La route jusqu’à Castral Roc avait paru interminable. Ils s’en étaient sortis de justesse et maintenant que William et elle étaient en sécurité, Eléa accusait le coup. En une nuit, elle avait tout perdu. Et bien qu’elle dirigeasse sa colère contre les Malfoy et la troupe de croisade trop zélée, la jeune noble devrait aussi apprendre à vivre avec sa culpabilité. Sa famille avait été tuée parce qu’elle n’avait pas été assez prudente. Sa foi n’était qu’un prétexte pour venger Karl, mais elle le leur avait offert en ne se cachant pas suffisamment de ses croyances et de ses rituels. Tout fonctionnait si bien jusqu’ici… Depuis des années, elle était une demoiselle comme il faut le jour et rassemblait de plus en plus de fidèles des Anciens Dieux la nuit. Elle ne gênait personne et personne ne la gênait. Après tout, elle ne forçait personne… peut-être plus parce qu’elle n’en avait pas le pouvoir que l’envie, mais c’était un détail. Les Malfoy avaient fait une arme de la jalousie des Sept, comme si croire en quelque chose ou non était une question de volonté et non de cœur.

Eléa aurait voulu cracher sa haine à la face du monde… Pourtant, elle s’était tenu coite et discrète, laissant William gérer leur arrivée, leur installation et leur vengeance future. Sa cousine, quant à elle, profita du lit et des vêtements propres qu’on lui offrit et passa deux jours à dormir. Elle ne pleura pas, elle ne pleurait plus. Ses larmes s’étaient taries durant le voyage jusqu’à Castral Roc. Dans son sommeil pourtant, les cauchemars la rattrapaient. Personne pour y prêter attention, elle faisait comme si ils n’existaient pas.

Le pire était sans doute, après tous ces malheurs, de ne pas pouvoir se recueillir, prier ses dieux pour ses morts, trouver la paix dans le recueillement. Dans le silence de sa chambre d’invitée, elle laissait bien sûr ses pensées voguer vers sa véritable croyance, mais c’était sans ciller qu’elle devait accepter des condoléances formulées au nom des Sept. Crier que ces dieux de pacotilles étaient responsables de la perte de ses êtres chers ne ferait qu’embarrasser William et freiner leur vengeance. Elle devait se contenir, se tenir… se cacher. Il lui semblait être revenue au temps de son inepte mariage.

Deux nuits agitées passées, deux jours pour reprendre une noble figure digne d’être présentée aux figures suzeraines de ses hôtes. William avait fait sa part : à son tour d’être diplomate. Une fois habillée, on la conduisit vers la première des personnes qu’on la convia à visiter. Jeyne Lannister, une ex-princesse nordienne. Débuter les ronds de jambe par cette femme réconforta un peu Eléa – si elle n’avait jamais eu de peine à jouer le jeu de l’hypocrisie sociale, le chagrin l’y rendait moins enthousiaste et une femme issue d’un pays partageant sa religion paraissait un cadeau offert par ses Dieux.

On l’annonça. Eléa entra et effectua une gracieuse révérence, tenant un bout de la robe qu’on lui avait prêté du bout de ses doigts fins. Les marques de ses aventures s’étaient estompées. Physiquement, la veuve allait bien. Moralement, elle était encore un peu fragile mais elle aurait la volonté de tout surmonter pour accomplir sa vengeance et restaurer la puissance des Potter. « Majesté, je remercie les Lannister pour leur généreuse hospitalité et tiens à vous féliciter pour vos récentes noces » Ces dernières remontaient à quelques mois mais il s’agissait de leur première rencontre. Eléa ignorait si son mari avait reçu une invitation pour le mariage à l’époque, tout avait été très embrouillé dans sa vie ces derniers temps, même avant le massacre de sa famille. Toujours les yeux baissés et le corps gracieusement penché, la dernière fille de Perdicas Potter attendit patiemment qu’on l’autorise à sortir de cet état. Son maintien était parfait – malgré les rumeurs au fond de vérité à son sujet, jamais on ne devinerait l’hérétique formée par une vieille rebouteuse à la regarder ainsi, élégante et modeste.