n'est certes qu'une rumeur, mais factuellement vérifié. Tous voulaient vengeance. Des milliers d'hommes venant regarnir sa cause, gonflant ses effectifs... Mais partie après les opposants du Prince, elle arriverait trop tard.
Alors, Sarzir arrive en vue de la ville, et l'encercle de ses nombreux cavaliers légers qui parcourent champs et villages en criant que le Lord est revenu, pour libérer son peuple. Partout l'espoir, et l'effervescence, partout le désir d'être libéré de l'occupant. Le bourg cerné à distance, la Panthère de Dorne entouré d'une coterie de chevaliers soulève les hourras et les vivats de ceux qui enfin sentent la fin de leurs tourments ; les Santagar reviennent, la paix avec, après une dernière épreuve ?
Moran Garland ne reste pas inactif. Ses plans extérieurs ayant échoué, il veut s'échapper de cette souricière. Ses hommes préparent des défenses pendant que les Santagar encerclent la ville et préparent un siège, doublé d'un assaut au matin par une poterne de la ville. Pour maximiser ses chances, le Garland fait empoisonner les puits de la ville, et la population alertée se révolte.
Dans les rues, c'est un féroce combat qui s'engage. La population essaie de rejoindre les portes pour les ouvrir devant les forces de libération, mais les jeunes soldats de Garland, chevaliers impétueux ou brigands, anciens réfugiés, se démènent pour les tenir closes. Les rues se teintent de sang alors qu'on s'y tue à l'arme blanche. L'occupant honni de ses déprédations, pis encore de ses tentatives de massacre, est pris à parti par une population à bout qui aura vécu plusieurs invasions en quelques mois.
Suspectant une ruse, incapable d'avancer sans armes de siège et son armée éreintée par la marche de la veille, le Santagar ne peut entendre ni voir le drame qui se joue.
Dans la ville, la carriole charriant le Prince et son épouse Jasmyne se fait attaquer par la foule ; ils essuient des tirs et doivent se défendre avec leurs chevaliers les plus proches contre la plèbe. D'autres chariots, chargés de butins ou de serviteurs, sont abandonnés dans les barricades sommairement érigés ; les servantes subissent le courroux des citoyens que le Prince aura voulu empoisonner, qui se jettent également sur ses richesses. L'attelage finit par être encerclé et si la plèbe meurt par paquets, les chevaliers sont un à un lardés de coups d'outils agricoles ou d'artisanats, massacrés à même le sol. Une porte prise, c'est l'armée Santagar qui s'apprête à charger au matin qui le fait en ordre dispersé la nuit.
Il faut encore éteindre le feu qui se propage et le Garland qui constate que de sa modeste armée, l'essentiel des réfugiés enrôlés a déserté sitôt la population sortie en armes et que de ses chevaliers, plusieurs sont allés alerter des capitaines Santagar soit des méfaits en cours, soit du déshonneur qu'ils ne voulaient partager. Beaucoup veulent simplement sauver leur peau.
Carrosse arrêté par les piques et les flèches, la bâtarde Jasmyne faite Princesse par son époux, prend un trait mortel en pleine gorge, et meurt dans les bras de son époux déjà blessé des combats pour prendre la ville. Lui même manque de se faire battre à mort par la foule folle furieuse, qui doit être écartée à grands cris par les sergents Santagar qui amènent l'homme à La Panthère de Dorne.
L'ironie est alors qu'on apporte les premiers soins aux blessés, des courriers arrivent au galop des collines extérieures, et qu'une armée de plus de six mille têtes marche droit sur la ville depuis Lancehélion ! Si la Panthère était allée moins vite, si le Garland avait abandonné directement sa conquête pour ne pas risquer le combat à un contre quinze, plus les civils, sans doute aurait-il pu rejoindre cette armée réclamant sa vengeance à grands cris de fureur et de haine.
Il n'en reste pas moins que Bois Moucheté, plusieurs fois meurtrie, est encore en partie en flammes, et ses puits empoisonnés par des carcasses et poisons jetés dedans alors que la forte armée rebelle est signalée à moins d'un jour au sud, et ses avant-gardes déjà en vue des patrouilles...
Garland aura perdu ses fidèles, sa femme, mais là, tout près, si près, se trouvent des milliers d'hommes qui voient en Bois Moucheté couronnée de colonnes de fumée noire, une proie facile dont ils peuvent se repaître pour jouer jeu égal avec la Princesse Mahée Allyrion ; battre son meilleur général leur permettrait, peut-être, de renégocier pour leur compte, ou contre les Valtigar laissés libres de quitter Lancehélion.
Et le Santagar qui aura connu des années de guerre, dont près de deux sans avoir pu rentrer, qui libère enfin son peuple d'une armée... Et se voit pourtant menacé par la haine de ceux que sa cause n'aura pas réussi à délivrer.
Le drame de la Principauté Garland n'est pas encore terminé.