Il arrivait qu’Eléa revienne à Castral Roc malgré les souvenirs difficiles qui l’assaillaient à chaque fois qu’elle revoyait la silhouette des hauts murs de cette demeure. Bien sûr, la distance qui séparait Godric’s Hall de la demeure des Lannister paraissait moins difficile – bien que toujours longue – à franchir lorsque le trajet ne se faisait pas dans la fuite et les larmes.

Au jour de la rencontre qui nous occupe, Eléa était donc arrivé à Castral Roc depuis deux ou trois jours pour y passer un peu de temps. C’était une occasion comme une autre de se montrer puisqu’elle devait contre son gré faire mine de participer au marché aux bestiaux qu’était celui du mariage. Il lui fallait rappeler aux seigneurs alentours qu’elle était encore jeune malgré ses trente ans, vigoureuse, jolie et apte à porter des enfants. Intelligente aussi, bien qu’elle s’imaginât à tort ou à raison que ce n’était pas exactement la qualité recherchée chez une épouse. En tout cas, feu son mari – que les Anciens Dieux le pardonne - n’avait jamais paru apprécié sa conversation… et elle pouvait difficilement le critiquer sur ce point précis puisqu’elle en avait eu autant à son égard. Karl était un homme imbu de sa personne à l’esprit étriqué ennuyeux comme la pluie… même s’il était de bon ton désormais de se souvenir de lui comme d’un brave homme fauché trop tôt par le destin. Destin qu’on avait un peu aidé, certes, mais mieux valait ne plus parler de cette histoire. Eléa faisait en sorte que plus personne n’y fasse allusion et encourageait, lorsqu’on évoquait son défunt mari, des discours convenus sur les regrets, le veuvage et la perte affreuse que la mort d’un noble était pour tous.

Par ailleurs, rendre visite à ses connaissances, parfois amitiés, à Castral Roc avait un autre avantage : cela permettait de laisser à sa cousine par alliance le champ libre le temps de deux ou trois semaines, voyage inclus. Eléa avait beau regretté de n’être plus maîtresse chez elle, elle n’avait aucunement l’intention de marcher sur les plates bandes d’Alys et pensait que ses courts voyages étaient encore la meilleure façon de le montrer. Son exil suite au massacre des siens aurait au moins eu l’avantage de lui créer assez de liens en dehors de Godric’s Hall pour justifier ces séjours. Il était de bon ton, n’est-ce pas, de rendre visite à ses connaissances avant que la météo ne devienne trop capricieuse ?

Cependant, tout le monde semblait bien occupée à Castral Roc et la visiteuse avait pas mal de moments de libre, qu’elle ne pouvait guère combler avec ses rituels en ces terres. Dans la mesure du possible, Eléa essayait de passer pour une dame bien éduquée et non pour une espèce de sorcière : ses activités de nuit devaient se cantonner à son domaine et elle allait même jusqu’à rester le plus possible loin du barral. Cela lui fendait le cœur mais sa loyauté envers William exigeait ce sacrifice de sa part.

Désœuvrée, Eléa se promenait sans but, cherchant un endroit tranquille et éclairé pour terminer sa broderie. Son petit panier au bras, elle tourna au détour d’un couloir et tomba nez à nez avec une jeune fille guidée par une servante. Cette posture semblant inhabituelle à la Dame, celle-ci prit la parole en peu de mots : « Mesdames, êtes-vous en difficulté ? » Eléa fit une petite révérence de salutation très brève pour accompagner ses paroles mais eut l’impression que la jeune fille ne la voyait pas. Par ailleurs, il s’agissait d’un visage inconnu, ce qui était surprenant en ces lieux. Voilà de quoi intriguer l’intrigante ! Immobile au milieu du couloir, elle attendit, ne faisant aucun geste pour se pousser du passage – cela aurait été prendre le risque de ne pas obtenir de réponse.

Même si Eléa avait le plus grand respect pour les domestiques dont le travail était de les laver, coiffer et – plus dégradant encore – de vider leurs pots de chambre, elle ne pensait pas de bien de celles qui parlaient à la place de leur maîtresse. Si la jeune demoiselle était vraisemblablement aveugle, ce que la servante confirma, elle n’était pas muette. Une dame se devait de parler par sa propre voix : le monde n’était déjà pas tendre avec les femmes, il l’était d’autant moins avec les faibles. Il fallait s’affirmer pour rester le beau sexe ! Eléa, en tout cas, aînée trop gâtée d’un père conciliant, avait toujours cru en cette manière d’être qui n’empêchait pas, par ailleurs, d’être respectueuse, polie et modeste face aux hommes – question de survie. Manipuler les codes sociaux était un des atouts d’Eléa et elle s’astreignait à cet art avec encore plus de force depuis la destruction de sa famille. C’était parce qu’elle n’avait pas réussi à cacher ses sentiments véritables que tout avait dégénéré lors de son mariage avec Karl : elle ne ferait pas deux fois la même erreur.

« Il est très aimable à vous de conduire votre maîtresse » dit-elle alors d’un ton neutre qui n’appelait pas de réponse de la part de la servante trop bavarde. Sûrement n’était-elle pas mal intentionnée, mais lui rappeler sa place ne mangeait pas de pain, d’autant qu’Eléa avait des doutes quant au fait que la jeune dame aille bien. Elle paraissait si fragile que la dame de l’ouest jurerait qu’en soufflant dessus, elle tomberait.

« Dame Ardoise, je suis enchantée de faire votre connaissance. Il ne me semble pas connaître votre famille, vous n’êtes pas de l’Ouest peut-être ? » questionna Eléa avec une certaine prudence. La jeune femme était plutôt rusée, et elle se doutait qu’il fallait y aller doucement, autant à cause de la servante que de la faiblesse de la voix de son interlocutrice. La dame connaissait toutes les familles de l’Ouest, et Ardoise était un nom qui ne lui disait rien. Néanmoins, la jeune femme étant ici, elle devait y être invitée pour une raison ou une autre. Si sa présence n’était pas légitime, elle ne se baladerait pas – presque – librement dans les couloirs.

« Je ne sais où vous vous rendiez mais je peux vous y accompagner si vous le souhaitez, j’ai vécu de nombreux mois à Castral Roc, je connais très bien la géographie des lieux » Elle s’adressait directement à la dame, agissant comme si la servante n’était plus là. C’était une conversation entre nobles dames et il fallait, aux yeux de la dernière survivante des Potter, bien rappeler ce qu’elles étaient à cette servante qui parlait à la place de sa maîtresse, que cela soit bien intentionnée ou non.

La réponse ne surprit pas outre mesure la noble dame. Eléa avait vécu toute sa vie dans l’Ouest : si elle était relativement ignorante du monde en dehors de ces terres, elle était plus au fait des différentes maisons de son propre royaume. D’autant qu’ayant été contrainte de loger plusieurs mois à Castral Roc après le massacre de sa famille, elle avait eu tout loisir d’en apprendre encore plus sur la noblesse ouestrienne. Néanmoins, et voyez-y là le signe d’une rare modestie de sa part, elle aurait aussi pu se tromper, raison pour laquelle elle avait posé la question. « Et bien, Ma Dame, j’espère que l’Ouest est à votre convenance » répondit aimablement Eléa qui feignait toujours que la servante n’était pas là. Cette dernière était la canne de la jeune dame en visite, et on ne parlait pas aux aides motrices, n’est-ce pas ?

« Eléa Potter, fille aînée du regretté Lord Perdicas Potter et cousine de l’actuel seigneur de Godric’s Hall, William Potter » se présenta Eléa en faisant une courte révérence que la jeune lady ne pouvait pas voir, mais elle ne saurait reprocher son impolitesse à une servante si elle-même ne se montrait impeccable dans ses manières. Elle devait montrer que dans l’Ouest, ils savaient recevoir et discourir avec les visiteurs avec autant d’aisance que de politesse. Eléa l’hérétique était comme un poisson dans l’eau dans cet exercice puisqu’il s’agissait de son rôle diurne. Lorsque le soleil était levé, elle se comportait avec la parfaite éducation qu’on attendait d’elle. C’était le soir venu qu’elle se métamorphosait – aux yeux des fidèles obtus des Sept – en une sorcière impie… et encore, elle avait appris de ses erreurs, et gardait sa foi aussi discrète que possible. Ce n’était pas sans raison qu’elle en cantonnait la pratique aux moments où la plupart des gens dormaient.

« Quelle heureuse surprise, j’adore me rendre au barral. Je vais me faire une joie de vous y accompagner » Une joie non feinte, puisque cela lui donnait une excuse idéale pour s’y rendre, chose qu’elle ne faisait jamais à Castral Roc par peur de s’attirer des ennuis. Enfin, jamais… jamais sans une bonne excuse comme celle qui se présentait à cet instant du moins. « Je vais guider votre maîtresse, vous pouvez nous suivre à cinq pas de distance » Cinq. Pas deux, pas trois. Cinq. Son regard exprimait qu’elle ne tolérerait aucun écart à cet égard. En effet, Eléa comptait demander plus de détails sur les raisons de cette visite au barral à la jeune femme et tenait à le faire loin des oreilles – toujours indiscrète ainsi qu’il est connu – d’une domestique. « Si vous le voulez bien Dame Ardoise, vous pouvez poser votre main sur mon bras, je resterai à votre gauche et vous indiquerai aussi les croisements ou obstacles en route » De la voix, car il n’était pas question de prendre une dame de haute naissance pour une enfant qu’il fallait tenir par la taille pour la faire marcher.

Le désamour d’Eléa envers la religion des Sept était aussi fort que son affection pour sa patrie, le royaume de l’Ouest. C’est par loyauté envers celui-ci, et envers William, qu’elle acceptait d’être à jamais une hérétique en son propre pays pour les besoins des alliances et autres appuis politiques. Non qu’en cas de non-acceptation de sa part il se fusse passer quoi que ce soit… elle n’était qu’une femme après tout. Cette pensée l’amusa car malgré l’assagissement dû à la perte de sa famille suite à ses manigances, elle se savait largement capable de mettre son grain de sel quand elle le décidait. Justement, elle avait choisi d’être la parfaite ouestrienne. Elle devait bien ça à son cousin, et à son beau royaume. « La plus belle région du monde, mais cet avis n’engage que moi » dit-elle plaisamment d’un ton de dame de cour aguerrie avant d’en revenir à leurs moutons. À savoir les présentations et remettre un peu à sa place cette servante qui prenait un peu trop ses aises au goût d’Eléa.

C’est très naturellement qu’elle en vint donc à proposer son aide, sautant sur l’aubaine de pouvoir se rendre au barral avec une parfaite excuse qui mettrait en avant sa serviabilité plus que ses croyances. « Cet intérêt est assez rare, en effet. Je passe à ce titre pour une originale » Il ne servait à rien de le cacher : même en se tenant sagement depuis la disparition de sa famille, sa réputation restait celle d’une femme peu commune. Bien éduquée, jolie, mais un côté excentrique. Tant qu’on ne cherchait pas de nouveau à la brûler – ou pire à brûler son cousin – elle n’avait rien à redire à cette idée qu’on se faisait d’elle.

« Attention Ma Dame, il y a une dizaine de marches devant nous » signala-t-elle alors qu’elle réfléchissait à ce qu’elle allait répondre au sujet de sa famille. Elle ne pouvait pas tout dire à une étrangère, c’était évident, mais pas mal de choses étaient de notoriété publique… Tout en descendant lentement les marches pour permettre à la jeune femme d’anticiper le dénivelé, elle reprit : « Mon père était seigneur de Godric’s Hall mais il a été frappé par la maladie et n’a eu que des filles, dont j’étais l’aînée. Le pouvoir est donc revenu à mon oncle jusqu’à ce que nos voisins et ennemis ne fomentent notre perte et que notre seigneurie ne revienne à William, mon cousin. Nous vivons confortablement à quelques jours de voyage d’ici » Un voyage qu’elle avait dû faire à pieds lors de l’attaque qui avait tué la majeure partie des siens. Depuis qu’elle le faisait dans de meilleures conditions, avec des chevaux, elle s’étonnait qu’il fusse si rapide là où, à l’époque, il lui avait semblé interminable. « Nous ne sommes pas une grande famille mais William est fort apprécié pour ses talents guerriers » Faire la publicité de son seigneur de cousin ne pouvait rien apporter de mal.

« Et vous Ma Dame, puis-je savoir d’où vous venez ? » Pour aller au barral, peut-être du nord ?

« Et c’est bien normal, d’autant que certains d’entre nous peuvent passer leur vie entière sans sortir de leur royaume de naissance » Ce qui était son cas. Elea était de nature curieuse et aurait volontiers été visiter d’autres contrées mais sa vie avait été pleine de déboires diverses qui ne lui en avait jamais laissé l’occasion. Si elle devait se remarier un jour, elle apprécierait un mariage politique à l’étranger – au moins il aurait l’intérêt de l’exotisme, cela en ferait un de plus à minima qu’avec Karl qui était d’un domaine voisin du sien.

La dame bien élevée en notre hérétique tiqua face à la vulgarité des propos rapportées par celle qu’elle conduisait. Toutefois, par politesse, elle ne releva pas et en resta à la seconde partie de sa réplique. Il s’agissait peut-être, là encore, d’une divergence culturelle, comme celle de la religion qui était la question qui les occupait. « En effet, mais on le pardonne à notre Reine parce qu’elle est étrangère. Les dames de l’Ouest doivent se vouer aux Sept et ils ne sont pas des dieux très tolérants » Preuve en était que sa famille entière avait été massacrée parce qu’Elea faisait soit disant des infidélités hérétiques aux Nouveaux Dieux. Balivernes ! Elea n’avait jamais renié les Sept, elle se sentait seulement plus proche de la foi des Anciens, plus prompte à les vénérer. Cela n’aurait pas dû être considéré comme un blasphème… et pourtant.

C’est ainsi que, pleine de ces mauvais souvenirs, elle se mit à raconter quelques brèves faits à son sujet et celui de sa famille. Rien que de connu de n’importe qui cherchant des renseignements sur les Potter. Rien de dangereux en somme. Le risque avait été plus grand en avouant son intérêt pour les barrals.

« Mon père était probablement de cet avis aussi même s’il nous aimait toutes les trois tendrement » Raison pour laquelle elle ne comprendrait jamais qu’il l’ait offerte en mariage à Karl. Il devait bien savoir que ce serait un échec cuisant ? Sûrement avait-il cru ne pas avoir le choix pour l’avenir de notre famille. Bel avenir en vérité, ils étaient décimés ! « Recevez mes remerciements pour cette prière » répondit-elle juste après avec une expression pensive que la jeune nordienne n’était pas en mesure de voir.

Ses origines furent par ailleurs confirmées juste après. « Vous avez donc fait un long voyage pour venir jusqu’ici, j’espère que la différence de climat ne vous indispose pas » poursuivit Elea sur le mode de la conversation mondaine juste avant d’arriver à un embranchement « Nous devons tourner et ensuite nous serons presque arrivées »

Aucun des récits qu’avait pu entendre cette jeune dame ne valait celui du massacre de la famille d’Elea, cette dernière en demeurait persuadée. Néanmoins, prouver l’intolérance des Sept n’était pas un concours de souffrance et il semblait que ni l’une ni l’autre des jeunes femmes ne souhaite se pencher plus longuement sur le sujet. Elea, du moins, n’y tenait pas. Ce genre de question ne pouvait que réveiller de mauvais souvenirs encore très vifs dans son esprit – ils n’avaient, après tout, que quelques années… autant dire des mois. Rien du tout à l’échelle de la vie de la veuve. Elle se surprenait encore par instant à croire qu’elle verrait la tête de ses sœurs, souriantes et pleines de vie, par l’entrebâillement de sa chambre. Mais cela n’arriverait plus, car elles étaient mortes. Tout comme son père… Même si son évocation fit naître sur les lèvres d’Elea un sourire nostalgique. « Les filles sont la consolation des vieux jours de leur père, le mien a longtemps été très malade, même avant le drame. Il aimait que je lui lise de vieilles histoires, ou que j’en invente, pour occuper ses journées d’alitement » En dépit du choix discutable de son époux, Elea n’avait jamais douté de l’amour de son père. Elle n’excluait pas, d’ailleurs, que cette décision épouvantable ait été du fait de son oncle, alors chef de famille, mais pour ce que ça changeait maintenant… quelle importance ?

« Est-il vrai que, dans le Nord, il n’est pas besoin d’attendre l’hiver pour sentir les rigueurs du froid ? Par ici, le climat est plutôt tempéré, sans être trop chaud, c’est agréable en été et supportable en hiver » Dur pour les enfants de l’été, mais ils s’y faisaient, comme tout le monde. S’il y avait bien une chose sur laquelle personne n’avait de contrôle, c’était le climat. Ils ne pouvaient que faire avec…

« Vraiment ? Ce devait être une jolie chose. Nous avons peu de corneilles sur ces terres, même si quelques unes demeurent » Quant aux corbeaux, il y avait toujours à minima ceux servant à envoyer des messages. Peut-être les corneilles ne se sentaient-elles pas à leur aise dans des domaines où les barrals étaient abandonnés. Elea observa les oiseaux qui croassaient et s’avança un peu.

Répondant à la demande de sa compagne, Elea examina les lieux comme si c’était la première fois pour en faire la meilleure description possible : « Tout n’est que pierre ici, à l’exception du barral dont les racines sont visibles et prennent toute la place. On dit que c’est à cause de lui qu’aucune autre végétation ne peut pousser, mais le peu de lumière qui filtre en est sûrement aussi une des causes. Le barral paraît plus tordu qu’ailleurs, sa forme étrange me donne l’impression qu’il cherche à s’évader de cet endroit… mais il s’agit peut-être de mon imagination. Voulez-vous vous en approcher ? »

« Il y a sûrement bien d’autres occupations que peuvent avoir un père et une fille, je trouve cependant bien triste que vous pensiez être une source d’angoisse pour le vôtre » ça n’avait jamais été son cas, et pourtant les Dieux savent combien elle aurait pu leur causer de tracas s’ils s’étaient mieux tenus au courant de ce qu’elle trafiquait dans leur dos. Prier les mauvais dieux, pousser quelqu’un au meurtre de son mari… vraiment, il y aurait eu de quoi faire. Mais le père d’Elea était trop malade et diminué pour voir autre chose en elle que la petite fille chaleureuse qu’elle avait effectivement été un jour… avant d’avoir grandi et découvert le vrai monde, sa laideur, et les moyens de s’en prémunir.

« Allons, Ma Dame, venir du nord ne fait pas de vous une sauvage. Les différences culturelles font parti du charme des rencontres » Elea se contentait très bien des températures tempérées de sa région mais elle devait admettre qu’elle aurait été curieuse de découvrir le Nord… rien que pour s’y sentir plus libre de prier qui elle voulait – encore qu’elle fantasmait peut-être cette liberté, n’ayant aucune preuve de ce qu’était la vie dans cette autre contrée. « Peut-être est-ce nous, dans l’Ouest, qui mettons trop de manière dans tout ce que nous faisons » Elle aimait ce côté poli, réglé. Il rendait les relations avec les autres facile à gérer et les hommes très manipulables – si vous aviez l’apparence de la jeune femme bien sous tout rapport, alors beaucoup pensaient que l’étiez. Pourtant, éprise d’un autre chose comme elle l’était depuis l’adolescence, elle n’aurait pas craché sur moins de conventions si cela signifiait avoir plus de liberté… de culte, principalement. N’était-ce pas sauvage, en effet, d’avoir laissé tuer toute sa famille parce qu’elle priait les Anciens Dieux ? Cette pensée aurait pu la faire frémir de rage si elle n’avait pas appris de longue date à se contenir.

Sans rien ajouter sur l’objet de la nordienne, Eléa annonça qu’elles étaient arrivées à destination. Elle ne put qu’approuver les paroles de la demoiselle Ardoise. Un barral enfermé était un non sens, une hérésie… « Je ne puis qu’être d’accord avec vous. Il a l’air de souffrir ici... » elle toucha à son tour l’écorce, adressant une prière muette à ses dieux, excusant ses semblables de ne pas respecter le signe de leur toute puissance. « Au moins, il n’a pas été coupé » car des sombres histoires de barrals sacrifiés à des fins de constructions, il en courait, et leur fin annonçait souvent des périodes sombres pour leurs exécuteurs… mais, là encore, Eléa pensait peut-être ainsi à cause de ses croyances, profondément enracinées.